AFFAIRE PRUD’HOMALE
RAPPORTEUR
N° RG 20/01113 – N° Portalis DBVX-V-B7E-M3OB
[Y]
C/
Société DISTRIBUTION MATERIAUX BOIS PANNEAUX – D.M.B.P
APPEL D’UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de lyon
du 30 Janvier 2020
RG : 18/02444
COUR D’APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE A
ARRÊT DU 25 JANVIER 2023
APPELANT :
[A] [Y]
né le 09 Décembre 1960 à [Localité 6]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représenté par Me Dominique AROSIO, avocat au barreau de LYON
INTIMÉE :
Société DISTRIBUTION MATERIAUX BOIS PANNEAUX – D.M.B.P
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Romain LAFFLY de la SELARL LAFFLY & ASSOCIES – LEXAVOUE LYON, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant Me François HUBERT de la SAS VOLTAIRE, avocat au barreau de PARIS
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 14 Novembre 2022
Présidée par Nathalie ROCCI, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Morgane GARCES, Greffière.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
– Joëlle DOAT, présidente
– Nathalie ROCCI, conseiller
– Anne BRUNNER, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 25 Janvier 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Joëlle DOAT, Présidente et par Morgane GARCES, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Exposé du litige
********************
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
La société Distribution Matériaux Bois Panneaux (ci-après dénommée la Société DMBP), filiale du groupe Saint- Gobain, distribue et commercialise des produits issus du bois pour la construction et la décoration à destination des professionnels des métiers du bois.
La société Lebeau Fermetures a fusionné avec la Société DMBP le 30 novembre 2016. Par la suite, le 1er juillet 2017, les enseignes commerciales « Fabre » et « Lebeau » ont fusionné pour devenir une seule et même enseigne au sein de la Société « Fabre & Lebeau Menuiseries ».
L’enseigne « Fabre & Lebeau Menuiseries » est la référence de la distribution et du
parachèvement de portes et blocs-portes techniques.
Engagé au sein de la société Lebeau Fermetures dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée depuis le 8 octobre 1997, M.[Y] a été repris au sein de la Société DMBP à compter du 1er janvier 2014, et exerçait ses fonctions au sein de l’agence située à [Localité 5].
Au dernier état de la relation contractuelle, M. [Y] exerçait au sein de l’agence de [Localité 7], les fonctions d’Attaché Technico-Commercial Leader, statut Cadre, Niveau IV, échelon B, coefficient 380 de la Convention collective du négoce de matériaux de construction, moyennant un salaire forfaitaire mensuel de 4 200 euros outre un véhicule de fonction.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 15 novembre 2017, reçue le 23 novembre 2017, M.[Y] a été convoqué à un entretien préalable au licenciement, fixé à la date du 27 novembre 2017.
Toutefois, compte tenu de la tardiveté de l’envoi de la lettre, la Société DMBP lui a adressé une nouvelle lettre recommandée de convocation le 21 novembre 2017 pour un entretien préalable fixé au 12 décembre 2017.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 19 décembre 2017, M.[Y] a été licencié pour insuffisance professionnelle pour les motifs suivants :
‘(…)
1. Vos difficultés à collaborer avec les équipes internes et à organiser vos dossiers entraînant des interventions systématiques des autres salariés de l’agence, lassés de cette situation.
2. Vos élans d’humeur y compris à l’égard de nos fournisseurs, ce qui est totalement
inacceptable.
3. Votre attentisme dans la reconquête commerciale et votre carence en matière de visites
commerciales.
4. Vos agissements ont des conséquences sur votre chiffre d’affaires… »
Par acte du 6 août 2018, M. [Y] a saisi le Conseil de prud’hommes de Lyon des demandes suivantes :
– « indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 78 041 euros
– dommages et intérêts pour rupture abusive : 3 000 euros
– commissions : 2 394 euros
– indemnités de congés payés sur commission : 293,40 euros
– article 700 du code de procédure civile : 2 500 euros
– exécution provisoire
– intérêts au taux légal ».
