COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 3-2
ARRÊT AU FOND
DU 17 MAI 2023
N° 2023/168
Rôle N° RG 22/03807 – N° Portalis DBVB-V-B7G-BJBKP
[T] [L]
[O] [U] ÉPOUSE [L]
C/
[B] [J]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Sarah GHASEM-JUPPEAUX
Me Pénélope BARGAIN,
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Commerce de GRASSE en date du 14 Février 2022 enregistré (e) au répertoire général sous le n° 2021J00083.
APPELANTS
Monsieur [T] [L]
né le [Date naissance 1] 1948 à [Localité 7], de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Sarah GHASEM-JUPPEAUX, avocat au barreau de GRASSE,
Madame [O] [U] ÉPOUSE [L]
née le [Date naissance 4] 1947 à [Localité 6], de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Sarah GHASEM-JUPPEAUX, avocat au barreau de GRASSE,
INTIME
Monsieur [B] [J]
né le [Date naissance 3] 1949, de nationalité française, demeurant [Adresse 5]
représenté par Me Pénélope BARGAIN, avocat au barreau de GRASSE, plaidant
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue le 08 Mars 2023 en audience publique. Conformément à l’article 804 du code de procédure civile, Madame Gwenael KEROMES, Présidente a fait un rapport oral de l’affaire à l’audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Gwenael KEROMES, Président de chambre, Magistrat rapporteur
Madame Muriel VASSAIL, Conseiller
Madame Agnès VADROT, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Chantal DESSI.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 17 Mai 2023.
MINISTERE PUBLIC :
Auquel l’affaire a été régulièrement communiquée.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 17 Mai 2023,
Signé par Madame Gwenael KEROMES, Président de chambre et Madame Chantal DESSI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Exposé du litige
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FAITS PROCEDURES ET PRETENTIONS DES PARTIES
Monsieur et Madame [L], propriétaires d’une maison individuelle sise [Adresse 2]) ont conclu un contrat avec la Sarl C.S.G aux fins de réaliser des travaux de rénovation de leur villa, comprenant notamment la réfection du revêtement du sol avec la pose de carrelage sur une chape liquide, pour un montant total hors taxes de 10.800,00 euros.
Les travaux de carrelage ont été réalisés fin mars/début avril 2011 et le montant de la totalité de la facture a été acquittée. En raison de désordres apparus, une expertise a été diligentée et, aux termes du rapport d’expertise, il ressort que l’origine des désordres consiste dans le non-respect des règles de l’art par la société C.S.G dans la mise en oeuvre ; les travaux de reprise nécessaires pour remédier aux désordres ont été évalués à la somme de 16.606 euros.
Les époux [L] ont saisi par assignation du 3 mai 2018 le tribunal de grande instance de Grasse aux fins d’obtenir le dédommagement du préjudice qu’ils ont subi.
Toutefois, les associés de la Sarl C.S.G. ont décidé le 31 mars 2018 de la dissolution anticipée de la société, entraînant sa liquidation amiable. Les opérations liées à la liquidation ont été clôturées le 31 mai 2018, et la société a été radiée du registre du commerce et des sociétés le 11 juin 2018.
A la requête des époux [L], le président du tribunal de commerce de Grasse a, par ordonnance du 17 septembre 2018 désigné la Selarl MJ Le fort en qualité de mandataire ad hoc chargé de représenter la SARL C.S.G dans l’action engagée par eux le 3 mai 2018.
Par jugement contradictoire du 2 novembre 2020 devenu définitif, le tribunal judiciaire de Grasse a condamné la Sarl C.S.G. à verser aux époux [L] la somme de 16 901,80 euros à titre de dommages et intérêts, ainsi que celle de 2500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Les condamnations prononcées n’ont jamais été réglées par la société et les époux [L] ont engagé la responsabilité du liquidateur.
Par jugement du 14 février 2022, le tribunal de commerce de Grasse a :
– déclaré Monsieur [B] [J] responsable en sa qualité de liquidateur amiable de la société C.S.G des erreurs commises lors des opérations de liquidation ;
– l’a condamné à payer aux époux [L] la somme de 16.606 euros au titre des travaux de reprise des désordres et ce, dans un délai de 24 mois maximum,
– a débouté les époux [L] de leur demande de paiement de la somme de 25.256,78 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice financier, de leur demande de paiement de la somme de 5.000 euros à titre de dommage et intérêts pour préjudice moral, de leur demande de paiement de la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive;
– a condamné Monsieur [B] [J] à payer aux époux [L] la somme de 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Les époux [L] ont fait appel par déclaration du 12 mars 2022.
M. [B] [J] a fait appel incident par conclusions déposées et notifiées le 1er juillet 2022.
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Moyens
Motivation
MOTIFS
1) Selon l’article L 237-12 du Code de Commerce le liquidateur est responsable, à l’égard tant de la société que des tiers, des conséquences dommageables des fautes par lui commises, dans l’exercice de ses fonctions.
