COUR D’APPEL
DE RIOM
Troisième chambre civile et commerciale
ARRET N°418
DU : 27 Septembre 2023
N° RG 22/00131 – N° Portalis DBVU-V-B7G-FXVQ
VD
Arrêt rendu le vingt sept Septembre deux mille vingt trois
Sur APPEL d’une décision rendue le 14 Décembre 2021 par le Tribunal Judiciaire de CLERMONT-FERRAND (RG N°20/02324 Ch1 c2)
COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :
Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre
Mme Virginie THEUIL-DIF, Conseiller
Madame Virginie DUFAYET, Conseiller
En présence de : Mme Stéphanie LASNIER, Greffier, lors de l’appel des causes et Mme Cécile CHEBANCE, Greffier placé, lors du prononcé
ENTRE :
Mme [V] [D]
[Adresse 1]
[Localité 6]
et
Mme [S] [J]
[Adresse 4]
[Localité 7]
et
M. [C] [Y]
[Adresse 4]
[Localité 7]
Représentés tous les trois par Me Sophie LACQUIT, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND (avocat postulant) et Me Dimitri PINCENT, avocat au barreau de PARIS (avocat plaidant)
APPELANTS
ET :
S.A. AIG EUROPE
succursale française immatriculée au RCS de NANTERRE sous le numéro 838 136 463
[Adresse 14]
[Localité 10]
Représentants : Me Anne JEAN de la SCP TEILLOT & ASSOCIES, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND (avocat postulant) et Me Claire-marie QUETTIER, avocat au barreau de PARIS (avocat plaidant)
Société CNA INSURANCE COMPANY (EUROPE)
société anonyme d’un Etat membre de la CE immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 844 115 030
[Adresse 5]
[Localité 9]
Représentants : Me Henri ARSAC de la SCP ARSAC, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND (avocat postulant) et Me Céline LEMOUX de la LAWINS Avocats, avocat au barreau de Paris (avocat plaidant)
S.A. ALBINGIA
société anonyme immatriculée au RCS de NANTERRE sous le numéro 429 369 309
[Adresse 2]
[Localité 11]
Représentants : Me Sébastien RAHON, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND (avocat postulant) et Me Matthieu PATRIMONIO de la SCP RAFFIN ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS (avocat plaidant)
S.A.S.U ATLANTIS 63
inscrite au RCS de CLERMONT-FERRAND sous le numéro 485 356 422
[Adresse 13]
[Localité 8]
Non représentée, assignée à étude
INTIMÉES
SELARL [N], prise en la personne de Maître [G] [N]
immatriculée au RCS de CLERMONT-FERRAND sous le n°509413555 dont le siège social est situé [Adresse 3][Localité 6], agissant ès qualités de mandataire judiciaire de la société ATLANTIS 63, immatriculée au RCS de CLERMONT-FERRAND sous le n° 485356422 [Adresse 12] [Localité 8], ayant fait l’objet d’une ouverture de liquidation judiciaire par jugement du Tribunal de Commerce de Clermont-ferrand en date du 14 Avril 2022,
Non représentée, assignée à personne habilitée
INTERVENANTE FORCÉE
INTIMÉS
DEBATS : A l’audience publique du 21 Juin 2023 Madame DUFAYET a fait le rapport oral de l’affaire, avant les plaidoiries, conformément aux dispositions de l’article 785 du CPC. La Cour a mis l’affaire en délibéré au 27 Septembre 2023.
ARRET :
Prononcé publiquement le 27 Septembre 2023, par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre, et par Mme Cecile CHEBANCE, Greffier placé, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Exposé du litige
Exposé du litige
Le 30 juin 2011, Mme [S] [J] a signé un bon de commande et s’est ainsi engagée à acquérir la propriété d’une collection d’oeuvres indéterminées pour un montant de 200 000 euros auprès de la société Artecosa, devenue Signatures, sur les conseils et par l’intermédiaire de la société Atlantis 63. Le 25 juillet 2011, elle a remis les chèques correspondant à la société Atlantis 63.
