ARRÊT DU
26 Janvier 2024 N° 5/24 N° RG 22/01053 – N° Portalis DBVT-V-B7G-UMRM PL/VM Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de LILLE en date du 30 Mai 2022 (RG F 19/01442 -section 4 ) GROSSE : aux avocats le 26 Janvier 2024 République Française Au nom du Peuple Français COUR D’APPEL DE DOUAI Chambre Sociale – Prud’Hommes- APPELANTE : CGEA D'[Localité 6] [Adresse 1] [Localité 6] représentée par Me Catherine CAMUS-DEMAILLY, avocat au barreau de DOUAI INTIMÉS : Mme [P] [I] [Adresse 2] [Localité 5] représentée par Me Rodolphe HUBER, avocat au barreau de LILLE Me [R] [K] es-qualité de mandataire liquidateur de la SAS LOTUS RESTAURATION [Adresse 3] [Localité 4] représenté par Me Catherine CAMUS-DEMAILLY, avocat au barreau de DOUAI DÉBATS : à l’audience publique du 29 Novembre 2023 Tenue par Philippe LABREGERE magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré, les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe. GREFFIER : Serge LAWECKI COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ Philippe LABREGERE : MAGISTRAT HONORAIRE Pierre NOUBEL : PRÉSIDENT DE CHAMBRE Muriel LE BELLEC : CONSEILLER ARRÊT : Contradictoire prononcé par sa mise à disposition au greffe le 26 Janvier 2024, les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Philippe LABREGERE, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles et par Nadine BERLY, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire. ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 08 Novembre 2023 EXPOSE DES FAITS Par requête reçue le 20 novembre 2019, [P] [I] a saisi le conseil de prud’hommes de Lille afin d’obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail qu’elle aurait conclu avec la société ATTABLEZ VOUS et le versement de rappels de salaire, d’indemnités de rupture et de dommages et intérêts. La société LOTUS RESTAURATION a été placée en liquidation judiciaire le 14 octobre 2020 par jugement du tribunal de commerce de Compiègne qui a désigné un liquidateur judiciaire.
Par jugement en date du 30 mai 2022, le conseil de prud’hommes a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail conclu le 31 octobre 2022, fixé la créance d'[P] [I] au passif de la société LOTUS RESTAURATION à la somme de : -21475,14 euros au titre des salaires restant dus sur la période ayant couru du mois de novembre 2018 au mois d’août 2019 -114500 euros au titre des dommages-intérêts en application des dispositions de l’article L1243-4 du code du travail -16488 euros à titre d’indemnité de fin de contrat, enjoint au liquidateur judiciaire de la société LOTUS RESTAURATION de remettre à [P] [I] une attestation Pôle Emploi et un bulletin de salaire récapitulatif ainsi que les documents de fin de contrat de travail conformes à la décision, dans le délai d’un mois suivant la notification de la présente décision, déclaré le jugement opposable à l’Unedic délégation AGS CGEA d'[Localité 6], tenue à garantie de ces sommes dans la limite de la garantie légale, rejeté le surplus des demandes et a mis les dépens de l’instance à la charge du liquidateur judiciaire de la société LOTUS RESTAURATION. Le 13 juillet 2022, l’UNEDIC délégation AGS, CGEA d'[Localité 6] a interjeté appel de ce jugement. La procédure a été clôturée par ordonnance et l’audience des plaidoiries a été fixée au 29 novembre 2023.
