Décision du 24 novembre 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 22/00657

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ARRÊT DU

24 Novembre 2023

N° 1643/23

N° RG 22/00657 – N° Portalis DBVT-V-B7G-UIBN

MLBR/SL*PB

Jugement du

Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de LILLE

en date du

25 Mars 2022

(RG 17/00189 -section )

GROSSE :

Aux avocats

le 24 Novembre 2023

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

– Prud’Hommes-

APPELANTE :

SASU TEL AND COM

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Virginie LEVASSEUR, avocat au barrreau de DOUAI, assistée par Me Pascal GASTEBOIS, avocat au barreau de PARIS,

INTIMÉE :

Mme [I] [P]

[Adresse 3]

[Localité 4]

représentée par Me Mario CALIFANO, avocat au barreau de LILLE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Marie LE BRAS

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Alain MOUYSSET

: CONSEILLER

Patrick SENDRAL

: CONSEILLER

GREFFIER lors des débats : Valérie DOIZE

DÉBATS : à l’audience publique du 27 juin 2023

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 24 Novembre 2023,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Marie LE BRAS, Président et par Serge LAWECKI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 27 juin 2023

Exposé du litige

EXPOSÉ DU LITIGE’:

La SAS Tel and Com, filiale de la société Squadra, exerçait notamment une activité de vente de téléphones mobiles et de distribution de contrats d’abonnement en téléphonie mobile pour le compte des opérateurs Orange et Bouygues Telecom, principalement dans des boutiques situées en centre-ville et dans les galeries marchandes des centres commerciaux.

Elle formait, avec la société Squadra et la société L’Enfant d’Aujourd’hui, l’unité économique et sociale (UES) Tel and Com, la société Squadra étant elle-même détenue à 100 % par la société holding Sarto Finances, détenue par M. [D].

Courant 2012, suite notamment à l’arrivée d’un quatrième opérateur de téléphonie mobile sur le marché, l’intensité concurrentielle s’est accrue entre les différents opérateurs et a eu des répercussions sur le secteur de la distribution indépendante de services et produits de téléphonie mobile, des opérateurs se désengageant de leurs relations commerciales avec les distributeurs indépendants.

C’est dans ce contexte concurrentiel, les opérateurs Orange et Bouygues Telecom ayant résilié leur contrat de distribution avec la société Tel and Com, que cette dernière, qui disposait alors de 125 magasins situés sur l’ensemble du territoire français et comprenait 755 salariés répartis entre les magasins et le siège, a décidé au cours de l’année 2015 de mettre un terme à son activité de distribution de téléphonie mobile, accessoires et offre d’accès internet en fermant l’ensemble de ses points de vente en France.

L’UES Tel and Com a alors présenté aux représentants du personnel un plan de sauvegarde pour l’emploi (PSE) prévoyant la suppression de la quasi-totalité de son effectif soit :

* 716 emplois au sein de la société Tel and Com,

* 3 emplois au sein de la société L’Enfant d’Aujourd’hui,

* 1 emploi au sein de la société Squadra.

Suite à l’échec des négociations en vue de l’élaboration d’un accord majoritaire sur le projet de PSE, la direction a procédé à l’élaboration d’un document unilatéral fixant le contenu d’un plan de sauvegarde pour l’emploi (PSE 1).

Suite à l’homologation du plan le 18 mai 2015 par la DIRECCTE, la société Tel and Com a déclenché les procédures de licenciement des salariés concernés.

Par jugement du 14 octobre 2015, le tribunal administratif de Lille a toutefois annulé la décision d’homologation en raison de l’insuffisance des mesures du PSE 1, jugement qui sera par la suite confirmé par la cour administrative d’appel de Douai dans un arrêt du 11 février 2016.

Un nouveau plan de sauvegarde pour l’emploi a alors été élaboré et soumis à la DIRECCTE qui par décision du 3 février 2016, l’a homologué (PSE 2).

A l’exception de quelques ruptures conventionnelles antérieures, l’ensemble des contrats des salariés de l’UES Tel and Com a été rompu dans le cadre de ces deux PSE successifs.

S’agissant du PSE 2, le tribunal administratif de Lille a validé la décision d’homologation, jugement qui a été confirmé par un arrêt de la cour administrative d’appel de Douai rendu le 17 novembre 2016.

Les deux décisions de la cour administrative d’appel de Douai ont fait l’objet de pourvoi devant le Conseil d’État qui par 2 arrêts rendus le 7 février 2018 les a annulées puis réglant l’affaire au fond, a :

– par un premier arrêt du 24 octobre 2018, rejeté la requête présentée par la société Tel and Com devant la cour administrative d’appel pour contester le jugement du tribunal administratif en date du 14 octobre 2015 relativement au PSE 1,

– par un second arrêt du même jour, annulé le jugement du tribunal administratif rendu le 29 juin 2016 ainsi que la décision d’homologation de la DIRECCTE du 3 février 2016 concernant le PSE 2, en raison de l’omission faite par l’administration dans l’appréciation des moyens financiers dont disposait la société Sarto Finances, cette omission entachant d’illégalité la décision d’homologation.

En parallèle à ces contentieux administratifs, de nombreux salariés ont saisi les juridictions prud’homales afin de contester leur licenciement et obtenir diverses indemnités en lien avec l’exécution et la rupture de leur contrat de travail.

C’est notamment le cas de Mme [I] [P] qui occupait en dernier lieu les fonctions de directrice régionale. La société Tel and Com lui a notifié son licenciement dans le cadre du PSE 2. Mme [I] [P] ayant adhéré au contrat de sécurisation professionnelle, la rupture de son contrat de travail est intervenue le 27 mai 2016.

La salariée a saisi le conseil de prud’hommes de Lille par requête en date du 27 février 2017.

