Données personnelles des clients divulguées par email

Notez ce point juridique

La mise en copie visible des emails des clients d’une société par un salarié (envoi d’un email en CC) constitue une faute grave du salarié de surcroit pour un salarié travaillant au service commercial qui a connaissance de la nécessité de s’imposer discrétion et confidentialité, principes qui étaient rappelés dans son contrat de travail.

La faute contractuelle du salarié est constituée, indépendamment de la discussion sur les sanctions encourues par la société auprès de la CNIL, en cas de manquement au règlement général sur la protection des données (RGPD) et alors même, en tout état de cause sur ce point, que l’employeur ne justifie pas qu’il a respecté à l’égard de ses salariés son obligation d’information en modifiant les contrats de travail ou en adaptant le règlement intérieur, en indiquant les sanctions ou en établissant une charte informatique .

Concernant la divulgation du fichier client au travers de la communication des adresses mail, le contrat de travail du salarié stipulait :

« Obligation de confidentialité. Compte tenu de la nature des fonctions qui lui sont confiées, le salarié s’interdit expressément, sans limitation de durée, de communiquer aux tiers tout renseignement de nature commerciale, technique ou financière dont il aura eu connaissance dans le cadre ou à l’occasion de l’exercice de la présente collaboration. »

Il est donc établi par l’employeur que malgré la clause de confidentialité précitée, chacun des destinataires a eu connaissance des noms des autres clients, en totale infraction avec la confidentialité requise en la matière, alors que ces données sont de nature commerciale puisqu’elles favorisent la concrétisation de relations économiques.

La société est également fondée à soutenir qu’il a été porté atteinte à la réputation de la société, la nature de ce courriel marquant le manque de fiabilité de la société dans le traitement des données personnelles des clients.

Résumé de l’affaire

Monsieur [L] [D] [G] a été embauché le 10 août 2015 par la SARL NITHAEL en tant qu’assistant commercial et logistique, avec un salaire fixe de 2.115,01 € brut. Il a été promu agent de maîtrise et technicien le 13 janvier 2020. Le 25 février 2020, il a été convoqué à un entretien préalable à une éventuelle sanction et a reçu un avertissement le 18 mars 2020, qu’il a contesté.

Une convention de rupture conventionnelle a été signée le 4 mai 2020, mais la société a tenté de se rétracter le 7 mai 2020, conduisant à un entretien préalable pour une sanction disciplinaire. Finalement, M. [G] a été licencié pour faute lourde le 19 mai 2020.

Contestant son licenciement, M. [G] a saisi le conseil de prud’hommes de Saint-Denis le 21 janvier 2021, demandant l’annulation de l’avertissement et la requalification de son licenciement. Par jugement du 8 juillet 2022, le conseil a rejeté la demande d’annulation de l’avertissement, mais a jugé que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse, condamnant la SARL NITHAEL à verser plusieurs indemnités à M. [G].

La société NITHAEL a interjeté appel le 23 août 2022, demandant la confirmation du jugement concernant l’avertissement, mais l’infirmation sur le licenciement. M. [G] a également formé un appel incident concernant le rejet de sa demande d’annulation de l’avertissement et de dommages et intérêts pour mesures vexatoires.

L’affaire a été renvoyée au 9 avril 2024 pour plaidoirie, après l’ordonnance de clôture prononcée le 2 octobre 2023.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

20 juin 2024
Cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion
RG n°
22/01235
AFFAIRE : N° RG 22/01235 – N° Portalis DBWB-V-B7G-FYAC

 Code Aff. :

ARRÊT N° CJ

ORIGINE :JUGEMENT du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de Saint-Denis en date du 08 Juillet 2022, rg n° F 21/00038

COUR D’APPEL DE SAINT-DENIS

DE LA RÉUNION

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 20 JUIN 2024

APPELANTE :

S.A.R.L. NITHAEL agissant poursuites et diligences de son représentant légal, domicilié ès qualités audit siège

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Guillaume jean hyppo DE GERY de la SELARL GERY-SCHAEPMAN, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

INTIMÉ :

Monsieur [L] [D] [G]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Chafi AKHOUN, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

Clôture : 2 Octobre 2023

DÉBATS : En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 9 avril 2024 en audience publique, devant Corinne JACQUEMIN, présidente de chambre et Mme Agathe ALIAMUS, conseillère, assistées de Monique Lebrun, greffière

La présidente a indiqué que l’audience sera tenue en double rapporteur. Les parties ne s’y sont pas opposées.