Selon ses conclusions récapitulatives et en réplique reçues au greffe de la cour le 10 mars 2023, l’UNEDIC délégation AGS, CGEA d'[Localité 6] appelante, sollicite de la cour l’infirmation du jugement entrepris, à titre subsidiaire, la constatation par celle-ci que l’AGS ne garantissait pas l’astreinte éventuellement ordonnée, et en tout état de cause qu’elle lui donne acte qu’elle a procédé à des avances d’un montant de 37.963,14 euros, et qu’elle dise que l’arrêt à intervenir ne lui sera opposable que dans la limite de sa garantie légale telle que fixée par les articles L3253-6 et suivants du code du travail et des plafonds prévus à l’article D3253-5 dudit code et ce, toutes créances du salarié confondues, et que l’obligation du CGEA de faire l’avance de la somme à laquelle serait évalué le montant total des créances garanties, compte tenu du plafond applicable, ne pourra s’exécuter que sur présentation d’un relevé par le mandataire judiciaire conformément aux dispositions de l’article L3253-20 du code du travail. L’appelante expose que pour tenter de démontrer sa qualité de salariée, l’intimée produit un contrat de travail écrit ainsi que des bulletins de paie, que ces éléments ne suffisent pas à justifier de l’existence d’un contrat de travail en raison de multiples incohérences, que la durée de 36 mois n’est pas habituelle dans le cadre d’un contrat à durée déterminée, sa durée légale maximale étant de 18 mois en principe, que les contrats d’une durée de 36 mois correspondent à des contrats de mission, conclus en vue de la réalisation d’un objet défini, qu’en l’espèce l’intimée a été recrutée en qualité de « chef d’agence pour la gestion d’agence et de clientèle liée à l’activité temporaire d’un contrat inhabituel de 36 mois », qu’un tel libellé ne correspond pas à un contrat de travail à durée déterminée et à objet défini, qu’en outre le salaire consenti, 4580 euros bruts outre un commissionnement mensuel, apparaît anormalement élevé pour un restaurant asiatique de taille classique employant trois à cinq salariés, que selon une clause du contrat de travail, l’intimée devait exercer ses fonctions en rapport avec la clientèle sous le pseudonyme de Delerue Vanessa, que l’existence d’un lien de subordination était sujette à interrogation l’intimée étant le conjoint de [V] [H], directeur d’exploitation, qui l’avait recrutée, que le couple exerçait une gestion de fait alors que le dirigeant de droit de l’entreprise, [M] [E] était un gérant « de paille », simple cuisinier n’ayant aucun pouvoir de direction, et en outre beau-frère de [V] [H], que l’intimée ne fournit aucun justificatif de l’existence d’un lien de subordination et ne justifie pas avoir reçu d’instructions dans le cadre de l’exercice de ses fonctions, à titre subsidiaire, que l’ancienneté des manquements allégués ne permet pas de considérer qu’ils étaient suffisamment graves pour justifier d’une demande de résiliation judiciaire, que l’arrêt à intervenir ne pourra être opposable à l’UNEDIC que dans la stricte limite de ses garanties légales, Selon ses conclusions récapitulatives reçues au greffe de la cour le 10 mars 2023, le liquidateur judiciaire de la société LOTUS RESTAURATION intimé sollicite de la cour l’infirmation du jugement entrepris, conclut au débouté de la demande, en tout état de cause, sur l’astreinte, au constat que la cour n’est pas saisie d’une telle demande et à la condamnation de l’intimée au paiement de 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Le liquidateur judiciaire reprend dans leur intégralité les moyens soulevés par l’UNEDIC. Selon ses conclusions récapitulatives reçues au greffe de la cour le 16 décembre 2022, [P] [I] sollicite de la cour la confirmation du jugement entrepris et la fixation au passif de la société LOTUS RESTAURATION de la somme de 2400 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. L’intimée soutient qu’elle a bien été embauchée par la société ATTABLEZ VOUS, devenue LOTUS RESTAURATION, par contrat en durée déterminée de 36 mois à compter du 2 novembre 2018, en tant que chef de l’agence de [Localité 7], moyennant le versement d’une rémunération mensuelle brute de 4580 euros pour 151,67 heures, outre un droit à commissionnement, qu’à compter de février 2019 elle a connu des retards de paiement de son salaire, qu’il lui était dû à la fin du mois d’août 2019 un montant net de 21475,14 euros, que 16 septembre 2019, elle a fait l’objet d’un arrêt de travail pour maladie, qu’elle n’a plus rien perçu à partir de cette date, que le liquidateur et l’AGS doivent prouver le caractère fictif du contrat de travail, qu’ils n’apportent pas une telle preuve, qu’elle était bien salariée et travaillait dans le cadre d’un lien de subordination, qu’elle utilisait déjà au sein de la société CROISSANCE DIRECTE au sein de laquelle elle était précédemment employée, un