Décision du 24 mai 2023 Cour d’appel de Bastia RG n° 21/00615

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Chambre civile

Section 2

ARRÊT N°

du 24 MAI 2023

N° RG 21/00615

N° Portalis DBVE-V-B7F-CBYX SM – C

Décision déférée à la Cour :

Jugement Au fond, origine Tribunal de Commerce d’AJACCIO, décision attaquée en date du 19 Juillet 2021, enregistrée sous le n°

S.A.S. TERRES DES NACRES

C/

S.A.R.L. C2C CORSE

Copies exécutoires délivrées aux avocats le

COUR D’APPEL DE BASTIA

CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU

VINGT-QUATRE MAI

DEUX-MILLE-VINGT-TROIS

APPELANTE :

S.A.S. TERRES DES NACRES

représentée par Maître [L] [G], mandataire judiciaire

[Adresse 4]

[Localité 1]

Représentée par Me Magali LIONS, avocate au barreau d’AJACCIO, Me Elis CARLOTTI, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMÉE :

S.A.R.L. C2C CORSE

prise en la personne de son gérant demeurant en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par Me Doumè FERRARI de la SELARL LIBERTAE-JURIS AVOCATS, avocat au barreau d’AJACCIO substitué par par Me Amanda VAILLIER de la SELARL LIBERTAE-JURIS AVOCATS, avocate au barreau d’AJACCIO plaidant en visioconférence

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 16 mars 2023, devant Stéphanie MOLIES, conseillère, chargée du rapport, les avocats ne s’y étant pas opposés.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Jean-Jacques GILLAND, président de chambre

Judith DELTOUR, conseillère

Stéphanie MOLIES, conseillère

GREFFIER LORS DES DÉBATS :

Elorri FORT.

Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 24 mai 2023

ARRÊT :

Contradictoire,

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Jean-Jacques GILLAND, président de chambre, et par Vykhanda CHENG, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Exposé du litige

FAITS CONSTANTS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS :

La S.A.S.U. Terre des nacres exerçait une activité d’exploitation de gravières et sablières, extraction d’argiles et de kaolin.

Par décision du 29 janvier 2018, le tribunal de commerce d’Ajaccio a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l’égard de cette société.

Suivant ordonnance du 3 décembre 2019, le président du tribunal de commerce d’Ajaccio a enjoint la S.A.S.U. Terre des nacres de payer à la S.A.R.L. C2C Corse la somme principale de 9 242 euros outre les dépens à hauteur de 35,21 euros.

Ladite ordonnance a été régulièrement signifiée à la S.A.S.U. Terre des nacres le 23 janvier 2020.

Par courrier enregistré au greffe le 14 février 2020, la S.A.S. Terre des nacres a formé opposition contre ladite ordonnance.

Par décision du 19 juillet 2021, le tribunal de commerce d’Ajaccio a :

– condamné la société Terre des nacres (S.A.S.U.) à payer à la société C2C Corse (S.A.R.L.) la somme de 9 242 euros,

– condamné la société Terre des nacres (S.A.S.U.) à payer à la société C2C Corse (S.A.R.L.) la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné la société Terre des nacres (S.A.S.U.) aux entiers dépens, y compris les frais de greffe s’élevant à la somme de 94,68 euros.

Suivant déclaration enregistrée le 20 août 2021, la S.A.S. Terre des nacres, représentée, a interjeté appel de la décision susvisée en ces termes :

‘Appel limité aux chefs de jugement expressément critiqués L’appel tend à l’annulation, à l’infirmation ou à la réformation de la décision susvisée en ce qu’elle a : – Condamné la société TERRE DES NACRES (SASU) à payer à la société C2C CORSE (SARL) la somme de 9.242 euros, – Condamné la société TERRE DES NACRES (SASU) à payer à la société C2C CORSE (SARL) la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, – Condamné la société TERRE DES NACRES (SASU) aux entiers dépens, y compris les frais de greffe s’élevant à la somme de 94,68 euros. Ainsi que l’ensemble des éléments, pièces et conclusions sur la base desquels le jugement a été rendu, Et statuant à nouveau : « DIRE ET JUGER l’opposition de la société TERRE DES NACRES recevable et bien fondée ; PRONONCER l’antériorité de la créance de la société C2C CORSE objet de l’injonction de payer par rapport à l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire de la société TERRE DES NACRES ; En conséquence, DECLARER irrecevable la procédure d’injonction de payer introduite par la société C2C CORSE à l’encontre de la société TERRE DES NACRES du fait de l’arrêt des poursuites individuelles ; REJETER l’intégralité des demandes, fins et conclusions de la société C2C CORSE ; CONDAMNER la société C2C CORSE à payer à la société TERRE DES NACRES la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens. » Bordereau de pièces sur lesquelles la demande est fondée.’