Par jugement du 25 mars 2022, le conseil de prud’hommes de Lille a’:

– révoqué le sursis à statuer prononcé le 2 avril 2021,

– constaté la nullité du PSE dont Mme [I] [P] a bénéficié sur le fondement de l’article L. 1235-16 du code du travail,

– condamné la société Tel and Com à payer à Mme [I] [P], sur la base d’un salaire moyen de référence des six derniers mois de 3000 euros, les sommes suivantes’:

*15864 euros à titre de dommages-intérêts,

*9000 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 900 euros au titre des congés payés y afférents,

– dit que Mme [I] [P] n’a pas été victime d’une situation de harcèlement moral de la part de son employeur et l’a débouté de sa demande de dommages-intérêts à ce titre,

– débouté Mme [I] [P] de sa demande de dommages-intérêts pour violation de l’obligation de résultat en matière de santé et de sécurité,

– débouté Mme [I] [P] de sa demande de dommages-intérêts pour inobservation des durées maximum de travail,

– débouté Mme [I] [P] de sa demande de rappel de salaire en suite de l’audit diligenté,

– débouté Mme [I] [P] de sa demande d’astreinte,

– condamné la société Tel and Com à payer à Mme [I] [P] la somme de 1 000 euros à titre d’indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– laissé à chacune des parties la charge de ses propres dépens,

– ordonné l’exécution provisoire de droit et a rejeté la demande d’exécution provisoire sur le fondement de l’article 515 du code de procédure civile,

– débouté les parties de toutes autres demandes.

Par déclaration reçue au greffe le 28 avril 2022, la société Tel and Com a relevé appel du jugement.

Moyens

Motivation

MOTIFS DE LA DÉCISION’:

– sur la révocation du sursis à statuer :

Il est constant que dans le cadre de la présente affaire, le conseil de prud’hommes, par un premier jugement du 2 avril 2021, a ordonné d’office qu’il soit sursis à statuer ‘jusqu’à la décision administrative définitive concernant le périmètre et les autres questions relatives à la validité du PSE’.

La société Tel and Com fait grief aux premiers juges d’avoir fait droit à la demande de révocation de ce sursis à statuer formulée par la salariée alors que celle-ci, qui ne tendait selon l’appelante qu’à critiquer le bien fondé de la décision initiale de sursis, relevait de la voie de l’appel et non, en l’absence d’élément nouveau, de la procédure de révocation.

Selon l’article 379 du code de procédure civile, le sursis à statuer ne dessaisit pas le juge qui peut, ‘selon les circonstances, révoquer le sursis ou en abréger le délai’.

Aussi, en constatant après avoir entendu les parties à ce sujet que les arrêts définitifs du Conseil d’Etat du 24 octobre 2018 avaient purgé tous les litiges administratifs concernant notamment le périmètre et les autres questions relatives à la validité du PSE, ce qui n’est d’ailleurs pas contesté par la société Tel and Com, les premiers juges, dans le strict respect des motifs du sursis ordonné, ont justifié de circonstances suffisantes pour le révoquer dans la mesure où celui-ci n’avait pas lieu d’être au jour où ils ont statué, aucun événement n’étant susceptible de survenir.

Il est peu important que la salariée ait préféré opter pour la procédure de révocation plutôt que celle de l’appel, ce que les textes ne prohibent pas, dès lors que les circonstances de l’affaire, même liées à des faits anciens, font manifestement apparaître que la mesure de sursis à statuer est sans objet et qu’il n’y a plus d’obstacle à ce qu’il soit statué sur le fond du litige.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a révoqué le sursis à statuer.

– sur le harcèlement moral :

Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Il résulte des dispositions de l’article L. 1154-1 du code du travail que pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ;

Peuvent caractériser un harcèlement moral dit managérial, les méthodes de gestion mises en ‘uvre par un supérieur hiérarchique dès lors qu’elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d’entraîner une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel .

En l’espèce, Mme [I] [P] fait grief aux premiers juges de ne pas avoir retenu l’existence d’un harcèlement moral à son égard. Elle considère au contraire apporter des éléments suffisants pour établir la matérialité de faits ayant participé au harcèlement dont elle se dit victime. Elle dénonce en substance les méthodes de gestion et de management également subies par d’autres directeurs régionaux, et plus précisément :

– un rythme quotidien de travail effréné, avec des sollicitations en permanence, également en soirée et au cours de ses jours de repos et dimanches, par courriels, à travers l’outil de discussion WhatsApp ou encore par l’intermédiaire de la messagerie ‘Instaply’ mise à la disposition des clients,

– des modifications fréquentes et souvent unilatérales des secteurs géographiques dont elle avait la charge, la contraignant à faire de nombreuses heures de route,

– une pression permanente sur les résultats avec ‘le top/flop assorti de bonnets d’âne’ diffusé hebdomadairement à l’ensemble des magasins ainsi qu’aux autres directeurs régionaux, outre des réunions et entretiens hebdomadaires avec la direction, des mails de suivi d’objectifs quasi quotidiens, et une pression plus importante encore, avec de nouveaux objectifs à atteindre lorsque la situation économique s’est tendue et qu’il a été décidé de lancer la commercialisation de détecteurs de fumée et de service de télé-surveillance,

– en juin 2014, l’organisation d’un séminaire ‘commando’ extrêmement traumatisant et humiliant,

– des instructions leur demandant d’adopter un management particulièrement ferme et contraires à ses valeurs à l’égard des responsables de magasin et vendeurs et également de leur mentir sur la fermeture programmée des magasins.

Il sera d’abord relevé que les attestations de collègues de Mme [I] [P], eux-même en litige avec la société Tel and Com, ne présentent pas suffisamment de garantie d’impartialité pour valoir preuve des faits dont ils attestent.

De manière générale, aucune des pièces produites par la salariée ne permet d’évaluer son temps de travail quotidien et hebdomadaire sachant que les temps de trajet ne constituent pas en soi des temps de travail effectif dès lors qu’il n’est pas établi que la salariée demeure à la disposition de son employeur ou réalise des tâches professionnelles pendant le trajet, et qu’il ne se déduit pas des mails et messages reçus parfois à des heures tardives ou le dimanche qu’elle y a immédiatement répondu, ceux relatifs au suivi d’activité n’attendant d’ailleurs pas de réponse.

