Droit de la Presse : Insulter son employeur n’est pas nécessairement une faute

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Traiter un employer de « Connard »

Certains mots ont un impact plus fort que d’autres. Dans cette  affaire, arrivée jusqu’en Cour de cassation, les juges suprêmes ont considéré que le fait pour un salarié (journaliste reporter) d’avoir traité son employeur de « connard » et de l’avoir verbalement menacé en lui indiquant pouvoir « être méchant », ne justifie pas un licenciement pour faute grave. En raison de leur contexte et de l’ancienneté du salarié, ces faits ne sont pas constitutifs d’une faute grave. Pour rappel, connard est un adjectif et un nom masculin qui a pour synonymes « crétin » et « imbécile ». « Connard » serait donc une insulte contextuelle.

Quel était le contexte ?

L’insulte était bien reprochable mais à peser en considération de l’ancienneté du salarié qui n’avait jamais fait l’objet de sanctions disciplinaires. Le salarié n’avait, a priori, pas non plus l’intention manifeste de les rendre publics. L’employeur avait également critiqué de façon brutale l’article du salarié. La scène faisait suite à une discussion vive entre les protagonistes. La faute verbale du salarié n’empêchait pas la poursuite du contrat de travail et pouvait être sanctionnée de manière proportionnée et efficace par une mise à pied disciplinaire (par exemple).

Liberté d’expression du salarié : les conditions du licenciement

La liberté d’expression du salarié est incluse dans le périmètre de l’article L1121-1 du Code du travail : « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. ». Par ailleurs, les opinions que le salarié, quelle que soit sa  place dans la hiérarchie professionnelle, émet dans l’exercice de son droit d’expression (y compris syndicale) ne peut motiver une sanction ou un licenciement (Article L2281-3).

Sur ce fondement, le licenciement pour faute du salarié ne peut être justifié qu’en cas d’abus dans sa liberté d’expression. Il convient donc pour l’employeur, de caractériser l’existence, par l’emploi de termes injurieux, diffamatoires ou excessifs, d’un abus dans l’exercice de la liberté d’expression dont jouit tout salarié. Cet abus peut être apprécié dans mais aussi hors de l’entreprise (exemple : publications sur un Blog).

Reste que l’appréciation de l’abus par les Tribunaux est extrêmement variable. Pour apprécier la gravité des propos tenus par le salarié il faut tenir compte i) du contexte dans lequel les propos sont tenus, ii) de la publicité que leur a donné le salarié, iii) des destinataires des messages et iv) du statut du salarié (les limites de la critique et de la revendication admises pour un travailleur s’exprimant dans le cadre de son activité syndicale sont ainsi plus larges).

Exemples de liberté d’expression non sanctionnés

II a été jugé que le fait pour un salarié de s’interroger, dans le cadre d’une situation de conflit et par la voie d’un site internet revêtant un caractère quasiment confidentiel, sur le licenciement de l’un de ses collègues, sans que les propos incriminés soient injurieux ou vexatoires, n’excédait pas les limites de la liberté d’expression (Cour de cassation ch. Soc., 6 mai 2015, Pourvoi n° 14-10781).

De même, n’est pas abusif le fait, pour le salarié, de qualifier un projet en vue de l’harmonisation des statuts collectifs du personnel, de « lamentable supercherie », d’accuser la Direction de l’entreprise de procéder à « un chantage » qui « relève davantage d’une dictature que d’une relation de travail loyale » et d’ « actions sournoises et expédiées », tout en comparant le  directeur du personnel à un « vendeur de cuisines » cherchant à « vendre sa sauce » en tenant « des propos incomplets, voire fallacieux ». En effet, la forme des critiques, même vives, ne peut être dissociée des critiques sur le fond et ces propos ne sont destinés qu’à éclairer d’autres salariés concernés par le même projet d’harmonisation et à défendre des droits pouvant être remis en cause (Cour de cassation ch. Soc., 19 mai 2016, Pourvoi n° 15-12311).

Exemples de licenciements fondés

En revanche, est fondé le licenciement du salarié qui accuse son employeur d’être « en infraction au code du travail, au code pénale, faux usage de faux écriture comptable, fausse déclaration de bilan annuelle », et d’avoir « toujours fait travailler des sans-papiers », décrit sa « dernière magouille concernant le chômage partiel » et indique qu’« en plus du travail dissimulé, le non-paiement de vos cotisation patronale et salariale, c’est une nouvelle arnaque que la police financière et le procureur de la république ne laisseront pas passer en temps de crise que vous exploitez » (Cour de cassation ch. Soc., 12 février 2016, Pourvoi n° 14-24886).

En outre, l’abus ne s’apprécie pas seulement au fond mais aussi selon la forme : il a été jugé qu’une lettre collective adressée à la direction générale de l’entreprise, l’accusant d’user de procédés tels que la diffamation ou la diversion pour ne pas prendre en compte les préoccupations des salariés, leur adressant un ultimatum d’obéir à un ordre d’engager immédiatement des négociations et de répondre à leur convocation en adoptant un ton menaçant, manifeste bien un abus dans la liberté d’expression (Cour de cassation ch. Soc., 11 février 2015, Pourvoi n° 13-22978).

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