En matière de presse, il suffit qu’une personne soit identifiable par ses proches, voire par un groupe restreint d’initiés, pour qu’elle puisse agir en réparation d’un préjudice causé par une atteinte à sa vie privée.
Affaire Le Parisien
Dans l’une de ses éditions, le journal Le Parisien a publié le témoignage d’un homme quitté par sa compagne enceinte et disparue du jour au lendemain. Considérant que cet article contenait des erreurs dans la présentation des faits et portait atteinte à sa vie privée dès lors qu’elle était identifiable, la compagne a poursuivi l’éditeur du Parisien.
Identification possible
Si la compagne n’était désignée que par son prénom, la mention de son âge de 35 ans, de sa nationalité polonaise, des conditions dans lesquelles elle a rencontré son compagnon, de leur logement à Boulogne-Billancourt, de leur séparation, des éléments portant sur le suivi de sa grossesse et sur la malformation du foetus permettent de l’identifier sans que ne persiste aucun doute, elle était parfaitement identifiable par le cercle restreint de ses proches. Son action en violation de sa vie privée était donc recevable.
Débat d’intérêt général
La recherche de l’équilibre entre les droits de la personnalité et la liberté d’information revêtant une égale valeur normative penchait clairement en l’espèce en faveur de la liberté d’information. En effet, l’article traitait d’un sujet d’intérêt général dès lors qu’il s’attachait à exposer la situation d’hommes qui, alors même qu’ils ont reconnu l’enfant à naître, se heurtent à un vide juridique pour voir reconnaître leur paternité et exercer leurs droits parentaux lorsque leur concubine enceinte est partie sans donner d’adresse, les diligences policières et les recours judiciaires étant insuffisants, voire même inexistants. Un tel sujet relève bien d’une préoccupation sociétale actuelle relayée par des combats médiatisés par certains pères.
Il appartient au juge de faire la balance des droits en présence, liberté d’expression et information du public d’une part, préservation in concreto de la vie privée, d’autre part. En l’espèce, le sujet de société ne pouvait être traité sans que soient mentionnés d’une part le départ de la jeune femme sans informer son concubin de son nouveau lieu de vie et d’autre part son état de grossesse, cet état étant l’élément central et indispensable de la problématique.
Par ailleurs, il ne pouvait être fait interdiction au compagnon d’évoquer sa propre situation, dans le cadre de sa liberté d’expression, en relatant a minima la disparition de sa compagne enceinte et en faisant état de ses sentiments.
Respect de la vie privée
Conformément à l’article 9 du code civil et à l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, toute personne, quelle que soit sa notoriété, a droit au respect de sa vie privée et est fondée à en obtenir la protection en fixant elle-même ce qui peut être divulgué par voie de presse.
Cependant, ces droits doivent se concilier avec le droit à la liberté d’expression, consacré par l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; ils peuvent céder devant la liberté d’informer, par le texte et par la représentation iconographique, sur tout ce qui entre dans le champ de l’intérêt légitime du public, certains événements d’actualité ou sujets d’intérêt général pouvant justifier une publication en raison du droit du public à l’information et du principe de la liberté d’expression.
Il est, à cet égard, de jurisprudence constante que le droit à l’information du public sur les faits divers et les affaires judiciaires, tout au moins quand la nature des faits eux-mêmes ou la personnalité de leurs protagonistes rendent légitime qu’il en soit publiquement rendu compte, prévaut sur le respect de la vie privée des personnes qui s’y trouvent impliquées lorsque les éléments révélés à ce dernier titre sont en lien direct et pertinent avec l’information développée.
Enfin, ces droits de la personnalité et la liberté d’information revêtant une égale valeur normative, il appartient au juge saisi de rechercher leur équilibre et, le cas échéant, de privilégier la solution la plus protectrice de l’intérêt le plus légitime.
Pour rappel, les éléments d’état civil, à savoir le prénom, l’âge et la nationalité, ne relèvent pas en tant que tels de la sphère de la vie privée. La seule mention de la commune de domiciliation d’une personne, sans mention d’une adresse précise, ne constitue pas non plus une atteinte à la vie privée, cette indication étant trop vague et impersonnelle.
La mention de l’existence et de l’échec de certaines procédures judiciaires engagées par un père et relatives à l’exercice de ses droits paternels relèvent de la vie privée du couple parental et par conséquent de chacun de ses membres.
La rencontre d’un couple et les conditions de sa séparation ainsi que l’état des relations sentimentales au sein de ce couple relèvent bien de la sphère de la vie privée.
La grossesse d’une femme et le terme de cette grossesse, la désignation de l’hôpital assurant le suivi obstétrical de la femme enceinte ainsi que les malformations qui pourraient atteindre le foetus relèvent assurément de la sphère de la vie privée. Télécharger la décision