Le liquidateur doit assurer un certain nombre d’opérations comptables et financières dans la perspective de la dissolution de la société et doit, en particulier, veiller à ce que cette liquidation ne soit pas faite au détriment des créanciers qui doivent être réglés de leur créance avant la clôture des opérations de liquidation amiable.
La liquidation amiable d’une société impose l’apurement intégral du passif, les créances litigieuses devant, jusqu’au terme des procédures en cours, être garanties par une provision, et en l’absence d’actif social suffisant pour répondre du montant des condamnations éventuellement prononcées à l’encontre de la société, il appartient au liquidateur de différer la clôture de la liquidation et de solliciter, le cas échéant, l’ouverture d’une procédure collective à l’égard de la société ;
En l’espèce, comme l’ont relevé à juste titre les premiers juges, l’expert judiciaire désigné avec mission de relever les désordres consécutifs à la pose du carrelage effectuée, a conduit les opérations d’expertise en présence des parties ou celles-ci dûment appelées et rendu son rapport le 8 mars 2018 dans lequel étaient identifiés les désordres et malfaçons, précisés les travaux de reprise desdits désordres ainsi que leur chiffrage, à hauteur de 16 606 euros.
M. [B] [J], en tant que représentant légal de la Sarl C.S.G. ne pouvait donc ignorer l’existence de cette expertise de même que le chiffrage des travaux de reprise des désordres tels que précisés et chiffrés par l’expert dans son rapport lorsque l’assemblée générale extraordinaire du 31 mars 2018 a décidé de la dissolution de la société et l’a nommé en tant que liquidateur ; de même il était informé de l’instance engagée par les époux [L] à l’encontre de la société C.S.G. suivant assignation du 3 mai 2018 lorsque l’assemblée générale extraordinaire de liquidation du 31 mai 2018 a approuvé le rapport sur les opérations de liquidation ainsi que le compte définitif qui en résultait, faisant ressortir un solde positif de 7 016 euros, décidé de la répartition du boni de liquidation et prononcé la clôture définitive de la liquidation de la Sarl C.S.G.
M. [B] [J] avait donc une parfaite connaissance de ce que la responsabilité de la société C.S.G. pouvait être engagée et de ce que les époux [L] étaient susceptibles de valoir une créance d’indemnisation à l’encontre de celle-ci, lorsqu’il a poursuivi les opérations de liquidation jusqu’à la clôture de celles-ci, sans attendre l’issue du litige, ni prévoir une provision suffisante dans l’attente d’une décision définitive sur le litige opposant la société C.S.G. aux époux [L].
C’est donc à juste titre que le tribunal de commerce a retenu la faute de M. [B] [J] en qualité de liquidateur amiable de la Sarl C.S.G. pour avoir clôturé prématurément les opérations de liquidation amiable, alors que le procès était encore en cours.
2) Les époux [L] invoquent la faute intentionnelle de M. [J], en ce que celui-ci se serait empressé après le dépôt du rapport d’expertise, de dissoudre et liquider la société C.S.G. dans l’intention de soustraire celle-ci à ses obligations et priver les époux [L] de la possibilité de recouvrer leur créance auprès de la société.
Outre le fait qu’une faute simple suffit à engager la responsabilité du liquidateur dans l’exercice de sa mission, et par conséquent l’obliger à réparer le préjudice découlant directement de cette faute, il ne ressort pas des faits de l’espèce comme des justificatifs produits que M. [B] [J] ait agi avec l’intention de nuire ou de causer un dommage aux époux [L].
A cet égard, les premiers juges, pour écarter la faute intentionnelle, ont relevé :
– que la situation financière de la société CSG s’était dégradée depuis 2015, au regard de la baisse constante du chiffre d’affaires ( CA net 2015 : 56 982 ; CA net 2017 : 21 358,43 euros) et des résultats négatifs de la société depuis 2015 jusqu’à 2017 (résultat 2015 : – 1,93 euros ; résultat 2016 : – 905,53 euros ; résultat 2017 : – 8 088,11 euros)
– que l’activité a été maintenue depuis le début de l’année 2018 pour assurer l’exécution des contrats en cours par le fils de M. [J], lui même auto entrepreneur, la société n’ayant plus de salariés et subissait au plus fort le handicap et l’incapacité médicale de M. [B] [J].
Par ailleurs, il n’est pas justifié par les appelants d’éléments constituant autant d’indices graves et concordants de nature à établir que M. [B] [J] aurait sciemment transféré sans contrepartie une partie de l’actif de la société C.S.G., notamment tout ou partie des contrats en cours, au profit de son fils, lequel qui exerce depuis l’année 2012 comme auto entrepreneur, et aurait ainsi privé la société C.S.G. des rentrées de fonds générées par ces contrats.
Pour ces motifs que la cour adopte, les premiers juges ont à juste titre considéré que la faute intentionnelle n’était pas caractérisée à l’encontre de M. [B] [J].