Par jugement rendu le 30 janvier 2020 , le conseil de prud’hommes de Lyon a :
« Dit et jugé que la procédure de licenciement engagée à l’encontre de M.[Y] est régulière,
Dit et jugé que le licenciement de M. [Y] pour insuffisance professionnelle est fondé,
Dit et jugé que M. [Y] est fondé à demander le paiement des indemnités de préavis et les congés payés afférents sur la partie du salaire variable,
En conséquence,
Condamné la SAS Distribution Matériaux Bois Panneaux (D.M.B.P.) à verser à M. [Y] les sommes de :
* 1 273,50 euros au titre de l’indemnité de préavis sur salaire variable,
* 127,35 euros au titre des congés payés afférents,
* 1 700 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Fixé le salaire mensuel moyen de M.[Y] à 4 237 euros
Débouté M. [Y] de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Débouté M. [Y] de sa demande de dommages- intérêts pour préjudice moral,
Débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
Condamné la SAS Distribution Matériaux Bois Panneaux aux entiers dépens ».
La cour est saisie de l’appel interjeté le 12 février 2020 par M. [Y].
Moyens
Motivation
MOTIFS
– Sur le licenciement :
Il résulte des articles L.1232-1 et L.1232-6 du code du travail que le licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse et résulte d’une lettre de licenciement qui en énonce les motifs.
En vertu de l’article L.1235-1 du code du travail, le juge à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure de licenciement suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.
La lettre de licenciement fixe les limites du litige.
En l’espèce, il ressort de la lettre de licenciement dont les termes ont été restitués ci-dessus que la société DMBP a licencié M. [Y] pour cause réelle et sérieuse en invoquant :
1°) des carences professionnelles relatives à la collaboration avec les équipes internes et à l’organisation de ses dossiers par la transmission de dossiers incomplets à ses collègues, rendant la réalisation d’offres, la saisie de commandes et le suivi des affaires plus long et plus complexe.
La société DMBP soutient que ces défaillances sont illustrées par plusieurs devis ou commandes :
* le devis n°D110103 du 27 septembre 2017 réalisé pour le client Plac-Froce ( devis initial incomplet) ;
*la commande n°C120001 du 28 novembre 2017 pour le client les Salles Matériaux, chiffrée sans prise en compte des frais de port ;
*le devis n°D105756 du 5 décembre 2016 établi pour le client SA Patru, incomplet, notamment quant à l’intitulé du produit ;
*le devis n°D107757 du 14 avril 2017 établi pour le lient SARL BLB Constructions, imprécis;
* une commande verbale le 31 octobre 2017 de trois serrures auprès du fournisseur Dierre;
* la commande du 27 octobre 2017 pour le client E3CV réalisée à la main en urgence alors que toutes les commandes doivent être saisies informatiquement dans le logiciel Vega.
La société DMBP ajoute que M. [Y] a transmis à plusieurs reprises, à ses collègues de travail, des litiges sans aucune explication et sans prise d’initiative quant à leur résolution alors que ces situations requièrent une attention particulière.
M. [Y] conteste la réalité de ces griefs. Il soutient d’une part, que le devis n°D110103 du 27 septembre 2017 réalisé pour le client Plac-Froce et la commande n°C120001 du 28 novembre 2017 pour le client les Salles Matériaux ne lui sont pas imputables mais sont le fait de M. [J].
Il soutient d’autre part que la commande des trois serrures porte sur une somme de 145,26 euros TTC, somme dérisoire pour justifier d’une insuffisance professionnelle.
En ce qui concerne le devis n°D107757 du 14 avril 2017 établi pour le client SARL BLB Constructions, M. [Y] fait valoir que ce devis n’est pas visé par la lettre de licenciement et que s’agissant d’un produit spécifique, soit une commande de panneaux et portes compactes pour réaliser des cabines de vestiaires, les magasiniers de la société DMBP n’étaient pas en charge de la préparation de cette commande adressée de façon spécifique au fabricant.
Enfin, M. [Y] oppose à la société DMBP l’absence de tout justificatif de la désorganisation du service invoquée, ainsi que le fait que l’ensemble de la force commerciale de la société a quitté l’entreprise en huit mois et après plus de vingt ans d’ancienneté.