Ce magistrat a indiqué à l’issue des débâts que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe le 20 Juin 2024.

Il a été rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Président : Corinne Jacquemin

Conseiller : Agathe Aliamus

Conseiller : Aurélie Police

Qui en ont délibéré

ARRÊT : mis à disposition des parties le 20 Juin 2024

Greffier lors des débats : Mme Monique Lebrun,

Greffier lors du prononcé par mise à disposition : Mme Delphine Grondin

* *

*

LA COUR :

EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur [L] [D] [G] a été embauché le10 août 2015 par contrat de travail à durée indéterminée par la SARL NITHAEL en qualité d’assistant commercial et logistique.

Il percevait un salaire fixe de 2.115,01 € brut et une part variable.

Le 13 janvier 2020, le salarié a été promu en tant qu’« agent de maîtrise et technicien ».

Le 25 février 2020, il est convoqué à un entretien préalable à une éventuelle sanction et reçoit un avertissement le 18 mars 2020 qu’il conteste par lettre RAR du 15 avril 2020.

Une convention de rupture conventionnelle est signée par les parties le 4 mai 2020 après convocation du salarié par courrier du 28 avril 2020 à un entretien qui s’est tenu le 30 avril 2020.

Par lettre du 7 mai 2020, la société NITHAEL a entendu rétracter cette convention et a convoqué M. [G] à un entretien préalable fixé le 15 mai 2020 en vue d’une éventuelle sanction disciplinaire.

Le 19 mai 2020 M. [G] a été licencié pour faute lourde.

Contestant cette mesure, le salarié a saisi conseil de prud’hommes de Saint-Denis le 21 janvier 2021 aux fins de voir annuler l’avertissement prononcé à son encontre et obtenir la requalification de son licenciement qu’il estime être sans cause réelle et sérieuse ainsi que l’indemnisation des conséquences de la rupture de son contrat de travail.

Par jugement en date du 8 juillet 2022, le conseil de prud’hommes de Saint-Denis a :

– dit qu’il n’y a pas lieu d’annuler l’avertissement ;

– jugé que les demandes de M. [G] sont fondées ;

– jugé que les griefs invoqués à son encontre par l’employeur ne sont pas fondés ;

– jugé que l’employeur ne démontre pas l’intention de nuire du salarié ;

– jugé que la qualification de faute lourde n’est pas avérée ;

– jugé que le licenciement de M. [G] est sans cause réelle et sérieuse ;

en conséquence,

– condamné la société SARL NITHAEL en la personne de son représentant légal à payer à Monsieur [L] [D] [G] les sommes suivantes :

– 28.033,50 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 11.213,40 euros à titre d’indemnité sur préavis,

– 1.121,34 euros à titre de congés payés sur préavis,

– 6.657,96 euros à titre d’indemnité légale de licenciement,

– 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– dit qu’il n’y a pas lieu d’accorder l’exécution provisoire en application des articles R1454-28, R1454-14 et R1454-15 du code du travail ;

– débouté la société SARL NITHAEL de sa demande reconventionnelle ;

– débouté les parties du surplus de leurs prétentions ;

– condamné la société SARL NITHAEL aux entiers dépens.

Par déclaration du 23 août 2022, la société NITHAEL a interjeté appel de cette décision.

