LC/IC
S.A. CAMCA ASSURANCE
C/
S.A. GAN ASSURANCES
S.A.S. [J] [I]
Expédition et copie exécutoire délivrées aux avocats le
COUR D’APPEL DE DIJON
1ère chambre civile
ARRÊT DU 16 MAI 2023
N° RG 21/00708 – N° Portalis DBVF-V-B7F-FWQL
MINUTE N°
Décision déférée à la Cour : jugement du 18 mars 2021,
rendu par le tribunal de commerce de Dijon – RG : 2019 002398
APPELANTE :
S.A. CAMCA ASSURANCE prise en la personne de son représentant légal domicilié au siège social :
[Adresse 2]
LUXEMBOURG (L 1930)
assistée de Me Jean Dylan BARRAUD, membre de la société d’Avocats LIME & BARRAUD, avocat au barreau de NANCY, plaidant, et représentée par Me Florence LHERITIER, avocat au barreau de DIJON, postulant, vestiaire : 22
INTIMÉES :
S.A. GAN ASSURANCES
[Adresse 4]
[Localité 3]
représentée par Me Marie-Laure THIEBAUT, membre de la SELARL D’AVOCATS THIEBAUT, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 112
S.A.S. [J] [I]
[Adresse 5]
[Localité 1]
non représentée
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 28 février 2023 en audience publique devant la cour composée de :
Viviane CAULLIREAU-FOREL, Président de chambre,
Sophie BAILLY, Conseiller,
Leslie CHARBONNIER, Conseiller, qui a fait le rapport sur désignation du Président,
qui en ont délibéré.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Aurore VUILLEMOT, Greffier
DÉBATS : l’affaire a été mise en délibéré au 02 mai 2023 pour être prorogé au 16 mai 2023,
ARRÊT : rendu par défaut,
PRONONCÉ : publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
SIGNÉ : par Viviane CAULLIREAU-FOREL, Président de chambre, et par Aurore VUILLEMOT, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Exposé du litige
*****
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Au cours des années 2008 et 2009, les consorts [M] ont confié à la société Le Constructeur de Bourgogne la construction d’une maison individuelle située à [Localité 6], assurée auprès de la CAMCA, au titre de la responsabilité décennale et de la dommages-ouvrage.
Le constructeur a sous traité certains lots de travaux dont celui de la pose de carrelage dans certaines pièces de la maison. L’entreprise de M. [J] [I] a été missionnée pour réaliser ces travaux et ce, aux termes d’un contrat de sous traitance daté du 30 janvier 2009.
La réception des travaux a été effectuée en date du 10 avril 2009.
Au cours de l’année 2013, les consorts [M] se sont plaints de l’apparition de fissures à plusieurs endroits du carrelage.
Des expertises ont alors été diligentées par l’assureur responsabilité décennale de la société Le Constructeur de Bourgogne, soit la société CAMCA Assurance.
En 2019, les fissures se sont aggravées au point que la société CAMCA Assurance a été contrainte de verser aux consorts [M] une somme de 25 288,45 euros afin de réparer les dégâts.
Malgré les différentes sollicitations, M. [I] ne s’est pas manifesté.
Par acte d’huissier du 5 avril 2019, la société CAMCA Assurance a fait assigner la société [I] [J] et son assureur décennal la société GAN Assurances devant le tribunal de commerce de Dijon afin de les voir condamner à la relever et la garantir de toute somme mise à sa charge au titre des désordres grevant les travaux confiés à la société [J] [I] et avant dire droit d’ordonner le sursis à statuer dans l’attente de l’issue des opérations d’expertise amiable et des éventuelles réclamations chiffrées des consorts [M].
Par un jugement du 18 mars 2021, le tribunal de commerce de Dijon a :
– rejeté comme étant prescrites l’ensemble des demandes en garantie formulées par la société CAMCA Assurances SA,
– condamné la société CAMCA Assurances SA à payer à la SA GAN Assurances la somme de 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la société CAMCA Assurances SA aux entiers dépens, en ce compris les frais de greffe liquidés à la somme de 78,62 euros HT, TVA : 15,72 euros, soit 94,34 euros TTC,
– rejeté toutes autres demandes, fins et conclusions.
La société CAMCA Assurance a relevé appel de cette décision par déclaration du 22 mai 2021.
Moyens
Motivation
– ordonner la capitalisation annuelle des intérêts,
– rejeter toutes prétentions de GAN Assurances et plus spécifiquement, l’ensemble de ses demandes reconventionnelles,
– condamner solidairement GAN Assurances et la SASU [I] [J] à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du CPC ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel.