Il n’est pas non plus matériellement établi à travers les pièces produites qu’il aurait été demandé à Mme [P] en particulier, de mentir aux salariés sur le devenir de la société, et de faire preuve à l’égard des salariés des magasins placés sous leur contrôle, d’une autorité et de méthodes de management qui aurait excédé l’exercice normal du pouvoir de direction hierarchique, dans un contexte qui doit être rappelé de fermeture de certains magasins, aucune pièce ne laissant transparaître qu’elle a fait part à l’époque de son opposition face à certaines pratiques qu’elle présente désormais comme contraires à ses valeurs.

Enfin, les pièces produites concernant le séminaire qualifié de ‘commando’ organisé en juin 2014, et plus particulièrement les clichés photographiques, ne laissent pas transparaître de scène humiliante ou traumatisante, un seul cliché illustrant notamment la tonte de cheveux d’un salarié qui apparaît au demeurant souriant, pratique qui n’a pas l’air d’avoir été imposée au vu de la coupe de cheveux d’autres salariés sur les autres photographies.

Il est en revanche établi par les pièces de Mme [P] la matérialité des faits suivants :

– Mme [P] établit à travers les mails de la direction qu’entre 2013 et novembre 2014, son secteur d’intervention a été étendu à plusieurs reprises et parfois de manière rapprochée unilatéralement par la société Tel and Com, avec l’ajout de plusieus magasins.

– L’ensemble des directeurs régionaux, en ce compris Mme [I] [P], étaient rendus destinataires au cours des années 2013/2014 plusieurs fois par semaine, voir quotidiennement en septembre 2014 quand a eu lieu le lancement de la commercialisation de dispositif de télé surveillance, de mails relativement au suivi des résultats et des objectifs à atteindre chaque semaine.

Il est établi qu’à partir d’octobre 2013 et ce pendant plusieurs mois, les ‘classements Top Flop’ des régions envoyés chaque semaine avec le détail des résultats de vente de chaque région affichaient l’image d’un bonnet d’âne pour celles figurant dans le classement des régions ‘Flop’. En outre, des commentaires figuraient sur certains envois, tels ‘bonnet d’âne spécial aux productivité en baisse malgré les objectifs du séminaire DR’, ‘dégringolade au classement..’, ‘remise du bonnet d’âne pour la dernière quizaine à..’, cette appréciation négative et ces classements étant de plus très largement diffusés à l’ensemble des directeurs régionaux mais également à plusieurs autres listes de diffusion.

A ces envois hebdomadaires, s’ajoutaient plusieurs fois par semaine des mails sur le suivi de certains objectifs à tous les directeurs régionaux et parfois à des listes de diffusion élargies, obéissant à la même méthode de communication, à savoir la mise en évidence de manière positive ou négative de régions ou magasins, avec des commentaires particulièrement culpabilisant pour ceux qui échouent comme ‘..il faut vite réagir, votre non action nous met tous en danger’, ‘magasins en alerte rouge…comment est-ce possible, ces performances sont inacceptables…merci aux DR concernés d’analyser la situation et de mettre en place les actions nécessaires pour un retour à la performance rapide’, ‘3 régions pénalisent l’entreprise’, ‘ce type de statistique est à bannir, elle met clairement en danger Tel and Com et ses 800 collaborateurs’, ‘Nos volumes baissent et malgré tout notre rigueur n’est toujours pas présente, Stop à ce laxisme, on va droit dans le mur si nous ne réagissons pas’.

– Il est également établi par les pièces de la salariée que celle-ci était connectée à la liste de discussion WhatsApp entre les cadres de l’entreprise, avec des messages reçus parfois tard le soir et le dimanche, ainsi qu’à l’application Instaply destinée à recevoir et répondre même en dehors des heures d’ouverture des magasins aux interrogations des clients en cas de réaction tardive des salariés des magasins situés dans son secteur.

Il convient d’ajouter que par un courrier produit aux débats et que la société Tel and Com reconnaît avoir reçu, Mme [I] [P] a dénoncé de manière circonstanciée la dégradations de ses conditions de travail et la mise en péril de son état de santé, alléguant d’un harcèlement.

Elle produit également des pièces médicales relatives à ses arrêts de travail entre décembre 2014 et juillet 2015 pour un syndrôme dépressif.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que certains faits allégués ne sont pas matériellement établis mais que ceux qui le sont, pris dans leur ensemble, complétés par les pièces médicales produites, permettent de présumer l’existence d’une situation de harcèlement moral.

En effet, les commentaires critiques ciblés particulièrement culpabilisant ou dénigrant à l’image des bonnets d’âne, très largement partagés par la direction de la société Tel and Com avec de nombreux destinataires d’une part, et l’existence de messageries instantanées fonctionnant de manière ininterrompue d’autre part, ont constitué des méthodes managériales susceptibles de générer une pression constante sur la salariée et ses homologues, pour tenter d’être à la hauteur de la réactivité exigée par la direction et de ne pas être à son tour l’objet d’une stigmatisation négative, une telle pression subie pendant de longs mois associée à l’extension en à peine quelques mois du nombre de magasins placés sous sa responsabilité et des distances à parcourir que cela implique pour animer le secteur, étant susceptible d’entraîner une dégradation des conditions de travail et de compromettre l’état de santé de la salariée.

La société Tel and Com, à qui incombe de démontrer par des éléments objectifs que les faits retenus comme matériellement établis, sont étrangers à toute situation de harcèlement moral, qualifie les griefs ‘de critiques d’ordre général et artificiels’ et fait valoir que la salariée ne démontre pas qu’elle était directement concernée par les faits qu’elle dénonce. Au vu de ce qui a été précédemment retenu, la salariée ayant été comme les autres directeurs régionaux destinataire de la plupart des mails et messages, ce moyen est inopérant pour renverser la présomption d’un harcèlement managérial.