Le 27 juillet 2011, M. [C] [Y] a signé un bon de commande et s’est ainsi engagé à acquérir la propriété d’une collection d’oeuvres indéterminées pour un montant de 102 500 euros auprès de la société Artecosa, devenue Signatures, sur les conseils et par l’intermédiaire de la société Atlantis 63.
Le 15 mai 2012, Mme [V] [D] s’est engagée à acquérir la propriété d’une collection d’oeuvres indéterminées pour un montant de 136 000 euros auprès de la société Artecosa, devenue Signatures, sur les conseils et par l’intermédiaire de la société Atlantis 63. Elle a signé un contrat de vente assorti d’un contrat de garde. Ce contrat comportait une promesse de vente en fin de contrat.
La société Signatures a fait l’objet de sanctions de la part de l’Autorité des Marchés Financiers le 13 novembre 2018. Elle a été placée en liquidation judiciaire le 27 décembre 2018.
La société Signatures était assurée auprès de la société Albingia pour son activité expertise de documents écrits.
La société Atlantis 63 était assurée auprès de la société CNA Insurance Company (Europe) au titre de sa responsabilité civile professionnelle, ainsi qu’auprès de la société AIG Europe SA du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2013 pour ses activités de conseiller en gestion de patrimoine et de conseiller en investissement financier.
Par exploits d’huissier en date des 16 et 23 juin 2020, Mmes [D] et [J] et M. [Y] ont fait assigner les sociétés Atlantis 63, Albingia et CNA Insurance Company (Europe) et AIG Europe devant le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand en réparation de divers préjudices en lien avec les manquements professionnels commis à leur détriment lors de la commercialisation des produits Artecosa.
Moyens
Motivation
En ce qui concerne M. [Y] et Mme [J], ils ne justifient pas de la souscription d’un contrat de garde, de sorte qu’il y a lieu de considérer qu’ils sont entrés en possession des oeuvres à la date de constitution de la collection les 31 octobre et 18 novembre 2011.
En ce qui concerne Mme [D], elle pouvait contractuellement récupérer définitivement ou temporairement ses oeuvres afin notamment de les faire analyser ou évaluer, sans qu’elle n’ait l’obligation d’attendre un quelconque délai pour ce faire. Elle ajoute que le contrat lui laissait l’opportunité de refuser les oeuvres proposées sans pénalité. Elle ne saurait donc alléguer n’avoir pu apprécier la valeur de ses biens qu’à l’issue de l’estimation réalisée par elle près de huit années après l’acquisition.
Ils pouvaient agir dès connaissance de la composition de leur collection.
La SELARL [N], ès qualités, n’a pas constitué avocat.
Il est renvoyé aux dernières écritures respectives des parties pour l’exposé complet de leurs prétentions et moyens.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 8 juin 2023.
Motivation de la décision :
L’article 2224 du code civil dispose que : ‘Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer’.
Les appelants fondent leur demande sur un manquement au devoir d’information et de conseil portant sur la valeur réelle des oeuvres acquises.
Le dommage résultant d’un manquement à une obligation d’information, de mise en garde et/ou de conseil, consistant en la perte d’une chance de ne pas contracter, se réalise en principe à la date de la conclusion du contrat litigieux. Cependant, comme l’ont énoncé les premiers juges, la prescription de l’action en responsabilité intentée contre l’auteur de ce manquement ne court qu’à compter de la date à laquelle ce dommage se révèle au contractant.
En l’espèce, le dommage allégué par les appelants est la différence très importante entre le prix auquel les oeuvres ont été achetées et leur valeur réelle.
– Situation de Mme [D]
Mme [D] a signé un bon de commande portant sur l’achat d’une collection diversifiée pour un montant de 136 000 euros, outre 680 euros de frais d’expertise.
