Droit du Logiciel : décision du 12 mai 2023 Cour d’appel de Toulouse RG n° 21/04269

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12/05/2023

ARRÊT N°228/2023

N° RG 21/04269 – N° Portalis DBVI-V-B7F-ONWE

FCC/ AR

Décision déférée du 13 Septembre 2021 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de TOULOUSE ( 21/00032)

[K]

[Z] [I] épouse [L]

C/

S.A.S. MILAN PRESSE

CONFIRMATION TOTALE

Grosse délivrée

le 12 05 2023

à Me Marc PICHON

Me Philippe ISOUX

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D’APPEL DE TOULOUSE

4eme Chambre Section 2

***

ARRÊT DU DOUZE MAI DEUX MILLE VINGT TROIS

***

APPELANTE

Madame [Z] [I] épouse [L]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Marc PICHON de la SCP CAMILLE ET ASSOCIES, avocat au barreau de TOULOUSE

INTIMEE

S.A.S. MILAN PRESSE

prise en la personne de son représentant légal, domicilié ès qualités audit siège sis [Adresse 1]

Représentée par Me Philippe ISOUX de la SELARL CABINET PH. ISOUX, avocat au barreau de TOULOUSE

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 13 Mars 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant F. CROISILLE-CABROL conseillère, chargée du rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

C. BRISSET, présidente

A. PIERRE-BLANCHARD, conseillère

F. CROISILLE-CABROL, conseillère

Greffier, lors des débats : A. RAVEANE

ARRET :

– CONTRADICTOIRE

– prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties

– signé par C. BRISSET, présidente, et par A. RAVEANE, greffière de chambre

Exposé du litige

EXPOSÉ DU LITIGE

La SAS Milan presse fait partie du groupe [P].

Mme [Z] [I] épouse [L] a été embauchée selon deux contrats à durée déterminée à temps plein successifs du 7 juillet 2003 au 6 février 2004 puis du 9 février au 24 août 2004, par la SAS Milan presse sise à [Localité 5] en qualité de secrétaire commerciale, catégorie employé.

Un contrat à durée indéterminée a ensuite été conclu à compter du 25 août 2004, avec reprise d’ancienneté au 7 juillet 2003.

La convention collective nationale des éditeurs de la presse magazine est applicable.

Suivant avenants, Mme [I] est devenue chef de marché junior abonnements pôle nature et territoire à compter du 1er avril 2009, puis elle a obtenu le statut cadre avec clause de forfait jours (217 jours par an) à compter du 1er juillet 2009 ; elle est ensuite devenue chef de marché junior abonnements jeunesse à compter du 1er août 2010, puis chef de marché abonnements jeunesse à compter du 1er janvier 2013.

Au début de l’année 2015, une réorganisation de la SAS Milan presse a été annoncée aux salariés, consistant à mutualiser les ressources du groupe sur l’activité marketing, entraînant la suppression de plusieurs postes dont celui de Mme [I].

Par lettre remise en main propre du 16 mars 2015, la SAS Milan presse a proposé à Mme [I] deux postes de reclassement (chargée de production marketing direct au sein de la SAS Milan presse à [Localité 5] et chef de marché marketing direct au sein de la société [P] presse à [Localité 4]). Par courrier du 13 avril 2015, la salariée a refusé.

Par LRAR du 20 avril 2015, la SAS Milan presse a proposé à Mme [I] un troisième poste de reclassement (chargée de promotion au sein de la société Editions Milan à [Localité 5]). Par courrier du 6 mai 2015, la salariée a refusé.

Par LRAR du 13 mai 2015, la SAS Milan presse a convoqué Mme [I] à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour motif économique fixé le 26 mai 2015. Par LRAR du 5 juin 2015, la SAS Milan presse a licencié Mme [I] pour motif économique. Par LRAR du 13 juin 2015, Mme [I] a indiqué souhaiter bénéficier du congé de reclassement et de la priorité de réembauche ; elle a ensuite mis fin au congé de reclassement par courrier du 20 novembre 2015. Le contrat de travail a pris fin au 29 novembre 2015. La SAS Milan presse a versé à Mme [I] une indemnité de licenciement de 35.023,85 €.