M. [Y] verse aux débats des messages d’amitié de collègues de travail et des attestations de satisfaction de clients, destinés à démontrer qu’il accomplissait correctement son travail.
2°) des défaillances professionnelles dans le développement commercial :
La société DMBP expose que :
– M. [Y] avait pour l’année 2017, un objectif de 1 600 visites clients ; qu’il ressort de l’extraction du logiciel Cloe qu’il n’en a effectué que 445, soit une moyenne de 37 visites mensuelles, alors que l’objectif était de 120 visites par mois en moyenne ;
– M. [Y] n’a visité que 50% de son portefeuille clients sur les 2ème et 3ème trimestres 2017.
– M. [Y] a eu une mauvaise gestion de son emploi du temps caractérisée par :
* sa présence au bureau supérieure à un jour par semaine, contrairement à ce qui avait été convenu, d’où le faible nombre de visites clients ;
* des tournées inopportunes visant une clientèle hors secteur, ou des clients attribués à ses collègues de travail, notamment ;
– certains clients ont fait part de leur mécontentement, allant même jusqu’à refuser de travailler avec M. [Y]: la société DMBP cite les sociétés Peinture lyonnaise, ERB, Jacques Menuiserie, Docterre, SFIC Clermont ;
– la société a dû gérer en interne les devis et commandes de clients négligés par M. [Y] tels que les sociétés Logis Services, Finibat, Vaillance/Eurogal ou encore Akpinar ;
– le chiffre d’affaires de M. [Y] au cours des dernières années n’a cessé de chuter, soit un recul de 21% en 2014, de 3% en 2015, de 27% en 2016 et de 4% en 2017, alors que le chiffre d’affaires de l’agence a augmenté de 8% en 2017 et de 9% en 2018.
M. [Y] conteste l’insatisfaction des clients dont les attestations qu’il produit révèlent d’une part qu’ils ont toujours été satisfaits de son travail, d’autre part, qu’ils sont partis à la concurrence pour des raisons tenant à la qualité du service de la société.
En ce qui concerne la baisse de son chiffre d’affaires, M. [Y] fait observer qu’il a été en arrêt maladie pendant plusieurs semaines et que l’employeur qui procède à une comparaison avec le chiffre d’affaires supérieur de M. [Z] ne fournit pas d’éléments de comparaison en termes de contrat, de tarification, de remises complémentaires.
3°) Des élans d’humeur incompatibles avec l’exercice de ses fonctions, grief fondé sur les observations de deux clients, objet des pièces n°13 et 14 de l’employeur.
M. [Y] fait valoir que les courriels de fournisseurs versés pour illustrer ces élans d’humeur sont datés de juillet et novembre 2017, soit des périodes au cours desquelles il était en arrêt maladie en raison de la pression qu’il subissait de la part de son employeur.
De façon plus générale, M. [Y] fait valoir qu’il occupait des fonctions de commercial depuis 1997, qu’il a toujours été un excellent vendeur, avec des primes de résultat importantes; qu’il lui a été reproché de mal utiliser l’outil informatique (Vega-Cloe), ce qui est insuffisant à justifier une insuffisance professionnelle et ce d’autant plus que les formations qui lui ont été dispensées ont été des plus réduites.
****
1°) En ce qui concerne la mauvaise collaboration avec les équipes et la transmission de dossiers incomplets, la société DMBP produit en pièces n°10, 11, 12, 22 et 23 des devis, commandes, ou factures attribués à [A] [Y], documents annotés de façon manuscrite avec, par exemple, les mentions suivantes: ‘Prix à revoir’, ‘manque d’info pour une offre de ce montant’, ‘ manque frais de transport ds les pris d’achat’, ‘commandé au fournisseur en direct sans faire de commande K’.
Outre le fait que ces mentions manuscrites ne constituent pas des éléments objectifs de nature à caractériser des manquements professionnels dans l’élaboration des devis, commandes ou factures, la cour observe que l’essentiel de ces documents porte sur une période extrêmement courte, soit le dernier trimestre de l’année 2017, période qui précède de façon immédiate la notification du licenciement, le 19 décembre 2017.