3) Sur l’indemnisation du préjudice des époux [L]
L’action en responsabilité dirigée contre le liquidateur est régie par l’article L 237-12 du code de commerce et le préjudice résultant pour le créancier de la clôture prématurée des opérations de liquidation et l’omission de constituer une provision suffisante permettant de désintéresser le créancier, s’apprécie en une perte de chance d’obtenir le paiement de sa créance dans le cadre des opérations de liquidation, (Cass code de commerce 26 juin 2007 pourvoi n°05-20569)
La créance des époux [L] résultant du jugement rendu par le tribunal judiciaire de Grasse du 2 novembre 2020 s’élève à la somme de 16 901, 80 euros représentant les frais de reprise des désordres à laquelle se rajoute la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi que les frais avancés par eux relevant des dépens (honoraires de l’expert et du mandataire ad hoc, signification du jugement), totalisant 25 256,78 euros.
Eu égard aux éléments versés aux débats, le préjudice lié à la perte de chance d’obtenir le paiement des causes du jugement précité par la société C.S.G. sera apprécié non pas à concurrence du boni de liquidation avant partage, de 7016 euros comme demandé par M. [B] [J], mais à hauteur de la somme de 16 606 euros dans la mesure où cette somme aurait dû être provisionnée au seul vu du rapport d’expertise et ce, jusqu’à la décision définitive à intervenir.
M. [B] [J] ne justifie pas aux débats au demeurant ni du produit de la réalisation de l’actif ni de l’affectation des fonds à l’apurement des dettes de la société, de sorte qu’il ne démontre pas l’impossibilité pour la société C.S.G. de régler cette somme dans le cadre de la liquidation, au-delà du montant boni de liquidation.
Il y a lieu par conséquent de confirmer le jugement en ce qu’il a condamné M. [B] [J] en qualité de liquidateur de la Sarl C.S.G. à payer aux époux [L] la somme de 16 606 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice matériel.
3) M et Mme [L] ont, du fait de la multiplication des procédures, à laquelle s’est ajoutée celle en responsabilité du liquidateur, subi un préjudice moral qui ne peut être sérieusement contesté et qui sera réparé à hauteur de la somme de 2 500 euros chacun.
Le jugement sera par conséquent infirmé sur ce point.
4) Le fait de résister à une obligation ne constitue pas en soi une résistance abusive, l’abus devant être caractérisé.
En l’espèce, les époux [L] ne font pas état de circonstances particulières caractérisant un abus de la part de M. [J], lequel a déclaré le sinistre à son assureur la compagnie Generali et n’a fait que défendre dans la procédure engagée par les époux [L] ensuite de l’expertise diligentée par M. [C] [H].
Il y a lieu par conséquent de confirmer le jugement en ce qu’il a débouté les époux [L] de ce chef de demande.
4) Sur la demande de délais de paiement formulée par M. [B] [J].
Cette demande ne constitue pas une demande nouvelle devant la cour, au sens de l’article 564 du code de procédure civile dès lors qu’il est de jurisprudence constante que les dispositions de l’article 1343-5 du code civil aux termes desquelles le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues, peuvent être sollicitées en tout état de cause, et pour la première fois devant la cour d’appel (voir Cass.civ. 3ème 22 juin 2022 n° 21-13.476)
En l’espèce, les faibles revenus tirés de sa pension de retraite allégués par M. [B] [J] ne lui permettant pas de désintéresser intégralement le créancier dans le délai de 24 mois la demande visant à obtenir de larges délais de paiement sera rejetée.
5) sur les demandes accessoires
M. [B] [J] succombant, sera débouté de ses demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Il serait inéquitable, au vu des circonstances de l’espèce, de laisser à la charge des époux [L] les frais irrépétibles qu’ils ont supportés dans le cadre de l’appel, pour les besoins de la défense de leurs intérêts.
M. [B] [L] sera par conséquent condamné à payer la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel
Il sera en outre condamné aux dépens d’appel conformément à l’article 696 du code de procédure civile.
Dispositif
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, rendu par mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement rendu par le tribunal de commerce de Grasse en date du 14 février 2022 en ce qu’il a, au bénéfice de l’exécution provisoire :
– déclaré responsable M. [B] [J] en sa qualité de liquidateur amiable de la société C.S.G. des erreurs commises lors des opérations de liquidation ;
– débouté les époux [L] de leur demande de paiement de la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive ;
– condamné les époux [L] la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile du code de procédure civile, outre les entiers dépens ;
L’infirme pour le surplus et statuant à nouveau,
Condamne M. [B] [J] à payer à M. [T] [L] et Mme [O] [U] épouse [L] la somme de 16 606 euros au titre du préjudice résultant de la perte de chance de voir les causes du jugement rendu le 2 novembre 2020 par le tribunal judiciaire de Grasse payées par la société C.S.G. ;
Condamne M. [B] [J] à payer à M. [T] [L] et Mme [O] [U] épouse [L] la somme de 2 500 euros, chacun, à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral ;
Déclare recevable en cause d’appel la demande de délai de paiement formée par M. [B] [J] ;
Sur le fond, l’en déboute.
Y ajoutant,
Condamne M. [B] [J] à payer à M. [T] [L] et Mme [O] [U] épouse [L], la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;
Condamne M. [B] [J] aux dépens de la procédure d’appel.
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE