COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 65B
12e chambre
ARRET N°
REPUTE CONTRADICTOIRE
DU 05 OCTOBRE 2023
N° RG 21/06588 – N° Portalis DBV3-V-B7F-U2CF
AFFAIRE :
QBE EUROPE
C/
[R] [F]
…
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 06 Octobre 2021 par le Tribunal de Commerce de CHARTRES
N° RG : 2019J00157
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Danielle ABITAN-BESSIS
Me Isabelle GUERIN
Me Philippe MERY
Me Mathieu CENCIG
Me Anne-Gaëlle LE ROY
TC CHARTRES
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE CINQ OCTOBRE DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Société QBE EUROPE
RCS Nanterre n° 842 689 556
[Adresse 2]
[Localité 8]
Représentée par Me Danielle ABITAN-BESSIS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 01 et Me Maïtena LAVELLE, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : G0317
APPELANTE
****************
Maître [R] [F] ès-qualités de Commissaire à l’exécution du plan de sauvegarde de la société MAILLARD
de nationalité Française
[Adresse 10]
[Localité 3]
Défaillant
S.A.R.L. MAILLARD
RCS Chartres n° 806 920 286
[Adresse 12]
[Localité 4]
Représentée par Me Isabelle GUERIN de la SELARL ISALEX, avocat au barreau de CHARTRES, vestiaire : 53
S.A.S.U. CHAVIGNY TRANSPORTS ET TRAVAUX PUBLICS
RCS Blois n° 509 483 566
[Adresse 7]
[Localité 6]
Représentée par Me Philippe MERY de la SCP MERY – RENDA – KARM – GENIQUE, Postulant, avocat au barreau de CHARTRES, vestiaire : 35 et Me Eric GRASSIN de la SELARL AVOCAT LOIRE CONSEIL, Plaidant, avocat au barreau d’ORLEANS, vestiaire : 6
S.A. ALLIANZ IARD
RCS Nanterre n° 542 110 291
[Adresse 1]
[Localité 8]
Représentée par Me Mathieu CENCIG, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 303
SA AXA FRANCE IARD ès qualités d’assureur de la société MAILLARD RCS Nanterre n° 722 057 460
[Adresse 5]
[Localité 9]
Représentée par Me Anne-Gaëlle LE ROY de la SELARL UBILEX AVOCATS, avocat au barreau de CHARTRES, vestiaire : 16
INTIMES
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 09 Mars 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur François THOMAS, Président,
Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller,
Madame Bérangère MEURANT, Conseiller,
Greffier, lors des débats : M. Hugo BELLANCOURT,
Exposé du litige
EXPOSÉ DU LITIGE
M. [Z], employé comme chauffeur poids lourd par la société Chavigny Transports & Travaux Publics (ci-après Chavigny), a été victime d’un accident de travail le 20 janvier 2015 alors qu’il intervenait au sein de la société Porte à [Localité 11] pour des opérations de chargement de poutres métalliques dans un camion. Après plusieurs arrêts de travail, M. [Z] a été déclaré inapte au travail le 29 juin 2016 puis il a été licencié pour inaptitude d’origine professionnelle.
Son employeur, la société Chavigny, a dû maintenir ses salaires et lui verser ses indemnités de licenciement pour un coût global de 32.925,21 €. Il en a demandé le remboursement à la société Maillard, en sa qualité de commettant responsable du préposé qui serait à l’origine de l’accident, M. [E] [Y], cariste.
La société Maillard, placée en procédure de sauvegarde par jugement du tribunal de commerce de Chartres du 28 juillet 2016, s’est opposée au paiement de la somme réclamée, au motif notamment que la créance n’avait pas été déclarée à la procédure de sauvegarde dans le délai de deux mois suivant la publication du jugement.
Par jugement du 25 janvier 2018, le tribunal de commerce de Chartres a arrêté le plan de sauvegarde de la société Maillard et Me [R] [F] a été nommé commissaire à l’exécution du plan de sauvegarde.
Par acte du 26 septembre 2019, la société Chavigny a fait assigner la société Maillard devant le tribunal de commerce de Chartres en paiement de la somme de 32.925,21 €.