Par conclusions communiquées par voie électronique le 21 septembre 2023, l’appelante requiert de la cour de :

– confirmer le jugement en ce qu’il a débouté M. [G] de ses demandes d’annulation de l’avertissement et de dommages et intérêts pour rupture du contrat de travail vexatoire ;

– l’infirmer sur le principe du licenciement et des condamnations prononcées à son encontre ;

statuant à nouveau de :

– juger que le licenciement est fondé sur une cause réelle ;

– juger que le licenciement est fondé sur une faute lourde, subsidiairement sur une faute grave et en tout état de cause sur une cause sérieuse ;

– juger que M. [G] a violé la clause de confidentialité fixée à l’article 9 de son contrat de travail, de nature à justifier la mise en jeu de la clause pénale ;

– condamner M. [G] au paiement de la somme de douze mois de salaire, soit 67.280,52 euros, à titre de clause pénale ;

– débouter M. [G] de ses demandes ;

subsidiairement, si le licenciement est déclaré sans cause réelle et sérieuse :

– limiter à un mois de salaire le montant de l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse et débouter M. [G] de sa demande d’une indemnité pour rupture vexatoire et brutale ;

– le condamner au paiement de la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Par conclusions communiquées par voie électronique le 28 juin 2023, M. [G] demande la confirmation du jugement déféré sauf en ses dispositions suivantes dont il forme appel incident s’agissant :

– du rejet de sa demande d’annulation de l’avertissement qu’il conteste ;

– du débouté de sa demande de dommages et intérêts pour mesures vexatoires.

L’intimé demande de statuer à nouveau de ces chefs et de :

– annuler l’avertissement qui lui a été délivré en ce que les faits ne sont ni avérés ni démontrés ;

– juger qu’il a fait l’objet de mesures vexatoires ;

– condamner la Sté NITHAEL à lui verser les sommes suivantes :

* 5.000 euros de dommages et intérêts pour rupture abusive,

* 873,93 euros au titre de la mise à pied pratiquée par l’employeur ;

– condamner la Sté NITHAEL à lui remettre l’attestation ‘Pôle emploi’ rectifiée, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;

et ajoutant :

– débouter la société NITHAEL de l’intégralité de ses demandes, en particulier concernant la clause pénale ;

– la condamner au paiement de la somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens ;

– condamner la société NITHAEL au remboursement des allocations chômage au ‘Pôle emploi’;

à titre subsidiaire, il sollicite de la cour de réduire le montant de la clause pénale à l’euro symbolique.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 2 octobre 2023 et l’affaire a été renvoyée au 9 avril 2024 pour plaidoirie.

Pour plus un ample exposé des moyens des parties, il est expressément renvoyé, par application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, aux conclusions susvisées ainsi qu’aux développements à suivre.

SUR QUOI

Sur l’avertissement

À titre liminaire, la cour relève que le conseil de prud’hommes a dit à tort qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur l’annulation de l’avertissement puisque le licenciement n’en découlait pas.

La demande d’annulation de l’avertissement est sans lien avec la décision prise sur le bien-fondé ou non du licenciement et il convient donc, par infirmation du jugement sur ce point et ajout, de statuer sur cette demande.

Aux termes des dispositions de l’article L. 1333-1 du code du travail, en cas de litige sur une sanction disciplinaire, le juge apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction. Il forme sa conviction au vu des éléments retenus par l’employeur pour prononcer la sanction et de ceux fournis par le salarié à l’appui de ses allégations. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

En l’espèce, la lettre du 18 mars 2020 de la société NITHAEL portant avertissement à M. [G] comporte trois griefs : le non-respect des horaires de travail, le non-respect des fonctions dévolues, le retard dans la réalisation de ses fonctions.

La société NITHAEL soutient que cette sanction est justifiée dans son principe et proportionnée au vu du comportement adopté par le salarié qui maintient les termes de son courrier de contestation du 15 avril 2020 quant à l’ensemble des reproches qui lui ont été faits.

La première série de griefs sur laquelle repose la lettre d’avertissement a trait à la présence et au respect du temps de travail par le salarié.

La société NITHAEL se fonde sur ce qu’elle qualifie de reconnaissance du grief par M. [G] dans sa lettre de réponse du 15 avril 2020.

