Droit de la Presse : « Petain sauveur de juifs français » : Zemmour sera de nouveau jugé

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Affirmer que Petain est « sauveur de juifs français » tombe sous le coup des délits de presse selon la Cour de cassation.

Contestation ou « attenuation » des crimes contre l’humanité

Les articles 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et 593 du code de procédure pénale répriment la contestation de l’existence d’un ou plusieurs crimes contre l’humanité tels qu’ils sont définis par l’article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l’Accord de Londres du 8 août 1945 et qui ont été commis soit par les membres d’une organisation déclarée criminelle en application de l’article 9 dudit statut, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale.

Le sens et la portée des propos

Il appartient aux juges du fond, saisis d’une infraction prévue à
l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, d’apprécier le sens et la portée des propos litigieux, au besoin, au vu des éléments extrinsèques à ceux-ci invoqués par les parties.

Il revient à la Cour de cassation de contrôler cette appréciation du sens et de la portée desdits propos et de vérifier que l’analyse des éléments extrinsèques, que les juges du fond apprécient souverainement, est exempte d’insuffisance comme de contradiction.

Affaire Zemmour

Pour censurer les juges du fond qui avaient relaxé Éric Zemmour pour ses propos sur C8, la Cour de cassation a rappelé qu’en premier lieu, il est indifférent qu’il n’ait pas été condamné pour un ou plusieurs crimes tels qu’ils sont définis à l’article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l’Accord de Londres du 8 août 1945.

En effet, la Cour de cassation juge que l’article 24 bis précité n’exige pas que les crimes contre l’humanité contestés aient été exclusivement commis soit par les membres d’une organisation déclarée criminelle en application de l’article 9 du statut dudit tribunal, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale, mais qu’il suffit que les personnes ainsi désignées les aient décidés ou organisés, peu important que leur exécution matérielle ait été, partiellement ou complètement, le fait de tiers (Crim., 24 mars 2020, pourvoi n° 19-80.783).

En deuxième lieu, les juges n’ont pas procédé à l’analyse exhaustive des propos poursuivis. En effet, alors qu’à la fin de l’échange, son interlocuteur affirmait « ou avait sauvé les juifs français, c’est une monstruosité, c’est du révisionnisme », le prévenu a répliqué « c’est encore une fois le réel », reprenant ainsi à son compte les propos qui venaient de lui être prêtés selon lesquels Pétain avait « sauvé les juifs français ».


N° Q 22-83.959 FS-B

N° 00916

GM
5 SEPTEMBRE 2023

CASSATION

M. BONNAL président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 5 SEPTEMBRE 2023

Les associations Union des étudiants juifs de France, J’accuse…! action internationale pour la justice, SOS racisme – touche pas à mon pote, Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples et Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme, parties civiles, et le procureur général près la cour d’appel de Paris ont formé des pourvois contre l’arrêt de ladite cour d’appel, chambre 2-7, en date du 12 mai 2022, qui a relaxé M. [N] [B] du chef de contestation de l’existence de crime contre l’humanité et a débouté les parties civiles de leurs demandes.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires ont été produits.

Sur le rapport de M. Dary, conseiller, les observations de la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat des associations Union des étudiants juifs de France, J’accuse…! action internationale pour la justice, SOS racisme – touche pas à mon pote, les observations de la SCP Spinosi, avocat du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples, les observations de Me Goldman, avocat de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme, les observations de la SCP Le Griel, avocat de M. [N] [B], et les conclusions de M. Lemoine, avocat général, les avocats ayant eu la parole en dernier, après débats en l’audience publique du 20 juin 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Dary, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, MM. Maziau, Seys, Mmes Thomas, Chaline-Bellamy, M. Hill, conseillers de la chambre, M. Violeau, Mme Merloz, M. Michon, conseillers référendaires, M. Lemoine, avocat général, et M. Maréville, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Exposé du litige
Faits et procédure