Or, l’insuffisance professionnelle s’apprécie en tenant compte, notamment, de l’ancienneté du salarié, de sa progression dans l’entreprise, des augmentations de salaire allouées, de l’existence ou non de constats d’insuffisance déjà effectués par l’employeur, et en l’espèce, la société DMBP ne justifie d’aucun constat d’insuffisance au cours d’une relation contractuelle de vingt ans, avant l’entretien annuel du 9 février 2017.
Enfin, la société DMBP soutient qu’elle a été contrainte de modifier l’organisation interne de l’agence de [Localité 5] en raison des carences de M. [Y] et qu’elle a ainsi :
– d’une part, affecté le binôme de M. [Y], M. [S] [F], technico-commercial agence sur les dossiers de M. [Y] à 70% de son temps ;
– d’autre part, augmenté le temps de présence en agence de M. [P] [O], attaché technico-commercial, afin de compenser le manque d’implication de M. [Y] dans l’outil informatique Vega pour lequel il avait pourtant été formé.
Le jugement déféré retient qu’il n’est pas démenti par M. [Y] que ses insuffisances ont obligé l’employeur à procéder à une réorganisation interne en affectant un technico-commercial sur ses dossiers, mais la cour observe d’une part que M. [Y] conteste ce postulat ,qu’il oppose au contraire l’absence de toute preuve d’une désorganisation du service par sa faute, d’autre part, que la société DMBP ne produit à l’appui de cette assertion qu’un organigramme lapidaire qui ne révèle ni l’effectivité de cette réorganisation, ni la pertinence des motifs invoqués.
Il en résulte que l’employeur n’établit pas l’existence de carences professionnelles de M. [Y] relatives à la collaboration avec les équipes internes et à la transmission de dossiers incomplets à ses collègues, rendant la réalisation d’offres, la saisie de commandes et le suivi des affaires plus long et plus complexe.
2°) La société DMBP s’appuie sur l’entretien annuel réalisé le 9 février 2017 dont il ressort :
– une évaluation inférieure aux attentes dans plusieurs domaines : orientation/résultat, initiative et prise de risque, innovation, écoute et communication ;
– des forces : le réseau, la connaissance technique produits et un esprit de ‘revanche’ sur les clients perdus ;
– des axes d’amélioration : la recherche de prospects, la communication descendante, la qualité des dossiers, l’analyse et la gestion des litiges.
L’appréciation globale était libellée comme suit :
‘ La performance de [A] reste un soucis.
[A] a la volonté de reconquérir certains clients perdus ( pour x raisons)
Le travail en équipe doit s’améliorer, pour cela, une petite remise en cause est nécessaire’.
Un entretien de mi-année portant la date du 12 octobre 2017, concluait que M. [Y] était en dessous de l’objectif sur trois des objectifs: la progression du nombre de visites clients, la progression des prospects et le traitement rapide des litiges.
La société DMBP soutient que ces trois objectifs résultent de l’entretien contradictoire du 9 février 2017 et qu’ils ont été approuvés par le salarié, la mention ’employee approval’ qui figure à la fin du compte-rendu d’entretien signifiant que le collaborateur a validé le compte rendu dans le système informatique.
Cette approbation est contestée par le salarié et force est de constater que le compte-rendu d’entretien n’est signé ni par l’évaluateur, ni par le salarié et que la mention ’employee approval’ ne peut, en l’absence de tout autre document, suppléer l’absence de signature du salarié sur le compte rendu d’évaluation.
La cour observe en tout état de cause, que le document ne mentionne aucun objectif chiffré alors même qu’une rubrique intitulée ‘objectifs quantitatifs’ est prévue pour chacun des objectifs définis de façon littérale, et que faute d’éléments chiffrés, l’appréciation de l’atteinte des objectifs par le salarié apparaît aléatoire.
Concernant le faible nombre de visites clients tel qu’il résulte de l’exploitation de son agenda et l’objectif fixé par la direction de 120 visites mensuelles en moyenne, M. [Y] ne remet pas en cause la fiabilité des chiffres avancés par l’employeur, mais soutient que seul le chiffre d’affaires réalisé compte et qu’il a toujours réalisé le chiffre d’affaires demandé.
