COUR D’APPEL de CHAMBÉRY
2ème Chambre
Arrêt du Jeudi 30 Novembre 2023
N° RG 21/02231 – N° Portalis DBVY-V-B7F-G3CH
Décision déférée à la Cour : Jugement du Juge des contentieux de la protection d’ANNECY en date du 04 Octobre 2021, RG 21/00307
Appelante
S.A.S.U. IDELEC, dont le siège social est sis [Adresse 2] prise en la personne de son représentant légal
Représentée par la SARL THEMIS AVOCATS, avocat postulant au barreau d’ANNECY et Me Marinne ERHARD, avocat plaidant au barreau de LIMOGES
Intimés
M. [L] [W]
né le [Date naissance 1] 1951 à [Localité 4], demeurant [Adresse 3]
Représenté par la SCP MAX JOLY ET ASSOCIES, avocat postulant au barreau de CHAMBERY et Me Joseph CZUB, avocat plaidant au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
S.A. COFIDIS, dont le siège social est sis [Adresse 5] prise en la personne de son représentant légal
Représentée par la SCP SAILLET & BOZON, avocat postulant au barreau de CHAMBERY et la SELARL HKH AVOCATS, avocat plaidant au barreau de L’ESSONNE
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COMPOSITION DE LA COUR :
Lors de l’audience publique des débats, tenue le 03 octobre 2023 avec l’assistance de Madame Sylvie DURAND, Greffière,
Et lors du délibéré, par :
– Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente, à ces fins désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente
– Monsieur Edouard THEROLLE, Conseiller,
– Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller,
Exposé du litige
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EXPOSÉ DU LITIGE
Par suite d’un démarchage à domicile, M. [L] [W] a, suivant bon de commande en date du 5 juin 2018, conclu avec la SASU Idelec un contrat d’équipement portant sur la fourniture et la pose de panneaux photovoltaïques, avec la mise en place de 17 m² d’isolation, pour un prix global de 24 900 euros.
Ces travaux ont été financés en intégralité par le biais d’un prêt affecté, consenti le même jour par la SA Cofidis, au taux annuel de 4,48%, remboursable en 84 mensualités de 358,82 euros chacune hors assurance après une période de différé de six mois.
Le 18 juin 2018, la société Idelec, mandatée à cette fin, a déposé une déclaration préalable de travaux en mairie.
Le 21 juin suivant, les panneaux photovoltaïques ont été installés en sous-traitance par la société Eco Système Durable. M. [W] a, le même jour, signé deux attestations aux termes desquelles il acceptait l’installation sans réserve et sollicitait du prêteur la libération des fonds au profit de l’installateur.
Le raccordement au réseau s’est avéré effectif à compter du 8 novembre 2018, date à laquelle a pris effet le contrat d’achat d’énergie électrique signé entre M. [W] et la société Energie et Services de Seyssel.
La société Cofidis a débloqué le montant du prêt au profit de la société Idelec le 19 novembre 2018.
Le 10 décembre 2018, M. [W] a obtenu un remboursement de TVA à hauteur d’une somme de 3 598 euros. À compter du 6 juin 2019, ce dernier a commencé à s’acquitter des échéances du prêt.
Par avenant, le contrat de prêt a été modifié en ce que la durée a été portée à 120 mois en avril 2020, les mensualités étant ramenées à 307,57 euros hors assurance puis à 263,47 euros hors assurance à partir de la 77ème mensualité.
Mandaté par M. [W], M. [N] [J], technicien spécialisé en matière d’énergies renouvelables, se rendait sur les lieux le 17 septembre 2020 en vue d’un diagnostic. Il rendait subséquemment un rapport, en date du 28 septembre 2020, pointant plusieurs anomalies et concluant au caractère ‘ruineux’ de la vente pour le maître d’ouvrage.
Consécutivement, par acte du 4 février 2021, M. [W] a fait assigner la société Idelec et la société Cofidis devant le tribunal judiciaire afin, à titre principal, de voir prononcer la nullité ou la résolution des conventions d’équipement et de prêt conclues entre les parties ainsi que l’octroi de dommages et intérêts.