Par acte du 19 novembre 2019, la société Maillard a fait assigner en garantie la SA QBE Europe, société de droit belge, qui était son assureur responsabilité civile au moment de l’accident de travail, ainsi que la société Axa France Iard (ci-après Axa), qui était son assureur lors de l’introduction de l’instance.
Les deux instances ont fait l’objet d’une jonction.
Par acte du 24 décembre 2020, la société Maillard a assigné en garantie la société Allianz Iard (ci-après Allianz), en sa qualité d’assureur de la flotte automobile au moment de l’accident de travail et les instances ont été jointes.
Par jugement réputé contradictoire du 6 octobre 2021, le tribunal de commerce de Chartres a :
– Constaté la non-comparution de Me [F], ès qualités de commissaire à l’exécution du plan de sauvegarde de la SARL Maillard, et de la SA Allianz Iard, bien que régulièrement assignés et appelés, ni personne pour eux ;
– Déclaré la SASU Chavigny Transports & Travaux Publics recevable et partiellement fondée en ses demandes ;
– Condamné la SARL Maillard à payer à la SASU Chavigny Transports & Travaux Publics la somme X = ILL+IP-IFC sus-énoncée ;
– Dit qu’il n’appartient pas au tribunal de calculer ladite somme laquelle devra aussi intégrer toutes les charges sociales afférentes, et de dire qu’en cas de désaccord entre les parties sur le résultat X dudit calcul (X = ILL+IP-IFC), celles-ci devront saisir le juge de l’exécution ;
– Condamné la compagnie QBE Insurance à garantir la SARL Maillard de toutes les sommes, intérêts, frais et accessoires, dépens ci-dessous et frais irrépétibles qu’elle sera condamnée à payer à la SASU Chavigny Transports & Travaux Publics à la suite de la décision ;
– Débouté la SARL Maillard de son appel en garantie de la SA Axa France Iard et de la SA Allianz Iard ;
– Condamné la SARL Maillard à payer à la SASU Chavigny Transports & Travaux Publics la somme de 1.500 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamné la SARL Maillard à payer à la SA Axa France Iard la somme de 500 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamné la compagnie QBE Insurance (Europe) Limited, aux entiers dépens. Lesdits dépens afférents aux frais de jugement liquidés à la somme de 157,70 euros TTC, en ceux non compris les frais de signification du jugement et de ses suites s’il y a lieu ;
– Ordonné l’exécution provisoire, nonobstant appel et sans caution.
Par déclaration reçue au greffe le 29 octobre 2021 et enregistrée le 2 novembre 2021, la société QBE Europe a interjeté appel du jugement.
Moyens
Motivation
MOTIFS
Sur la recevabilité de l’action de la société Chavigny
La société Maillard soutient que l’action de la société Chavigny est irrecevable en l’absence de déclaration de créance effectuée par la société Chavigny entre les mains du mandataire judiciaire à la suite du jugement de sauvegarde du 28 juillet 2016.
Elle fait valoir que la créance alléguée par la société Chavigny est une créance antérieure au jugement d’ouverture en ce qu’elle est née au jour de l’accident de travail, soit le 20 janvier 2015, et non au jour de la déclaration d’inaptitude du salarié, cette déclaration d’inaptitude ayant elle-même pour fait générateur l’accident intervenu antérieurement.
La société Chavigny soutient que sa créance de 32.925,21 € n’est pas une créance antérieure à la procédure de sauvegarde en ce qu’elle correspond à des paiements de salaires et accessoires versés postérieurement au jugement d’ouverture, entre le 31 juillet 2016 et le mois de novembre 2016. Elle estime qu’elle n’avait donc pas à déclarer de créance au passif de la société Maillard et que son action n’est pas forclose.
La société Axa France, qui sollicite la confirmation du jugement, indique dans ses conclusions qu’elle s’associe à l’argumentaire développé par la société Maillard, sans pour autant demander à la cour, dans le dispositif de ses écritures, de déclarer l’action irrecevable, comme le prescrit l’article 954 du code de procédure civile. Elle soutient que la créance de la société Chavigny est inopposable à la société Maillard et à ses assureurs.