Sur ce point, d’une part, l’employeur ne produit que des éléments partiels tels que la pièce n°29 constituée d’extraits de l’état du portefeuille clients du salarié.
D’autre part, l’insuffisance de résultats ne peut, en soi, constituer une cause de licenciement et il appartient au juge de rechercher si les mauvais résultats reprochés au salarié procèdent de son insuffisance professionnelle, et d’apprécier les raisons de fait expliquant que ces objectifs n’ont pas été atteints.
Si la société DMBP impute les résultats en baisse à l’insuffisante prospection commerciale de M. [Y], le salarié produit pour sa part des documents révélant des difficultés structurelles de la société qui ont participé à la baisse des résultats.
Ainsi, par un courriel du 17 septembre 2016, M. [K], directeur de l’agence [Localité 6]-[Localité 5] annonçait à l’ensemble de son équipe un CA au 16 du mois, ‘plus que mauvais, nous ne sommes qu’à 37% de réalisation avec un objectif mensuel de 415 Keuros’ et sollicitait une relances des devis et des visites clients pour engranger de la commande. Il annonçait également des délais d’atelier passés à environ 8 à 10 jours au lieu des ’48 heures’ annoncés dans le catalogue.
Par un courriel du 28 octobre 2016, M. [I], directeur d’enseigne annonçait des mois à venir compliqués, un chiffre qui n’était pas à la hauteur des attentes, ainsi qu’une nouvelle organisation pour les trois prochains mois dans le but, notamment, de redonner du crédit à la société auprès des clients.
Dans le cadre de cette nouvelle organisation, il était prévu, en ce qui concerne M. [Y], qu’il vienne renforcer, en agence, le lundi, le mardi et le vendredi, les salariés chargés à temps plein de la saisie des devis et des commandes, du téléphone et du planning de l’atelier.
Il résulte en outre d’un échange de courriels entre M. [Y] et M. [I] au cours du mois de juillet 2016, que le salarié avait déjà été appelé, dans le cadre d’une organisation provisoire, à venir renforcer le service chargé de saisir les devis et que le salarié s’était d’ailleurs, à cette occasion, inquiété du fait que ce travail administratif empiète sur son activité de commercial de terrain dont dépend une partie de son salaire.
Interrogeant le directeur d’enseigne sur les modalités envisagées pour compenser cette perte de temps auprès des clients, M. [Y] avait reçu la réponse suivante :
‘ Suite à notre discussion, cette organisation provisoire est nécessaire pour l’agence.
Les devis et les relances restent un acte de commerce essentiel pour l’agence et ton portefeuille.
Concernant les visites clients, à ce jour, nous ne recevons toujours pas ton planning et comptes rendus de visites hebdomadaires.’
Il en résulte que le recul de 27% du chiffre d’affaires de M. [Y] en 2016 s’explique au moins partiellement par cette réorganisation réduisant de fait la prospection commerciale sur le terrain. L’employeur n’est, dans ces conditions, pas fondé à reprocher à M. [Y] une mauvaise organisation de son emploi du temps et notamment de passer trop de temps en agence, ni à lui reprocher une baisse de résultats sur laquelle les modifications de l’organisation générale de l’agence ont agi sans que la société DMBP ne réponde à l’interpellation de M. [Y] sur les conséquences de cette organisation provisoire.
M. [Y] conteste par ailleurs ses mauvais résultats en produisant les résultats du ‘challenge Sillage’ sur quatre mois, communiqués par le directeur d’agence le 8 septembre 2017. Il s’agit d’un challenge de vente lancé du 1er avril au 31 juillet 2017 pour relancer les ventes de châssis à galandage ‘Sillage’, avec un objectif minimum de 50 châssis facturés sur la période.