Par jugement contradictoire du 4 octobre 2021, le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire d’Annecy a :
– prononcé la nullité du contrat de vente et d’installation de panneaux photovoltaïques conclu le 5juin 2018 entre M. [W] et la société Idelec,
– constaté la nullité subséquente du contrat de crédit conclu le même jour entre M. [W] et la société Cofidis, ainsi que du contrat de regroupement de crédits n°28901000915795 d’un montant de 24 500 euros conclu ensuite entre les mêmes parties, ayant pris effet en avril 2020,
– dit que les fautes commises par la société Cofidis la privent de son droit à restitution du capital prêté,
– dit qu’en conséquence, M. [W] sera dispensé de restituer à la société Cofidis le montant en capital des deux contrats de crédit annulés,
– dit que la société Idelec devra procéder à ses frais à la dépose et l’enlèvement de l’ensemble des matériels installés au domicile de M. [W] et remettre en l’état les lieux tels qu’ils étaient avant la pose de l’installation, en informant M. [W] de son passage au moins quinze jours à l’avance,
– condamné la société Cofidis à payer à M. [W] l’ensemble des mensualités payées au titre des deux contrats de prêt annulés, soit une somme totale de 9 260,29 euros, somme arrêtée au 31 août 2021, intégrant la mensualité d’août 2021,
– dit que la société Idelec a engagé sa responsabilité délictuelle envers la société Cofidis,
– condamné la société Idelec a payer à la société Cofidis la somme de 24 900 euros à titre de dommages et intérêts,
– rejeté le surplus des demandes formées par les parties,
– condamné in solidum la société Idelec et la société Cofidis à payer à M. [W] la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné in solidum la société Idelec et la société Cofidis aux dépens,
– constaté l’exécution provisoire du jugement, en toutes ses dispositions.
Par acte du 16 novembre 2021, la société Idelec a interjeté appel de la décision.
Moyens
Motivation
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l’avis technique produit par M. [W]
Il est de jurisprudence constante que les pièces régulièrement versées aux débats et contradictoirement débattues sont recevables, quoique leur valeur probante, notamment en ce qui concerne les avis techniques réalisés à l’initiative d’une des parties, puisse être discutée ou corroborée par d’autres éléments extérieurs.
Dans ces conditions, la cour dit n’y avoir lieu à écarter des débats l’avis technique du 28 septembre 2018 établi par M. [J] le 28 septembre 2018, étant rappelé que ce rapport ne saurait faire autorité à défaut d’éléments objectifs corroborant les observations et conclusions qui y sont consignées.
Sur la nullité du contrat de crédit principal puis du contrat de crédit affecté
Il a été rappelé au titre des faits constants que M. [W] a, selon bon de commande signé le 5 juin 2018, commandé auprès de la SASU Idelec la fourniture et la pose d’une installation photovoltaïque composée de 11 panneaux solaires d’une puissance de 3 300 WC pour un montant global de 24 900 euros, outre une isolation de 17 m² sous panneaux.
Conformément à l’article L.111-1 du code de la consommation, dans sa version en vigueur au jour de la signature de ce bon de commande, le professionnel communique au consommateur, avant que ce dernier ne soit lié par un contrat de vente de biens ou de fourniture de services, de manière lisible et compréhensible :
1° les caractéristiques essentielles du bien ou du service, compte tenu du support de communication utilisé et du bien ou service concerné,
2° le prix du bien ou du service, en application des articles L.112-1 à L.112-4,
3° en l’absence d’exécution immédiate du contrat, la date ou le délai auquel le professionnel s’engage à livrer le bien ou à exécuter le service,
4° les informations relatives à son identité, à ses coordonnées postales, téléphoniques et électroniques et à ses activités, pour autant qu’elles ne ressortent pas du contexte.
L’article L.221-5 du même code relatif aux contrats conclus à distance et hors établissement, dans sa version en vigueur au 5 juin 2018, rappelle en ce sens que, préalablement à la conclusion d’un contrat de vente ou de fourniture de services, le professionnel communique au consommateur, de manière lisible et compréhensible, les informations suivantes :
1° les informations prévues aux articles L.111-1 et L.111-2,
2° lorsque le droit de rétractation existe, les conditions, le délai et les modalités d’exercice de ce droit ainsi que le formulaire type de rétractation, dont les conditions de présentation et les mentions qu’il contient sont fixées par décret en Conseil d’État,
3° le cas échéant, le fait que le consommateur supporte les frais de renvoi du bien en cas de rétractation et, pour les contrats à distance, le coût de renvoi du bien lorsque celui-ci, en raison de sa nature, ne peut normalement être renvoyé par la poste.