La société Tel and Com explique aussi que l’utilisation des mails et applications de messagerie, notamment Instaply, n’entrainait pas un rythme de travail particulier contraire aux prévisions du contrat de travail, permettant simplement leur consultation pendant le temps de travail, l’application Instaply ayant même fait l’objet d’un avis favorable du comité d’entreprise. Toutefois, elle ne produit aucune pièce pour démontrer que les applications n’étaient pas consultées le soir ou le dimanche ou qu’elle avait donné des consignes en ce sens, alors pourtant que des messages et mails étaient envoyés à ces différents moments.

Par ailleurs, à supposer même que la salariée n’avait pas l’obligation de répondre ou de réagir immédiatement aux diverses sollicitations reçues à travers ces systèmes de communication, l’envoi des messages directement sur son téléphone a contribué à maintenir un lien permanent avec son activité professionnelle et de faire obstacle, même en l’absence de travail effectif, à une déconnexion totale lors des temps de repos.

En outre, la société Tel and Com ne donne aucune explication sur l’évolution importante entre mai 2023 et novembre 2014 du secteur attribué à Mme [P], sur les méthodes de management adoptées à l’égard de ses directeurs régionaux concernant le suivi des objectifs et la mise en place des classements ‘Top/Flop’ avec bonnets d’âne, dont elle prétend simplement que c’était humoristique et de courte durée.

Ces arguments sont cependant inopérants dans la mesure où ces classements ont été diffusés pendant plusieurs mois entre 2013 et 2014 et où, au delà d’une mise en concurrence légitime et raisonnable des équipes pour créer une émulation collective et favoriser l’activité commerciale de la société, cette pratique associée aux commentaires particulièrement critiques et culpabilisants visant certains salariés avec une large diffusion à d’autres destinataires, était au contraire stigmatisant pour ceux concernés et générateurs de pressions pour les autres, également destinataires et qui ne voulaient pas subir le même sort, tout ceci dans un contexte de forte pression pour atteindre les objectifs ciblés.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments qu’à défaut pour la société Tel and Com de démontrer par des éléments objectifs que les griefs retenus étaient étrangers à une situation de harcèlement moral, celle-ci sera considérée comme établie à l’égard de la salariée.

En réparation du préjudice moral qui en est résulté dont l’importance doit s’apprécier notamment au vu des pièces médicales produites et des pressions subies pendant plusieurs mois, il convient de condamner la société Tel and Com à lui verser une somme de 5 000 euros de dommages et intérêts. Le jugement sera infirmé en ce sens.

– sur le manquement à l’obligation de sécurité :

La salariée prétend que la société Tel and Com a manqué à son obligation de sécurité en ce qu’elle :

– n’a pas organisé les visites médicales dans le respect des dispositions légales,

– n’a organisé aucun entretien annuel sur sa charge de travail et l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, dans le cadre de l’application de la convention individuelle de forfait jours,

– n’a pris aucune mesure, notamment diligenté aucune enquête, après l’alerte faite par courrier sur ses conditions de travail et la dénonciation d’un harcèlement moral.

Elle sollicite une indemnité de 10 000 euros à ce titre.

Il sera d’abord relevé que la société Tel and Com ne prétend pas qu’elle n’était pas soumise à l’obligation d’organiser les visites médicales imposées par la loi et l’entretien annuel sur la charge de travail dans le cadre de l’exécution de la convention individuelle de forfait jours

Rappel étant fait que la preuve du respect de l’obligation de sécurité incombe à l’employeur, il convient de relever que la société Tel and Com ne justifie pas de l’organisation des visites médicales obligatoires à l’égard de Mme [P].

Par ailleurs, sauf à inverser la charge de la preuve, c’est à elle de démontrer qu’elle a procédé annuellement aux entretiens sur la charge de travail du salarié dans le cadre de l’exécution de la convention individuelle de forfait jours. Or, elle ne produit aucun élément sur ce point.

Enfin et surtout, comme évoqué plus haut, Mme [I] [P] a dénoncé par courrier la situation de harcèlement dont elle se prétendait victime, réclamant que soit diligentée une enquête afin de remédier à cette situation. Force est de constater que la société Tel and Com a attendu le 15 mai 2015, pour y répondre et annoncer qu’elle envisagerait de diligenter une enquête interne en lien avec le CHSCT à l’issu de l’arrêt maladie de la salariée.

Ainsi, alors qu’elle reconnaît elle-même avoir reçu dans le même temps, des courriers similaires d’autres cadres de l’entreprise, la société Tel and Com a mis plusieurs mois pour accuser réception du courrier de sa salariée qui exprimait pourtant sans équivoque une souffrance au travail, et n’a pris aucune mesure pour d’une part vérifier sans attendre la véracité des faits dénoncés et d’autre part, prendre si nécessaire des mesures afin d’y remédier et de favoriser le retour de Mme [I] [P] dans des conditions de travail satisfaisantes.

De manière générale, elle ne produit aucun document pour justifier des mesures prises en vertu de son obligation légale pour prévenir les situations de harcèlement moral au sein de la société.

Les manquements allégués sont ainsi établis, à défaut de preuve contraire apportée par l’employeur.

Celui-ci soutient que la salariée ne justifie pas du préjudice subi. Toutefois, le fait de ne pas avoir pu être protégé contre le harcèlement moral qu’elle a finalement subi, en raison des carences de la société Tel and Com dans la mise en oeuvre de mesures de suivi de l’état de santé et de la sécurité de la salariée ainsi que de mesures destinées à prévenir toute situation de harcèlement moral, suffit à caractériser son préjudice moral qu’il convient de réparer à hauteur de 1 000 euros de dommages et intérêts. Le jugement sera infirmé en ce sens.

– sur le non-respect de la durée légale du travail :

Mme [I] [P] dénonce le fait qu’elle a été amenée à travailler plus de 10 heures par jour, en raison notamment de ses longs déplacements pour assurer le contrôle des points de vente de son secteur, et demeurait joignable le samedi jusqu’à 21 heures puisque l’ensemble des magasins de sa région étaient ouverts le samedi. Elle prétend également qu’elle était constamment dérangée par son employeur, le soir et les week-ends ainsi que durant ses périodes de congés payés.

La société Tel and Com soulève la prescription de la demande de Mme [I] [P], sans développer aucun moyen au soutien de cette fin de non-recevoir.

