COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-2
ARRÊT
DU 09 NOVEMBRE 2023
N° 2023/ 708
Rôle N° RG 22/12147 – N° Portalis DBVB-V-B7G-BJ7DI
[N] [B]
C/
S.A.S. BG
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Joseph MAGNAN
Me Sofiana BELKHODJA
Décision déférée à la Cour :
Ordonnance de référé rendue par Monsieur le Président du TJ de [Localité 3] en date du 19 Août 2022 enregistrée au répertoire général sous le n° 22/01441.
APPELANT
Monsieur [N] [B],
né le 29 Juillet 1962 à [Localité 4]
demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Joseph MAGNAN de la SCP PAUL ET JOSEPH MAGNAN, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE,
assisté par Me Nicolas DONNANTUONI, avocat au barreau de [Localité 3] substitué par Me Marie-Monique CASTELNAU, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, plaidant
INTIMEE
S.A.S.U. BG
dont le siège social est [Adresse 1]
représentée par Me Sofiana BELKHODJA, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
assistée par Me Candice BAUDOUX, avocat au barreau de [Localité 3], plaidant
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 02 Octobre 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Angélique NETO, Présidente, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Angélique NETO, Présidente
Mme Sophie LEYDIER, Conseillère
Mme Florence PERRAUT, Conseillère
Greffier lors des débats : Mme Caroline VAN-HULST.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 09 Novembre 2023.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 09 Novembre 2023,
Signé par Mme Angélique NETO, Présidente et Mme Caroline VAN-HULST, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Exposé du litige
***
EXPOSE DU LITIGE
Suivant acte sous seing privé en date du 25 novembre 2020, M. [N] [F] [B] a consenti à la société par actions simplifiée à associé unipersonnelle (SASU) BG un bail commercial portant sur un local situé [Adresse 1] à [Localité 3].
Par courrier recommandé en date du 23 juin 2022, la SASU BG apprenait de la direction de la règlementation de la ville de [Localité 3] que les locaux donnés à bail avaient fait l’objet d’une mesure de fermeture administrative au public selon arrêté municipal du 31 juillet 2020 pour raisons de sécurité incendie.
Se prévalant d’un manquement de son bailleur à son obligation de délivrance, la société BG a fait assigner M. [B] devant le juge des référés du tribunal judiciaire de [Localité 3] aux fins d’être autorisée à suspendre le paiement de ses loyers à compter du mois de juillet 2022, jusqu’à la décision de réouverture de l’établissement par la commission communale de sécurité, et, à défaut, d’être autorisée à consigner les mêmes loyers et de voir condamner son bailleur à lui verser une provision de 15 000 euros.
Par ordonnance réputée contradictoire en date du 19 août 2022, ce magistrat a :
– ordonné la suspension des loyers du mois de juillet 2022 inclus et des mois suivants, jusqu’à la décision de réouverture de l’établissement le [P] situé [Adresse 1] à [Localité 3] par la commission communale de sécurité ;
– condamné M. [B] à payer à la société BG la somme de 15 000 euros à titre de provision à valoir sur la perte d’exploitation ;
– l’a condamné à payer à la société BG la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– l’a condamné aux dépens.
Il a estimé que le locataire avait signé le bail commercial le 25 novembre 2020 sans avoir eu connaissance, préalablement, de la fermeture administrative affectant les locaux par suite d’un arrêté municipal pris le 30 juillet 2020, de sorte que le manquement de la bailleresse à son obligation de délivrance ne se heurtait à aucune contestation sérieuse.
Par acte transmis au greffe le 5 septembre 2022, M. [B] a interjeté appel de cette ordonnance en toutes ses dispositions dûment reprises.
Moyens
Motivation
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la demande de suspension du paiement des loyers
Il résulte de l’article 834 du code de procédure civile que, dans tous les cas d’urgence, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence, peuvent ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend.
L’urgence est caractérisée chaque fois qu’un retard dans la prescription de la mesure sollicitée serait préjudiciable aux intérêts du demandeur.
Une contestation sérieuse survient lorsque l’un des moyens de défense opposé aux prétentions du demandeur n’apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision au fond qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond.
C’est au moment où la cour statue qu’elle doit apprécier non seulement l’urgence mais également l’existence d’une contestation sérieuse, le litige n’étant pas figé par les positions initiale ou antérieures des parties dans l’articulation de ces moyens.
En outre, il résulte de l’article 1719 du code civil que le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière, de délivrer au preneur la chose louée et d’entretenir cette chose en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée. L’article 1720 alinéa 1 du même code énonce que le bailleur est tenu de délivrer la chose en bon état de réparations de toute espèce.
L’obligation de délivrance doit être satisfaite au moment de sa prise d’effet que pendant le cours du bail, le bailleur devant maintenir le local en état de servir à l’usage pour lequel il a été loué.
