Décision du 25 mai 2023 Cour d’appel de Dijon RG n° 22/01499

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VCF/IC

S.A.S. TECHNI-MODUL ENGINEERING

C/

S.A.S. PINETTE EMIDECAU INDUSTRIE

expédition et copie exécutoire

délivrées aux avocats le

COUR D’APPEL DE DIJON

2ème chambre civile

ARRÊT DU 25 MAI 2023

N° RG 22/01499 – N° Portalis DBVF-V-B7G-GCMV

MINUTE N°

Décision déférée à la Cour : ordonnance de référé rendue le 05 décembre 2022,

par le juge des référés du tribunal de commerce de Chalon sur Saône – RG : 2022 2073

APPELANTE :

S.A.S. TECHNI-MODUL ENGINEERING représentée par son représentant légal en exercice domicilié es qualité au siège social sis :

[Adresse 4]

[Localité 1]

représentée par Me Clémence MATHIEU, membre de la SELAS ADIDA ET ASSOCIES, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 38

assistée de la SELARL STOULS & SULLY, avocats au barreau de LYON

INTIMÉE :

S.A.S. PINETTE EMIDECAU INDUSTRIE représentée par son Président en exercice domicilié en cette qualité au siège social sis :

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 2]

représentée par Me Florent SOULARD, membre de la SCP SOULARD-RAIMBAULT, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 127

assistée de Me Gilles GRAMMONT, membre de la SELAS FIDAL, avocat au barreau de CHALON SUR SAONE

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 23 mars 2023 en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Viviane CAULLIREAU-FOREL, Président de chambre, chargé du rapport et Sophie DUMURGIER, Conseiller. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la cour étant alors composée de :

Viviane CAULLIREAU-FOREL, Président de chambre, Président,

Sophie DUMURGIER, Conseiller,

Sophie BAILLY, Conseiller,

qui en ont délibéré.

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Maud DETANG, Greffier

DÉBATS : l’affaire a été mise en délibéré au 25 Mai 2023,

ARRÊT : rendu contradictoirement,

PRONONCÉ : publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

SIGNÉ : par Viviane CAULLIREAU-FOREL, Président de chambre, et par Maud DETANG, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Exposé du litige

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

La SAS Techni-Modul Engineering (TME) est spécialisée dans la conception et la réalisation de solutions innovantes robotisées ou automatisées, adaptées à divers procédés, pour la fabrication de pièces composites.

Elle expose travailler depuis 2007-2008 avec la société de droit chinois Avic International Trade and Economic Development Ltd (ci-après dénommée Avic) pour laquelle elle a conçu une ligne de production d’hélice de moteur d’avion, selon un procédé très particulier articulé autour de trois machines spécifiques, dont elle indique qu’il n’est mis en oeuvre que par elle et par la filiale française d’une société américaine pour l’avion A400M.

Elle expose également avoir dupliqué la ligne de production en 2012, 2015 et 2019.

Fin 2019, la société Avic a lancé deux procédures d’appel d’offres, une pour la machine de compactage et l’autre pour les machines RTM et de découpe, auxquelles la société TME a répondu.

Ce sont les offres de la société Hong Kong Great Harvest Group Limited (HK Great Harvest) qui ont été retenues.

La commande a ensuite été réalisée par :

– la société Pinette Emidecau Industrie (PEI), fabricant de l’ensemble de la ligne de production, dont la société TME soutient qu’elle était l’agent ou l’intermédiaire de la société HK Great Harvest,

– la SAS Conception et réalisation d’outillages (Cero), fournisseur des outillages,

– la SAS Isojet Equipement, fournisseur de la centrale d’injection.

Imputant notamment à la société PEI des faits constitutifs d’actes de concurrence déloyale et/ou de violation du secret des affaires, la société TME a présenté plusieurs requêtes aux fins d’être autorisée à pratiquer des mesures de constat à l’encontre des sociétés citées ci-dessus.

C’est ainsi qu’une ordonnance du président du tribunal de commerce de Chalon sur Saône en date du 15 avril 2021 a essentiellement autorisé la société TME à faire procéder par tout huissier de justice de son choix, à l’encontre de la société PEI, au siège de cette société et en tout autre lieu que les opérations de constat pourraient révéler, à toutes recherches et constatations utiles dans le but de découvrir la nature, l’origine et l’étendue des faits de violation du secret des affaires et/ou de concurrence déloyale de la société PEI, et notamment :

– la présence et/ou l’existence de tous documents commerciaux et/ou administratifs tels que fichiers, plans, emails, offres commerciales etc, mentionnant le nom ou la cartouche de la société TME,

– la présence et/ou l’existence de machines de fabrication, compactage, RTM et découpe figurant sur le catalogue et le site internet de la société TME,

– la communication des plans ayant servi à la fabrication des machines et outillages suite à l’appel d’offres de la société Avic en novembre 2019,

– la communication des offres de la société PEI dans le cadre dudit appel d’offres.

Cette mesure a été infructueuse.

C’est ainsi également que par ordonnance du président du tribunal de commerce de Chaumont en date du 13 avril 2021, la société TME a été autorisée à faire procéder à un constat précédé de recherches, à l’encontre de la société Ferry Captain, son propre

fournisseur l’ayant informée que la société Cero l’avait sollicitée pour un autre marché et lui avait à cette occasion remis une copie de ses propres plans. Cette mesure a été exécutée le 17 juin 2021. La société TME affirme qu’elle a permis de saisir un plan lui appartenant, remis par la société Cero à la société Ferry Captain, après effacement de sa cartouche.

C’est aussi ainsi que par ordonnance du président du tribunal de commerce de La Roche sur Yon, en date du 2 juillet 2021, la société TME a été autorisée à procéder à une mesure de même nature à l’encontre de la société Cero. Cette société a saisi le juge des référés aux fins de rétractation de cette ordonnance. Sa demande n’a pas prospéré devant le premier juge (cf ordonnance du 28 mars 2022) mais en dernier lieu, la cour d’appel de Poitiers a, par un arrêt du 13 décembre 2022, essentiellement :

– ordonné la rétractation de l’ordonnance du 2 juillet 2021,

– annulé en conséquence les constatations et diligences, copies et procès-verbaux effectués en exécution de cette ordonnance, ainsi que toute mise à disposition dans quelque instance ou à quelque fin que ce soit de pièces directement et exclusivement issues des opérations effectuées en exécution de cette ordonnance du 2 juillet 2021,

– ordonné la restitution à la société Cero de l’intégralité des documents saisis en exécution de l’ordonnance du 2 juillet 2021, dans un délai de 15 jours à compter de l’arrêt, puis sous astreinte provisoire de 500 euros par jour de retard, l’astreinte courant pendant un délai de quatre mois,

– fait interdiction à la société TME de faire usage de tout document qui serait directement et exclusivement issu des opérations effectuées en exécution de cette ordonnance, quels qu’en soient les supports, et ceci sous peine d’astreinte de 10 000 euros par infraction constatée.

Un pourvoi a été formé à l’encontre de cet arrêt.

En exécution provisoire de l’ordonnance rendue par le juge des référés le 28 mars 2022, la société TME a eu accès aux pièces saisies à l’encontre de la société Cero.

Se fondant notamment sur ces pièces, la société TME a, le 13 mai 2022, présenté au président du tribunal de commerce de Chalon sur Saône une seconde requête aux fins de procéder à une nouvelle mesure à l’encontre de la société PEI.

Par ordonnance du 17 mai 2022, le président du tribunal de commerce de Chalon sur Saône a essentiellement :

– autorisé la société TME à faire procéder par Maître [Y] [V], huissier de justice, à l’encontre de la société PEI, au siège de cette société et en tout autre lieu que les opérations de constat pourraient révéler, à toutes recherches et constatations utiles dans le but de découvrir la nature, l’origine et l’étendue des faits de violation du secret des affaires et/ou de concurrence déloyale de la société PEI et/ou de la société Hong Kong Great Harvest Group Limited / Baoding, et notamment la communication des plans ayant servi à la fabrication des outillages remis à la société Cero, sous-traitant/co-traitant de la société PEI pour les moules de compactage et RTM, afin d’établir une offre de prix pour un autre marché,