Par décision du 31 octobre 2022, le tribunal de commerce d’Ajaccio a prononcé la résolution du plan de redressement et la liquidation judiciaire de la S.A.S. Terre des nacres.

Moyens

Motivation

SUR CE

A titre liminaire, la cour rappelle qu’en application des dispositions de l’article 954 du code de procédure civile, elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et que les « dire et juger », « prendre ou donner acte » et les « constater » ne sont pas des prétentions en ce que ces demandes ne confèrent pas de droit à la partie qui les requiert hormis les cas prévus par la loi.

En conséquence, la cour ne statuera pas sur celles-ci, qui ne sont en réalité que le rappel des moyens invoqués.

La société appelante se prévaut de l’antériorité de la créance litigieuse pour affirmer que l’injonction de payer introduite par la société C2C postérieurement au jugement d’ouverture aurait dû être frappée par l’interdiction des poursuites individuelles.

Elle rappelle que la date de naissance d’une créance est son fait générateur et non la date de sa facturation et soutient que les créances relatives aux prestations qui ont été accomplies antérieurement à l’ouverture de la procédure collective doivent être déclarées au passif.

Elle affirme que, pour appartenir à la catégorie des créances postérieures privilégiées, la créance doit répondre à deux critères, à savoir être régulière et être utile à la procédure, et que ces deux critères ne seraient pas caractérisés en l’espèce.

Elle reproche aux premiers juge d’avoir adopté une motivation insuffisante et contraire aux dispositions de l’article L622-17 du code de commerce et à la charge de la preuve incombant au créancier.

Elle souligne à ce propos que l’intitulé ‘procédure judiciaire’ figurant sur la facture du 31 mars 2018 est rédigé en termes génériques et insuffisamment précis, qui ne sauraient permettre de déterminer avec précision et certitude la procédure et la période auxquelles il fait référence.

La société appelante estime que la société C2C Corse ne peut exiger qu’elle rapporte la preuve d’avoir subi une autre procédure judiciaire dès lors qu’il incombe au créancier de prouver à quelle procédure se rapportent les prestations réclamées.

Elle fait valoir par ailleurs que l’approbation des comptes annuels pour les exercices 2016 et 2017 ayant donné lieu à la facture du 31 décembre 2018 est une prestation qui aurait du être accomplie avant le 29 janvier 2018, date d’ouverture de la procédure de redressement judiciaire.

En toutes hypothèses, la société intimée ne démontrerait pas l’utilité de la créance née du dépôt des comptes au titre d’exercices antérieurs sur le déroulement de la procédure, alors que le dépôt de comptes annuels constitue une obligation légale nullement commandée par l’ouverture d’une procédure collective.

Elle entend contester le reste des factures dès lors qu’elles auraient trait à des prestations courantes liées une activité normale, indépendantes de l’ouverture de toute procédure collective.

Elle relève enfin que la preuve de l’accomplissement des diligences, permettant d’apprécier la réunion des critères de régularité et d’utilité d’une créance postérieure privilégiée n’est pas rapportée.

En réponse, la société intimée observe en premier lieu que la créance de la S.A.R.L. C2C Corse est de nature contractuelle et repose sur des factures impayées correspondant à des prestations s’étalant de mars 2018 à septembre 2019, soit postérieurement au jugement d’ouverture et pendant la période d’observation. Elle relève à ce propos que les créances nées de la continuation des contrats à exécution successive naissent au fur et à mesure de l’exécution du contrat.