Le moyen d’irrecevabilité tiré de la prescription ne peut donc prospérer.

En revanche, il sera relevé que la salariée était soumise à un système de forfait jours dont elle ne dénonce pas la licéité et bénéficiait ainsi d’une totale autonomie dans l’organisation de son travail et la répartition de son temps de travail.

Comme le fait valoir son employeur, elle n’apporte par ailleurs aucun élément sur les tâches qu’elle aurait accomplies au delà de 10 heures par jour ainsi que les week-ends, sachant que comme il a été dit plus haut, il ne se déduit pas des seuls mails et messages reçus parfois à des heures tardives ou le dimanche qu’elle y a répondu immédiatement, ceux relatifs au suivi d’activité n’attendant d’ailleurs pas de réponse.

L’employeur fait également valoir à raison que la salariée bénéficiait d’un véhicule pour un usage à la fois professionnel et personnel et qu’elle ne verse aux débats aucun élément tendant à établir qu’elle demeurait à la disposition de son employeur pendant les trajets entre son domicile et les points de vente et accomplissait pendant le trajet des tâches professionnelles.

Ainsi, à défaut d’élément précis apporté par la salariée pour étayer ses dires et permettre à l’employeur d’y répondre utilement, aucun dépassement des durées maximales de travail n’apparaît établi et le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté Mme [I] [P] de sa demande indemnitaire de ce chef.

– sur les demandes salariales en suite de l’audit :

Sur la base d’un audit de ses bulletins de salaire et documents de fin de contrat établi selon les dires du salarié par une société spécialisée, la salariée réclame diverses sommes détaillées dans ses conclusions.

Toutefois, la salariée ne produit pas les conclusions de cet audit pourtant annoncées en pièce 63 a et ne donne aucune explication sur l’absence de cette pièce dans son dossier de plaidoirie, en dépit d’une relance et demande d’explication de la cour par message RPVA du 15 novembre 2023 dont son conseil a régulièrement accusé réception. Par ailleurs, la salariée ne développe aucun moyen dans ses conclusions au soutien desdites demandes pour notamment préciser les manquements qu’aurait commis l’employeur dans le traitement de ses bulletins de salaire.

Il sera ajouté que les premiers juges ont à raison considéré qu’elle ne pouvait revendiquer un avantage en nature pour le véhicule mis à sa disposition conformément aux règles appliquées par l’URSSAF produites par l’employeur, dès lors qu’il n’est pas prétendu que la retenue sur salaire prévue dans le contrat de travail et ses avenants, contrairement à ce que soutient la salariée, était inférieure à la valeur réelle du véhicule, de sorte que la demande financière au titre de l’avantage en nature n’est pas établie.

Il convient pour l’ensemble de ces motifs de confirmer le jugement en ce qu’il a débouté Mme [P] de ses demandes au titre du supposé audit de ses bulletins de salaire.

– sur le licenciement :

Dans le cadre de son appel incident, la salariée fait d’abord grief aux premiers juges de ne pas avoir annulé la procédure de licenciement sur le fondement des articles L. 1235-10 et L. 1235-11 du code du travail au regard du motif selon elle retenu par les juridictions administratives pour annuler la décision d’homologation du PSE, avant de conclure à titre subsidiaire à l’application des dispositions de l’article L. 1235-16 du même code retenues par les premiers juges, en sollicitant cependant une indemnité supérieure à celle qui lui a été octroyée.

Pour sa part, la société Tel and Com conteste l’application de ces différentes dispositions.

Les dispositions de l’article L. 1235-11 du code du travail étant plus favorables au salarié que celles de l’article L. 1235-16 du même code, s’agissant du montant de l’indemnité minimale susceptible de lui être allouée, il convient d’abord d’examiner la demande de la salariée aux fins de nullité de son licenciement sur le fondement des premières dispositions précitées.

* sur la nullité du licenciement :

Selon l’article L. 1235-10 alinea 2 du code du travail, dans les entreprises d’au moins cinquante salariés, lorsque le projet de licenciement concerne au moins dix salariés dans une même période de trente jours, le licenciement intervenu en l’absence de toute décision relative à la validation ou à l’homologation ou alors qu’une décision négative a été rendue est nul.

En cas d’annulation d’une décision de validation mentionnée à l’article L. 1233-57-2 ou d’homologation mentionnée à l’article L. 1233-57-3 en raison d’une absence ou d’une insuffisance de plan de sauvegarde de l’emploi mentionné à l’article L. 1233-61, la procédure de licenciement est nulle.

Aux termes de l’article L. 1235-11 qui suit, lorsque le juge constate que le licenciement est intervenu alors que la procédure de licenciement est nulle, conformément aux dispositions des deux premiers alinéas de l’article L. 1235-10, il peut ordonner la poursuite du contrat de travail ou prononcer la nullité du licenciement et ordonner la réintégration du salarié à la demande de ce dernier, sauf si cette réintégration est devenue impossible, notamment du fait de la fermeture de l’établissement ou du site ou de l’absence d’emploi disponible.

Lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de son contrat de travail ou lorsque la réintégration est impossible, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur qui ne peut être inférieure aux salaires des douze derniers mois.

La salariée demande à la cour d’examiner la question de l’insuffisance des mesures du PSE et d’en tirer les conséquences au plan indemnitaire conformément aux dispositions précitées, en faisant valoir que si le Conseil d’Etat n’a pas été au bout de son raisonnement à ce sujet, suivant en cela le rapporteur public, il a cependant retenu que l’administration avait commis une erreur en ne prenant pas en compte les moyens financiers dont disposait la société holding Sarto Finances pour apprécier la suffisance des mesures du PSE.

Selon la salariée, il se déduit nécessairement du constat ainsi fait de la minoration du périmètre du groupe de moyens susceptible de participer au financement du PSE, une insuffisance de son contenu au regard des capacités financières de la société holding qui auraient permis de l’améliorer.