En l’espèce, il doit être observé que le bon de commande litigieux présente plusieurs irrégularités ciblées par le premier juge et notamment en ce qui concerne :
l’absence de délai concernant l’exécution du contrat (installation et mise en service du dispositif) à l’exception de celui de la livraison des biens commandés,
la mention d’un prix cumulant celui des panneaux solaires, de leur installation et d’une isolation thermique de 17 m²,
l’absence de précision concernant les modèles (panneaux, onduleur, connecteurs) concernés par la vente, la simple référence à une marque (‘La Francilienne ou équivalent’) ne permettant d’offrir une information suffisante au consommateur compte tenu de la multiplicité des produits existants dans le catalogue du fabricant emportant impossibilité manifeste de comparer les caractéristiques, la qualité et la fiabilité du produit commandé,
le caractère erroné des articles du code de la consommation (référence à la législation en vigueur jusqu’au 1er juillet 2016).
Il en résulte que ces irrégularités rendent le bon de commande non-conforme aux dispositions impératives du code de la consommation et constituent des causes de nullité relatives susceptibles d’entraîner l’annulation du contrat principal.
Toutefois, il importe de relever que les biens commandés ont effectivement été livrés puis installés au domicile de M. [W] par une entreprise qualifiée RGE lui ayant de permis bénéficier d’un remboursement fiscal de 3 598 euros le 10 décembre 2018.
Il n’est en ce sens pas contesté que M. [W] a renseigné, le 21 juin 2018, deux attestations de livraison et d’installation à destination du prêteur, dont une manuscrite sur 10 lignes, relatant la bonne exécution du contrat, ne mentionnant aucune réserve spécifique et sollicitant de ce dernier la remise des fonds à la société Idelec. A cette même date, la cour observe encore que M. [W] a renseigné un troisième écrit, à l’attention de la SASU Idelec, ‘attestant […] être très satisfait des prestations fournies et réalisées par [l’]entreprise [lesquelles] correspondent à la nature du bon de commande signé par [lui]-même’.
Au 28 juin 2018, la cour retient qu’une facture détaillée (n°FA1317) des équipements et de l’intervention effectuée à domicile a été émise et a assurément été transmise à son destinataire pour qu’il puisse percevoir le crédit d’impôt susvisé. Il est en outre établi que l’installation a été validée par un consuel, que des démarches administratives et commerciales (déclaration préalable à la réalisation des travaux avec obtention d’un arrêté de non-opposition, demande de raccordement) ont été effectuées par Idelec, que le raccordement au réseau électrique a bien été réalisé le 8 novembre 2018 aux frais de la société Idelec et que M. [W] a consécutivement conclu, le 3 janvier 2019, avec la société Énergie et Service de Seyssel, un contrat d’achat de l’électricité produite par l’installation au prix de 16,52 c€/kWh.
Il s’avère par ailleurs constant que l’installation s’est avérée productive d’énergie et que le litige se cristallise, en définitive et à titre principal, sur la production d’électricité jugée insuffisante par M. [W] pour assurer un auto-financement du dispositif comme en attestent le rapport de M. [J] du 28 septembre 2020, mettant en exergue le caractère ‘ruineux’ du projet (perspective de retour sur investissement supérieure à 70 ans), lequel est notamment corroboré par la demande de rééchelonnement du contrat de crédit sur 120 mois formulée par M. [W] auprès de la SA Cofidis dès le mois de décembre 2019 (ayant abouti à l’avenant mis en place à compter du 5 avril 2020) en vue d’alléger la charge mensuelle du crédit (mensualités ramenées à 307,57 euros hors assurance puis à 263,47 euros à partir de la 77ème mensualité).
Dans ces conditions, quoique l’installation diffère de celle déclarée à la commune quant à la position des panneaux sur le toit et que la déclaration d’achèvement et de conformité des travaux n’ait pas été sollicitée par la société Idelec, il se déduit néanmoins de la réception de l’installation, de l’acceptation de sa mise en service, de la demande d’avoir fiscal, de la signature postérieure d’un contrat de revente d’électricité avec la société Énergie et Services Seyssel, de la poursuite de la relation contractuelle avec le prêteur en négociant un rééchelonnement du prêt sans contester préalablement, fût-ce au moyen d’un courrier recommandé adressé au vendeur, la validité du bon de commande originel, M. [W] a nécessairement entendu poursuivre l’exécution de la relation contractuelle malgré les irrégularités formelles précitées dont il a pu se convaincre dès la fin du chantier et l’établissement de la facturation.
Aussi, aucun grief n’ayant été élevé contre les sociétés Idelec et Cofidis avant les lettres recommandées du 5 novembre 2020, il doit être retenu que les causes de nullité relative dont il entend désormais se prévaloir ont manifestement été couvertes par la confirmation du contrat dans les circonstances sus-décrites.
Plus avant, l’irrégularité du bordereau de rétractation visant des articles erronés du code de la consommation induit une prorogation du délai légal et ne saurait entraîner la nullité du contrat principal. Dans ces conditions, il ne saurait être fait droit à la demande de nullité ou de résolution du contrat présentée par M. [W], étant ici rappelé qu’il n’est aucunement démontré par ce dernier que la SASU Idelec aurait usé de manoeuvre dolosive à son égard ou aurait, en conscience, retenu une information qu’elle savait déterminante le concernant. De même, la pose de panneaux en bas de toiture, dans une position différente de celle déclarée administrativement, et l’absence de déclaration d’achèvement des travaux ne sauraient, à elles seules et en l’absence de contentieux d’urbanisme avec la commune, constituer une inexécution contractuelle justifiant la résolution.
Pour autant, il ne peut être éludé que, pour une installation photovoltaïque commandée dans le cadre d’un démarchage à domicile, les perspectives de rentabilité consécutives à la réalisation des travaux constituent un paramètre d’importance nécessitant la délivrance d’une information pertinente au consommateur de la part du vendeur professionnel, et ce quand bien même ce dernier ne pourrait s’engager sur un calcul scientifiquement exact au regard des facteurs aléatoires (notamment météorologiques) susceptibles d’impacter ses projections.
Aussi, en ne proposant ni étude préalable ni projection réaliste au candidat acquéreur qu’il démarche dans le but avéré de réaliser une vente, et en n’appelant aucunement son attention sur le fait que cette installation était réalisée sans garantie de rentabilité, alors-même qu’il est établi que l’investissement s’est avéré économiquement peu judicieux pour l’acquéreur, la SASU Idelec a indéniablement manqué à son devoir d’information et de conseil quoique l’installation ait été réalisée sans malfaçon démontrée et se soit avérée fonctionnelle.
Faute d’établir, au moyen des factures de revente d’électricité que les fautes reprochées sont d’une gravité justifiant la résolution du contrat, il y a dès lors lieu de faire droit à la demande indemnitaire présentée à titre subsidiaire par M. [W], son préjudice étant justement et intégralement réparé par la condamnation de la SASU Idelec à lui verser la somme de 15 000 euros en dédommagement des démarches administratives non-achevées (déclaration d’achèvement et de conformité des travaux) et du préjudice résultant de l’absence d’information pertinente avant la signature du bon de commande.
La cour remarque enfin que la SA Cofidis a libéré les fonds le 19 novembre 2018 sur le fondement de deux attestations circonstanciées de l’acquéreur en date du 21 juin 2018, après raccordement (8 novembre 2018) et 5 mois après la signature du bon de commande puis la pose du dispositif photovoltaïque tant est si bien qu’aucune faute ne peut lui être reprochée au titre d’une libération hâtive des fonds. En conséquence, M. [W] sera tenu de restituer les sommes lui ayant été versées par la SA Cofidis dans le cadre de l’exécution du jugement déféré.
Sur les demandes annexes
La SASU Idelec, qui succombe en principal, est condamnée aux dépens de première instance et d’appel.
Elle est en outre condamnée à verser la somme de 3 000 euros à M. [W] au titre des frais irrépétibles qu’il a exposés. En équité, la cour dit n’y avoir lieu à condamnation, au profit de la SA Cofidis laquelle reconnaît avoir financé un projet dont le bon de commande est entaché de causes de nullité flagrante, d’une quelconque somme au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Dispositif
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par décision contradictoire,
Réforme la décision déférée en toutes ses dispositions et statuant à nouveau,
Dit n’y avoir lieu à écarter des débats l’avis technique de M. [N] [J] en date du 28 septembre 2020,
Condamne la SASU Idelec à verser à M. [L] [W] la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à son obligation d’information préalable ainsi que pour le caractère incomplet des démarches administratives effectuées,
Dit que M. [L] [W] est tenu de restituer les sommes lui ayant été versées par la SA Cofidis dans le cadre de l’exécution du jugement déféré,
Condamne la SASU Idelec aux dépens de première instance et d’appel,
Condamne la SASU Idelec à verser à M. [L] [W] la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Ainsi prononcé publiquement le 30 novembre 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente et Madame Sylvie DURAND, Greffière.
La Greffière La Présidente