07/04/2023
ARRÊT N°2023/164
N° RG 21/05037 – N° Portalis DBVI-V-B7F-OQ4O
CP/LT
Décision déférée du 08 Décembre 2021 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’albi
( 21/00095)
F.CASPARY
Section activités diverses
Etablissement FONDATION BON SAUVEUR
C/
[I] [Y]
INFIRMATION PARTIELLE
Grosse délivrée
le 7 avril 2023
à Me TERRIE, Me LAGASSE
Ccc à Pôle Emploi
le 7 avril 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D’APPEL DE TOULOUSE
4eme Chambre Section 1
***
ARRÊT DU SEPT AVRIL DEUX MILLE VINGT TROIS
***
APPELANT
Etablissement FONDATION BON SAUVEUR
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Thibault TERRIE de la SELARL TERRIE CHACON, avocat au barreau D’ALBI
INTIM »
Monsieur [I] [Y]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représenté par Me Patrick LAGASSE de la SCP LAGASSE GOUZY, avocat au barreau D’ALBI
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 08 Mars 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant C. PARANT, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, chargée du rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
S. BLUM », présidente
M. DARIES, conseillère
C. PARANT, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
Greffier, lors des débats : C. DELVER
ARRET :
– CONTRADICTOIRE
– prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
– signé par S. BLUM », présidente, et par C. DELVER, greffière de chambre
EXPOSE DU LITIGE
M. [I] [Y] a été embauché le 30 mai 2005 par la fondation Bon Sauveur en qualité d’aide médico-psychologique suivant contrat de travail à durée indéterminée.
Après avoir été convoqué par courrier du 20 juillet 2018 à un entretien préalable au licenciement fixé au 1er août 2018 et assorti d’une mise à pied à titre conservatoire, M. [Y] a été licencié par lettre du 6 août 2018 pour cause réelle et sérieuse.
M. [Y] a saisi le conseil de prud’hommes d’ Albi le 30 juillet 2019 pour contester son licenciement et demander le versement de diverses sommes.
Par jugement du 8 décembre 2021, le conseil de prud’hommes d’Albi a :
-dit que la procédure de licenciement n’a pas été respectée,
-condamné la fondation Bon Sauveur à payer à M. [Y] la somme de 2 346,85 € à titre d’indemnité pour non respect de la procédure de licenciement,
-dit que le licenciement de M. [Y] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
-condamné la fondation Bon Sauveur à payer à M. [Y] les sommes suivantes :
*26 988,77 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
*8 000 € de dommages et intérêts en raison des conditions brutales et vexatoires du licenciement,
*3 000 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
et condamné la fondation Bon Sauveur aux entiers dépens de l’instance.
Par déclaration du 21 décembre 2021, la fondation Bon Sauveur a interjeté appel de ce jugement dans des conditions de délai et de forme qui ne sont pas contestées.
Par dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 18 mai 2022, auxquelles il est expressément fait référence, la fondation Bon Sauveur demande à la cour de :
*infirmer le jugement rendu en toutes ses dispositions,
statuant à nouveau,
*débouter M. [Y] de l’ensemble de ses demandes et le condamner au paiement de la somme de 3 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Par dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 17 mai 2022, M. [I] [Y] demande à la cour de :
*confirmer le jugement à l’exception du montant des dommages et intérêts à lui alloués,
accueillant son appel incident, statuant à nouveau,
*condamner la fondation Bon Sauveur à lui payer la somme de 32 855,90 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
*condamner la fondation Bon Sauveur à lui payer la somme de 15 000 € à titre de dommages et intérêts en raison des conditions brutales et vexatoires du licenciement,
dans tous les cas :
*condamner la fondation Bon Sauveur à lui payer la somme de 3 500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens de l’instance et de première instance.
La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du 24 février 2023.
MOTIFS
Sur la cause réelle et sérieuse du licenciement
Il appartient à la cour d’apprécier, conformément à l’article L.1235-1 du code du travail, le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur dans la lettre de licenciement dont les termes suivent ; si un doute subsiste, il profite au salarié.
‘Monsieur,
Nous faisons suite à l’entretien préalable en date du 1er août dernier au cours duquel vous vous êtes présenté assisté par Monsieur [W] [R] salarié de la Fondation.