Au terme de ses conclusions d’intimé notifiées le 4 octobre 2021, la société GAN Assurances demande à la cour de :
– confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce du 18/3/2021,
Y ajoutant,
– condamner CAMCA Assurances à lui verser la somme de 1 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et à prendre les dépens de l’instance d’appel comme de l’instance devant la juridiction commerciale
En cas de réformation du jugement,
– dire et juger que les demandes en garantie de CAMCA Assurances à son encontre ne sont pas fondées faute de justificatifs de règlement et faute d’éléments probants, le rapport d’expertise d’assurance n’ayant pas de valeur probatoire suffisante,
– en conséquence, le rejeter,
Très subsidiairement,
– écarter et déduire la somme de 4 781,70 euros TTC correspondant à des travaux de reprises de fissure d’enduits qui ne peuvent concerner les travaux de carrelage de l’entreprise [I],
– écarter et déduire la somme de 1 188 euros correspondant à des frais d’investigations de la société SOVEA qui ne sont pas en lien avec le pavillon [M],
– dire et juger que CAMCA doit conserver la part de responsabilité de 40% imputable à son assuré le constructeur de maisons individuelles,
– dire et juger qu’elle est bien fondée à opposer à la CAMCA la franchise d’assurance prévue au contrat qui correspond à 10% du sinistre.
La société CAMCA Assurances a signifié sa déclaration d’appel et ses conclusions à la société [I] [J] par acte d’huissier du 12 août 2021 puis ses conclusions récapitulatives par acte du 25 mars 2022.
La signification à personne et à domicile étant impossible, l’acte a été déposé à l’étude d’huissier.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux dernières écritures des parties pour un exposé complet de leurs moyens.
La clôture de l’instruction a été prononcée le 5 janvier 2023.
Sur ce la cour,
Sur la fin de non recevoir tirée de la prescription
Au terme de l’article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
Le Gan conclut à la prescription de l’action de l’assureur du constructeur au motif que celui-ci ne peut agir contre lui que sur le fondement de la responsabilité décennale et le fondement contractuel de sorte que les dispositions de l’article 2224 du code civil trouvent à s’appliquer et qu’au plus tard en octobre 2013, l’assureur avait connaissance des désordres.
La compagnie CAMCA répond qu’elle dispose de deux actions, une action récursoire en sa qualité d’assureur responsabilité décennale et une action subrogatoire en qualité d’assureur dommage-ouvrage de sorte que si dans le cadre de l’action récursoire, c’est le délai de droit commun qui trouve à s’appliquer, il n’en est pas de même dans le cadre de l’action subrogatoire, hypothèse dans laquelle le délai de prescription applicable est le délai décennal, augmenté de deux ans, précisant qu’en tout état de cause ce n’est qu’en janvier 2019 que la mobilisation de la garantie est intervenue ce dont elle déduit que son action n’est pas prescrite.
En l’espèce, il convient de relever, à la lecture de la quittance signée le 13 juin 2019 par le maître de l’ouvrage, que l’indemnité au titre des travaux de réfection pour remédier aux dommages garantis « aggravation fissuration sur carrelage » (notamment) a été versée par la CAMCA au titre de la garantie responsabilité civile décennale de l’entreprise Le Constructeur de Bourgogne.
Il en résulte que la CAMCA ne peut agir qu’en vertu de son action récursoire et non pas subrogatoire dès lors que l’indemnité n’a pas été versée au titre de l’assurance dommages-ouvrage.
En l’espèce, le rapport entre le constructeur (et ou son assureur) et le sous-traitant est de nature contractuelle.
Le contrat de sous traitance entre le constructeur et M. [J] [I], sous traitant, a été conclu en janvier 2009. Il est donc postérieur d’une part à la réforme du 8 juin 2005 (ordonnance 2005-658), qui a aligné la durée de la responsabilité des sous-traitants recherchée à la suite de dommages relevant des articles 1792, 1792-2 et 1792-3 du code civil sur celle des garanties légales, et d’autre part à la réforme de la prescription du 17 juin 2008.
Il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour de cassation que les personnes responsables de plein droit en application des articles 1792 et suivants du code civil, lesquelles ne sont pas subrogées après paiement dans le bénéfice de cette action réservée au maître de l’ouvrage et aux propriétaires successifs de l’ouvrage en vertu des articles précités, ne peuvent agir en garantie ou à titre récursoire contre les autres responsables tenus avec elles, au même titre, que sur le fondement de la responsabilité de droit commun applicable dans leurs rapports ( Cass.3e civ., 8 juin 2011, n° 09-69.894).
En vertu de l’article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
Il en résulte que le délai de prescription de l’action récursoire de l’assureur, qui a indemnisé pour le compte du constructeur les dommages de nature décennale affectant la construction, commence à courir au plus tard lorsque le maître de l’ouvrage a recherché la responsabilité de l’assureur et que, dans le même temps, la garantie de ce dernier était mobilisable.
Aussi, et contrairement à ce que soutient le Gan, le point de départ de la prescription ne pouvait commencer à courir à compter de la première expertise en 2013 alors que les désordres constatés à cette date n’avaient pas le caractère de désordres de nature décennale de sorte que c’est bien suite à l’aggravation de ces derniers constatée selon réunion d’expertise du 29 janvier 2019 en suite d’une nouvelle déclaration de sinistre des maîtres de l’ouvrage en date du 7 janvier 2019 que le délai de prescription a commencé à courir.
En conséquence en assignant au fond par actes du 5 avril 2019 le sous-traitant et son assureur, la compagnie CAMCA a agi dans le délai légal et son action n’est pas atteinte par la prescription de sorte que le jugement déféré doit être infirmé et que l’action doit être déclarée recevable.
Sur la responsabilité du sous-traitant à l’égard du constructeur
Le sous-traitant est tenu contractuellement à l’égard de l’entrepreneur d’exécuter des travaux exempts de tout vice, conformes à ses engagements contractuels, aux réglementations en vigueur et aux règles de l’art.
Si le sous-traitant est tenu d’une obligation de résultat, une fois la réception de l’ouvrage intervenue sans réserve, sa responsabilité contractuelle ne peut être retenue qu’à la condition de prouver sa faute.
En l’espèce, il est constant que la réception de l’ouvrage est intervenue le 10 avril 2009 et au terme du rapport d’expertise établi le 30 janvier 2019, les réserves ne portaient pas sur le désordre affectant le carrelage.
Il en résulte que la responsabilité de M. [I], sous-traitant, ne peut être mise en oeuvre par l’appelante, exerçant son action récursoire au titre des désordres décennaux qu’elle a réparés, que s’il est établi qu’ils ont pour origine une faute de l’entreprise [I].
Ainsi que l’indique le Gan, le juge ne peut se fonder exclusivement sur une expertise amiable réalisée à la demande d’une des parties, la force probante du rapport d’une telle expertise n’étant pas suffisante et devant être corroborée par d’autres éléments.
En l’espèce, il est établi qu’une première expertise a été organisée en 2013 en suite d’une déclaration des maîtres de l’ouvrage en raison d’un carrelage se fissurant à plusieurs endroits.
L’expertise réalisée en janvier 2019 par le cabinet Polyexpert, à laquelle ont été convoqués le constructeur et le sous-traitant, a mis en évidence la présence de nombreuses fissures affectant le sol du séjour, de la salle à manger, du couloir, de l’entrée et de la cuisine, les fissures couvrant au total environ 10% des carreaux composant le revêtement de sol de la partie jour de l’ouvrage.
L’expert a précisé que si les fissures n’avaient que très peu évolué quantitativement depuis la précédente visite en 2016, trois d’entre elles avaient, en revanche, évolué qualitativement en devenant sensiblement coupantes, fissures présentes dans la cuisine, le séjour et la salle à manger, soit les pièces de vie.
L’existence des fissures déclarées est objectivée par les diverses expertises, qui sont corroborées par les photographies produites en annexes des courriels du maître de l’ouvrage adressés au constructeur, photographies qui confirment au demeurant le caractère désaffleurant des fissures et donc leur nature décennale.
En revanche, les causes possibles de ces désordres ne ressortent que du rapport d’expertise établi le 30 janvier 2019 à la demande du constructeur.
En conséquence, en l’absence d’élément venant sur ce point corroborer ce rapport, la preuve de la faute du sous-traitant dans l’exécution des travaux n’est pas rapportée et la CAMCA doit être déboutée de son action l’encontre de la SASU [I] [J] et de son assureur le GAN.
Sur les frais de procès
En application de l’article 696 du code de procédure civile, le jugement déféré est confirmé en sa disposition ayant statué sur les dépens de première instance et la CAMCA est condamnée aux dépens d’appel.
Dans les circonstances particulières de l’espèce, en équité, le GAN conservera à sa charge l’ensemble des frais non compris dans les dépens qu’il a exposés en première instance et en cause d’appel.
Dispositif
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme le jugement déféré :
– en ce qu’il a déclaré prescrite l’ensemble des demandes formulées par la société CAMCA – et en ce qu’il l’a condamnée à payer au GAN la somme de 800 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau et ajoutant,
Déclare recevable l’action de la SA CAMCA,
Déboute la SA CAMCA de ses demandes formulées à l’encontre de la SASU [I] [J] et du Gan,
Condamne la SA CAMCA aux dépens d’appel,
Dit n’y avoir lieu à aucune application de l’article 700 du code de procédure civile.
Le Greffier, Le Président,