  1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
  2. Les associations Union des étudiants juifs de France (UEJF) et J’accuse…! action internationale pour la justice (AIPJ) ont fait citer M. [N] [B], devant le tribunal correctionnel de Paris, du chef susvisé, en qualité d’auteur, en raison des propos suivants tenus à l’antenne de la chaîne de télévision CNews lors de l’émission « Face à l’info » diffusée en direct, le 21 octobre 2019, à 19 heures, rediffusée le même jour à 23 heures 25 et mise en ligne sur le site internet de la chaîne :
    « [J][I] : vous avez dit un jour une chose terrible, dans une autre émission, vous avez osé dire que [Z] avait sauvé les juifs ;
    [N][B] : français, précisez, précisez français ;
    [J][I] : ou avait sauvé les juifs français, c’est une monstruosité, c’est du révisionnisme ;
    [N][B] : c’est encore une fois le réel ;
    [J][I] : non, le réel ;
    [N][B] : je suis désolé … ».
  3. Par jugement du 4 février 2021, le tribunal correctionnel, devant lequel sont intervenues les associations SOS racisme – touche pas à mon pote (SOS racisme), Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP) et Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA), en qualité de parties civiles, a relaxé le prévenu et prononcé sur les intérêts civils.
  4. Les parties civiles et le procureur de la République ont relevé appel de cette décision.

Moyens
Examen des moyens

Sur le moyen proposé par le procureur général
Sur le moyen proposé pour SOS racisme, l’UEJF et l’AIJP
Sur les premier et second moyens proposés pour le MRAP
Sur le moyen proposé pour la LICRA

Enoncé des moyens

  1. Le moyen proposé par le procureur général critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a relaxé M. [B], par des motifs insuffisants ou erronés, manque de base légale, en violation de l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, alors :

« 1°/ que la contestation de crimes contre l’humanité est punissable même si elle est présentée sous forme déguisée, dubitative ou par voie d’insinuation ou lorsque les propos poursuivis reflètent une minoration outrancière du nombre des victimes de la déportation et de la politique d’extermination des populations d’origine et de confession juive conduite au cours de la seconde guerre mondiale ou, y compris sous couvert de la recherche d’une supposée vérité historique, une banalisation ou relativisation de crimes commis à ce titre et des causes de la mort des victimes ou encore une minoration des souffrances des rescapés de la Shoah ;

2°/ que les dispositions de l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse n’exigent pas que les crimes contre l’humanité contestés aient été exclusivement et directement perpétrés soit par les membres d’une organisation déclarée criminelle en application de l’article 9 du statut du tribunal militaire international dit tribunal de Nuremberg, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale, mais qu’il suffit que les personnes désignées les aient décidés ou organisés, peu important que leur exécution matérielle ait été, partiellement ou entièrement, le fait de tiers. »

  1. Le moyen proposé pour SOS racisme, l’UEJF et l’AIJP critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a relaxé M. [B] du chef de contestation de crimes contre l’humanité par parole, écrit, image ou moyen de communication audiovisuel et a rejeté les demandes des parties civiles, alors :

« 1°/ que l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 réprime la contestation, par un des moyens énoncés à l’article 23, de l’existence d’un ou plusieurs crimes contre l’humanité tels qu’ils sont définis par l’article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l’Accord de Londres du 8 août 1945 et qui ont été commis soit par les membres d’une organisation déclarée criminelle en application de l’article 9 dudit statut, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale ; que par ailleurs, la contestation de l’existence des crimes contre l’humanité entre dans les prévisions de ce texte même si elle est présentée sous forme déguisée ou dubitative ou encore par voie d’insinuation ; qu’en l’espèce, en affirmant, pour relaxer [N] [B] du chef de contestation de crimes contre l’humanité, pour avoir confirmé, lors de l’émission Face à l’Info, diffusée par la chaîne CNews et mise en ligne sur le service Replay de la chaîne, que [Z] avait sauvé les juifs français, que ces propos, s’ils peuvent heurter les familles de déportés, n’ont pas pour objet de contester fût-ce de façon marginale, le nombre des victimes de la déportation ou la politique d’extermination dans les camps de concentration, bien qu’ils remettaient en cause les crimes contre l’humanité subis par les juifs français, dont 24.000 personnes ont été arrêtées, déportées et exterminées par les nazis, avec la complicité du gouvernement de Vichy, la cour d’appel a violé le texte susvisé, ensemble les articles 591 à 593 du code de procédure pénale ;

2°/ que l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 réprime la contestation, par un des moyens énoncés à l’article 23, de l’existence d’un ou plusieurs crimes contre l’humanité tels qu’ils sont définis par l’article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l’Accord de Londres du 8 août 1945 et qui ont été commis soit par les membres d’une organisation déclarée criminelle en application de l’article 9 dudit statut, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale ; que par ailleurs, la contestation de l’existence des crimes contre l’humanité entre dans les prévisions de ce texte même s’ils n’ont pas fait eux-mêmes l’objet d’une condamnation ; qu’en l’espèce, en relaxant [N] [B] du chef de contestation de crimes contre l’humanité, au motif que si par arrêt du 23 avril 1945, la Haute Cour de justice a reconnu le maréchal (sic) [Z] coupable d’attentat contre la sûreté intérieure de l’Etat et d’avoir entretenu des intelligences avec l’ennemi en vue de favoriser ses entreprises en corrélation avec les siennes, celui-ci n’a pas été poursuivi pour un ou plusieurs crimes contre l’humanité tels qu’ils sont définis par l’article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l’Accord de Londres du 8 août 1945, la cour d’appel a violé le texte susvisé, ensemble les articles 591 à 593 du code de procédure pénale ;

3°/ qu’en affirmant, pour entrer en voie de relaxe, que l’expression litigieuse fait référence à une thèse défendue par M. [B] – tant dans son livre « Le suicide français » qu’à l’occasion d’émission télévisées – selon laquelle si la déportation a moins touché les juifs de nationalité française que les juifs de nationalité étrangère résidant en France, c’est le fait d’une action du maréchal (sic) [Z] en leur faveur, bien que l’expression « [Z] a sauvé les juifs français », signifie au contraire qu’aucun juif français, de nationalité française ou qui a été déchu de sa nationalité française par le gouvernement de Vichy, n’a été déporté ou exterminé, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 et violé les articles 591 à 593 du code de procédure pénale ;

4°/ qu’en affirmant, pour entrer en voie de relaxe, que l’expression litigieuse faisait référence à une thèse défendue par M. [B] – tant dans son livre « Le suicide français » qu’à l’occasion d’émission télévisées – selon laquelle si la déportation a moins touché les juifs de nationalité française que les juifs de nationalité étrangère résidant en France, c’est le fait d’une action du maréchal (sic) [Z] en leur faveur, mais sans rechercher si le téléspectateur moyen, qui n’a pas forcément lu tous les livres d'[N] [B] ou entendu toutes les émissions auxquelles il a participé, avait eu connaissance de cette thèse au moment de la diffusion de l’émission, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 et violé les articles 591 à 593 du code de procédure pénale ».

  1. Le premier moyen proposé pour le MRAP critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a relaxé M. [B] du chef de contestation de crime contre l’humanité, alors :

« 1°/ que les dispositions de l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui incriminent la contestation de crimes contre l’humanité n’exigent pas que ces crimes aient été exclusivement et directement perpétués par les membres d’une organisation déclarée criminelle en application de l’article 9 du statut du tribunal militaire international ou par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale ; que dès lors, a méconnu ses textes ainsi que les articles 6 et 10, § 2, de la Convention européenne des droits de l’homme, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale, la cour d’appel qui a relaxé le prévenu pour des propos valorisant l’action de [Z] aux motifs, radicalement inopérants, qu’il « n’a pas été poursuivi pour un ou plusieurs crimes contre l’humanité tels qu’ils sont définis par l’article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l’Accord de Londres du 8 août 1945 », quand il suffit que les personnes susmentionnées aient décidé ou organisé les crimes contre l’humanité, nonobstant le fait que leur exécution matérielle ait été, partiellement ou totalement, le fait d’un tiers.

2°/ qu’en tout état de cause, n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations au regard des articles 6 et 10, § 2, de la Convention européenne des droits de l’homme, 24 bis de la loi du 29 juillet 1881, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale, la cour d’appel qui relevait que [X][Z] avait été condamné pour « intelligences avec l’ennemi en vue de favoriser ses entreprises en corrélation avec les siennes », ces entreprises renvoyant à la déportation et l’extermination des populations juives élaborées, planifiées par le régime nazi et ses dirigeants, caractérisant une organisation déclarée criminelle, certains ayant été précisément condamnés par le tribunal de Nuremberg en qualité d’instigateurs, de donneurs d’ordres ou d’exécutant pour crimes contre l’humanité ».

