Décision du 17 mai 2023 Cour d’appel de Reims RG n° 22/00898

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Arrêt n° 369

du 17/05/2023

N° RG 22/00898 – N° Portalis DBVQ-V-B7G-FFLT

MLS/ACH

Formule exécutoire le :

à :

COUR D’APPEL DE REIMS

CHAMBRE SOCIALE

Arrêt du 17 mai 2023

APPELANTE :

d’une décision rendue le 25 mars 2022 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de REIMS, section COMMERCE (n° F20/00162)

S.A.S. TRANSDEV REIMS

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par la SCP DELVINCOURT – CAULIER-RICHARD – CASTELLO AVOCATS ASSOCIES, avocats au barreau de REIMS

Représentée par la AARPI NMCG AARPI, avocats au barreau de PARIS

INTIMÉ :

Monsieur [K] [V]

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représenté par la SELARL MCMB, avocat au barreau de REIMS

DÉBATS :

En audience publique, en application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 20 mars 2023, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Marie-Lisette SAUTRON, conseillère faisant fonction de président, et Madame Isabelle FALEUR, conseillère, chargées du rapport, qui en ont rendu compte à la cour dans son délibéré ; elle a été mise en délibéré au 17 mai 2023.

COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :

Madame Marie-Lisette SAUTRON, conseillère faisant fonction de président

Madame Marie-Laure BERTHELOT, conseillère

Madame Isabelle FALEUR, conseillère

GREFFIER lors des débats :

Madame Allison CORNU-HARROIS, greffière

ARRÊT :

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, et signé par Madame Marie-Lisette SAUTRON, conseillère faisant fonction de président, et Madame Allison CORNU-HARROIS, greffière , auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* * * * *

M. [K] [V], embauché depuis le 20 octobre 2008 par la SASU TRANSDEV Reims en qualité de conducteur receveur de bus, a, par requête du 2 mars 2020, saisi le conseil de prud’hommes de Reims d’une demande en paiement de dommages-intérêts en réparation de préjudices nés d’un harcèlement moral.

Par jugement du 25 mars 2022, le conseil de prud’hommes a condamné, sous le bénéfice de l’exécution provisoire, la SASU TRANSDEV Reims au paiement des sommes de 10 000,00 euros à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices nés du harcèlement moral dont a été victime M. [K] [V] et de 500,00 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Le 27 avril 2022, la SASU TRANSDEV Reims a interjeté appel du jugement en totalité.

La clôture a été prononcée le 24 octobre 2022 à 13h30.

Exposé du litige

EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Moyens

Motivation

MOTIFS DE LA DECISION

Le salarié qui allègue un harcèlement moral doit, en application des dispositions de l’article L 1154-1 du Code du travail en sa version applicable en l’espèce, présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement, étant rappelé que le harcèlement est défini par l’article L 1152-1 du Code précité comme tous agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Au vu de ces éléments, il incombe alors à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs de harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le conseil de prud’hommes a considéré que le salarié présentait des éléments susceptibles de faire présumer un harcèlement moral au regard des pièces présentées, sans motiver sa décision sur le point de savoir quelles pièces pouvaient caractériser quels éléments précisément décrits par le salarié. Ce faisant, le jugement manque en motivation.

En l’espèce, le salarié prétend qu’à la suite d’un accident intervenu le 20 avril 2017 entre le tramway qu’il conduisait et le bus conduit par un de ses collègues, son employeur s’est rendu coupable de harcèlement moral caractérisé par :

– un comportement accusateur et méprisant, contrastant avec la prise en charge bienveillante du conducteur du bus,

– un retrait de son habilitation à la conduite du tramway trois ans après l’accident,

– une absence de prise en charge pendant la durée de son arrêt de travail, notamment une absence de mise en ‘uvre de la garantie d’assurance,

– divers incidents émaillant la reprise de service, notamment l’affectation sur la ligne de bus où a eu lieu l’accident, la mise en absence injustifiée alors qu’il était en congés payés, des congés payés imposés par l’employeur, la notification de la fin de son mi-temps thérapeutique alors qu’il n’avait pas été revu par la médecine du travail, des remarques narquoises, l’obligation de passer des tests d’aptitude à la conduite qui ne sont imposés en principe qu’aux débutants ainsi que l’obligation de passer un bilan de compétences, l’organisation de visites médicales en dehors de ses heures de travail,