L’inexécution par le bailleur de son obligation de délivrance autorise le preneur à soulever l’exception d’inexécution si les locaux sont impropres à l’usage auquel ils étaient destinés.
En l’espèce, il n’est pas contesté, qu’au moment de la signature du bail entre les parties, le 25 novembre 2020, la ville de [Localité 3] avait pris, le 31 juillet 2020, un arrêté municipal ordonnant la fermeture de l’établissement loué, dénommé [P], pour des raisons de sécurité incendie. Elle conditionnait alors la réouverture au public de l’établissement à un nouvel avis de la commission communale de sécurité. Il est indiqué à l’article 4 de l’arrêté municipal que ce dernier est notifié à M. [W] en sa qualité d’exploitant de l’établissement en cause.
Par courrier en date du 23 juin 2022, la ville de [Localité 3] a notifié à la société BG, devenue exploitante de l’établissement, l’arrêté municipal susvisé, à la suite de quoi l’établissement a été fermé jusqu’à ce que le maire prenne un arrêté le 22 septembre 2022 abrogeant l’arrêté municipal susvisé au regard de la conformité des travaux de sécurité qui ont été réalisés, attestée par la commission communale de sécurité le 9 septembre 2022.
Il s’avère que l’arrêté municipal du 31 juillet 2020 n’a jamais été notifié à M. [B], tel que cela résulte du courrier rédigé par le directeur de la réglementation de la ville de [Localité 3], en date du 22 septembre 2022, aux termes duquel il indique que, s’agissant d’un arrêté pris après visite de la commission de sécurité comme relevant de la police spéciale des établissements recevant du public, il ne devait être notifié qu’à l’exploitant de l’établissement, conformément aux dispositions des articles R 143-42 et 45 du code de la construction et de l’habitation, sachant qu’aucun texte régissant l’exercice de cette police spéciale ne prévoit de notifier au propriétaire les décisions prises par le maire de la ville de [Localité 3] en tant qu’autorité de police. Alors même que ce directeur expose qu’il appartenait à l’ancien exploitant, M. [W], de transmettre la décision à son bailleur, M. [B], d’autant qu’il a cessé d’exploiter l’établissement sans avoir exécuté les travaux de sécurité, aucune des pièces de la procédure ne permet d’établir que [B] en a eu connaissance.
Or, le fait que, tant le locataire que le bailleur n’étaient pas, avec l’évidence requise en référé, informés de la situation administrative du bien, faisant l’objet d’une fermeture au public pour motifs de sécurité, au moment de la signature du bail, rend sérieusement contestable le manquement du bailleur à son obligation de délivrance.
Cela est d’autant plus vrai que le locataire reconnaît avoir, dès son entrée dans les lieux, entrepris des travaux, notamment de sécurité incendie, afin de pouvoir recevoir du public dans le cadre de son activité de bar, débit de boisson de 4ème catégorie, cave à vin avec dégustation sur place, et petite restauration ne nécessitant pas d’extraction en cheminée (page 2 du bail).
La circonstance selon laquelle le locataire a réalisé lui-même les travaux exigés par la commission de sécurité de la ville de [Localité 3], avant même d’avoir eu connaissance de l’arrêté municipal litigieux, et sans avoir demandé au bailleur de les réaliser et/ou prendre en charge, démontre, à l’évidence, que ses travaux lui incombaient, en tant que preneur, en vertu du bail.
C’est ainsi que le bail stipule (en page 3) que, s’agissant d’un établissement recevant du public, le preneur déclare être informé que les caractéristiques des dégagements du local doivent répondre aux obligations réglementaires et être en rapport avec l’effectif de la clientèle qu’il envisage de recevoir dans le cadre de son activité. Après un rappel des règles de sécurité applicables, le bailleur déclare que les locaux ne sont pas conformes aux normes d’accessibilité et que le preneur fera son affaire personnelle des travaux de mises aux normes pour son activité. Il est par ailleurs stipulé (en page 8) que le preneur effectuera à ses frais les travaux de mise en conformité ou adaptation directement liés à son activité qui pourraient être rendus nécessaires et obligatoires sous peine de sanction par la réglementation présente ou à venir, durant l’exécution du bail. Il est précisé que le preneur devra déférer, à ses frais, à toutes les obligations prescrites par l’administration dans le cadre de l’exercice de son activité (hygiène, environnement, sécurité…), étant entendu que, si ces travaux relèvent des grosses réparations et travaux énumérés à l’article 606 du code civil, ils seront effectués par le bailleur à ses frais, à charge pour le preneur d’en informer préalablement le bailleur. Il est également stipulé (en page 10) que le preneur s’engage à prendre les locaux loués dans l’état où ils se trouveront lors de l’entrée en jouissance, sans pouvoir exiger du bailleur aucune réfection et aucun travaux de remise en état ou de réparation.