Il a été porté à notre connaissance les agissements graves de votre part suivants :
Vous avez eu une altercation avec un résident, vous avez adopté un comportement violent à son endroit et vous n’avez pas respecté les procédures internes.
En effet, le 19 juillet 2018, vous vous êtes rendu dans le bureau des professionnels de l’unité 3 de la MAS, pour la relève, aux environs de 13h30.
Lorsque vous êtes arrivé sur les lieux, se trouvaient des membres du personnel ainsi qu’un résident, Monsieur [F] [G]
Vous avez alors pris ce résident par l’épaule et l’avez tiré violemment en arrière.
Vous avez ensuite poussé le résident contre la porte des toilettes; ce dernier criait.
Par suite, vous avez amené le patient vers la terrasse avant de le « jeter » sur une chaise et l’avez serré au niveau du cou.
Vous avez ensuite plaqué Monsieur [F] [G] contre la baie vitrée et avez crié sur celui-ci.
Le résident est tombé.
Enfin, vous avez poussé Monsieur [F] [G] contre la porte lui valant une blessure à la tête, avant de lui porter un coup à la tête également.
Monsieur [F] [G] a été examiné par le service des urgences de l’hôpital d'[Localité 3].
Par suite, vous avez amené cette personne en chambre d’apaisement seul alors que cette mesure doit être accomplie en présence de deux professionnels.
Lors de l’entretien préalable du Ier août dernier, vous avez reconnu avoir effectué cette mesure seul et ne pas avoir pris le soin de noter cet évènement au sein de notre logiciel interne, CORTEXTE.
Cette conduite met en cause la bonne marche du service.
Elle est totalement inacceptable au sein de la Fondation d’autant plus compte tenu de vos fonctions d’aide médico psychologique et au regard de votre ancienneté.
Lors de l’entretien du 1er août 2018, il n y a pas eu de remise en cause ou de volonté de ne pas reproduire une telle situation, les explications recueillies auprès de vous ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation à ce sujet.
Nous considérons que votre comportement constitue un manquement fautif.
Nonobstant la gravité de vos agissements, nous avons décidé de vous licencier pour cause réelle et sérieuse…’
La Fondation Bon Sauveur soutient que le licenciement de M. [Y] était nécessaire eu égard au comportement violent de l’intimé le 19 juillet 2018, à l’égard d’un résident fragile, comportement dénoncé le jour-même par une de ses collègues de travail, apprentie éducatrice spécialisée, auprès de Mme [C], cadre de proximité, laquelle a établi un rapport le 20 juillet, versé aux débats.
La lecture de la lettre de licenciement reprend les faits dénoncés par Mme [V], apprentie éducatrice qui détaille dans son attestation le comportement violent de son collègue M. [Y] qui, selon elle, venant d’arriver dans le bureau des professionnels a pris le résident M. [O] par les épaules, l’a tiré violemment en arrière tout en rigolant avec le personnel, l’a poussé contre la porte des toilettes ; Mme [V] déclare avoir suivi M. [Y] sur la terrasse et l’avoir vu jeter M. [O] sur une chaise, puis l’a fait basculer en arrière ; M. [O] a essayé de reculer avec sa chaise pour échapper à M. [Y] tout en criant ; M. [Y] l’a tiré de sa chaise avant de le plaquer violemment contre la baie vitrée en lui criant dessus et M. [O] s’est retenu à un vélo d’appartement en le faisant tomber. C’est alors que M. [Y] a serré M. [O] par le cou et M. [Y] a poussé M. [O] de sorte que ce dernier s’est cogné à la tête puis, en le dirigeant vers sa chambre, a frappé M. [O] à la tête.
La Fondation Bon Sauveur a prévenu la soeur et le père de M. [O] qui n’ont pas souhaité déposer plainte contre M. [Y], expliquant dans leurs attestations et, Mme [O], dans sa déposition devant les services de police, qu’ils connaissaient M. [Y], que leur frère et fils qui était fragile n’avait pas manifesté de problème à la suite de l’incident décrit par la Fondation Bon Sauveur, que sa blessure à la tête était ancienne et qu’ils connaissaient M. [Y] et lui conservaient leur confiance.