Si le salarié écrit qu’en décembre 2019, il s’est engagé à être plus présent et a commencé son travail plus tôt, il indique aussi que l’employeur avait mis en place un pointage de son poste à 7h15 plutôt que 8 heures.

Cette réponse ne peut être considérée comme une reconnaissance du grief alors que l’employeur, qui reconnaît l’existence des entretiens en 2019 et lors de l’évaluation du 13 janvier 2020, ne verse pas aux débats les fiches de pointage et ne formule aucune observation sur ce point.

La société NITHAEL, en charge de la preuve, ne justifie en conséquence pas que le salarié ne respectait pas ses horaires et temps de travail au mois de mars 2020, lors de la signification de l’avertissement.

S’agissant du retard dans la réalisation des fonctions, il est reproché à M. [G] de n’avoir pas satisfait à la « gestion des contrats grands comptes » (objectifs 2019).

Précisément, l’employeur relève que lors de l’entretien annuel d’évaluation du 5 avril 2019, il lui a demandé de rencontrer les responsables des sites grands comptes et de commencer immédiatement par SUEZ et ensuite « SUDECO avec pour l’ensemble du JUMBO ». La société NITHAEL explique que cette demande faisait suite aux difficultés rencontrées lors du renouvellement du contrat SUEZ (diminution de 50% du CA pour 2019), société avec laquelle elle s’était engagée à auditer l’ensemble des sites en 2019.

L’employeur ajoute avoir rencontré le salarié en début d’année 2020 pour lui rappeler ces objectifs à court terme et qu’il s’était engagé à fournir ces rapports au 1er avril 2020.

M. [G] répond qu’il ne pouvait transmettre les rapports 2019 avant le 1er avril 2020 car il était en congés en mars 2020 puis, qu’il a subi également la période de crise lors de la pandémie, alors qu’il avait également de nouvelles fonctions.

Toutefois, comme le souligne l’employeur, M. [G] n’a remis aucun rapport ni avant ni après la période de confinement de mars et avril 2020, de sorte que ses moyens ne sont pas fondés alors que dans son courrier en réponse précité, il reconnaissait qu’il devait réaliser les objectifs et demandait un délai.

Enfin, les échanges de SMS évoqués par le salarié ne sont pas de nature à justifier la production des tableaux qu’il devait établir ni la satisfaction par lui dans la réalisation de ses fonctions dans un temps raisonnable (pièce adverse n°21 du dossier de l’intimé).

Il en résulte que, comme le soutient la société NATHIEL, les rapports n’étaient pas déposés du fait de l’absence de réalisation des audits qui devaient être effectués.

Le grief est établi.

S’agissant du retard dans la remise par M. [G] du tableau des interventions dites « difficiles », établi vingt jours après la demande formulée lors de la réunion du 3 février 2020 (pièce 17), destiné à répartir équitablement les missions entre les agents d’intervention afin de ne pas désavantager les uns ou les autres, M. [G] ne conteste pas les faits.

Il n’est pas fondé à soutenir que l’effectif de l’entreprise a augmenté et que sa charge de travail ne lui permettait pas de remplir sa tâche dans les délais dès lors que, comme le justifie l’employeur, la hiérarchisation des interventions est un préalable, indépendant du nombre de salariés, et qu’il ne lui était pas demandé de planifier les salariés mais de planifier les tâches et missions à confier à ces derniers.

Le grief est également établi.

S’agissant d’une réclamation d’une cliente insatisfaite, faute d’avoir reçu une réponse de la part de M. [G] et qui se serait dirigée vers la concurrence, il n’est produit par l’appelante aucune pièce à l’appui de ce grief qui n’est donc pas établi.

Enfin, sur les deux derniers reproches concernant les points 4 et 5 mentionnés dans la lettre d’avertissement quant à la carence du salarié, d’une part, dans le pointage des plannings des intervenants espaces verts et, d’autre part, dans la réalisation du planning d’E.G. l’employeur justifie avoir relancé M. [G] et a souligné ce point dans le cadre du compte rendu de réunion et de la note de service des 3 et 28 février 2020 (pièces n° 18 et 19 2/2).