  1. Le second moyen proposé pour le MRAP critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a relaxé M. [B] du chef de contestation de crime contre l’humanité par voie de presse, alors :

« 1°/ que la contestation de crime contre l’humanité est réprimée même si elle est présentée sous forme déguisée, dubitative ou par voie d’insinuation ; qu’en relaxant M. [B] pour des propos relatifs à la Shoah commis par le régime nazi par l’entremise des services français en présentant [Z], chef d’État du gouvernement de Vichy ayant collaboré activement avec le IIIe Reich durant l’occupation allemande, comme le sauveur des juifs français, propos contestant par une voie déguisée, les crimes contre l’humanité, la cour d’appel a méconnu le sens et la portée de l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 et violé les article 6 et 10, § 2, de la Convention européenne des droits de l’homme, préliminaire, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

2°/ que la cour d’appel ne pouvait, sans priver sa décision de base légale au regard des articles 6 et 10, § 2, de la Convention européenne des droits de l’homme, 24 bis de la loi du 29 juillet 1881, préliminaire, 591 et 593 du Code de procédure pénale, relaxer M. [B], homme politique et chroniqueur aguerri, aux motifs que ses propos ont été tenus à la suite d’une « brusque interpellation », cette circonstance étant radicalement inopérante à l’exonérer de sa responsabilité, peu importe au demeurant que ses propos rejoignent l’opinion défendue dans d’autres médias selon laquelle « si la déportation a moins touché les juifs de nationalité française que les juifs de nationalité étrangère situé en France, c’est le fait d’une action du maréchal [Z] en leur faveur » ;

3°/ que n’a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 6 et 10, § 2, de la Convention européenne des droits de l’homme, 24 bis de la loi du 29 juillet 1881, préliminaire, 591 et 593 du Code de procédure pénale et a affirmé un fait en contradiction avec les pièces de la procédure, la cour d’appel qui a relaxé le prévenu en considérant qu’il n’avait pas usé du déterminant « les » quand il résulte des pièces de la procédure et, en particulier, du livre écrit par le prévenu, « Le suicide français », des indications selon lesquelles [Z] avait fait face aux demandes allemandes : « sacrifier les juifs étrangers pour sauver les juifs français » ».

  1. Le moyen proposé pour la LICRA critique l’arrêt attaqué en ce qu’il l’a déboutée de sa demande indemnitaire après avoir renvoyé M. [B] des fins de la poursuite, alors :

« 1°/ qu’il ressort de l’échange durant lequel ont été tenus les propos poursuivis que, répondant à son interlocuteur qui lui reprochait d’avoir précédemment dit que [Z] « avait sauvé les juifs français », M. [B] a affirmé « c’est encore une fois le réel », de sorte qu’en retenant, pour relaxer le prévenu, que ces propos n’avaient pas pour objet de contester ou minorer le nombre de victimes de la déportation ou la politique d’extermination dans les camps de concentration, la cour d’appel a méconnu l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 ;

2°/ que l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 n’exige pas que les crimes contre l’humanité contestés aient été exclusivement commis soit par les membres d’une organisation déclarée criminelle en application de l’article 9 du statut dudit tribunal, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale, mais qu’il suffit que les personnes ainsi désignées les aient décidés ou organisés, peu important que leur exécution matérielle ait été, partiellement ou complètement, le fait de tiers ; qu’en retenant, pour écarter la culpabilité de M. [B], que [X][Z] n’avait pas été lui-même poursuivi pour un ou plusieurs crimes contre l’humanité, ce qui, sauf à constater qu’il n’avait pas été l’exécutant de ces crimes, était sans incidence sur la culpabilité du prévenu, la cour d’appel a méconnu le texte précité ».