pseudonyme par client comme dans beaucoup de sociétés de prospection commerciale, que cette pratique est usuelle dans le domaine du démarchage téléphonique, que la société ATTABLEZ VOUS était une société unipersonnelle, au capital de 16000 euros, créée par [M] [E], qu’elle exploitait trois «marques» sous trois entités commerciales, que la société proposait un service de livraison de repas à domicile, que [M] [E] étant cuisinier de profession, il devait préparer les repas pour ces trois marques, qu’il a recruté son ami [V] [H] qui n’était pas son beau-frère, en tant que directeur d’exploitation pour s’occuper de l’opérationnel, que l’intimée n’était qu’une exécutante, que si elle était le conjoint de ce dernier, elle l’a quitté après avoir déposé une plainte contre lui, que la procédure de divorce est encore en cours, qu’il l’avait menacée de mort et exercé des violences sur elle devant ses enfants en novembre 2018, qu’elle produit des attestations établissant sa qualité de salariée, qu’elle gérait environ 180 clients et était secondée par M. [A], sa subordonnée, qu’elle communique les courriers de mise en demeure envoyés, et ses relevés de banque qui justifient en tout état de cause sa demande de résiliation judiciaire, qu’elle a obtenu une condamnation par provision devant le bureau de conciliation et d’orientation mais elle n’a toujours pas été payée de ses salaires, qu’elle est en droit de solliciter, à titre de dommages et intérêts, l’intégralité des salaires qu’elle aurait touchés jusqu’à la fin prévue du contrat à durée déterminée, soit le 31 octobre 2021 ainsi qu’une indemnité de fin de contrat correspondant à 10 % des salaires perçus, et ses congés payés non pris indemnisés par l’employeur, soit 5,5 jours. MOTIFS DE L’ARRÊT Attendu en application de l’article L1242-8-1 du code du travail que la durée totale du contrat de travail à durée déterminée ne peut excéder dix-huit mois, compte tenu, le cas échéant, de son renouvellement dans les conditions prévues aux articles L1243-13 et L1243-13-1 dudit code ; qu’aux termes de l’article L1242-8-2 de ce code, la fixation d’une durée maximale de trente-six mois n’est applicable qu’au contrat de travail mentionné à l’article L1242-2 6° du code précité et relatif au recrutement d’ingénieurs et de cadres au sens des conventions collectives en vue de la réalisation d’un objet défini lorsqu’un accord de branche le prévoit ; Attendu qu’il résulte des termes du contrat de travail entre la société ATTABLEZ VOUS et l’intimée qu’il a été conclu «à usage d’exécution temporaire» pour une durée de trente-six mois ; que l’intimée, dont il est précisé que sa fonction n’était pas liée à l’activité normale et permanente de l’entreprise, était embauchée en qualité de chef d’agence ; qu’un tel emploi ne relève pas des catégories prévues par les dispositions légales précitées, pour lesquelles il était possible de conclure un contrat à objet défini comportant une durée maximale de trente-six mois et par conséquent de déroger au délai habituel de dix-huit mois ; que de même le contrat ne précise pas le projet dans lequel il est susceptible de s’inscrire ; Attendu que l’intimée ne sollicite que la confirmation du jugement entrepris qui lui a alloué des dommages et intérêts correspondant aux salaires dus entre la date de la résiliation du contrat de travail à durée déterminée et le terme de celui-ci ; Attendu qu’il n’est pas contesté que la société LOTUS RESTAURATION a été substituée dans les droits de la société ATTABLEZ VOUS ; Attendu en application de l’article L1221-1 du code du travail qu’il résulte des pièces versées aux débats que la société par actions simplifiée ATTABLEZ VOUS qui avait principalement pour objet la fourniture d’un service de portage de repas à domicile a été constituée le 14 octobre 2017 par [Y] [E] qui en est devenu le président ; qu’elle avait une véritable activité exercée sous l’enseigne « les toques du chef » ou « la cantine » comme le font apparaître les différents courriels produits, relatifs à des demandes d’informations ou à des difficultés survenues à l’occasion de la commandes de repas à destination de personnes suivies par des services sociaux ; que sont communiqués des bulletins de paye émis par la société ATTABLEZ VOUS au profit de l’intimée, dans lesquels celle-ci apparaît avoir été embauchée à compter du 2 novembre 2018 en qualité de chef d’agence avec le statut d’ETAM avec le coefficient 240 et une rémunération mensuelle brute de 4580 euros ; que sont produits également des attestations de [T] [H] et de [O] [U], assistante de vie ; que la première assure que l’intimée était salariée de la société ATTABLEZ- VOUS ; que la seconde affirme avoir antérieurement travaillé avec l’intimée jusqu’au mois de mars 2019, ajoutant que cette dernière effectuait les livraisons de repas à domicile et procédait au démarchage