Décision de justice sur les particuliers employeurs en date du 8 juin 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 19/03563

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 9

ARRÊT DU 8 JUIN 2022

(n° , 7 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/03563 – N° Portalis 35L7-V-B7D-B7RK4

Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 Janvier 2019 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° F18/02956

APPELANTE

Madame [B] [T]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Marion KAHN-GUERRA, avocat au barreau de PARIS, toque : R049

INTIMÉE

Madame [M] [L]

Centre d’action sociale de la ville de [Localité 8], Permanence sociale d’accueil

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Virginie RIBEIRO, avocat au barreau de PARIS, toque : E1066

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 23 Mars 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Françoise SALOMON, présidente, chargée du rapport, et Mme Valérie BLANCHET, conseillère.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Françoise SALOMON, présidente de chambre

Mme Valérie BLANCHET, conseillère

M. Fabrice MORILLO, conseiller

Greffier : Mme Pauline BOULIN, lors des débats

ARRÊT :

– contradictoire

– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile prorogé à ce jour.

– signé par Madame Françoise SALOMON, présidente de chambre, et par Madame Pauline BOULIN, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Exposé du litige

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Suivant contrat du 1er juillet 2014, Mme [T] a engagé Mme [L] en qualité de gouvernante. Le contrat mentionnait une date d’entrée au 1er septembre 2010 et un nombre d’heures de travail effectif de 192 heures par mois.

La relation de travail était régie par la convention collective nationale des salariés du particulier employeur du 24 novembre 1999.

Convoquée le 23 septembre 2017 à un entretien préalable fixé au 2 octobre, puis reporté au 17, la salariée a été licenciée pour faute grave par lettre du 6 novembre suivant.

Par ordonnance du 19 mars 2018, la formation de référé du conseil de prud’hommes a ordonné à l’employeur de remettre à la salariée l’attestation Pôle Emploi, le certificat de travail et son reçu pour solde de tout compte et à lui verser 300 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Le conseil a dit n’y avoir lieu à référé sur le surplus des demandes.

Contestant le bien-fondé de son licenciement et estimant ne pas être remplie de ses droits, la salariée a saisi la juridiction prud’homale le 17 avril 2018.

Par ordonnance du 5 juin 2018, le bureau de conciliation et d’orientation du conseil a ordonné le paiement du salaire de septembre 2017 et des congés payés afférents, la remise du bulletin de salaire de ce mois, de l’attestation Pôle Emploi, d’un certificat de travail et du reçu pour solde de tout compte sous astreinte de 200 euros par jour de retard et par document, a dit que cette décision est provisoire et exécutoire par provision et a renvoyé l’affaire en audience de jugement.

Par jugement du 19 janvier 2019, le conseil de prud’hommes de Paris a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse et a condamné l’employeur au paiement des sommes suivantes :

– 10 000 euros de dommages et intérêts pour rupture abusive,

– 4 690,78 euros d’indemnité légale de licenciement,

– 5 241 euros d’indemnité compensatrice de préavis et 524,11 euros au titre de congés payés afférents,

– 3 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement brutal et vexatoire,

– 3 930,82 euros de rappels de salaires, outre 393,08 euros au titre des congés payés afférents,

– 5 000 euros au titre de la liquidation de l’astreinte prononcée par le bureau de conciliation et d’orientation le 5 juin 2018,

– 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Le conseil a ordonné la remise des documents sociaux rectifiés sous astreinte de 200 euros par jour pour l’ensemble des documents, le conseil se réservant la liquidation de l’astreinte, et a débouté la salariée du surplus de ses demandes.

Le 12 mars 2019, l’employeur a interjeté appel de cette décision, notifiée le 12 février.

Moyens

Motivation

MOTIFS

Sur la rupture du contrat de travail

La salariée conteste les fautes qui lui sont reprochées et impute à la fille de l’employeur les problèmes de réservation rencontrés. Elle affirme avoir été contrainte de quitter le domicile de son employeur, chez qui elle logeait, le 21 septembre au soir, puis avoir été dans l’impossibilité d’accéder à son poste de travail.

L’employeur prétend démontrer la matérialité des griefs imputés à la salariée, dont son abandon de poste à compter du 21 septembre 2017.

La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.

L’employeur qui invoque la faute grave doit en rapporter la preuve.

En l’occurrence, la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est rédigée de la manière suivante :

‘Vous avez eu une conduite constitutive d’une faute grave. En effet, je vous rappelle qu’en date du 21 septembre 2017 je vous ai remis en main propre un courrier vous demandant de vous expliquer par rapport à votre rôle concernant les réservations de jets privés le 12 décembre 2016 vol [Localité 8] [Localité 5] qui a été annulé, puis le 09 septembre 2017 vol [Localité 7] [Localité 6] qui a été également annulé sachant que j’avais effectué la totalité des règlements relatifs à ces vols.

Depuis, vous ne vous êtes plus présentée à votre travail. Aussi, vous n’avez jamais répondu au questionnaire qui vous a été remis concernant votre rôle par rapport à ces vols annulés. Vous ne vous êtes pas expliquée non plus sur les raisons pour lesquels vous avez fait intervenir le dénommé ‘Mr [H] [C]’ lors de ces réservations sans m’en informer ni obtenir mon accord.