Il apparaît donc, à l’évidence, que les clauses du bail mettent à la charge du preneur les travaux de conformité ou d’adaptation ordonnés par l’administration, en ce compris les travaux de mise aux normes de sécurité prescrits, afin d’assurer une plus grande sécurité des lieux ayant vocation à recevoir du public.
Dès lors, le fait pour la société BG d’avoir réalisé les travaux de mise aux normes de sécurité, conformément aux stipulations du bail, sans avoir demandé au bailleur de les réaliser et/ou d’en supporter le coût en tant que grosses réparations relevant de l’article 606 du code civil, rend encore sérieusement contestable le manquement du bailleur à son obligation de délivrance d’un local permettant au preneur d’exercer son activité dans un lieu répondant aux exigences administratives et ne faisant l’objet d’aucune interdiction d’exploiter.
Enfin, les travaux réalisés par la société BG ont été validés par la commission de sécurité de la ville de [Localité 3], ce qui a justifié l’abrogation de l’arrêté municipal litigieux par arrêté municipal en date du 22 septembre 2022, ce qui démontre que la situation administrative de l’établissement, affectant les conditions de son exploitation comme ayant vocation à recevoir du public, ne pouvait être régularisée que par le preneur.
Le fait que l’administration a mis plusieurs mois avant d’instruire le dossier de la société BG, après lui avoir notifié, le 23 juin 2022, l’arrêté municipal du 31 juillet 2020, ce qui l’a contrainte à fermer son établissement en juillet, août et septembre 2022, soit pendant la période estivale, ne s’explique pas, en toute vraisemblance, par un manquement du bailleur à son obligation de délivrance mais par la procédure administrative applicable, de sorte que l’exception d’inexécution dont se prévaut la société BG se heurte, là encore, à une contestation sérieuse.
Il s’ensuit que le manquement de M. [B] à son obligation de délivrance à l’égard de la société BG se heurtant à des contestations sérieuses, la société BG n’est pas fondée à solliciter la suspension du paiement de ses loyers du mois de juillet 2022 jusqu’à la décision de réouverture de l’établissement par la commission communale de sécurité.
Il y a donc lieu d’infirmer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a fait droit à cette demande.
Sur la provision à valoir sur la perte d’exploitation
Par application de l’article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.
Il appartient au demandeur d’établir l’existence de l’obligation qui fonde sa demande de provision tant en son principe qu’en son montant et la condamnation provisionnelle, que peut prononcer le juge des référés sans excéder ses pouvoirs, n’a d’autre limite que le montant non sérieusement contestable de la créance alléguée.
Une contestation sérieuse survient lorsque l’un des moyens de défense opposé aux prétentions du demandeur n’apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision au fond qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond.
Enfin, c’est au moment où la cour statue qu’elle doit apprécier l’existence d’une contestation sérieuse, le litige n’étant pas figé par les positions initiale ou antérieures des parties dans l’articulation de ce moyen.
En l’espèce, dès lors qu’il résulte de ce qui précède que la preuve d’un manquement de M. [B] à son obligation de délivrance n’est pas rapportée, avec l’évidence requise en référé, la société BG ne démontre pas la responsabilité du bailleur dans la perte d’exploitation qu’elle a subie au cours des mois de juillet, août et septembre 2022, par suite de la fermeture administrative de son établissement.
L’ordonnance entreprise sera donc infirmée en ce qu’elle a fait droit à la demande de la société BG en lui allouant la somme de 15 000 euros à titre de provision à valoir sur la perte de son exploitation.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
Etant donné que M. [B] obtient gain de cause à hauteur d’appel, il y a lieu d’infirmer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle l’a condamné aux dépens de première instance et à verser à la société BG la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La société BG, partie perdante, sera tenue aux dépens de première instance et d’appel.
L’équité commande en outre de la condamner à verser à M. [B] la somme de 3 000 euros pour les frais exposés en première instance et en appel non compris dans les dépens.
La société BG sera, quant à elle, déboutée de sa demande formulée sur le même fondement en tant que partie perdante.
Dispositif
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau et y ajoutant ;
Déboute la SASU BG de sa demande tendant à la suspension du paiement de ses loyers du mois de juillet 2022 jusqu’à la décision de réouverture de l’établissement par la commission communale de sécurité ;
Déboute la SASU BG de sa demande tendant à la condamnation de M. [N] [B] à lui verser une provision de 15 000 euros à valoir sur la perte d’exploitation ;
Condamne la SASU BG à verser à M. [N] [B] la somme de 3 000 euros pour les frais exposés en première instance et en cause d’appel non compris dans les dépens ;
Déboute la SASU BG de sa demande formulée sur le même fondement ;
Condamne la SASU BG aux dépens de première instance et d’appel.
La greffière La présidente