de nouveaux clients et que toutes deux se trouvaient sous la subordination hiérarchique de [V] [H] ; que l’intimée verse également aux débats un agenda faisant apparaître la fixation occasionnelle de rendez-vous de novembre 2018 à juillet 2019, des feuilles volantes comportant des annotations sur des factures ou des clients, des relevés de pointage des heures supplémentaires effectuées mensuellement entre novembre 2018 et mai 2019, un courriel émanant d’elle en date du 16 février 2019 en réponse à des problèmes rencontrées par une cliente lors de la livraison d’une commande de repas ; qu’est enfin communiquée une feuille manuscrite contenant des instructions qui lui étaient destinées ; qu’il est manifeste que celles-ci émanaient de [V] [H], le véritable dirigeant de la société, dont il n’est pas contesté qu’il exerçait les fonctions de responsable d’exploitation, et ancien concubin de l’intimée, condamné par ailleurs pour avoir exercé entre novembre 2018 et juillet 2019 des violences physiques et verbales sur la personne de cette dernière et sur celle de [M] [E] à une peine d’emprisonnement assortie d’un sursis avec mise à l’épreuve partiel par le tribunal correctionnel de Béthune le 22 août 2019 ; qu’en conséquence, l’existence d’une relation de travail est établie entre l’intimée et la société ATTABLEZ VOUS puis la société LOTUS RESTAURATION ; Attendu qu’à compter du mois de février 2019, le salaire mensuel brut de l’intimée fixé initialement à 4580 euros ne lui a plus été versé régulièrement ; qu’à compter de cette date elle n’a plus perçu que des acomptes d’un montant total de 9924,33 euros pour la période de février à mai 2019 ; que de même selon les relevés de compte qu’elle verse aux débats, elle a perçu d’autres acomptes durant le mois de juin ; qu’à compter du mois d’avril, date à laquelle elle parait désormais employée par la société LOTUS RESTAURATION qui lui a délivré des bulletins de paye à partir de cette date et l’a assujettie à la convention collective de la charcuterie de détail, sa rémunération mensuelle brute a été réduite à la somme de 4007,61 euros sans que la salariée n’émette la moindre contestation ; que le tableau récapitulant les reliquats de salaire dus qui semble joint à son courrier de protestation adressé le 13 juin 2019 à [M] [E], prend en compte cette dernière rémunération pour calculer ses rappels de salaire ; que toutefois aucun avenant ne parait avoir été conclu légitimant cette diminution de salaire ; qu’à compter du 16 septembre 2019 l’intimée a fait l’objet d’un arrêt de travail consécutif à un syndrome dépressif ; qu’il apparaît qu’au 31 août 2019 son employeur restait donc redevable d’un rappel de salaire d’un montant de 21475,14 euros ; Attendu que le défaut de paiement des salaires dans leur intégralité sur une période de six mois constitue bien un manquement de l’employeur à ses obligations contractuelles justifiant la résiliation du contrat de travail ; Attendu qu’il convient de confirmer l’obligation impartie au liquidateur judiciaire de la société LOTUS RESTAURATION de délivrer une attestation Pôle emploi et un bulletin de paye conformes ; Attendu qu’il convient de déclarer le présent arrêt opposable à l’AGS dans les limites de sa garantie; Attendu qu’il n’est pas inéquitable de laisser à la charge de chaque partie les frais qu’elle a dû exposer en cause d’appel et qui ne sont pas compris dans les dépens ; PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,
REFORME le jugement déféré, FIXE la créance d'[P] [I] au passif de la liquidation judiciaire de la société LOTUS RESTAURATION à la somme de 21475,14 euros à titre de rappel de salaire, DÉBOUTE [P] [I] de ses demandes de dommages-intérêts sur le fondement de l’article L1243-4 du code du travail et d’indemnité de précarité, CONFIRME pour le surplus le jugement entrepris à l’exception des dépens,
DÉCLARE l’arrêt opposable au Centre de Gestion et d’Étude délégation AGS d'[Localité 6], DIT qu’il ne devra procéder à l’avance des créances visées aux articles L3253-8 et suivants du code du travail que dans les conditions résultant des dispositions des articles L 3253-15 à L3253-17, L3253-19 à L3253-21 et D3253-2 dudit code, DÉBOUTE le CGEA AGS d'[Localité 6] de sa demande tendant à subordonner ses avances à la justification par le mandataire de l’absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder au paiement des sommes garanties mais rappelle que l’obligation au paiement de l’AGS-CGEA ne pourra s’effectuer que sur présentation par le mandataire d’un relevé de créance, LUI DONNE ACTE de ce qu’il a procédé au versement d’avances au profit d'[P] [I] pour un montant de 37963,14 euros, MET les dépens au passif de la liquidation judiciaire de la société LOTUS RESTAURATION. LE GREFFIER N. BERLY LE PRÉSIDENT P. LABREGERE
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