– une volonté de l’écarter, notamment par des mesures de licenciement refusées par l’inspection du travail en raison d’un climat de brimades,

– la communication de fausses informations pour l’accabler,

– le choix de ne pas financer sa défense devant le tribunal correctionnel au contraire de celle du responsable de l’accident,

– l’existence de malaises en lien avec le travail et plusieurs tentatives de suicide.

Il est établi notamment par les écritures concordantes des parties, par la décision de suspension de l’habilitation du salarié, par le jugement du tribunal correctionnel du 7 janvier 2019 et par le rapport final d’analyse d’accident établi par les transports publics de l’agglomération de Reims, que le 20 avril 2017 un accident de la circulation a impliqué le tramway conduit par Monsieur [K] [V] et le bus conduit par Monsieur [D] [M], également salarié de la société TRANSDEV.

Contrairement à ce que soutient M. [V], qui ne justifie pas les comportements et propos méprisants et stigmatisants qu’il allègue et qui auraient été tenus par les préposés de la société employeur intervenus immédiatement sur les lieux, l’employeur n’a pas eu un comportement plus bienveillant envers son collègue, chauffeur du bus. En témoigne le tract du syndicat CGT qui cite l’employeur, qui en octobre 2017, a tenu, selon ce syndicat, à dire et redire : « Il n’a jamais été question d’envisager une quelconque sanction disciplinaire pour le conducteur du tramway ». Ce tract rappelle d’ailleurs que seul le conducteur du bus a été visé par des sanctions disciplinaires dans les deux mois de l’accident, ce qui a d’ailleurs valu à l’employeur l’ire des syndicats défendant le conducteur de bus.

M. [V] quant à lui a fait l’objet d’un retrait d’habilitation à compter du 9 juin 2017 par décision de la commission d’habilitation qui figure à son dossier, et qui n’est pas une sanction disciplinaire, mais une mesure de sécurité.

À cet égard, le tract de la CGT rappelle que cette mesure est imposée à l’entreprise par un organisme d’État qui n’est autre que le STRMTG. Cette décision a été prise suite à une enquête ayant donné lieu à un rapport rédigé le 5 mai 2017, qui figure au dossier de l’employeur, et qu’il laisse voir que le salarié n’a pas freiné à l’approche du danger. Autrement dit, indépendamment de sa responsabilité pénale qui n’était pas engagée et qui relève d’un raisonnement distinct, la commission a retenu un manquement du salarié à la prudence. En revanche, il n’apparaît pas que cette décision, connue du salariée depuis le 29 septembre 2017 selon son courriel du 2 octobre 2017, lui ait été notifiée, alors que celui-ci prétend l’avoir reçu en mains propres le 7 février 2020. Il en ressort que le salarié avait connaissance de la décision de la commission en ignorant ses motifs. Toutefois, rien ne renseigne la cour sur l’identité de l’obligation de notification d’une décision prise par ladite commission.

L’affectation sur la ligne de bus où a eu lieu l’accident lors de la reprise du travail, l’organisation de visites médicales en dehors de ses heures de travail, ne sont pas contestées par l’employeur. Au demeurant, la reprise sur la ligne 4, près de deux années après l’accident, n’a pas fait l’objet d’une réserve par le médecin du travail. De plus, il a été écarté de cette ligne aussitôt qu’il en a fait la demande. Enfin, l’article R.4624-39 du code du travail permet l’organisation de visites médicales hors les heures de service à condition d’être rémunérées comme du travail effectif. Or, il n’est pas justifié que ces heures n’ont pas été rémunérées ni que M. [V] était le seul comme il le prétend à subir ce traitement.