Le service des urgences de l’hôpital d'[Localité 3], consulté le lendemain des faits par M. [O], a relevé une alopécie avec plaie de 1 cm en cours de cicatrisation et une perte de substance au niveau dorsal de 2 cm sur 1 cm.
A la suite de la plainte de la tutrice du résident M. [O], les services de police ont entendu M. [Y] et ses collègues de travail présents au moment des faits.
M. [Y] a contesté toute violence à l’égard de M. [O], expliquant qu’il connaissait M. [O] depuis de nombreuses années, étant un ami de la famille ; qu’il lui a demandé de sortir du bureau, le 19 juillet 2018 car M. [O] l’avait menacé en faisant un signe d’égorgement, que M. [O] est sorti du bureau, que ce dernier a mis un coup de poing dans la porte, a jeté un vélo d’appartement et est sorti dans le petit jardin et a renversé des chaises et des tables en plastique ; que M. [Y] l’a accompagné dans sa chambre ; que M. [O] s’est mordu la main et marchait en titubant ; qu’il l’a accompagné pour éviter qu’il se fracasse la tête contre les murs ; qu’il l’a laissé rentrer dans sa chambre et a fermé la porte à clef conformément au protocole avant de retourner dans la salle de ses collègues dans laquelle Mme [U], sa collègue, lui a conseillé de placer M. [O] en chambre d’apaisement, ce qu’il a fait, M. [Y] terminant en expliquant qu’il avait dîné avec ce résident le soir des faits ; qu’il a été mis à pied le lendemain, sans explication ; que l’alopécie de M. [O] est une blessure ancienne ; que la stagiaire, Mme [V], avait subi une de ses remarques en raison de l’impolitesse de cette dernière et qu’il s’interrogeait sur son absence de réaction pendant les faits qu’elle relate.
La cour renvoie expressément aux déclarations des collègues de travail de M. [Y] versées aux débats par l’intimé devant les services de police que le conseil de prud’hommes a pris le soin de détailler avec précision ( Mme [U], Mme [L], M. [S], M. [H]) qui certifient qu’alors qu’ils étaient présents à proximité de la scène décrite par le témoin [V], ils n’ont été témoins d’aucun acte de violence commis par M. [Y] à l’encontre de M. [O] ; que l’intimé a ramené le résident dans sa chambre puis l’a placé en chambre d’apaisement compte tenu de son état d’excitation lié à ses troubles psychologiques. Les collègues de travail rapportent le comportement professionnel de M. [Y] en poste depuis de nombreuses années au sein de cette maison d’accueil et certifient que M. [Y] n’a jamais été violent avec un résident.
La cour estime que la gravité des faits dénoncés par le témoin [V] justifiait qu’une enquête soit menée par la direction de la maison d’accueil au sein de laquelle M. [Y] exerçait les fonctions d’aide médico psychologique.
Elle constate que seul un témoin a relaté la violence du comportement qu’elle impute à l’intimé et que ce témoin était apprenti au sein de la maison d’accueil alors que nombre de collègues de travail, dont certains étaient présents dans la salle du personnel quand M. [Y] a ramené M. [O] dans sa chambre, décrivent le comportement agité du résident, et la nécessité de sa conduite en salle d’apaisement.
Aucune pièce ne permet de confirmer que la blessure à la tête de M. [O] ait été causée par une altercation avec M. [Y] alors que les membres de sa famille et certains témoins confirment l’ancienneté de l’alopécie et de la blessure à la tête et que rien ne permet d’imputer la blessure au dos à l’incident du 18 juillet 2018.
La cour estime que la violence du comportement de M. [Y] dénoncée dans la lettre de licenciement n’est pas établie avec certitude ; qu’un doute existe sur les conditions dans lesquelles M. [Y] a ramené M. [O] dans sa chambre et que le lien de causalité entre l’incident du 18 juillet et les blessures constatées par certificat médical n’est pas établi.
Le fait que M. [Y] n’ait pas respecté la procédure en amenant seul M. [O] en chambre d’apaisement et n’ait pas pris le soin de noter cet événement sur le logiciel interne de la maison de santé, fait que M. [Y] ne conteste pas, ne peut constituer un motif réel sérieux de licenciement d’un aide médico psychologique dont l’ancienneté remontait à 13 ans alors que la décision elle-même de conduite en chambre d’apaisement n’est pas critiquée par la Fondation Bon Sauveur mais seulement les modalités de cette conduite.