*****
L’article L.622-24 alinéas 1 et 6 du code de commerce dispose que :
‘A partir de la publication du jugement, tous les créanciers dont la créance est née antérieurement au jugement d’ouverture, à l’exception des salariés, adressent la déclaration de leurs créances au mandataire judiciaire dans des délais fixés par décret en Conseil d’Etat. Lorsque le créancier a été relevé de forclusion conformément à l’article L.622-26, les délais ne courent qu’à compter de la notification de cette décision ; ils sont alors réduits de moitié. Les créanciers titulaires d’une sûreté publiée ou liés au débiteur par un contrat publié sont avertis personnellement ou, s’il y a lieu, à domicile élu. Le délai de déclaration court à l’égard de ceux-ci à compter de la notification de cet avertissement.
(…)
Les créances nées régulièrement après le jugement d’ouverture, autres que celles mentionnées au I de l’article L.622-17 sont soumises aux dispositions du présent article. Les délais courent à compter de la date d’exigibilité de la créance. Toutefois, les créanciers dont les créances résultent d’un contrat à exécution successive déclarent l’intégralité des sommes qui leur sont dues dans des conditions prévues par décret en Conseil d’Etat.’
En application de l’article L.622-7 du code de commerce, le jugement ouvrant la procédure collective du débiteur interdit le paiement des créances antérieures ainsi que celui des créances postérieures qui ne bénéficient pas du privilège de l’article L.622-17 du code de commerce.
Enfin, l’article L.622-21 du même code dispose que le jugement d’ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers antérieurs et postérieurs qui ne bénéficient pas du privilège de l’article L.622-17 et qui tendent à la condamnation du débiteur au paiement d’une somme d’argent ou à la résolution d’un contrat pour défaut de paiement d’une somme d’argent.
Il résulte de ces dispositions que, postérieurement au jugement d’ouverture, les titulaires de créances antérieures et postérieures non utiles à la procédure collective ne peuvent pas engager d’action en justice contre le débiteur pour en obtenir le paiement et doivent déclarer leurs créances afin qu’elles soient soumises à une procédure de vérification à l’issue de laquelle elles seront ou non admises au passif puis inscrites au plan.
Conformément à une jurisprudence constante de la Cour de cassation, la date de naissance d’une créance est son fait générateur et non sa date d’exigibilité.
En l’espèce, la créance de la société Chavigny, qui correspond à des salaires et des indemnités de licenciement pour inaptitude versés à M. [Z] entre les mois de juillet et novembre 2016, a pour fait générateur la déclaration d’inaptitude de ce salarié en date du 29 juin 2016.
Il s’agit donc d’une créance antérieure au jugement du 28 juillet 2016 ouvrant la procédure de sauvegarde de la société Maillard. Il convient de préciser que, même si la créance de la société Chavigny était considérée comme née postérieurement au jugement d’ouverture, elle ne pouvait être considérée comme utile à la procédure collective et bénéficier du privilège de l’article L.622-17 du code de commerce.
Par conséquent, la société Chavigny aurait dû se soumettre à la discipline collective en procédant à la déclaration de sa créance au passif de la société Maillard. De plus, son action intentée postérieurement au jugement d’ouverture et tendant à la condamnation de la société Maillard au paiement d’une somme d’argent, est irrecevable en application des dispositions de l’article L.622-21 du code de commerce.
Il convient d’infirmer le jugement du tribunal de commerce de Chartres en ce qu’il a déclaré l’action de la société Chavigny recevable et, statuant à nouveau, de déclarer irrecevable l’action de la société Chavigny à l’encontre de la société Maillard.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Compte tenu de la solution du litige, le jugement entrepris sera infirmé du chef des dépens et des frais irrépétibles.
En application des articles 696 et 699 du code de procédure civile, la société Chavigny sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d’appel, dont distraction au profit des avocats en ayant fait la demande.
Aucune considération tirée de l’équité ou de la situation économique des parties ne vient justifier l’allocation d’une indemnité au titre des frais irrépétibles.
Dispositif
PAR CES MOTIFS
La COUR, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire,
INFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu le 6 octobre 2021 par le tribunal de commerce de Chartres ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
DÉCLARE irrecevable l’action de la société Chavigny Transports & Travaux Publics ;
CONDAMNE la société Chavigny Transports & Travaux Publics aux entiers dépens de première instance et d’appel, dont distraction au profit des avocats en ayant fait la demande ;
DÉBOUTE les parties de leur demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Monsieur François THOMAS, Président et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le président,