Il n’est pas non plus contesté, et cela ressort d’échanges de courriels, que le salarié a dû subir des tests d’aptitude à la conduite et a reçu une proposition pour établir un bilan de compétences. À cet égard dans un courrier du 23 octobre 2017 adressé à l’employeur, le médecin du travail indique qu’il valide médicalement la capacité de conduire du salarié par rapport à son état de santé, mais que compte tenu des accidents dans lesquels a été impliqué le salarié, il appartenait à l’employeur de vérifier les capacités professionnelles avant la reprise.

L’absence de paiement de son salaire pendant une période où il a été considéré en absences injustifiées alors qu’il était en congés payés n’est pas établi. Au demeurant, le salarié n’en sollicite pas le paiement et ne verse pas aux débats le bulletin de paie correspondant. Il s’agit de la période postérieure au 20 décembre 2019, date à laquelle il a fait un malaise. Aucune pièce du dossier ne permet d’affirmer que celui-ci était en congé. Toutefois, la motivation du jugement du tribunal administratif statuant sur le recours exercé par l’employeur à l’encontre de la décision administrative acte que le salarié était en congé du 20 décembre au 29 décembre 2019.

L’employeur reconnaît que le salarié a été mis en congés une semaine en janvier 2019. En revanche, il ressort des échanges de courriers figurant au dossier du salarié comme de l’employeur que les congés pris en septembre et octobre 2019 l’ont été à la demande du salarié qui souhaitait pallier l’inconvénient de l’absence de prise en charge par la sécurité sociale de ses arrêts de travail. Ces problèmes de prise en charge ont généré un trop versé que l’employeur a récupéré en avril par une déduction de 992,91 euros sur le salaire. En même temps, l’employeur a accordé au salarié une avance sur salaire de 900,00 euros remboursables par échéances de 100,00 euros mensuels d’avril à décembre 2019.

La notification de la fin de son mi-temps thérapeutique le 15 février 2022 n’est pas contestée et ressort en tout état de cause des pièces du dossier notamment des échanges de SMS et du courrier daté du 27 janvier 2022. En réalité, il s’agit d’un courrier ayant pour objet « accompagnement reprise à temps plein » par lequel l’employeur informe le salarié que le temps partiel thérapeutique ne pourra être prolongé après le 22 février 2022 avec notamment copie au médecin du travail.

En fait, l’accident ci-dessus relaté a eu lieu le 20 avril 2017. Le salarié a été en arrêt de travail du 21 avril 2017 au 7 janvier 2019. Considéré comme consolidé au 3 décembre 2018, ses arrêts de travail à compter du 17 décembre 2018 n’étaient plus indemnisés mettant fin au maintien du salaire. Le 8 janvier 2019, il a repris à temps partiel thérapeutique. Le 26 février 2019, le médecin du travail a préconisé un temps partiel thérapeutique par demi-journée sur les bus. Les arrêts de travail n’étant pas indemnisés par la caisse de sécurité sociale, le salarié a été payé à temps partiel. Une reprise à temps plein a été décidée par le médecin du travail le 11 avril 2019, jusqu’au 30 septembre 2019 date à laquelle le médecin du travail a décidé d’une reprise à temps partiel. Face aux difficultés générées par les indemnisations, le salarié a réclamé de l’employeur la possibilité d’être mis en congés du 10 au 22 septembre 2019, outre des demi-journées de congé pour la période du 23 septembre au 13 octobre 2019, ce que l’employeur a accepté.

Par ailleurs le salarié a fait l’objet d’une procédure de licenciement en mars 2020, dont l’autorisation a été refusée par l’autorité administrative, laquelle a été confirmée par décision du tribunal administratif. À cette occasion, il a été acté que le salarié avait commis des fautes en ne justifiant pas son absence dans les 48 heures, et en insultant son supérieur hiérarchique. Toutefois, la gravité des fautes n’a pas été retenue de sorte que l’autorisation de licencier a été rejetée. En mai 2022, le salarié a de nouveau fait l’objet d’une procédure disciplinaire qui n’a pas débouché sur une sanction en raison d’un refus constaté de réaliser le trajet qui lui incombait en l’écourtant de sa propre initiative.