La cour confirmera en conséquence le jugement entrepris qui a déclaré le licenciement de M. [Y] sans cause réelle et sérieuse et lui a alloué des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse correspondant à 11 mois et demi de salaire : en effet, il peut prétendre, par application de l’article L. 1235-3 du code du travail au paiement de dommages et intérêts compris entre 3 et 11 mois et demi de salaire, ces dommages et intérêts réparant la perte d’emploi et le préjudice moral subi du fait de ce licenciement.
Contrairement à ce que soutient M. [Y] son ancienneté remonte à sa date d’embauche par la Fondation Bon Sauveur, soit au 30 mai 2005, le fait qu’il ait perçu dès l’embauche une prime d’ancienneté de 4 % est insuffisant à établir la volonté commune des parties ou celle de l’employeur de faire remonter son ancienneté à son embauche au sein de l’ADAPEI.
La cour fera application d’office de l’article L.1235-4 du code du travail à hauteur de 3 mois d’indemnités de chômage.
Sur la demande de dommages et intérêts pour irrégularité de la procédure et en raison des conditions brutales et vexatoires du licenciement
La cour rappelle que les dommages et intérêts alloués à un salarié pour défaut de cause réelle et sérieuse de licenciement en application de l’article L.1235-3 du code du travail réparent également les irrégularités de la procédure de licenciement de sorte que M. [Y] est mal fondé à solliciter des dommages et intérêts au motif que l’employeur ne l’a pas informé des motifs du licenciement pendant l’entretien préalable de licenciement.
Le jugement entrepris qui a alloué à M. [Y] des dommages et intérêts pour non respect de la procédure de licenciement sera infirmé sur ce point.
La cour estime également que les dommages et intérêts alloués pour défaut de cause réelle et sérieuse réparent le préjudice moral causé à M. [Y] par le licenciement ; s’il est établi que M. [Y] a subi une mise à pied conservatoire dans l’attente du prononcé du licenciement, cette mise à pied était justifiée par la gravité des faits dénoncés par un témoin, la Fondation Bon Sauveur étant en droit de suspendre le contrat de travail d’un aide médico psychologique soupçonné de violences contre un
résident.
La Fondation Bon Sauveur a décidé de licencier M. [Y] pour cause réelle et sérieuse et non pour faute grave et lui a remboursé le salaire dû pendant la période de mise à pied conservatoire.
La cour estime, dans ces conditions, M. [Y] mal fondé à solliciter des dommages et intérêts en réparation des conditions brutales et vexatoires du licenciement.
Le jugement déféré sera infirmé en ce qu’il a alloué à M. [Y] la somme de 8 000 € de ce chef.
Sur le surplus des demandes
La Fondation Bon Sauveur qui perd principalement le procès sera condamnée aux dépens et à payer à M. [Y] la somme de 3 000 € en remboursement des frais irrépétibles de l’instance d’appel, le jugement déféré étant confirmé sur les dépens et les frais irrépétibles de première instance.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement entrepris, à l’exception de ses dispositions sur les dommages et intérêts pour non respect de la procédure de licenciement et dommages et intérêts en
raison des conditions brutales et vexatoires du licenciement,
statuant à nouveau des chefs infirmés, et, y ajoutant,
Déboute M. [I] [Y] de ses demandes de dommages et intérêts pour non respect de la procédure de licenciement et dommages et intérêts en raison des conditions brutales et vexatoires du licenciement,
Ordonne le remboursement à Pôle Emploi par la Fondation Bon Sauveur des indemnités de chômage versées à M. [Y] du jour du licenciement au jour du jugement,
Condamne la Fondation Bon Sauveur à payer à M. [Y] la somme de 3 000 € en remboursement des frais irrépétibles de l’instance d’appel,
Condamne la Fondation Bon Sauveur aux dépens.
Le présent arrêt a été signé par S. BLUM », présidente et C. DELVER, greffière.
LA GREFFI’RE LA PR »SIDENTE
C. DELVER S. BLUM ».
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