M. [G], qui n’a au demeurant pas contesté ces faits en première instance, ne formule aucune observation en cause d’appel sur la raison pour laquelle il n’a pas déféré à la demande de la société NITHAEL quant à la réalisation de ces tâches qui entraient bien dans sa mission.

Ce grief est donc établi par l’employeur.

Il se déduit des éléments en présence que la preuve de griefs est apportée permettant de fonder l’avertissement donné.

Ainsi, ajoutant au jugement, il convient de débouter M. [G] de ses demandes d’annulation de l’avertissement reçu 18 mars 2020 et, par voie de conséquence, de confirmer, par substitution de motif, la décision déférée en ce que les premiers juges ont débouté M. [G] de sa demande en paiement d’un rappel de salaire pour la somme de 873,93 euros.

Sur le licenciement

S’agissant d’un licenciement prononcé à titre disciplinaire, si la lettre de licenciement fixe les limites du litige en ce qui concerne les griefs formulés à l’encontre du salarié et les conséquences que l’employeur entend tirer quant aux modalités de rupture, il appartient au juge de qualifier les faits invoqués.

En application des dispositions de l’article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d’apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.

La faute lourde est celle qui est commise par le salarié avec l’intention de nuire à l’employeur, laquelle implique la volonté du salarié de lui porter préjudice dans la commission du fait fautif et ne résulte pas de la seule commission d’un acte préjudiciable à l’entreprise.

La faute grave résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et la poursuite du contrat.

Il incombe à l’employeur qui invoque la faute lourde ou grave d’en rapporter la preuve et la mise en oeuvre de la rupture du contrat de travail doit intervenir dans un délai restreint après que l’employeur a eu connaissance des faits allégués.

Enfin, le degré de gravité du manquement retenu est apprécié au regard du contexte, de la nature et du caractère éventuellement répété des agissements, des fonctions exercées par le salarié dans l’entreprise, un niveau de responsabilité important étant le plus souvent un facteur aggravant, de son ancienneté et des conséquences de ces agissements en résultant pour l’employeur.

En l’espèce, la lettre de licenciement du19 mai 2020 qui circonscrit les limites du litige et qui lie la cour, est ainsi rédigée :

‘(…..) En date du 4 mai 2020 nous avons signé une rupture conventionnelle et vous avez pris des congés-payés en attendant que la procédure de rupture conventionnelle s’achève. De sorte que votre jour de départ en congé, le mardi 5 mai 2020 était quasiment votre dernier jour de travail. Au cours de cette journée nous avons travaillé ensemble sur vos commissions notamment.

Le lendemain, quelle ne fut pas ma surprise de découvrir un email que vous avez envoyé à nos principaux clients, dans lequel :

– vous les informez de votre départ ;

– vous évoquez une difficulté relationnelle à l’origine de votre départ ;

– vous expliquez que vous rebondirez et que vous reviendrez « dans le game ».

Cela m’a stupéfait. En effet nous nous étions entendus pour un départ souple et calme, dans le cadre de la rupture conventionnelle. Or, nous avons découvert à cette occasion que :

– vous vous êtes emparé du fichier clientèle de la société avec les contacts ;

– vous avez fait un envoi ouvert qui permet à chaque destinataire de savoir quels sont nos clients ; ce faisant vous ne respectez pas les données personnelles de chacun ;

– vous vous adressez à ces clients, souvent institutionnels, sur un ton d’une légèreté et d’une insolence inimaginables ;

– vous donnez vos coordonnées personnelles alors qu’il s’agit des clients de notre société.

En d’autres termes vous détournez notre clientèle vers vous en indiquant que vous poursuivrez dans le même secteur ;

Si vous n’avez pas de clause de non-concurrence vous avez en revanche une obligation générale de loyauté.

En agissant comme vous l’avez fait et alors que vous étiez encore salarié de la société NITHAEL, vous avez tranquillement préparé votre « après », depuis nos locaux, depuis notre ordinateur, en utilisant nos fichiers de clients.