Le 28 juillet 2016, Mme [I] a saisi le conseil de prud’hommes de Toulouse aux fins de contester son licenciement. Après radiation du 4 février 2019 et réinscription du 12 janvier 2021, en dernier lieu, Mme [I] a demandé notamment le paiement d’heures supplémentaires, de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de dommages et intérêts pour non-respect de la priorité de réembauchage et de dommages et intérêts pour irrégularité de procédure.

Par jugement du 13 septembre 2021, le conseil de prud’hommes de Toulouse a :

– jugé que le licenciement de Mme [I] repose sur une cause réelle et sérieuse,

– dit que les critères d’ordre n’avaient pas à être appliqués,

– dit que la société n’a pas respecté son obligation de réembauche malgré la demande de Mme [I],

– condamné la SAS Milan presse à verser à Mme [I] les sommes suivantes :

* 5.576 € à titre de préjudice,

* 1.500 € en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouté les parties du surplus de leurs demandes,

– rappelé qu’en vertu de l’article 1153-1 du code civil, les créances indemnitaires produisent intérêt au taux légal à compter du prononcé du jugement,

– dit qu’il n’y a pas lieu de prononcer une exécution provisoire autre que de droit,

– dit qu’à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées par la présente décision et qu’en cas d’exécution par voie extrajudiciaire, les sommes retenues par l’huissier instrumentaire en application des dispositions de l’article 10 du décret 8 mars 2001, portant modification du décret du 12 décembre 1996 devront être supportées par la société défenderesse,

– dit que la SAS Milan presse supporte les dépens.

Mme [I] a relevé appel de ce jugement le 19 octobre 2021, dans des conditions de forme et de délai non discutées, en énonçant dans sa déclaration d’appel les chefs critiqués.

Moyens

Motivation

MOTIFS

1 – Sur les heures supplémentaires :

L’article L 3121-63 du code du travail dispose que les forfaits annuels en heures ou en jours sur l’année sont mis en place par un accord collectif d’entreprise ou à défaut par une convention ou un accord de branche.

L’article L 3121-64 indique que l’accord autorisant la conclusion de conventions individuelles de forfait en jours doit notamment prévoir les modalités selon lesquelles l’employeur assure l’évaluation et le suivi de la charge de travail du salarié et selon lesquelles l’employeur et le salarié communiquent périodiquement sur la charge de travail, l’articulation entre l’activité professionnelle et la vie personnelle, la rémunération et l’organisation du travail dans l’entreprise.

L’article L 3121-65 dispose qu’à défaut de telles stipulations conventionnelles, une convention individuelle de forfait en jours peut être valablement conclue sous réserve que l’employeur établisse un document de contrôle, s’assure que la charge de travail est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires et organise une fois par an un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail.

Mme [I] conclut à la nullité de sa convention de forfait jours au motif que l’avenant du 10 novembre 2006 à l’accord d’aménagement du temps de travail conclu le 7 mars 2001 au sein de l’UES Milan presse – Editions Milan ne prévoit pas de suivi de la charge de travail, ni d’entretien.

La cour relève, en effet, que cet accord conventionnel mentionnait seulement que les salariés concernés par les conventions de forfait utilisaient le logiciel de gestion du temps Equatis pour planifier les jours travaillés et les jours chômés, cette planification devant être validée par voie électronique, et que, chaque année en fin de période annuelle, il était vérifié qu’il ne soit pas dépassé le nombre maximum de 217 jours travaillés dans l’année. Ainsi, l’avenant conventionnel, qui ne prévoyait aucun entretien annuel sur l’évaluation et le suivi de la charge de travail, ne précisait pas les modalités exactes selon lesquelles la société contrôlait le temps de travail des salariés. Par ailleurs, l’employeur ne justifie pas avoir mis en place les mesures supplétives prévues à l’article L 3121-65, ni même ne l’allègue. Par suite, la clause de forfait jours contenue dans l’avenant contractuel à compter du 1er janvier 2007 ne peut qu’être annulée, et Mme [I] était soumise au régime de droit commun du temps de travail, et pouvait réclamer le paiement d’heures supplémentaires au-delà de 35 heures hebdomadaires.