– autorisé l’huissier de justice à se faire assister de tout homme de l’art de son choix, notamment de tout expert en informatique dont l’huissier enregistrera les explications et déclarations sur les points qui échapperaient à sa compétence, en distinguant dans les énonciations de son procès-verbal ses constatations personnelles de celles qui auront pu être portées à sa connaissance par ledit homme de l’art, et de tout serrurier de son choix en vue de procéder à l’ouverture de toute porte, coffre-forts ou placards situés dans les locaux de la requise et en tout autre lieu du ressort du tribunal,

– autorisé l’huissier à consigner toutes déclarations des répondants et de manière générale toutes déclarations faites au cours des opérations,

– dit que tout requis devra mettre son système informatique en ordre de marche ; si tel n’était pas le cas et à défaut, autorisé l’huissier assisté de tout homme de l’art à faire fonctionner tous les ordinateurs (fixes ou portables), serveurs, postes de travail, systèmes d’information, disques durs et périphériques de tout requis, et à se faire communiquer les mots de passe nécessaires afin qu’il puisse procéder aux constatations nécessaires à l’accomplissement de sa mission,

– autorisé l’huissier à prendre toute photographie en rapport avec sa mission et à rechercher, à compulser puis à copier sur tout support, y compris sur un support informatique, sur le champ, tous documents tels que notamment, devis, factures…et autres échanges de correspondances ou courriers électroniques, et plus généralement tous documents quelconques, quel qu’en soit le support, d’où pourrait résulter la preuve des faits allégués, de leur origine, de leur nature, de leur étendue ou présentant un rapport avec des faits de violation du secret des affaires et/ou de concurrence déloyale,

– dit que l’huissier de justice pourra utiliser les moyens de reproduction et de copie présents sur place,

– autorisé l’huissier à procéder à toutes prises de vues, photographies et reproductions utiles des outillages fabriqués par Cero suite à la commande de la société PEI et/ou de la société Hong Kong Great Harvest Group Limited / Baoding, y compris à l’intérieur des moules une fois ouverts par un technicien de la société Cero afin de constater les similarités avec les outillages fabriqués par la société TME,

– ordonné la mise sous séquestre des éléments collectés par l’huissier.

Cette ordonnance a été exécutée le 21 juin 2022.

Par acte du 21 juillet 2022, la société PEI a saisi le juge des référés du tribunal de commerce de Chalon sur Saône aux fins de rétractation de l’ordonnance du 17 mai 2022.

Par ordonnance du 5 décembre 2022, le juge des référés du tribunal de commerce de Chalon sur Saône a, au visa des articles 145, 146, 493, 874 et 875 du code de procédure civile et L. 151-1, R. 153-1 à R. 153-10 du code de commerce :

– dit que la société TME dispose d’un faisceau d’indices rendant crédible un potentiel litige suffisamment précis en son objet à l’encontre de la société PEI,

– dit que la société TME dispose de faisceaux d’indices suffisants justifiant de l’existence d’un potentiel litige avec la société PEI,

Mais,

– dit que le faible écart de prix entre les deux offres n’est pas constitutif d’un acte caractérisé de concurrence déloyale,

– dit que la société TME n’apporte pas d’éléments laissant supposer que la société PEI se serait rendue coupable d’actes de violation du secret des affaires,

– dit que le fondement sur lequel souhaite s’appuyer la société TME en vue d’un potentiel procès à l’encontre de la société PEI, à savoir des actes de concurrence déloyale et/ou la violation du secret des affaires n’est pas suffisamment caractérisé pour pouvoir faire droit aux mesures d’instruction sollicitées par la société TME,

En conséquence,

– rétracté l’intégralité de l’ordonnance n°2022-001400 rendue le 17 mai 2022 par le président du tribunal de commerce de Chalon sur Saône à la requête de la société TME,

– annulé toutes constatations et diligences, copies sur tous supports et procès-verbaux effectués en exécution de ladite ordonnance,

– ordonné la restitution des pièces saisies, quel qu’en soit les supports, en particulier informatiques, par les huissiers instrumentaires, et ce sous astreinte de 200 euros par jour de retard passé un délai de 8 jours suivant la signification de l’ordonnance, en se réservant le droit de liquider l’astreinte,

– débouté la société PEI de sa demande de dommages-intérêts,

– condamné la société TME en tous les dépens de l’instance et à payer à la société PEI la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouté les parties du surplus de leurs demandes respectives.