L’intention de nuire à notre société est évidente puisque vous cherchez ainsi à détourner nos clients.

Certains clients ont très mal réagi soit car ils n’ont pas apprécié le ton familier de votre message soit parce qu’ils n’ont pas aimé que leur adresse électronique personnelle soit diffusée à l’ensemble de nos clients.

Cette faute est particulièrement lourde car alors que vous êtes encore en poste, vous détournez nos moyens pour nous faire concurrence. Parmi ces moyens figurent les fichiers clientèle.

C’est pourquoi j’ai immédiatement rétracté mon consentement à la rupture conventionnelle. Les explications recueillies auprès de vous au cours de notre entretien ne peuvent en aucun cas justifier les agissements d’une gravité exceptionnelle dont vous vous êtes rendu coupable et par lesquels vous avez volontairement tenté de nuire à l’entreprise. Nous vous informons que nous avons, en conséquence, décidé de vous licencier pour faute lourde ( ….).’.

Il est constant que la veille de son départ de la société NITHAEL et alors que les parties avaient convenu d’une forme amiable de rupture du contrat de travail, M. [G] a adressé par courrier électronique de son poste de travail à la plupart des clients de la société, soit 57 destinataires, en laissant apparaître le nom de chaque destinataire et leur adresse électronique, un email ainsi libellé :

‘C’est avec le coeur gros et rempli de tristesse que je viens a vous pour vous informer de mon départ de la société Je tenais a vous dire que vous êtes des personnes formidables avec lesquels j’ai passé du bon moment même dans mon travail. Qui a dit que le travail était ennuyeux ‘ En tout cas, j’ai adoré collaborer avec vous et je vous souhaite le meilleur pour l’avenir!

Pour toute demande, vous pouvez vous rapprocher de [X] [I] : [Courriel 5]@groupebhl.com ou directement envoyer vos demandes a [Courriel 6].

Ne vous inquiétez pas pour moi, j’ai toujours su rebondir après chaque épreuve de ma vie ! Je compte revenir « dans le game » très bientôt et vous en tiendrez informé !

Merci à tous pour votre gentillesse et vos compétences qui m ‘ont permis de travailler avec efficacité et réactivité

Merci à vous ll! XOXOXOXO « .

Concernant la divulgation du fichier client au travers de la communication des adresses mail, l’article 9 du contrat de travail de M. [G] prévoit :

« Obligation de confidentialité. Compte tenu de la nature des fonctions qui lui sont confiées, Mr [L] [D] [G] s’interdit expressément, sans limitation de durée, de communiquer aux tiers tout renseignement de nature commerciale, technique ou financière dont il aura eu connaissance dans le cadre ou à l’occasion de l’exercice de la présente collaboration.

Il est donc établi par l’employeur que malgré la clause de confidentialité précitée, chacun des destinataires a eu connaissance des noms des autres clients, en totale infraction avec la confidentialité requise en la matière, alors que ces données sont de nature commerciale puisqu’elles favorisent la concrétisation de relations économiques.

En outre, dans un secteur de la désinsectisation et de la dératisation très concurrentiel, où chacun doit s’imposer discrétion et confidentialité, cette communication a occasionné à la société un risque d’utilisation de son fichier clients par un concurrent informé par un destinataire.

La société NITHAEL est également fondée à soutenir qu’il a été porté atteinte à la réputation de l’appelante, la nature de ce courriel marquant le manque de fiabilité de la société NITHAEL dans le traitement des données personnelles des clients.

M. [G], travaillant au service commercial, avait connaissance de la nécessité de s’imposer discrétion et confidentialité, principes qui étaient rappelés dans son contrat de travail en l’article 9 précité.

La faute contractuelle du salarié est donc constituée, indépendamment de la discussion sur les sanctions encourues par la société auprès de la CNIL, en cas de manquement au règlement général sur la protection des données (RGPD) et alors même, en tout état de cause sur ce point, que l’employeur ne justifie pas qu’il a respecté à l’égard de ses salariés son obligation d’information en modifiant les contrats de travail ou en adaptant le règlement intérieur, en indiquant les sanctions ou en établissant une charte informatique .

Au surplus, le ton de la lettre revêt un caractère fautif, M. [G] , se plaçant délibérément en position de victime et laissant supposer un différend avec son l’employeur pour ensuite informer ses correspondants qu’il compte ‘rebondir’ et qu’il les informera, ce qui constitue sinon une manifestation de volonté d’organiser une concurrence déloyale, à tout le moins une expression laissant supposer qu’il recontactera ses correspondants pour raison commerciale.

Egalement, la mention des sigles ‘XOXOXO’, correspond à un langage codé qui est un acronyme ou une abréviation représentant un ‘Emoticône’ que certaines personnes utilisent notamment dans une discussion électronique, pour signifier son amitié, son amour ou son affection à son correspondant, et ce de manière très familière.

Cette mention portée à la fin du courriel, sur une messagerie professionnelle, à destination de clients doit en conséquence être qualifiée de très inappropriée et de nature à causer un préjudice d’image à la société NITHAEL.

Enfin, le fait que M. [G] a fait choix, quelques temps après son départ de la société NITHAEL, de devenir professeur des écoles et n’a donc pas concurrencé son ancien employeur, est sans incidence sur la faute commise dont l’existence et la gravité s’apprécient au moment du licenciement.

En dernier lieu, le moyen de M. [G] tiré de ce que l’employeur n’a subi aucun préjudice n’est pas fondé dès lors que le risque de perte de client était non négligeable alors que le préjudice d’image ressort des attestations régulièrement versées aux débats de :

– Monsieur [T], dont le témoignage est recevable, lequel a informé la société NITHAEL de l’envoi du mail en cause par M. [G], exprimant clairement sa désapprobation quant à la diffusion de son adresse électronique à une liste de personnes inconnues et du ton employé et la phrase ‘ne vous inquiétez pas pour moi, j’ai toujours su retomber »

Monsieur [T] explique qu’il était sous-entendu pour lui que M. [G] se plaçait comme victime et qu’il l’associait à ‘cette situation ambiguë’. Il ajoute ne pas vouloir être impliqué dans un conflit professionnel entre M. [G] et la société NITHAEL alors que les relations commerciales ne sont pas terminées ; il exprime également que, compte tenu de l’activité de sa société, cette divulgation peut avoir des conséquences sur les marchés en cours ;

– deux autres clients de la société NITHAEL, Monsieur [C] et Monsieur [V], qui précisent pour le premier avoir été surpris de l’absence de copie cachée pour les destinataires pour garder la confidentialité et, pour le second, qu’il avait compris des termes employés par M. [G] qu’il allait monter sa structure et revenir vers lui.

Ainsi, contrairement à ce que qu’affirme M. [G], la société appelante justifie d’un préjudice en lien avec la faute commise par lui.

Le fait reproché à M. [G] quant à l’envoi de l’email en cause ne peut en conséquence être qualifié de ‘maladresse’ mais constitue une faute, qui compte tenu de sa nature et du précédent avertissement, justifiait après la dénonciation de la rupture conventionnelle par l’employeur, le départ immédiat du salarié.

Il résulte de ce qui précède que si la cour ne retient pas la faute lourde en l’absence de preuve de la volonté de nuire à son employeur, la faute grave est constituée.

Le jugement est infirmé de ce chef .

Il convient en conséquence, également par infirmation du jugement, de débouter M. [G] de ses demandes au titre d’une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et des indemnités de rupture au titre de l’indemnité de licenciement, compensatrice de préavis et des congés payés sur préavis.

Il n’y a pas lieu en conséquence d’ordonner la remise d’une attestation France Travail rectifiée.

Le jugement déféré est en revanche confirmé en ce qu’il débouté M. [G] de sa demande de dommages et intérêts sollicités pour circonstances vexatoires ayant entouré le licenciement et qui ne sont pas avérées.

Sur l’application de la clause pénale

L’appelante demande l’application des dispositions de l’article 9 précité du contrat de travail de M. [G] qui prévoit qu’en cas de non-respect de l’ obligation de confidentialité ‘ Mr [L] [D] [G] se verrait contraint de verser à la société NITHAEL, à titre de clause pénale, une somme égale à 12 mois de salaire sur la base de la moyenne des 12 derniers mois de travail effectif, indépendamment du droit pour la société de faire cesser immédiatement le trouble commercial.’.

Elle souligne qu’une clause pénale, même si elle peut être réduite par le juge, est indépendante de l’appréciation du préjudice.

La cour relève que le salarié ne conteste pas la validité de cette clause pénale mais uniquement le non-respect reproché des obligations en découlant et il soutient que la clause pénale ne saurait être réduite à une peine contractuelle, s’appliquant lorsque l’inexécution illicite de l’obligation garantie engendre un préjudice pour le créancier.

Il demande, à titre subsidiaire, la réduction du montant prévu en raison de la disproportion manifeste de la clause qui doit être appréciée en comparant le montant de la peine fixée et du préjudice subi par le créancier.

L’article 1231-5 du Code civil dispose : « Lorsque le contrat stipule que celui qui manquera de l’exécuter paiera une certaine somme à titre de dommages et intérêts, il ne peut être alloué à l’autre partie une somme plus forte ni moindre. Néanmoins, le juge peut, même d’office, modérer ou augmenter la pénalité ainsi convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire.

(…) ».

Il ressort de ce qui précède que la société NITHAEL rapporte la preuve qui lui incombe d’une violation par son salarié des clauses de confidentialité, de sorte que la clause pénale a vocation à s’appliquer.

En l’espèce, cette clause correspond à un an de salaire, alors que seul un acte ponctuel de violation de l’obligation a été constaté, lequel a déjà entraîné la rupture du contrat de travail sans indemnité pour le salarié.

Dans ces conditions et vu la nature de la violation contractuelle commise et des préjudices de risque de perte de clients et d’image qui en ont résulté pour la société, le montant de la clause pénale doit être fixé à la somme de 2.000 euros.

Le jugement est infirmé sur ce point.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Le jugement est infirmé sur la charge des dépens et la condamnation prononcée à l’encontre de la société NITHAEL au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

M. [G] est condamné aux dépens de première instance et d’appel.

L’équité ne commande pas qu’une condamnation soit prononcée au titre des frais irrépétibles que chacune des parties gardera à sa charge.

PAR CES MOTIFS

La cour, tatuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement et par mise à disposition au greffe,

INFIRME le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Saint-Denis le 8 juillet 2022 sauf sur le rejet de la qualification de faute lourde et le débouté de la demande de M. [G] en dommages et intérêts pour licenciement vexatoire ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

DEBOUTE M. [L] [D] [G] de sa demande d’annulation de l’avertissement du 18 mars 2020 ;

DIT que le licenciement de M. [L] [D] [G] repose sur une faute grave ;

DEBOUTE M. [L] [D] [G] de ses demandes de condamnation de la SARL NITHAEL à lui payer les sommes suivantes :

* 28.033,50 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 11.213,40 euros à titre d’indemnité sur préavis,

* 1.121,34 euros à titre des congés payés sur préavis,

* 6.657,96 euros au titre d’indemnité légale de licenciement,

* 5.000,00 euros pour dommages et intérêts pour rupture abusive,

* 873,93 euros à titre de rappel de salaire pendant la mise à pied conservatoire ;

DEBOUTE M. [L] [D] [G] de sa demande de remise d’une attestation France Travail rectifiée ;

CONDAMNE M. [L] [D] [G] à payer à la SARL NITHAEL la somme de 2.000 euros au titre de la clause pénale ;

DEBOUTE les parties de leurs demandes présentées au titre de l’article 700 du code de procédure civile en première instance et en cause d’appel ;

CONDAMNE M. [L] [D] [G] aux dépens de première instance et d’appel.

Le présent arrêt a été signé par Madame Corinne Jacquemin, présidente de chambre, et par Mme Delphine Grondin, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La greffière La présidente

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