Elle estime que la régularité de la créance ne peut être remise en cause dès lors que la société débitrice avait le pouvoir de mettre fin à sa relation contractuelle, ce qu’elle n’a pas fait ; elle ajoute qu’en décidant de poursuivre la relation contractuelle, l’appelante s’est engagée à régler ses honoraires à l’échéance.

Elle relève la concomitance existant entre la facture du 31 mars 2018 portant la mention ‘accompagnement et assistance à procédure judiciaire’ avec l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire le 29 janvier 2018 et souligne que l’appelante ne justifie d’aucune autre procédure judiciaire pour laquelle la S.A.R.L. C2C Corse serait intervenue.

La société intimée affirme que l’utilité de sa créance ne peut davantage être remise en cause dès lors que les obligations comptables sont lourdes pendant la période d’observation, notamment afin d’élaborer un plan de redressement.

Elle relève qu’en tout état de cause, l’article L622-17 du code de commerce ne fait pas de l’utilité un critère exclusif de la qualification de créances postérieures.

Elle reproche à la société appelante de dénaturer la lettre de l’article susvisé et d’omettre de mentionner que le texte prévoit également qu’une créance postérieure peut naître régulièrement après le jugement d’ouverture en contrepartie d’une prestation réalisée pendant cette période.

D’autre part, elle affirme qu’il était nécessaire de déposer les comptes des années précédentes, même tardivement, pour éviter une lourde sanction.

Elle fait par ailleurs valoir que le bilan comptable de l’année 2007 n’a pu être établi que le 14 novembre 2018, faute de communication antérieure des éléments comptables.

Plus généralement, elle estime absurde qu’une entreprise, de surcroît en difficulté et frappée par une procédure collective, fasse l’économie d’être accompagnée par un expert-comptable concernant la gestion de sa comptabilité, de la fiscalité et du personnel.

Elle soutient qu’en l’espèce, toutes les prestations contestées par l’appelante ont été réalisées postérieurement au jugement d’ouverture du 29 janvier 2018.

Elle qualifie l’appelante de mauvaise foi dès lors qu’elle a bénéficié d’une prestation de conseil, d’aide et d’assistance sans fournir de rémunération en contrepartie.

La société intimée souligne que, pour prononcer la liquidation judiciaire de la société appelante, le tribunal de commerce a considéré que la créance en cause était nouvelle et donc postérieure au jugement d’ouverture du redressement judiciaire, cette décision étant désormais définitive.

L’article L622-17-I du code de commerce, dans sa version applicable aux faits de l’espèce, dispose que les créances nées régulièrement après le jugement d’ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d’observation, ou en contrepartie d’une prestation fournie au débiteur pendant cette période, sont payées à leur échéance.

Il résulte de cette disposition que les conditions posées pour le paiement à leur échéance des créances postérieures sont alternatives et non cumulatives ; une créance postérieure peut en effet être payée à son échéance dès lors qu’elle est née en contrepartie d’une prestation fournie au débiteur après le jugement d’ouverture.

D’autre part, l’article L622-24 du même code distingue le fait générateur d’une créance de son exigibilité et distingue les créances antérieures, nées antérieurement au jugement d’ouverture, des créances postérieures.

Il prévoit par ailleurs que les créances nées régulièrement après le jugement d’ouverture, autres que celles mentionnées au I de l’article L622-17 sont soumises à déclaration.

Il est par ailleurs constant que la créance d’honoraires d’un expert-comptable prend naissance au fur et à mesure des prestations accomplies, s’agissant d’un contrat à exécution successive.

Au soutien de sa demande, la S.A.R.L. C2C Corse produit un extrait du compte de la S.A.S.U. Terre des nacres mentionnant différentes factures émises entre le 31 mars 2018 et le 30 septembre 2019 et faisant apparaître un solde débiteur de 9 242,20 euros à cette date ; elle verse également au débat les différentes factures ainsi émises.

La grande majorité des factures a trait au paiement d’un acompte pour les exercices comptables 2018 et 2019 ainsi qu’au paiement des frais de gestion administrative des salariés pour les périodes correspondantes.