La société TME a interjeté appel de cette ordonnance par déclaration du 5 décembre 2022.

Par ordonnance du 7 février 2023, la première présidente de la cour a arrêté l’exécution provisoire de plein droit attachée à l’ordonnance dont appel.

Aux termes du dispositif de ses conclusions d’appelant n°3, notifiées le 20 mars 2023, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens développés au soutien de ses prétentions, la société TME demande à la cour, au visa des articles 145, 493 et suivants et 700 du code de procédure civile et R. 153-3 du code de commerce, de :

– constater qu’elle justifie d’un motif légitime au sens de l’article 145 du code de procédure civile,

– constater que l’ordonnance n°2022-001400 rendue le 17 mai 2022 par le président du tribunal de commerce de Chalon sur Saône justifie de façon satisfaisante la nécessité de déroger au principe du contradictoire et que les mesures ordonnées sont admissibles,

– infirmer l’ordonnance dont appel sauf en ce qu’elle a dit qu’elle disposait :

. d’un faisceau d’indices rendant crédible un potentiel litige suffisamment précis en son objet à l’encontre de la société PEI,

. de faisceaux d’indices suffisants justifiant de l’existence d’un potentiel litige avec la société PEI,

Par conséquent,

– débouter la société PEI de l’intégralité de ses demandes, en ce compris ses demandes formulées à titre subsidiaire et à titre infiniment subsidiaire dans ses conclusions n°2,

– condamner la société PEI :

. aux entiers dépens,

. à lui payer la somme de 10 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Aux termes du dispositif de ses conclusions n°2, notifiées le 14 mars 2023, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens développés au soutien de ses prétentions, la société PEI demande à la cour, au visa des articles 145, 146, 493 et suivants et 874 et 875 du code de procédure civile et des articles 151-1 et R. 153-1 à R. 153-10 du code de commerce, de :

‘ confirmer l’ordonnance dont appel sauf en ce qu’elle l’a déboutée de sa demande en paiement de 15 000 euros de dommages-intérêts,

‘ statuant à nouveau sur ce point, condamner la société TME à lui payer 15 000 euros en réparation du préjudice causé,

‘ à titre subsidiaire, si l’ordonnance n’était pas rétractée, la modifier en autorisant l’huissier à ne rechercher et saisir que les seules pièces qui établiraient la détention des plans d’outillage litigieux, à savoir les moules de compactage n°2428 et les moules RTM n°2429 fabriqués par la société Cero le cas échéant avec sous-traitance à la société Ferry Captain,

‘ à titre infiniment subsidiaire, si l’ordonnance n’était ni rétractée, ni modifiée :

– ordonner le maintien des pièces saisies sous séquestre jusqu’à ce qu’une décision définitive soit intervenue,

– ordonner l’application des articles R. 153-3 à R. 153-10 du code de commerce,

– renvoyer l’affaire et fixer un calendrier permettant de faire application de ces textes en adéquation avec le volume des pièces saisies,

‘ en tout état de cause,

– débouter la société TME de toutes ses demandes, fins et conclusions,

– la condamner aux entiers dépens et à lui payer la somme de 6 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles d’appel.

Motivation

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Confirme les dispositions de l’ordonnance déférée :

– à compter de l’expression ‘En conséquence’,

– sauf celles relatives à l’astreinte,

Statuant à nouveau sur ce point,

Assortit la disposition ordonnant à la société Techni-Modul Engineering de restituer à la société Pinette Emidecau Industrie les pièces saisies, quels qu’en soient les supports, d’une astreinte de 200 euros par jour de retard, qui débutera à l’expiration d’un délai de quinze jours à compter de la signification du présent arrêt, pour une durée d’un mois,

Ajoutant,

Condamne la société Techni-Modul Engineering :

– aux dépens d’appel,

– à payer à la société Pinette Emidecau Industrie la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.

Le Greffier, Le Président

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