C’est cependant à raison que la société Tel and Com lui oppose que le contrôle de la suffisance du contenu du PSE, en ce compris le plan de reclassement, relève de la compétence exclusive des juridictions administratives conformément à l’article L. 1235-7-1 du code du travail, de sorte que la cour n’a pas le pouvoir de procéder à un tel examen.

Par ailleurs, aux termes de ses arrêts du 7 février 2018 et du 24 octobre 2018, le Conseil d’Etat a retenu’qu’il est constant que l’administration n’a pas tenu compte des moyens financiers dont disposait cette société Sarto Finances; qu’une telle omission a, par suite, entaché d’illégalité la décision d’homologation litigieuse du 18 mai 2015″, ajoutant ‘qu’il n’y a pas lieu dans une telle circonstance, de se prononcer sur le bien-fondé du moyen tiré du caractère insuffisant des mesures prévues par le plan de sauvegarde de l’emploi’.

Le Conseil d’Etat a ainsi fondé sa décision uniquement sur l’illégalité dont était entachée la décision d’homologation suite à l’omission faite par l’administration de prendre en compte les moyens financiers de la société holding Sarto Finances.

Il a en revanche expressément jugé qu’il n’y avait pas lieu de se prononcer sur le caractère insuffisant des mesures du PSE compte tenu de l’illégalité relevée, de sorte que la salariée ne peut soutenir qu’il se déduit des motifs de cet arrêt que le contenu de ce PSE a nécessairement été jugé insuffisant.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté la salariée de ses demandes sur le fondement des articles L. 1235-10 et L. 1235-11 du code du travail.

*sur l’application de l’article L. 1235-16 du code du travail :

La société Tel and Com fait grief au jugement d’avoir déclaré le licenciement de la salariée sans cause réelle et sérieuse et accueilli en partie les demandes financières subséquentes de celle-ci, en faisant application de l’article L. 1235-16 du code du travail.

Aux termes du dispositif de ses conclusions, elle soulève à titre principal l’irrecevabilité desdites demandes en raison de leur prescription, en faisant valoir qu’il s’agit de demandes nouvelles, d’une part sans lien direct avec la demande initiale fondée sur l’article L. 1235-10 du code du travail, et d’autre part formulées après le prononcé des arrêts du Conseil d’Etat, soit plus de 12 mois après la notification du licenciement de l’intéressé.

A titre subsidiaire, la société Tel and Com demande d’écarter l’application de l’article L. 1235-16 du code du travail en raison de son inconventionnalité in abstracto et in concreto, soutenant qu’il viole l’article 10 de la Convention n°158 de l’OIT, l’article 24 de la Charte Sociale Européenne, l’article 6 § 1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme et le protocole additionnel n°1 à la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales.

Rappelant qu’en l’espèce l’annulation de l’homologation du PSE résulte d’une erreur de droit de l’administration et non de sa faute, elle fait valoir en substance que :

– l’article L. 1235-16 conduit à la condamnation forfaitaire et automatique de l’employeur et à sa responsabilité de plein droit, sans rechercher s’il a commis une faute susceptible d’engager sa responsabilité et si la salariée justifie d’un quelconque préjudice, ce qui serait selon elle contraire au principe de responsabilité civile, ainsi qu’à l’exigence d’une ‘indemnisation adéquate’ posée par la Charte sociale européenne et la Convention n°158 de l’OIT, soulignant également qu’en l’espèce, une telle réparation serait disproportionnée, la salariée n’établissant pas par les pièces produites la réalité d’un préjudice équivalent à au moins 6 mois de salaire,

– par son caractère forfaitaire et la fixation d’un plancher indemnitaire, il porte une atteinte disproportionnée à son patrimoine non justifiée par la défense de l’intérêt général, et ce d’autant plus que la salariée ne démontre pas l’existence de son préjudice et qu’elle doit pour sa part faire face aux demandes similaires de nombreux salariés,

– l’automaticité de sa condamnation, alors que l’erreur est imputable à l’administration, et l’existence d’un plancher indemnitaire sont contraires au droit à un procès équitable et plus précisément au droit de se défendre pleinement, l’employeur devant répondre des carences de l’administration qui n’est pas partie à l’instance prud’homale et dont la responsabilité ne peut être actionnée que dans des conditions particulièrement strictes, ce qui crée un déséquilibre défavorable à l’employeur.

Sur ce,

L’article L.1235-16 dans sa version applicable à l’espèce dispose que l’annulation de la décision de validation mentionnée à l’article L. 1233-57-2 ou d’homologation mentionnée à l’article L. 1233-57-3 pour un motif autre que celui mentionné au deuxième alinéa de l’article L. 1235-10 donne lieu, sous réserve de l’accord des parties, à la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. A défaut, le salarié a droit à une indemnité à la charge de l’employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. Elle est due sans préjudice de l’indemnité de licenciement prévue à l’article L. 1234-9.

Au regard du motif retenu par le Conseil d’Etat, distinct de l’insuffisance du contenu du PSE, cet article trouve à s’appliquer au cas d’espèce.

* sur la prescription des demandes de la salariée fondées sur ces dispositions :

Ainsi que le fait justement valoir la société Tel and Com, le délai de prescription de douze mois prévu par l’article L. 1235-7 du code du travail dans sa version issue de la loi du 14 juin 2013, qui concerne les contestations relevant de la compétence du juge judiciaire telles que celles fondées sur l’article L.1235-11 mais également sur l’article L. 1235-16 du code du travail, court à compter de la notification du licenciement.

Il est acquis aux débats que la salariée a saisi le conseil de prud’hommes dans l’année ayant suivi son licenciement mais qu’elle a formulé ses demandes fondées sur l’article L. 1235-16 précité, après le prononcé de l’arrêt du Conseil d’Etat du 24 octobre 2018.

Toutefois, ces demandes additionnelles ont la même cause, à savoir la rupture du même contrat de travail, et le même objet, la contestation de la validité de son licenciement et surtout la réparation du préjudice causé par la perte injustifiée de son emploi, que ses prétentions initiales fondées sur l’article L.1235-11 avec lesquelles elles présentent dès lors un lien suffisant au sens de l’article 70 du code de procédure civile.