Ces factures sont, par conséquent, relatives à des prestations fournies à la société débitrice postérieurement au jugement d’ouverture du 29 janvier 2018 et doivent, dès lors être analysées comme des créances postérieures entrant dans le champ d’application de l’article L622-17-I du code de commerce susvisé.

La société appelante conteste par ailleurs le caractère postérieur de la créance correspondant à la facture émise le 31 mars 2018 portant notamment les mentions ‘Comptabilité/fiscalité/conseils -Accompagnement et assistance à la procédure judiciaire – gestion administrative du personnel’.

Il sera toutefois relevé que ladite facture vise également la ‘gestion administrative des salariés pour le mois de février 2018″.

Il ressort de cette mention que la facture porte sur des prestations réalisées au mois de février 2018.

Dans ces conditions, à défaut de tout autre élément contraire, même si la notion de ‘procédure judiciaire’ est imprécise, il y a lieu d’adopter le raisonnement des premiers juges et de déduire de la proximité temporelle existant entre le jugement d’ouverture de la procédure de redressement judiciaire et la date de la facturation que la facture litigieuse se rapporte à l’accompagnement et l’assistance à la procédure collective et constitue donc, par nature, une créance postérieure.

En outre, il n’est pas allégué que les obligations comptables de la société débitrice pendant la période d’observation n’ont pas été respectées : cette facture tend donc à rémunérer une prestation fournie à la société débitrice après l’ouverture de la procédure collective et répond aux conditions posées par l’article L622-17-I du code de commerce pour obtenir un paiement à échéance.

Enfin, la facture émise le 31 décembre 2018 correspond à la rémunération du travail de la société d’expert-comptables en vue de l’approbation des comptes annuels relatifs aux exercices clos au 31 décembre 2016 et au 31 décembre 2017.

S’il est entendu que ces comptes auraient dû être approuvés à leur échéance et donc avant l’ouverture de la procédure collective, il résulte des extraits du bulletin officiel des annonces civiles et commerciales du 11 janvier 2019 versées au débat que lesdits comptes n’ont été déposés qu’à cette date.

Dans ces conditions, il est établi que cette facture correspond à des prestations qui ont été fournies après le jugement d’ouverture, même si elles se rapportent à des exercices antérieurs.

Sauf à poser une condition non prévue par la loi, la créance issue de cette facturation correspond donc à une créance postérieure répondant aux conditions posées par l’article L622-17-I du code de commerce pour un paiement à échéance, puisque la prestation a été réalisée après le jugement d’ouverture.

Au surplus, la société intimée verse au débat les échanges intervenus avec Me [G] en sa qualité de mandataire judiciaire portant sur la déclaration de créances postérieures pour un montant principal de 9 242 euros -caractère admis par les deux parties-, ainsi que le jugement contradictoire rendu le 31 octobre 2022 par le tribunal de commerce d’Ajaccio.

Or il résulte de cette décision que le tribunal a prononcé la résolution du plan de redressement et l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire après avoir constaté l’état de cessation des paiements de la société débitrice révélé notamment par l’existence de dettes nouvelles pour un montant total de 10 753,42 euros signalées par le groupe C2C et la D.G.F.P.

Cette décision, désormais définitive, a donc consacré le caractère postérieur des créances de la société intimée, sans contestation à ce titre de la part de la S.A.S.U. Terre des nacres.

Dans ces conditions, et à défaut de toute autre contestation, le jugement entrepris sera confirmé en toutes les dispositions déférées à la cour.

Sur les autres demandes

La S.A.S.U. Terre des nacres, qui succombe, sera condamnée au paiement des dépens.

D’autre part, il n’est pas équitable de laisser à la S.A.R.L. C2C Corse ses frais irrépétibles non compris dans les dépens ; la S.A.S.U. Terre des nacres sera donc condamnée à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

En revanche, la société appelante sera déboutée de sa demande présentée sur ce fondement.

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Confirme le jugement querellé en toutes les dispositions qui lui sont déférées,

Y ajoutant,

Condamne la S.A.S.U. Terre des nacres au paiement des dépens,

Condamne la S.A.S.U. Terre des nacres à payer à la S.A.R.L. C2C Corse la somme de

2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Déboute la S.A.S.U. Terre des nacres de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT

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