M. [Y] a été classé deuxième sur onze, avec 46 châssis vendus derrière le premier qui en a vendu 57.
Si la société DMBP souligne qu’il ne s’agit que d’une période de quatre mois et d’un seul produit, et que le salarié était en dessous du minimum de 50 châssis, ces précisions qui ne permettent pas de connaître la part de ce produit dans le chiffre d’affaires total, ne sont pas de nature à minimiser les mérites de M. [Y] sur ce produit au cours d’une période délicate pour le salarié, dés lors qu’il était sous le coup d’une évaluation soulignant un certain nombre de points faibles.
En ce qui concerne l’insatisfaction des clients, dont certains auraient refusé de travailler avec M. [Y], la société DMBP cite plusieurs sociétés clientes mais ne produit pour illustrer cette insatisfaction qu’un courriel de Mme [W] [L] de la société Cloisor du 2 novembre 2017 sollicitant le remplacement de deux portes abîmées et indiquant que le client est assez mécontent de cette prestation.
La cour observe que ce courriel porte sur un problème de fabrication, qu’il ne remet pas en cause la démarche commerciale de M. [Y] et ce dernier verse, pour sa part, aux débats plusieurs attestations de satisfaction de clients, apportant un témoignage contraire, telles que :
– celle de M. [X] [B], gérant de la société GT Peinture qui atteste avoir travaillé pendant plus de 20 ans avec [A] [Y] et avoir toujours été satisfait par son professionnalisme, son service et ses connaissances techniques et qui explique avoir ralenti son activité avec la maison Lebeau en raison des relations humaines et commerciales avec les nouveaux dirigeants; le fait que la société GT Peinture ait passé une nouvelle commande avec la société DMBP en septembre 2018 n’est pas de nature à invalider cette attestation ;
– celle de M. [G] [H], dirigeant de la société Peinture Lyonnaise exprimant son regret d’apprendre le départ de M. [Y] avec qui la société avait ouvert son compte auprès de la société Lebeau, et faisant état d’une collaboration dans la confiance et la sérénité ;
– celle de M. [U] [M], dirigeant de la société Menuiseries Jacques qui indique avoir toujours entretenu d’excellentes relations professionnelles avec M. [Y] depuis les années 2000 et ajoute: ‘ M. [Y] a toujours répondu avec un grand professionnalisme à nos demandes et attentes. Pour des raisons de services de la société Lebeau ( délai, fréquence livraison, prix), nous avons basculé partiellement notre activité chez un concurrent.
De plus le contact avec M. [C] [I] directeur nous a laissé une très mauvaise impression’. Et une fois encore, le fait que le chiffre d’affaires avec ce client soit resté stable après le départ de M. [Y] n’invalide en aucune façon l’appréciation favorable portée sur ce dernier par le client.
La société DMBP demande d’écarter, au visa de l’article 202 du code de procédure civile, un courrier de M. [X] [E], gérant de la société Renov Bat, du 4 décembre 2017, qui expose avoir renoncé à valider un devis proposé par M. [Y] fin avril 2017 en raison du refus de l’entreprise de lui fournir sous 48 heures des huisseries pour démarrer un chantier et qui ajoute : ‘J’ai travaillé par le passé avec [A] [Y] et je connais son professionnalisme, sa technicité et sa disponibilité pour son client’.
La cour observe qu’un devis de la société Lebeau au bénéfice de la société Renov Bat est annexé à ce courrier, qu’il est acquis que la société Renov Bat est cliente de la société Lebeau, de sorte que ce courrier qui n’est pas rédigé dans les formes exigées par l’article 202 du code de procédure civile, présente cependant des garanties suffisantes pour constituer un témoignage à retenir dans le débat.
Il résulte de ces éléments que la société DMBP n’établit pas le refus de clients de travailler avec M. [Y], ni que la perte d’autres clients serait imputable à ce dernier et M. [Y] produit des éléments contraires.
Au terme des débats, la cour écarte les défaillances retenues par l’employeur dans le développement commercial.