Aux termes de l’article L 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail effectuées, l’employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié ; le juge forme sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Mme [I] sollicite le paiement de la somme de 28.728 € correspondant à ‘plus de 1.400 heures supplémentaires’ sur ‘les trois années qui ont précédé son licenciement’. Toutefois, elle ne précise ni la période exacte de réalisation des heures supplémentaires, ni ses horaires de travail puisqu’elle se borne à affirmer que ‘ses journées de travail dépassaient amplement la durée quotidienne de 7 heures’ et qu’elle ‘travaillait entre 9 et 10 heures par jour’, ni le nombre d’heures supplémentaires accomplies chaque semaine ou a minima chaque mois, et elle ne produit aucun relevé de ses heures de travail, ni aucun tableau récapitulatif.

Elle ne produit que :

– ses plannings 2012, 2013, 2014 et 2015, dans le cadre du forfait-jours, mentionnant les jours fériés, les congés payés, les jours de RTT, les jours enfant malade et les jours de mission particulière, mais n’indiquant ni les autres jours travaillés ni aucun horaire de travail ;

– quelques mails qu’elle a adressés des jours où elle était censée ne pas travailler, ou le matin, pendant les pauses déjeuner ou en soirée ;

ces éléments n’étant pas suffisamment précis quant à ses heures de travail, en ce qu’ils ne permettent pas de quantifier une durée de travail et à l’employeur d’y répondre utilement.

Confirmant le jugement, la cour déboutera donc Mme [I] de sa demande en paiement d’heures supplémentaires.

2 – Sur le licenciement :

Le jugement a alloué à Mme [I] des dommages et intérêts de 5.576 € pour non-respect de la priorité de réembauche. Aucune des parties ne demandant l’infirmation du jugement sur ce point, la cour ne peut que confirmer ces dommages et intérêts.

En cause d’appel, Mme [I] affirme que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse :

– en l’absence de preuve de motif économique ;

– en l’absence de preuve de la nécessité de suppression de son emploi ;

– en l’absence de recherche de reclassement suffisante.

A titre subsidiaire, elle invoque un non-respect des critères d’ordre.

En outre, elle allègue un non-respect de la procédure de licenciement.

La lettre de licenciement était ainsi motivée :

‘Le projet de licenciement est fondé sur les éléments suivants :

Le Groupe [P] évolue dans un environnement économique dégradé, dans lequel la presse écrite française souffre particulièrement.

L’étude de la Direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) du ministère de la Culture et de la Communication montre qu’en 2013 le chiffre d’affaires global (8,255 milliards d’euros) de la presse recule pour la sixième année consécutive de 5,3 % par rapport à 2012. Fait notable, par catégorie de recettes, le repli touche pour la première fois les recettes d’abonnement.

Le marché des ventes au numéro, en cumul sur un an à fin juin 2014, est en retrait de 7 % en volume, de 4 % en valeur pour les publications, avec des performances négatives pour toutes les familles. [Source : Presstalis].

Les recettes publicitaires de la presse magazine enregistrent sur la période un repli de – 10,6 %, et celles de la Presse Quotidienne Nationale (PQN) reculent de – 7,9 % [source : Netindex].

Dans ce contexte sectoriel particulièrement difficile, le groupe [P] affiche un chiffre d’affaires en repli.