Motivation
Réponse de la Cour

  1. Les moyens sont réunis.

Vu les articles 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et 593 du code de procédure pénale :

  1. Le premier de ces textes réprime la contestation de l’existence d’un ou plusieurs crimes contre l’humanité tels qu’ils sont définis par l’article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l’Accord de Londres du 8 août 1945 et qui ont été commis soit par les membres d’une organisation déclarée criminelle en application de l’article 9 dudit statut, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale.
  2. Aux termes du second, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
  3. Il appartient aux juges du fond, saisis d’une infraction prévue à
    l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, d’apprécier le sens et la portée des propos litigieux, au besoin, au vu des éléments extrinsèques à ceux-ci invoqués par les parties.
  4. Il revient à la Cour de cassation de contrôler cette appréciation du sens et de la portée desdits propos et de vérifier que l’analyse des éléments extrinsèques, que les juges du fond apprécient souverainement, est exempte d’insuffisance comme de contradiction.
  5. Pour confirmer le jugement, relaxer M. [B] et débouter les parties civiles de leurs demandes, l’arrêt attaqué énonce que les propos reprochés au prévenu ont été tenus à la suite d’une brusque interpellation, au cours de laquelle M. [I] lui a reproché d’avoir affirmé, dans une autre émission, que « [Z] avait sauvé les juifs», les juges relevant que, dans cet échange, seul M. [I] a fait usage du déterminant «les», le prévenu ayant uniquement précisé « français ».
  6. Les juges ajoutent qu’il était fait référence à une opinion défendue par M. [B], tant dans son livre « Le Suicide français » qu’à l’occasion d’émissions télévisées, selon laquelle, si la déportation a moins touché les juifs de nationalité française que les juifs étrangers résidant en France, c’était le fait d’une action de [X][Z] en leur faveur.
  7. Ils en déduisent que, si ces propos peuvent heurter les familles de déportés, ils n’ont pas pour objet de contester ou minorer, fût-ce de façon marginale, le nombre des victimes de la déportation ou la politique d’extermination dans les camps de concentration.
  8. Ils retiennent encore que, si la Haute Cour de justice a reconnu [X][Z] coupable « d’attentat contre la sûreté intérieure de l’Etat et d’avoir entretenu des intelligences avec l’ennemi en vue de favoriser ses entreprises en corrélation avec les siennes », l’intéressé n’a pas été poursuivi pour un ou plusieurs crimes contre l’humanité tels qu’ils sont définis à l’article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l’Accord de Londres du 8 août 1945.
  9. En se déterminant ainsi, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision pour les motifs qui suivent.
  10. En premier lieu, il est indifférent que [X][Z] n’ait pas été condamné pour un ou plusieurs crimes tels qu’ils sont définis à l’article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l’Accord de Londres du 8 août 1945.
  11. En effet, la Cour de cassation juge que l’article 24 bis précité n’exige pas que les crimes contre l’humanité contestés aient été exclusivement commis soit par les membres d’une organisation déclarée criminelle en application de l’article 9 du statut dudit tribunal, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale, mais qu’il suffit que les personnes ainsi désignées les aient décidés ou organisés, peu important que leur exécution matérielle ait été, partiellement ou complètement, le fait de tiers (Crim., 24 mars 2020, pourvoi
    n° 19-80.783).
  12. En deuxième lieu, les juges n’ont pas procédé à l’analyse exhaustive des propos poursuivis. En effet, alors qu’à la fin de l’échange, son interlocuteur affirmait « ou avait sauvé les juifs français, c’est une monstruosité, c’est du révisionnisme », le prévenu a répliqué « c’est encore une fois le réel », reprenant ainsi à son compte les propos qui venaient de lui être prêtés selon lesquels [X][Z] avait « sauvé les juifs français ».
  13. Enfin, procédant à l’analyse du contexte dans lequel les propos ont été tenus, ils ne pouvaient, sans mieux s’expliquer, retenir, au terme de leur examen des éléments extrinsèques invoqués en défense, en quoi cette affirmation devait être comprise comme se référant à des propos plus mesurés que M. [B] aurait exprimés antérieurement.
  14. La cassation est par conséquent encourue.

Dispositif
PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Paris, en date du 12 mai 2022, et pour qu’il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

DIT n’y avoir lieu à application de l’article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt annulé.

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du cinq septembre deux mille vingt-trois.

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