Ainsi, sans qu’il soit même nécessaire d’appliquer la règle de l’unicité de l’instance, l’interruption de la prescription au titre de la demande initiale et dont les effets perdurent jusqu’à l’extinction de l’instance conformément à l’article 2242 du code civil, s’est étendue aux demandes additionnelles de la salariée sur le fondement de l’article L. 1235-16 qui ont le même objet et tendent aux mêmes fins que la première.

Le moyen d’irrecevabilité tiré de la prescription sera en conséquence rejeté.

* sur la conventionnalité de l’article L. 1235-16 du code du travail :

Sont tout d’abord inopérants les moyens tirés de la violation de l’article 24 de la Charte Sociale Européenne dès lors que celle-ci n’a pas d’effet direct dans les litiges entre particuliers, sa mise en oeuvre en droit interne nécessitant que soient pris des actes complémentaires d’application. Son invocation ne peut donc conduire à écarter l’application des dispositions de l’article L. 1235-16 du code du travail.

Il ressort par ailleurs des termes de l’article L. 1235-16 du code du travail que cette disposition a pour objet d’assurer aux salariés une indemnisation minimale de la perte injustifiée de leur emploi en cas de licenciement non suivi de réintégration.

En effet, en son premier alinea, cette disposition prévoit que l’annulation de la décision d’homologation donne d’abord lieu, ‘sous réserve de l’accord des parties, à la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis’. Ce n’est qu’à défaut d’une telle réintégration par l’employeur que le salarié a droit à un indemnisation minimale de 6 mois de salaire.

Cette indemnisation constitue en réalité en vertu de la protection du droit de chaque salarié à obtenir un emploi, une compensation minimale de l’impossibilité pour le salarié de pouvoir poursuivre la relation de travail dans le cadre d’une réintégration et bénéficier des droits qu’il avait acquis.

Elle ne constitue ainsi nullement une sanction de l’employeur et procède d’une conciliation équilibrée entre la protection du droit de chaque salarié à obtenir un emploi et le principe de responsabilité, de sorte que sont inopérants les moyens tirés du caractère punitif de cette indemnisation, de l’absence de faute de l’employeur dans l’annulation de l’homologation du PSE et de l’absence de préjudice du salarié.

La fixation par le législateur d’un plancher d’indemnisation de 6 mois n’apparaît pas non plus contraire à l’exigence d’une indemnisation adéquate posée par l’article 10 de la convention n°158 de l’OIT, dès lors qu’il s’agit non pas d’une réparation ne tenant pas compte du préjudice réel du salarié, mais d’une protection minimale garantie au salarié en raison du préjudice que la perte injustifiée de son emploi, à défaut de réintégration, lui a nécessairement causé, à travers la perte de salaire et le temps, fût-il court, nécessaire pour retrouver un nouvel emploi, et ce quelle que soit son ancienneté, le juge conservant en revanche toute lattitude pour fixer ou pas une indemnité supérieure en fonction des éléments présentés par le salarié pour établir l’ampleur de son préjudice et des moyens de contestation de l’employeur.

Les dispositions de l’article L. 1235-16 du code du travail qui garantit uniquement une protection minimale au salarié, étant ainsi compatibles avec la finalité d’une indemnisation adéquate posée par l’article 10 de la convention n°158 de l’OIT, le moyen fondé sur son inconventionnalité par rapport à cette norme internationale ne peut prospérer.

Sont dès lors également inopérants les moyens tirés de l’inconventionalité de son application au regard de l’article 10 de la convention de l’OIT, ce contrôle in concreto n’ayant pas lieu d’être puisque l’exigence d’une indemnisation adéquate est respectée, l’article L. 1235-16 du code du travail devant donc s’appliquer à tous dans les mêmes termes.

Au regard du droit pour l’employeur de discuter la demande indemnitaire du salarié devant le juge qui conserve un large pouvoir d’appréciation, et du recours parallèle ouvert à l’employeur pour engager la responsabilité de l’Etat devant les juridictions administratives du fait de l’illégalité de la décision d’homologation, il existe également une conciliation équilibrée entre la protection, à travers cette indemnisation minimale, du droit pour le salarié d’obtenir un emploi et le droit de l’employeur d’accéder à un juge, avec les garanties d’un procès équitable pour défendre ses intérêts.

Sont inopérants à ce titre les moyens tirés de l’absence de l’Etat au procès prud’homal et des conditions jugées restrictives par la société pour mettre en cause la responsabilité de l’Etat. En effet, l’objet du litige dont est saisie la cour sur le fondement de l’article L.1235-16 ne porte pas sur la question de la responsabilité de l’Etat dans l’annulation de l’homologation du PSE mais sur l’indemnisation du préjudice du salarié qui est résulté de la perte injustifiée de son emploi à défaut de réintégration par l’employeur, à la suite de cette annulation.

La société Tel and Com ne peut en outre dénoncer une atteinte au principe de sécurité juridique et à l’accès effectif au juge au seul motif que l’employeur n’a jamais la certitude que son recours parallèle contre l’Etat prospérera alors que les conditions de mise en oeuvre de la responsabilité de l’Etat sont clairement définies par la loi et de ce fait prévisibles, la société Tel and Com ayant d’ailleurs agi en ce sens devant le tribunal administratif de Lille.

La cour n’a au surplus pas le pouvoir d’examiner la conventionnalité, au regard du droit d’accès au juge, de la procédure de mise en jeu de la responsabilité de l’Etat dès lors que celle-ci relève du juge administratif.

Par ailleurs, il existe concrètement dans l’affaire en cause un juste équilibre entre le droit de propriété de la société Tel and Com au sens du protocole additionnel n°1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et la protection du droit pour la salariée d’obtenir un emploi.

