Principe d’interdiction de publication
L’article 38 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse dispose qu’il est interdit de publier les actes d’accusation et tous autres actes de procédure criminelle ou correctionnelle avant qu’ils aient été lus en audience publique, et ce, sous peine d’une amende de 3.750 euros.
Intérêt à agir de la victime de la publication
Les articles 47 et suivants, qui réservent la poursuite du délit de publication d’actes de procédure, devant les juridictions pénales, au seul ministère public, n’ont pas pour effet de limiter la possibilité d’agir devant le juge des référés par une action civile.
La personne victime (le joueur de football Benzema), qui a vu son interrogatoire de première comparution, acte de procédure, intégralement publié sur internet, pouvait valablement invoquer un préjudice personnel lui donnant intérêt à agir, une telle publication détaillant des éléments couverts par le secret de l’instruction et ayant abouti à sa mise en examen, éléments de nature à révéler, par définition, les indices graves ou concordants rendant vraisemblable sa participation à la commission des infractions et donc de nature à entraîner des conséquences sur l’exercice des droits de la défense.
Liberté d’informer et recel du secret de l’instruction
Dans cette affaire, fait rarissime, les juges ont qualifié de « déplorable », l’atteinte au secret de l’instruction, constituée par la remise à des journalistes, par une des personnes astreintes à ce secret, d’un interrogatoire de première comparution. Juridiquement, les journalistes ne sont toutefois pas astreints à ce secret de l’instruction.
En outre, il est de principe que, dans le cas où l’information du public revêt un caractère d’intérêt général, l’application de l’article 38 de la loi du 29 juillet 1881 peut constituer une ingérence disproportionnée dans l’exercice de la liberté d’expression garantie par l’article 10 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, faute de caractériser les atteintes au droit au procès équitable et à l’autorité et à l’impartialité de la justice.
L’instruction ouverte à la suite de la tentative de chantage dont a été victime un joueur de l’équipe de France de football constitue bien un sujet d’intérêt général, s’agissant d’une affaire hautement médiatisée, commentée par les plus hautes autorités de l’Etat (propos du premier ministre commentant l’implication de Benzema), avec des effets éventuels sur la composition future de l’équipe nationale.
Le droit à l’information du public, résultant de l’article 10 de la convention européenne des droits de l’homme et de son interprétation par la Cour de Strasbourg, peut permettre la communication d’éléments, s’agissant d’une affaire d’intérêt général, y compris sur une enquête en cours, les questions dont connaissent les tribunaux pouvant, auparavant ou en même temps, donner lieu à discussion dans la presse.
Le fait que les journalistes aient cherché à faire un « scoop », alors qu’une chaîne de télévision devait diffuser une interview donnée par le demandeur, est indifférent à la solution du litige. De même, il ne peut être retenu que les éléments du procès-verbal de première comparution ne relèveraient pas du droit du public à l’information sur une affaire d’intérêt général, contrairement à l’affaire proprement dite, une telle distinction étant d’une part pour le moins difficile à établir et d’autre part en contradiction avec le droit à crédibiliser les informations garanti conventionnellement.
Ces faits constituent une contestation sérieuse devant le juge des référés ne permettant pas au juge d’interdire la publication de l’article de presse, en raison d’un risque d’ingérence disproportionnée que constituerait l’application de l’article 38 par rapport aux droits garantis par l’article 10 de la convention européenne des droits de l’homme, s’agissant d’une publication qui participe du droit du public à l’information sur un sujet d’intérêt général.
Pour rappel, il résulte de l’article 808 du code de procédure civile que, dans tous les cas d’urgence, le président du tribunal de grande instance peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend. Le président peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier. Source : TGI de Paris, 8/1/2016, N°RG: 15/60756