Enfin, il est établi que le salarié a fait un malaise le 20 décembre 2019, et le 15 février 2022 conduisant à une hospitalisation. En revanche, les tentatives de suicide qu’il évoque ne sont pas justifiées. Son dossier médical témoigne d’une véritable souffrance au point que le médecin du travail indique : « il me semble qu’il pourrait relever d’une thérapie comportementale pour l’aider à aborder les difficultés autrement et ne pas reproduire à l’avenir les mêmes schémas. Merci pour lui de votre soutien et d’arriver à lui faire comprendre que son comportement, certes lié à son anxiété n’est pas facilitateur. »

Les autres éléments que fait valoir le salarié ne sont pas établis.

Il ressort donc de ces éléments que Monsieur [V], a été victime d’un accident de la circulation le 20 avril 2017 impliquant le tramway qu’il conduisait et le bus conduit par un de ses collègues ; qu’il n’a pas subi de sanctions au contraire de son collègue, qui par ailleurs, a fait l’objet de poursuites pénales ; que son habilitation à la conduite des tramways lui a été définitivement retirée par décision qui lui a été notifiée tardivement, au terme d’une enquête qui a mis en lumière son manque de prudence dans la conduite de son engin, dans un contexte où cette habilitation avait déjà été suspendue l’année précédente en raison d’un autre accident ; qu’en arrêt de travail du 20 avril 2017 au 7 janvier 2019, il a repris son activité à temps partiel thérapeutique après avoir passé des tests d’aptitude imposés par l’employeur pour vérifier légitimement ses compétences professionnelles après plus d’un an d’arrêt consécutif à l’accident dans lequel il était impliqué, et après qu’il ait refusé un bilan de compétences qui lui a été proposé ; qu’il a été affecté sur la ligne concernée par l’accident d’avril 2017, le médecin du travail n’ayant pas fait de réserves à ce sujet ; qu’il a été écarté de cette ligne quand il en a exprimé le souhait; que l’employeur a cherché à lui notifier de manière anticipée la fin de son temps partiel thérapeutique avec copie au médecin du travail ; que des visites médicales avaient lieu hors de son temps de service ; qu’il a subi deux procédures disciplinaires qui n’ont pas abouti à la rupture du contrat de travail mais qui prenaient source dans de réelles fautes commises dans l’exercice de son travail ; que des congés lui ont été imposés ; que d’autres congés qu’il a sollicités pour éviter les effets d’une absence de prise en charge de ses arrêts maladie ont été acceptés par l’employeur ; que des baisses de salaire ont fait suite à la fin des prises en charge par la sécurité sociale de ses arrêts de travail ; que l’employeur a essayé d’en limiter les effets en lui faisant une avance sur salaire avec remboursement par tempérament ; qu’il a développé une réelle souffrance au travail.

Ces éléments pris dans leur ensemble ne sont pas de nature à faire présumer un harcèlement moral, nonobstant la réelle souffrance au travail de M. [V].

Par conséquent, c’est par une infirmation du jugement qu’il faut débouter le salarié de ses demandes de dommages-intérêts.

La complexité de la situation et le ressenti négatif du salarié à propos de ces conditions de travail, tel que décrit par le médecin du travail, excluent un abus de droit d’agir en justice de sorte qu’il faut débouter l’employeur de sa demande de dommages-intérêts à ce titre, nouvelle en cause d’ appel.

Le salarié succombe au sens de l’article 696 du code de procédure civile, il supportera donc les dépens de première instance et d’appel. Toutefois, l’équité commande de rejeter les demandes de remboursement des frais irrépétibles de première instance et d’appel.

Dispositif

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Infirme le jugement rendu le 25 mars 2022 par le conseil de prud’hommes de Reims en toutes ses dispositions soumises à la cour,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Déboute M. [K] [V] de sa demande de dommages-intérêts en réparation des préjudices nés d’un harcèlement moral et de ses demandes de remboursement de ses frais irrépétibles de première instance et d’appel,

Déboute la SASU TRANSDEV REIMS de sa demande de dommages et intérêts en réparation d’un préjudice né d’un abus de procédure et de ses demandes de remboursement de ses frais irrépétibles de première instance et d’appel,

Condamne M. [K] [V] aux dépens de première instance et d’appel.

La Greffière La Conseillère

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