En effet, l’indemnisation plancher équivalent à 6 mois de salaire prévue par l’article L.1235-16 du code du travail ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété de la société Tel and Com au regard du but poursuivi, compte tenu du préjudice qui est nécessairement résulté pour le salarié de la perte injustifiée de son emploi à travers la perte de salaire et le temps, fût-il court, nécessaire pour retrouver un emploi à défaut de réintégration, sachant qu’est inopérant le moyen tiré de l’existence des autres litiges opposant la société à des salariés, la conventionnalité de l’application de la règle et ce faisant, l’éventuelle disproportion de l’atteinte portée au droit de propriété de la société Tel and Com ne pouvant s’apprécier qu’au regard de l’affaire en cause.

La société Tel and Com prétend que la disproportion résulte de sa situation financière ‘nécessairement dégradée’ et fragilisée, rappelant qu’elle a définitivement cessé son activité de distribution en raison d’une modification de la structure du marché sur lequel elle évoluait.

Toutefois, sachant que la société existe toujours, aucun élément n’étant donné sur l’évolution de ses activités depuis l’arrêt de son activité de distribution de téléphonie mobile, la société Tel and Com ne précise pas explicitement les données financières qui établiraient que l’octroi d’une indemnité minimale de 6 mois de salaire porterait une atteinte disproportionnée à son patrimoine. Comme il a été dit plus haut, cette indemnisation plancher ne fait en outre pas obstacle, sur le recours de l’employeur, à la condamnation de l’Etat à réparer le préjudice résultant de l’illégalité de la décision d’homologation, la procèdure devant les juridictions administratives étant d’ailleurs toujours en cours.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments qu’aucun moyen avancé par la société Tel and Com pour dénoncer l’inconventionnalité in abstracto et in concreto de l’article L. 1235-16 du code du travail ne peut prospérer.

* sur les demandes financières de la salariée sur ce fondement :

L’employeur ne développant aucun autre moyen de contestation que ceux examinés plus haut, et la réintégration de la salariée étant en l’espèce impossible, la salariée est en revanche fondée à solliciter une indemnité sur le fondement de l’article L. 1235-16 du code du travail.

La salariée sollicite que l’indemnisation accordée par les premiers juges soit cependant portée à 12 mois de salaire sur la base d’un salaire moyen calculé sur 12 mois.

Au vu des bulletins de salaire produits, le jugement sera confirmé en ses dispositions fixant le salaire de référence sur la base des 6 derniers mois travaillés comme défini par l’article L. 1235-16 du code du travail.

Au regard de son ancienneté et des pièces produites concernant sa situation professionnelle postérieurement à la rupture de la relation de travail, il convient par voie d’infirmation de porter l’indemnisation à un montant de 29125 euros.

Le licenciement n’étant pas annulé et les sommes que la société Tel and Com entend voir déduire de l’indemnité susvisée, s’agissant uniquement du financement (pièce 26 de la société Tel and Com) des mesures d’accompagnement au reclassement, n’ayant pas le même objet que les dommages-intérêts réparant le préjudice résultant du caractère injustifié de la perte de l’emploi, il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de l’employeur de ce chef et le jugement sera infirmé en ce qu’il a déduit le montant du financement des mesures d’accompagnement de l’indemnité accordée à la salariée.

La salariée fait valoir à raison sur la base de ses bulletins de salaire, que l’assiette retenue par les premiers juges pour calculer l’indemnité compensatrice de préavis est erronée. Au vu du salaire moyen sur les 12 derniers mois travaillés avant son arrêt de travail en ce compris les primes, il convient par voie d’infirmation d’en porter le montant à la somme de 9930 euros, outre 993 euros de congés payés y afférents.

Il n’y a enfin pas lieu d’examiner la demande de la société Tel and Com au titre du remboursement des indemnités chômage, le conseil de prud’hommes ne l’ayant pas ordonné.

– sur les demandes accessoires :

En application de l’article 1231-7 du code civil, s’agissant des créances non salariales, il convient de faire courir les intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement de première instance et non de la saisine de la juridiction prud’homale comme demandé par la salariée.

Il sera fait droit à la demande de Mme [I] [P] tendant à la capitalisation des intérêts assortissant les condamnations pécuniaires, en application de l’article 1343-2 du code civil.

Par ailleurs, au vu de ce qui précède, le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.

La salariée ayant été accueillie en partie en ses demandes à hauteur d’appel, la société Tel and Com devra supporter les dépens d’appel.

Il est en outre inéquitable de laisser à Mme [I] [P] la charge des frais irrépétibles non compris dans les dépens exposés en appel. La société Tel and Com est condamnée en application de l’article 700 du code de procédure civile à lui verser à ce titre une indemnité de 700 euros.

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

La cour statuant par arrêt contradictoire,

CONFIRME le jugement entrepris en date du 25 mars 2022 à l’exception de celles constatant la nullité du Plan de sauvegarde de l’emploi, celles sur le montant des

dommages et intérêts alloués ainsi qu’en celles relatives au harcèlement moral, à l’obligation de sécurité, à l’indemnité compensatrice de préavis,

statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

REJETTE les moyen d’irrecevabilité tiré de la prescription ;

DIT n’y avoir lieu à constater l’annulation du PSE sur le fondement de l’article L. 1235-16 du code du travail ;

CONDAMNE la société Tel and Com à payer à Mme [I] [P] les sommes suivantes :

– 29125 euros sur le fondement de l’article L. 1235-16 du code du travail ;

– 5 000 euros de dommages et intérêts au titre du harcèlement moral,

– 1 000 euros de dommages et intérêts au titre du manquement à l’obligation de sécurité,

– 9930 euros d’indemnité compensatrice de préavis, outre 993 euros de congés payés y afférents,

DIT que cette condamnation a commencé à produire des intérêts de retard au taux légal à compter du prononcé du jugement de première instance ;

DIT qu’il sera fait application des dispositions de l’article 1343-2 du code civil relatives à la capitalisation des intérêts échus ;

CONDAMNE la société Tel and Com à payer à Mme [I] [P] une indemnité de 700 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d’appel ;

DÉBOUTE les parties du surplus de leur demande ;

DIT que la société Tel and Com supportera les dépens d’appel.

LE GREFFIER

S. LAWECKI

LE PRESIDENT

M. LE BRAS

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