3°) S’agissant de l’attitude de M. [Y] et de ses élans d’humeur déplacés, l’employeur verse aux débats :
– un courriel de Mme [V], responsable commercial de la société Media Fret, du 12 juillet 2017, relative à une difficulté d’enlèvement d’une palette de marchandises, laquelle se plaignait, à cette occasion, de la visite de ‘M. [D]’ (lire [Y]) venu mettre la pression à l’équipe. Mme [V] indiquait: ‘nous ne pouvons tolérer un tel comportement cavalier et qui de surcroît ne fait pas avancer le choses!’;
– un courriel de M. [R], responsable commercial de la société Dierre, du 14 novembre 2017 au sujet d’une commande, lequel indiquait: ‘(…) M. [Y] m’a contacté ce matin pour se plaindre une fois de plus de l’incompétence et du je m’en foutisme de Dierre ( ce sont ces mots). Et c’est également cette mauvaise image de notre société qu’il fait circuler auprès (de) mes propres clients. (…) Bien conscient qu’il arrive parfois que nous fassions des erreurs, je ne peux pas toujours laisser passer de tels propos vis à vis de ma société surtout lorsque celle-ci n’est pas en cause et ce n’est pas la première fois (…)’
La société DMBP ajoute que le comportement impulsif et inapproprié de M. [Y] s’est à nouveau illustré lors de la tenue de l’entretien préalable le 11 décembre 2017, à l’occasion duquel ce dernier aurait jeté en direction de M. [J], son chef d’agence et manager, un document qu’il venait de lui présenter.
M. [Y] fait valoir en réponse qu’à ces dates, il était en arrêt maladie en raison de la pression qu’il subissait de son employeur et que ce dernier n’a tenu aucun compte des témoignages de satisfaction de clients.
Il en résulte que M. [Y] ne conteste nullement les différends survenus avec les deux clients sus-visés, Media Fret et Dierre, que ces différends révèlent, en l’absence de tout autre élément, des tensions ponctuelles et isolées dans la relation commerciale, sans conséquences sur la pérennité de cette relation avec ces sociétés, et sans que l’employeur n’ait au demeurant jugé utile de rappeler son salarié à l’ordre en temps utile, c’est-à-dire à la réception des messages sus-visés. Il ne s’agit donc pas d’éléments de nature à caractériser une insuffisance professionnelle.
Au terme des débats, l’insuffisance professionnelle n’est pas établie. Il s’ensuit que le licenciement de M. [Y] est dépourvu de cause réelle et sérieuse et le jugement entrepris doit être infirmé de ce chef.
– Sur les dommages-intérêts :
En application des dispositions de l’article L. 1235-3 nouveau du code du travail, étant précisé qu’il n’est pas contesté que l’effectif de l’entreprise est de plus de onze salariés, M. [Y], âgé de 56 ans lors de la rupture, et qui présente vingt années d’ancienneté, peut prétendre à une indemnité comprise entre 3 mois et 15,5 mois de salaire brut.
Compte tenu des circonstances de la rupture, de l’âge du salarié, de ce qu’il justifie avoir bénéficié d’un contrat d’appui au projet d’entreprise (CAPE) conclu avec la coopérative Elycoop pour la période du 23 avril 2018 au 30 septembre 2019, sans plus de précisions sur sa situation personnelle et professionnelle depuis cette date, la cour estime que le préjudice résultant pour ce dernier de la rupture doit être indemnisé par la somme de 75 000 euros, sur la base d’un salaire moyen mensuel de 5 035 euros par mois.
Le jugement qui a débouté M. [Y] de cette demande sera donc infirmé en ce sens et M. [Y] sera débouté de sa demande pour le surplus.
M. [Y] forme en outre une demande de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral résultant des conditions vexatoires du licenciement et invoque à ce titre la dégradation de son état de santé dont le licenciement serait l’aboutissement.
La cour observe que le licenciement de M. [Y] était fondé sur l’insuffisance professionnelle, que la question de la dégradation de l’état de santé du salarié en lien avec ses conditions de travail n’est pas dans le débat et que ce lien ne saurait, en tout état de cause, résulter des seules doléances du salarié confiées au médecin du travail ; que la dégradation des conditions de travail et les circonstances vexatoires du licenciement ne se confondent pas; enfin, M. [Y] n’invoque pas de circonstances vexatoires de son licenciement à l’appui de sa demande qui sera par conséquent rejetée et le jugement déféré confirmé sur ce point.