L’article 2 de ces bons de commande prévoit ceci :
‘Expertise
Chaque oeuvre ou chaque objet est expertisé par les experts spécialisés de chaque catégorie. Les pièces les plus significatives peuvent faire l’objet d’une demande de certificat à la demande auprès de la société Artecosa. En cas de litige, seuls les experts agréés par les tribunaux sont compétents. L’expertise sert de référence à l’établissement des garanties de l’assurance.’
Mme [D] a également signé un contrat de vente assorti d’un contrat de garde qu’elle produit.
En préambule de ce contrat, il est indiqué ceci :
‘La société est spécialisée dans la recherche, l’acquisition et la vente de valeurs d’art et de collections, en particuliers des lettres historiques et originales de personnages célèbres, de manuscrits et documents historiques et originaux, de dessins anciens et modernes, de peintures anciennes et modernes, de photographies et de sculptures, sans que cela soit exhaustif’.
Il résulte des mentions du bon de commande, mais également du préambule du contrat que la société Artecosa se présente comme une société spécialisée dans les oeuvres d’art et que les biens qu’elle vend font l’objet d’une expertise par des ‘experts spécialisés’, celle-ci étant d’ailleurs spécifiquement tarifée.
Le contrat de vente comporte un article IV rédigé comme suit :
‘Mise à disposition en cours de contrat de garde
1/ La société permet à l’acheteur un droit de disposer de sa collection pour une période de 15 jours.
2/ L’acheteur, propriétaire de sa collection, prendra alors toutes les mesures pour que la collection soit restituée à la société dans le même état qu’initialement. Il s’engage à prendre toutes les mesures, assurances et transports à cet effet. Un état des oeuvres sera signé entre les parties.
3/ Si les oeuvres restituées n’étaient pas conformes à l’état initial, l’article V ne s’appliquera pas’.
Cet article, s’il permet en effet à l’acheteur de récupérer ses oeuvres pour une courte durée et à des conditions contraignantes, ne fait toutefois aucun lien entre cette éventuelle récupération et une expertise réalisée par l’acheteur.
L’article V est rédigé comme suit :
‘ Promesse de vente en fin de contrat
1/ Société et acheteur conviennent de la possibilité pour la société d’acheter la collection au terme du contrat de garde.
2/ La promesse de vente accordée par l’acheteur et acceptée en tant que promesse par la société se réalisera, au même prix que le prix de vente de la collection à l’acheteur. Ce prix sera néanmoins majoré de 7,5% par année de garde et de conservation si le dépôt a une durée au moins de 5 années pleines et entières.
3/ Si l’acheteur a trouvé dans le même temps, un acquéreur à un prix supérieur, il pourra réaliser la vente après en avoir informé la société par lettre recommandée’.
Cet article, s’il ne fait état que d’une possibilité d’achat en fin de contrat, le fait cependant à des conditions avantageuses pour le vendeur : prix identique à l’achat, avec majoration par année de garde.
Ainsi, aucune clause ou mention du bon de commande ou du contrat n’attire l’attention de l’acheteur sur un risque de surévaluation des oeuvres acquises, prétendument expertisées et vendues par une société spécialisée. Ni les sociétés intimées et représentées, ni la société Atlantis 63, non représentée, n’allèguent avoir attiré l’attention de l’appelante sur la valeur des oeuvres acquises.
Mme [D], qui n’entrait pas physiquement en possession des oeuvres d’art qu’elle acquérait et qui n’était pas incitée à le faire par les termes du contrat, n’a pas eu l’occasion de prendre conscience de la surévaluation qu’elle allègue avant de les récupérer courant 2017 et de les faire expertiser en 2018, cette expertise aboutissant à un mandat de vente aux enchères daté du 30 novembre 2018. C’est à partir de cette année 2018 qu’elle a eu la révélation du dommage, sa collection ayant une valeur réelle se situant autour de 10% de son prix d’achat.
Mme [D] a engagé son action par assignations en date des 16 et 23 juin 2020.
Les intimées ne démontrent pas qu’avant les 16 et 23 juin 2015 elle a eu connaissance ou aurait pu avoir connaissance de faits lui permettant de prendre conscience que les oeuvres achetées étaient surévaluées.
Le jugement entrepris sera en conséquence infirmé en toutes ses dispositions la concernant.
– Situation de Mme [J] et de M. [Y]
M. [Y] a signé un bon de commande portant sur l’achat d’une collection diversifiée pour un montant de 100 000 euros, outre 1 000 euros de frais d’expertise et 500 euros de frais de garde.
Mme [J] a signé un bon de commande portant sur l’achat d’une collection diversifiée pour un montant de 195 123 euros, outre 1 951 euros de frais d’expertise et 975 euros de frais de garde.
Devant les premiers juges, Mme [J] et M. [Y] ne produisaient pas le contrat de vente assorti d’un contrat de garde. Devant la cour d’appel, ils ne répondent pas à la motivation du tribunal sur ce point et n’allèguent pas avoir signé un tel contrat, se contentant dans leurs écritures de prétendre avoir récupéré leurs oeuvres en 2018 et les avoir faites expertiser à cette date, sous-entendant ainsi ne pas avoir été en possession de celles-ci avant cette date.
En effet, il résulte de leurs bons de commande et de leurs factures qu’ils ont bien souscrit un tel contrat puisque les frais de garde sont expressément tarifés dans le bon de commande et apparaissent également au stade de la facture sous la mention : ‘Total frais HT (expertise, assurance et garde)’. Il y a donc lieu de considérer qu’ils ont également confié la garde de leurs oeuvres à la société Artecosa.
M. [Y] et Mme [J], tout en concédant dans leurs écritures être entrés en possession physiquement de leurs oeuvres en 2018, produisent chacun un décompte de vente daté du 13 décembre 2019.
Il apparaît ainsi que, M. [Y] et Mme [J], ne sont pas entrés physiquement en possession des oeuvres d’art qu’ils acquéraient à la date de leur achat. C’est à partir de l’année 2018 qu’ils ont eu la révélation du dommage, leurs collections ayant une valeur réelle se situant autour de 10% de leur prix d’achat.
Ils ont engagé leur action par assignations en date des 16 et 23 juin 2020.
Les intimées ne démontrent pas qu’avant les 16 et 23 juin 2015 ils ont eu connaissance ou auraient pu avoir connaissance de faits leur permettant de prendre conscience que les oeuvres achetées étaient surévaluées. Au contraire, en mars 2017 pour M. [Y] et en décembre 2017 pour Mme [J], la société Signatures prétendait avoir vendu pour chacun d’eux une lettre à un prix correspondant au prix d’achat, en leur adressant un courrier en ce sens, sans pour autant y adjoindre la moindre preuve de cette vente (facture notamment).
Le jugement entrepris sera en conséquence infirmé en toutes ses dispositions les concernant.
Les sociétés CNA Insurance Company, AIG Europe et Albingia seront chacune condamnées à verser aux appelants une somme totale de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel. La même somme sera fixée au passif de la société Atlantis 63.
Les sociétés CNA Insurance Company, AIG Europe et Albingia seront condamnées in solidum aux dépens de la procédure de première instance et d’appel, en ce inclus les frais de signification par huissier aux sociétés Atlantis 63 et [N].
Dispositif
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant par mise à disposition au greffe, par arrêt rendu par défaut et en dernier ressort ;
Infirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Dit que Mme [V] [D], Mme [S] [J] et M. [C] [Y] ne sont pas prescrits en leur action ;
Condamne la SA CNA Insurance Company (Europe), la SA AIG Europe et SA Albingia chacune à payer à Mme [V] [D], Mme [S] [J] et M. [C] [Y] la somme totale de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et dit qu’une somme de 1 500 euros sera également fixée au passif de la société Atlantis 63 sur le même fondement ;
Condamne la SA CNA Insurance Company (Europe), la SA AIG Europe et SA Albingia aux entiers dépens de la procédure de première instance et d’appel, incluant les frais de signification par huissier aux sociétés Atlantis 63 et [N].
Le Greffier La Présidente