Le chiffre d’affaires consolidé de l’exercice 2013/2014 s’élève à 346,3 M€, contre 359,8 M€ en 2012/2013, soit un recul de 13,4 M€ (- 3,7 %).

A périmètre et change constants, le recul du chiffre d’affaires s’élève à – 2,7 % soit – 9,7 M€.

Le résultat net en perte du Groupe s’élève au 30 juin 2014 à – 0,89 M€.

Le secteur jeunesse du Groupe ([P] jeunesse et Milan jeunesse) fait face depuis une dizaine d’années à des modifications profondes de leur environnement et de leur fonctionnement avec la baisse structurelle de la diffusion, à un rythme de 2 à 3 % par an, soit près de 25 (250.000 exemplaires) entre 2004 et 2014 soit une baisse de la marge variable en 10 ans de 12 millions d’euros dans un marché de la presse en grande difficulté. liée notamment au changement des usages et pratiques de lecture particulièrement accentué sur son public (notamment adolescents) qui est aujourd’hui né avec le digital.

Dans ce contexte Groupe, le résultat net de la Milan Presse, au 30 juin 2014, présentait un déficit de 1.006.000 €.

Le chiffre d’affaires et la diffusion de la société Milan Presse sont en effet en net recul.

Sur 5 ans, le chiffre d’affaires de Milan Jeunesse a subi une érosion de 6 %.

La diffusion moyenne des titres Milan Jeunesse a baissé de 4 % pour un d’affaires diffusion en recul de 9 %.

Les difficultés se concentrent sur le canal abonnement : la diffusion moyenne abonnement des titres Milan Jeunesse est passée de 422.000 à 368.000 exemplaires, soit une baisse de 13 %.

Sur la même période, le chiffre d’affaires abonnement a enregistré une dégradation de 1,7 millions d’euros, soit un recul de 8 %. La marge abonnement s’est dégradée de 10 points en 5 ans, soit 825 K€.

Une vigilance constante a été exercée sur l’évolution des frais fixes. Cependant, en 5 ans, la masse salariale a progressé de 10 % aboutissant à un ratio frais fixes sur chiffre d’affaires en augmentation inquiétante.

Cette évolution a en effet de lourds impacts sur les résultats économiques de l’entreprise. Sur l’exercice 12-13, la marge opérationnelle de l’activité jeunesse était positive à 291 K€. L’exercice 13-14 s’est conclu avec une marge opérationnelle négative de 140 K€. La trajectoire budgétaire pour l’exercice 14-15 aboutit à une marge opérationnelle négative de 180 K€, alors que le budget prévoyait qu’elle soit à l’équilibre.

Pour répondre à ses ambitions stratégiques et faire face à ses difficultés économiques, Milan Jeunesse doit adapter son organisation éditoriale, renforcer les mutualisations existantes et travailler davantage en mode projet.

Il s’agit d’une réorganisation indispensable à la sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise.

Pour travailler de manière plus efficace et alléger les coûts, les mutualisations doivent notamment être accentuées au sein du marketing clients pour répondre à la volonté de :

– accélérer le développement du marketing digital,

– mettre en commun nos forces et intelligences sur les projets et sujets partagés entre les deux marques,

– industrialiser au maximum nos process afin de dégager du temps pour l’innovation et le développement de relais de croissance (notamment sur le numérique),

– faire des économies sur la structure marketing face à la baisse de la marge de l’activité abonnement et à la décroissance structurelle des canaux print.

L’objectif de cette mutualisation est de répartir les missions du marketing client [P] Jeunesse et Milan Jeunesse entre des pôles de compétence et d’expertise propres à chacun des sites, afin d’éviter les doublons, d’harmoniser les méthodes de travail et de gagner en productivité sur le marketing et la production dans le respect des identités de marques.

Les principaux changements sont les suivants :

– Une direction marketing commune

– Un service production commun

– Un interlocuteur commun sur les sujets DSVoutils/data/analytics.

Dans cette nouvelle organisation, plusieurs postes sont supprimés dont trois postes de chefs de marché et c’est la raison pour laquelle nous avons recherché toutes les possibilités de reclassement existantes dans l’entreprise et plus généralement dans le Groupe.

Par courrier du 16 mars 2015, nous vous avons proposé à titre de reclassement les postes suivants :

– un poste de Chargé de production marketing à [Localité 5] au sein de Milan Presse SAS,

– un poste de Chef de marché marketing à [Localité 4] (92) au sein de [P] Presse SA.

Les fiches de postes étaient jointes à notre courrier ainsi que les conditions d’accompagnement de la mutation.

Vous aviez un mois pour répondre à ces propositions.

Par courrier daté du 13 avril 2015, vous ayez refusé nos propositions de reclassement.

Par courrier daté du 20 avril 2015, nous vous avons fait une nouvelle proposition de reclassement :

– un poste de Chargé de promotion pour la société éditions Milan SAS, localisé à [Localité 5] au même statut et salaire que votre poste précédent.

Vous avez refusé cette nouvelle proposition de reclassement par courrier daté du 6 mai 2015.

Nous ne sommes malheureusement pas en mesure de formuler d’autres offres, ni au sein de la société Milan Presse ni au sein des autres sociétés du groupe auquel nous appartenons.

Nous sommes donc contraints de vous notifier votre licenciement pour motif économique.’

Sur la cause économique :

En application des articles L 1233-2, L 1233-3 (en sa version antérieure à la loi du 8 août 2016), L 1233-16 et L 1235-1 du code du travail, tout licenciement pour motif économique doit être justifié par une cause réelle et sérieuse ; constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou d’une transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques. Si l’entreprise appartient à un groupe, l’existence de la cause économique du licenciement doit s’apprécier au niveau du secteur d’activité du groupe auquel appartient l’employeur. La cause économique doit s’apprécier au moment du licenciement. Les motifs énoncés dans la lettre de licenciement fixent les termes du litige, le juge apprécie le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur et forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties. Si un doute persiste, il profite au salarié.

La réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité est également un motif de licenciement.

La lettre de licenciement visait la réorganisation nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité du secteur jeunesse du groupe [P], cette réorganisation consistant en une mutualisation au sein du service marketing clients.

Mme [I] affirme qu’en sa qualité de chef de marché abonnements jeunesse, elle travaillait à la fois pour le compte de la SAS Milan presse et pour celui de la SAS [P] presse de sorte que la SAS Milan presse n’était pas son seul employeur et que le motif économique doit être apprécié au niveau du groupe [P] ; que, de plus, le secteur d’activité de la SAS Milan presse ne se réduit pas au secteur jeunesse du groupe [P] car la SAS Milan presse éditait aussi 7 magazines destinés à un public adulte, sur son pôle ‘nature et territoires’ (Alpes Mag, Pyrénées Mag, Bretagne Mag, Terre sauvage, Destination, GR Magazine, Arbres et Forêts), représentant 15 % de son activité, de sorte que la cause économique ne doit pas être appréciée seulement au niveau du secteur d’activité jeunesse, mais au niveau du secteur d’activité de l’édition c’est-à-dire au niveau de toute l’activité du groupe [P].

Néanmoins, d’une part, le seul employeur de Mme [I] était la SAS Milan presse et non la SAS [P] presse, avec laquelle aucun contrat de travail n’a été conclu ; par ailleurs, Mme [I] n’a pas mis en cause la SAS [P] presse à la procédure.

D’autre part, le secteur d’activité affecté par le projet de réorganisation était bien le secteur ‘jeunesse’ du groupe ; il n’existait aucun projet de réorganisation du secteur ‘nature et territoires’ ; ainsi, même si la SAS Milan presse comportait deux secteurs d’activité, l’appréciation du motif économique ne doit se faire qu’au niveau du secteur ‘jeunesse’ du groupe [P], et non au niveau de tous les secteurs d’activité du groupe [P]. Les considérations de Mme [I] sur les données comptables du groupe [P] dans son entier (chiffre d’affaires en hausse, marge opérationnelle en progression, résultat net positif) tirées d’articles de presse (La Croix, Presse édition) sont donc inopérantes.

Il ressort de l’attestation du commissaire aux comptes Advolis qu’au sein du groupe [P], l’activité jeunesse était exploitée par la SAS Milan presse et par la SAS [P] presse ; qu’entre 2004 et 2015, la diffusion des titres jeunesse a diminué de 31 % pour [P] presse et de 31 % pour Milan presse. Le tableau relatif à l’activité jeunesse montre un résultat net déficitaire sur l’exercice 2014-2015. Le document remis en vue de la réunion extraordinaire du comité d’entreprise de la SAS Milan presse du 27 janvier 2015 décrivait de manière détaillée la situation économique du secteur jeunesse obérée notamment en raison d’un ratio frais fixes/chiffre d’affaires défavorable, d’une marge opérationnelle négative et de la chute des abonnements due à une notoriété relativement faible, à des supports numériques obsolètes et à un fonctionnement en ‘silos’ avec une transversalité insuffisante ; il préconisait un plan d’action comprenant un travail sur la gamme éditoriale, le déploiement d’offres commerciales nouvelles, la réorganisation des 6 pôles éditoriaux actuels de la jeunesse (nature, éveil, apprentissage, multimédia, filles et licences/éditions déléguées) et le renforcement des mutualisations entre les services marketing client des secteurs jeunesse des sociétés Milan presse et [P] presse.

Ainsi, la SAS Milan presse fait la preuve de la nécessité de réorganisation de l’entreprise en vue de sauvegarder sa compétitivité.

Enfin, le document soumis au comité d’entreprise du 27 janvier 2015 mentionnait qu’au sein du service marketing client jeunesse, il existait 3 postes de chefs de marché au sein de la SAS Milan presse à [Localité 5] et 3,5 postes de chefs de marché au sein de la SAS [P] presse à [Localité 4], et qu’il était envisagé de supprimer les 3 postes de chefs de marché au sein de la SAS Milan presse et de n’avoir finalement que 5 postes de chefs de marché mutualisés pour les deux sociétés, mais uniquement au sein de la SAS [P] presse localisés à [Localité 4].

Mme [I] soutient qu’in fine, ce ne sont pas 3 postes de chefs de marché qui ont été supprimés, mais seulement 1,5 (3 + 3,5 – 5), et que la SAS Milan presse ne démontre pas la nécessité de supprimer le poste de la salariée. Néanmoins, les 3 postes de chefs de marché au sein de la SAS Milan presse à [Localité 5], dont celui de Mme [I], ont bien été supprimés, dans l’optique d’effectuer une mutualisation des services marketing client jeunesse des sociétés [P] presse et Milan presse et de n’avoir des chefs de marché qu’au sein de la SAS [P] presse à [Localité 4] (5 au lieu de 6,5 en tout ce qui permettait de faire des économies) ; la suppression de ces 3 postes à [Localité 5] caractérisait la cause économique, sans qu’il y ait lieu de tenir compte du nombre total de chefs de marché au sein de la SAS [P] presse après réorganisation ; par ailleurs, la réorganisation relevant du pouvoir de direction de l’employeur, la cour n’a pas à apprécier l’opportunité de supprimer les postes de chefs de marché à [Localité 5] plutôt qu’à [Localité 4].

Sur le reclassement :

En application de l’article L 1233-4 du code du travail, en sa version antérieure à la loi du 6 août 2015, le licenciement pour motif économique d’un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d’adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l’intéressé ne peut être opéré dans l’entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel l’entreprise appartient ; le reclassement s’effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu’il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d’une rémunération équivalente ; à défaut, et sous réserve de l’accord exprès du salarié, le reclassement s’effectue sur un emploi d’une catégorie inférieure ; les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises.

Par lettre remise en main propre du 16 mars 2015, la SAS Milan presse a proposé à Mme [I] deux postes de reclassement (chargée de production marketing direct au sein de la SAS Milan presse à [Localité 5] et chef de marché marketing direct au sein de la SAS [P] presse à [Localité 4]), en joignant les fiches de postes détaillées. Par courrier du 13 avril 2015, la salariée a refusé, aux motifs que le premier poste n’était pas un poste de cadre et offrait un salaire inférieur à son salaire actuel, et que le second poste situé en région parisienne n’était pas assez rémunéré puisqu’il l’était comme son poste actuel à [Localité 5].

Par LRAR du 20 avril 2015, la SAS Milan presse a alors proposé à Mme [I] un troisième poste de reclassement (chargée de promotion au sein de la SAS Editions Milan à [Localité 5]). Par courrier du 6 mai 2015, la salariée a refusé aux motifs que ce poste, plus opérationnel, était ‘inférieur’ au poste actuel, et que ses possibilités d’évolution étaient inconnues.

Ainsi, Mme [I] a refusé un poste non cadre sis à [Localité 5], un poste identique à son poste actuel mais à [Localité 4], et un poste cadre à [Localité 5] mais avec des missions différentes. Si Mme [I] était en droit de refuser ces trois offres, il demeure que ces offres étaient conformes au code du travail, loyales et sérieuses.

Mme [I] reproche à la SAS Milan presse de ne pas lui avoir proposé d’autres postes ouverts au recrutement et produit une liste de postes à pourvoir :

– chef de projet web au sein de la SAS [P] presse, nécessitant des compétences en informatique que ne possédait pas Mme [I] ;

– délégué commercial au sein de la SAS Milan presse dans les départements 31, 32 et 82, avec lieu de vie à [Localité 3] et dans les environs, obligation de prévoir un lieu de stockage à domicile d’au moins 30 m², diminution de salaire et statut non cadre, diminution et statut que refusait Mme [I], de sorte qu’il ne saurait être reproché à la SAS Milan presse de ne pas avoir proposé ce poste à la salariée ;

– des postes d’assistants commerciaux et marketing au sein de la SAS Milan presse et de la SAS [P] presse, des postes d’assistant de rédaction, de chef de rubrique, de développeur web, de chef de produit vente au numéro, de chargé de relations presse et partenariats média, de chef de marché presse quotidienne, de chef de produit et de chef de produit digital au sein de la SAS [P] presse, mais qui ont été diffusés postérieurement à la notification du licenciement et ne pouvaient donc pas être proposés à Mme [I].

Dès lors, c’est à juste titre que le conseil de prud’hommes a jugé le licenciement économique comme reposant sur une cause réelle et sérieuse et a débouté la salariée de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur les critères d’ordre :

En application de l’article L 1233-5 du code du travail, lorsque l’employeur procède à un licenciement collectif pour motif économique et en l’absence de convention ou accord collectif de travail applicable, il définit les critères retenus pour fixer l’ordre des licenciements, après consultation du comité d’entreprise ou à défaut des délégués du personnel. Ces critères prennent notamment en compte les charges de famille, l’ancienneté, la situation sociale et les qualités professionnelles appréciées par catégorie. L’employeur peut privilégier un de ces critères à condition de tenir compte de l’ensemble des autres critères.

La catégorie professionnelle se définit comme l’ensemble des fonctions de même nature qui supposent une formation professionnelle commune, dans l’entreprise.

Si tous les postes d’une même catégorie professionnelle sont supprimés, l’employeur n’a pas à appliquer des critères d’ordre.