– Sur la demande de rappel d’indemnité compensatrice de préavis :
M. [Y] demande la confirmation du jugement déféré en ce qu’il a fait droit à la demande de rappel d’indemnité de préavis calculé sur la partie variable du salaire au visa de l’article
L. 1234-5 du code de travail.
La société DMBP s’oppose à cette demande en soutenant que M. [Y] ayant été dispensé de l’exécution de son préavis, il ne peut prétendre à un rappel d’indemnité de préavis sur salaire variable correspondant à la prime d’objectifs mensuels des ATC, laquelle est calculée en fonction de l’atteinte d’objectifs préalablement définis. La société DMBP demande en conséquence la condamnation de M. [Y] à lui restituer les sommes qui lui ont été versées au titre de l’exécution provisoire.
****
L’article L. 1234-5 du code du travail dispose que :
‘ Lorsque le salarié n’exécute pas le préavis, il a droit, sauf s’il a commis une faute grave, à une indemnité compensatrice.
L’inexécution du préavis, notamment en cas de dispense par l’employeur, n’entraîne aucune diminution des salaires et avantages que le salarié aurait perçus s’il avait accompli son travail jusqu’à l’expiration du préavi, indemnité de congés payés comprise.
L’indemnité compensatrice de préavis se cumule avec l’indemnité de licenciement et avec l’indemnité prévue à l’article L. 1235-2.’
Il résulte de l’application de ces dispositions que l’employeur ne peut priver le salarié du bénéfice de sa rémunération variable dés lors que le contrat de travail ne subordonne pas son versement à la présence du salarié pendant l’intégralité de l’exercice.
En l’espèce, le contrat de travail prévoit que M. [Y] bénéficie de la prime d’objectif ATC laquelle fait l’objet d’un document annexe. Il est précisé que: ‘La détermination des objectifs et les conditions d’attribution de ces primes seront réévaluées par les parties chaque année et feront l’objet d’un écrit. Elles ne seront pas tacitement reconductibles.’
En l’absence de toute autre précision, M. [Y] est fondé à solliciter que l’indemnité compensatrice de préavis prenne en compte la rémunération variable qui lui aurait été versée s’il avait exécuté son préavis.
La société DMBP, ne remettant pas en cause, même à titre subsidiaire, les bases de calcul du rappel sollicité par M. [Y], le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a condamné l’employeur à verser à M. [Y] la somme de 1 273, 50 euros à ce titre, outre la somme de 127, 35 euros de congés payés afférents.
– Sur le remboursement des indemnités de chômage :
En application de l’article L.1235-4 du code du travail, il convient d’ordonner d’office le remboursement par l’employeur aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de trois mois d’indemnisation.
– Sur les demandes accessoires :
Il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a mis à la charge de la société DMBP les dépens de première instance et en ce qu’il a alloué à M. [Y] une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La société DMBP, partie perdante au sens de l’article 696 du code de procédure civile, sera condamnée aux dépens d’appel.
L’équité et la situation économique respective des parties justifient qu’il soit fait application de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais en cause d’appel dans la mesure énoncée au dispositif.
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
Statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement
CONFIRME le jugement déféré sauf en ce qu’il a jugé que le licenciement de M. [Y] pour insuffisance professionnelle est fondé et en ce qu’il a débouté ce dernier de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
STATUANT à nouveau sur ces chefs et y ajoutant,
DIT que le licenciement notifié le 19 décembre 2017 par la société Distribution Matériaux Bois Panneaux est sans cause réelle et sérieuse
CONDAMNE la société Distribution Matériaux Bois Panneaux à payer à M. [Y] la somme de 75 000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant du licenciement sans cause réelle et sérieuse
ORDONNE d’office à la société Distribution Matériaux Bois Panneaux le remboursement à Pôle Emploi des indemnités de chômage versées à M. [Y] dans la limite de trois mois d’indemnisation,
CONDAMNE la société Distribution Matériaux Bois Panneaux à payer à M. [Y] la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d’appel,
CONDAMNE la société Distribution Matériaux Bois Panneaux aux dépens d’appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE