N° R 22-84.305 F-D
N° 01435
GM
5 DÉCEMBRE 2023
CASSATION PARTIELLE SANS RENVOI
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 5 DÉCEMBRE 2023
M. [O] [W] a formé un pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel de Papeete, chambre correctionnelle, en date du 5 mai 2022, qui, pour diffamation publique et diffamation non publique envers un particulier, l’a condamné à deux amendes de 50 000 francs CFP et 4 000 francs CFP et a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires ampliatif et personnel, ainsi que des observations complémentaires, ont été produits.
Sur le rapport de Mme Merloz, conseiller référendaire, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de M. [O] [W], et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l’audience publique du 7 novembre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Merloz, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Exposé du litige
Faits et procédure
1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Dans un contexte de conflit l’opposant à l’ordre des avocats du barreau de Papeete, auquel il reproche de refuser de lui faire désigner un avocat au titre de l’aide juridictionnelle, M. [O] [W] a, par courriel adressé le 4 janvier 2020 au procureur général, à la Caisse autonome des règlements pécuniaires des avocats (CARPA) et à l’inspection générale, déposé plainte à l’encontre de plusieurs avocats et du procureur de la République. Ce message a été transféré par la CARPA à l’ordre des avocats le 20 janvier suivant. Le 14 janvier, M. [W] a également adressé une plainte similaire par courriel à l’ordre des avocats.
3. Par courrier du 30 janvier 2020, le bâtonnier de l’ordre des avocats a déposé plainte auprès du procureur de la République pour ces faits, plainte transmise par ce dernier au vice-procureur, pour compétence, par soit-transmis du 19 février 2020. Une enquête préliminaire pour diffamation non publique a été ouverte en exécution d’un soit-transmis du procureur de la République du 3 mars suivant. M. [W] a été entendu, sous le régime de l’audition libre, le 9 juin. L’enquête a été clôturée le 10 juin 2020.
4. Le 29 septembre suivant, M. [W] a été cité devant le tribunal correctionnel pour avoir, les 14 et 20 janvier 2020, adressé des lettres à l’ordre des avocats, lesquelles portaient des allégations ou imputations d’un fait portant atteinte à l’honneur ou à la considération de Maître [T], Maître [N], Maître [F] et Maître [S], en l’espèce : pour avoir écrit à l’ordre des avocats de Tahiti, le 14 janvier 2020, les propos suivants : « Pourquoi l’ordre des avocats de Papeete n’applique-t-il pas la déontologie au sein de son barreau à Papeete? » ; « Ces avocats utilisent leurs fonctions pour avantager leurs amis, clients habituels ou collaborateurs dans les procédures en cours dont je suis partie adverse » ; « Je suis sans avocat dans quatre procédures en raison des agissements délictuels de Me [S] et Me [F], ainsi que dix-huit membres du conseil de l’ordre des avocats de Papeete en place depuis le 25 janvier 2019, qui se sont permis de se prononcer à mon encontre en recelant des informations confidentielles me concernant dont ils n’étaient pas destinataires » ; « J’attire votre attention sur les agissements de Me [T] qui fait preuve d’un comportement déloyal incroyable en utilisant ses fonctions et ses relations au sein du conseil de l’ordre pour tenter de me priver de l’assistance d’un avocat. Il en est de même de Me [N] et de Me [F] » ; « je ne suis pas responsable de la situation, je suis victime de leurs agissements délictuels»; et pour avoir écrit à l’ordre des avocats de Tahiti, le 20 janvier 2020, les propos suivants : « II n’y a plus personne en Polynésie française capable d’appliquer la loi et le code de déontologie des avocats afin de stopper les graves abus de Me [S] [I] et son délégué Me [Z] [J] à mon encontre ? » ; « Je subis leurs graves abus depuis environ un AN » ; « Ces avocats me portent gravement préjudice alors qu’ils ont des intérêts avec les parties adverses dans les procédures qui me concernent et attendent que je me tue en me maintenant volontairement dans une situation économique précaire et en exerçant des violences à mon encontre avec la complicité du Procureur de la République » ; « Monsieur le Procureur de la République a tenté de couvrir leurs agissements délictuels en insérant une mention fausse dans le ficher TAJT et en dissimulant les plaintes antérieures pour tenter d’obtenir l’application d’une jurisprudence par l’intermédiaire de manoeuvre à mon encontre ».
5. Par jugement par itératif défaut du 21 septembre 2021, le tribunal correctionnel a confirmé le jugement du 17 novembre 2020 ayant, après requalification des faits en diffamation non publique, déclaré M. [W] coupable de ce chef, le condamnant à 4 000 francs CFP d’amende.
6. M. [W], puis le ministère public, ont relevé appel de cette décision.
Moyens
Motivation
7. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l’admission du pourvoi au sens de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Moyens
Sur le cinquième moyen, pris en sa seconde branche, du mémoire personnel
Sur le deuxième moyen, pris en ses deuxième à quatrième branches, du mémoire ampliatif
Enoncé des moyens
8. Le cinquième moyen du mémoire personnel, pris de la violation des articles 65 de la loi du 29 juillet 1881 et 591 du code de procédure pénale, critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a rejeté l’exception tirée de la prescription de l’action publique et condamné M. [W] des chefs susvisés alors que la cour d’appel a évoqué le courriel adressé par M. [W] le 4 janvier 2020, lequel a été transféré par la CARPA à l’ordre des avocats le 20 janvier suivant, sans avoir discuté contradictoirement de ce message et alors que les faits sont prescrits.
9. Le deuxième moyen du mémoire ampliatif critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a joint les exceptions de procédure au fond et a rejeté l’exception de prescription de l’action publique soulevée par M. [W], alors :
« 2°/ qu’à supposer par impossible qu’il soit considéré que la cour visait l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 applicable à l’espèce, les délais ne peuvent être prorogés au-delà de la date butoir du 23 août 2020 ; que la date d’expiration du délai de prescription de l’action publique ne pouvait être fixée au-delà du 23 août 2020, date butoir de tout délai de prescription ; que la cour d’appel a relevé que la citation était du 29 septembre 2020 ; qu’en tout état de cause les faits étaient prescrits à la date du 23 août 2020 ; qu’en refusant néanmoins de constater la prescription de l’action publique, la cour d’appel a méconnu les articles 6-1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881, les articles préliminaires, 591 et 593 du code procédure pénale ;
3°/ qu’en matière de délit de presse, les faits sont prescrits trois mois après la date de l’écrit ou de sa communication ; qu’à supposer les délais suspendus par les ordonnances n° 2020-303 du 25 mars 2020 et la loi du 11 mai 2020 recommencent à courir à la date du 10 août 2020, le calcul doit tenir compte du délai ayant couru avant le 12 mars 2020 ; qu’en relevant que les écrits ont été transférés les 14 et 20 janvier 2020, de sorte que pour le premier écrit, 57 jours ayant courus entre le 14 janvier et le 12 mars 2020 et pour le second écrit, 51 jours ayant couru entre le 20 janvier et le 12 mars 2020 ; les faits étaient prescrits à la date du 13 septembre 2020 pour le premier et 19 septembre 2020 pour le second écrit ; qu’en relevant néanmoins que la prescription de l’action publique était acquise, la cour d’appel a statué par des motifs inopérants et partant a violé les articles 6-1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881, les articles préliminaires, 591 et 593 du code procédure pénale ;
4°/ qu’en matière de délit de presse, sauf acte interruptif, les faits sont prescrits trois mois après la date de l’écrit ou de sa communication ; qu’à supposer les délais suspendus par l’ordonnances n° 2020-303 du 25 mars 2020 et la loi du 11 mai 2020 recommencent à courir à la date du 10 août 2020, le calcul doit tenir compte du délai ayant couru avant le 12 mars 2020 ; qu’en relevant que « l’enquête ordonnée le 19 février 2020 s’est trouvée suspendue à compter du 12 mars 2020 et jusqu’au 10 août 2020 et qu’en conséquence, la prescription encourue n’a recommencé à courir qu’à compter de cette date » sans procéder, comme il lui était demandé, au calcul permettant de constater que relativement à la date du 19 février 2020, la prescription de l’action publique était acquise, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 6-1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881, les articles préliminaires, 591 et 593 du code procédure pénale. »