Il est exact, ainsi que le souligne la SAS Milan presse, que la demande de dommages et intérêts pour non-respect des critères d’ordre n’a pas été soumise au conseil de prud’hommes, devant qui la salariée se plaignait seulement du non-respect des critères d’ordre mais sans réclamer de dommages et intérêts à ce titre ; pour autant, la SAS Milan presse n’en tire aucune conséquence en termes de recevabilité. Il n’y a pas lieu de d’envisager d’office une irrecevabilité de la demande comme nouvelle dès lors qu’elle constitue le complément de la demande au titre du licenciement. Il convient donc d’apprécier la demande au fond sur laquelle la SAS Milan presse s’explique.

La SAS Milan presse affirme qu’elle n’avait pas à faire application des critères d’ordre puisque les trois postes de la catégorie professionnelle ‘chefs de marché’ étaient supprimés.

Mme [I] soutient que :

– la SAS Milan presse ne justifie pas de ce que les chefs de marché faisaient partie d’une catégorie professionnelle et que leurs postes n’étaient pas interchangeables avec les autres postes ;

– tous les postes de chefs de marché n’ont pas été supprimés puisque seuls 1,5 l’ont été.

Sur ce, la cour relève que :

– le document remis en vue de la réunion extraordinaire du comité d’entreprise listait les postes supprimés : 2 directrices de pôles et une directrice adjointe des rédactions (journalistes), 3 chefs de marché et 0,5 responsable marketing (cadres) ; ainsi, les 3 chefs de marché faisaient partie d’une catégorie professionnelle autonome ; ils ne faisaient pas partie de la même catégorie que les 3 journalistes, ni de la même catégorie que le responsable marketing (ETP 0,5) qui avait des fonctions d’encadrement de nature différente ;

– la catégorie professionnelle doit s’apprécier au sein de l’entreprise et non au sein du groupe, de sorte qu’il n’y a pas lieu de tenir compte du nombre total de chefs de marché jeunesse au sein de la SAS [P] presse après réorganisation ; il a été dit précédemment que les 3 postes de chefs de marché au sein de la SAS Milan presse étaient supprimés, et non pas seulement 1,5 sur 3.

Ainsi, il n’y avait pas lieu à application des critères d’ordre.

Ajoutant au jugement, la cour déboutera la salariée de sa demande de dommages et intérêts pour non-respect des critères d’ordre.

Sur la procédure de licenciement :

Mme [I] soutient que la SAS Milan presse n’a pas respecté la procédure de licenciement car elle a décidé de la licencier dès le mois de mars 2015 avant d’engager toute procédure de licenciement ; elle soutient que la décision de licenciement ressort de la dispense d’activité notifiée par mail du 6 mars 2015.

Néanmoins, une dispense d’activité n’équivaut pas à une décision de licencier ; Mme [R], DRH, a bien demandé à Mme [I] si elle était d’accord pour cette dispense, et Mme [I] a répondu par l’affirmative, de sorte que la dispense ne lui a pas été imposée ; de surcroît, la SAS Milan presse a adressé à Mme [I] plusieurs offres de reclassement les 16 mars et 20 avril 2015 ce qui montre que l’objectif de la société était bien de reclasser Mme [I] et non de la licencier.

Le débouté de la demande de dommages et intérêts de ce chef sera donc confirmé.

3 – Sur les dépens et l’application de l’article 700 du code de procédure civile :

Le jugement étant confirmé en ses dispositions principales, les dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles le seront également. L’appel formé par Mme [I] étant mal fondé, elle en supportera les dépens et ses propres frais irrépétibles ; l’équité commande de laisser à la charge de l’employeur ses propres frais irrépétibles.

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions,

Y ajoutant :

Déboute Mme [Z] [I] épouse [L] de sa demande de dommages et intérêts pour non-respect des critères d’ordre,

Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile, pour les frais irrépétibles exposés par les parties en appel,

Condamne Mme [Z] [I] épouse [L] aux dépens d’appel.

Le présent arrêt a été signé par Catherine BRISSET, présidente, et par Arielle RAVEANE, greffière.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,

Arielle RAVEANE Catherine BRISSET.

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