En l’absence d’explications de votre part je suis tentée de considérer que le rôle du dénommé ‘Mr [H] [C]’ c’est de toucher des commissions et par conséquent de me faire payer plus chères les réservations sans aucune prestation de service de sa part. D’ailleurs, je me réserve le droit de porter plainte contre vous et contre le dénommé ‘Mr [H] [C]’ pour abus de confiance aggravé conformément aux stipulations des articles 314-1 et 314-2 alinéa 4 du code pénal.

Le 22 septembre 2017 je vous ai également remis en main propre un courrier constatant que vous avez abandonné votre poste depuis le 21 septembre 2017 mais vous avez refusé d’en signer la décharge. Vous ne vous êtes pas non plus présentée à un premier entretien préalable de licenciement le 2 octobre 2017 à 19h.

Ces faits sont extrêmement graves et peuvent constituer un délit puni d’une peine pouvant aller jusqu’à 7 ans d’emprisonnement. C’est pourquoi, compte tenu de leur gravité et malgré vos explications lors de l’entretien préalable, je suis au regret de devoir procéder à votre licenciement pour faute grave.’

Les éléments versés aux débats ne permettent pas d’imputer la responsabilité de l’erreur dans la programmation du vol du 9 septembre 2017 à la salariée. S’agissant en tout état de cause d’une erreur, elle ne revêt pas de caractère fautif. L’attestation produite par l’employeur selon laquelle la salariée aurait abandonné son poste de travail le 21 septembre 2017 est contredite par celles versées aux débats par la salariée, indiquant qu’elle s’est rendue en pleurs le 21 septembre 2017 chez une amie, qui a dû l’héberger. Le doute profitant au salarié, la cour dit que ce grief n’est pas démontré.

L’employeur ne rapportant pas la preuve, qui lui incombe, de la matérialité des fautes reprochées à la salariée, la cour confirme le jugement en ce qu’il a dit le licenciement de la salariée dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences financières de la rupture

La rémunération mensuelle brute moyenne de la salariée était de 2 620,57 euros.

La cour, par confirmation du jugement, condamne l’employeur au paiement des sommes de :

– 4 690,78 euros d’indemnité de licenciement,

– 5 241 euros d’indemnité compensatrice de préavis, outre 524,11 euros au titre des congés payés afférents.

En application des dispositions de l’article L.1235-3 du code du travail, dans leur rédaction applicable au litige, la salariée peut, compte tenu de son ancienneté, prétendre à une indemnité comprise entre deux et huit mois de rémunération.

Au regard de son âge lors de la rupture et de la précarité de sa situation personnelle, la cour lui alloue 20 000 euros à ce titre, par infirmation du jugement.

Sur la demande de rappel de salaire pour la période du 21 septembre au 6 novembre 2017

La cour a retenu que l’employeur ne démontrait pas l’abandon de poste reproché à la salariée. Elle fait en conséquence droit à la demande de rappel de salaire pour la période du 21 septembre au 6 novembre 2017 et confirme le jugement en ce qu’il a condamné l’employeur au paiement de 3 930,82 euros à titre de rappel de salaire, outre 393,08 euros au titre des congés payés afférents.

Sur la demande de dommages-intérêts en raison des circonstances entourant le licenciement

Le salarié justifiant, en raison des circonstances brutales ou vexatoires entourant son licenciement, d’un préjudice distinct de celui résultant de la perte de l’emploi, peut prétendre à des dommages-intérêts.

La cour confirme le jugement en ce qu’il a retenu que le préjudice résultant de la brutalité du licenciement de la salariée, hébergée de surcroît au domicile de l’employeur, sera suffisamment réparé par l’octroi de 3 000 euros de dommages-intérêts.

Sur la demande de dommages-intérêts pour absence de visite d’embauche

Faute pour la salariée de justifier du préjudice résultant de ce manquement de l’employeur, la cour la déboute de cette demande, par confirmation du jugement.

Sur la demande de dommages-intérêts pour défaut de décompte du temps de travail

La salariée soutient que l’absence totale de suivi de sa durée de travail a eu un impact considérable sur sa charge de travail et sa santé, ce que conteste l’employeur.

La cour relève que la salariée ne réclame le paiement d’aucune heure supplémentaire, ni ne verse aux débats d’éléments suffisamment précis quant aux heures réalisées, les attestations produites se bornant à soutenir de manière très générale qu’elle était en permanence à la disposition de son employeur et n’émanant pas de témoins directs de sa charge de travail.

Faute pour la salariée de justifier du préjudice résultant de ce manquement de l’employeur, la cour confirme le jugement en ce qu’il a rejeté cette demande.

Sur la demande de dommages-intérêts pour manquement de l’employeur aux obligations de loyauté et de sécurité

La cour a considéré que les attestations produites par la salariée n’émanaient pas de témoins directs des faits reprochés à l’employeur. Elle confirme en conséquence le jugement en ce qu’il a rejeté cette demande.

Sur la demande d’indemnité pour travail dissimulé

La salariée soutient avoir été engagée oralement à compter de mai 2006 et n’avoir été déclarée qu’à compter de septembre 2010, ce que l’employeur conteste.

Il appartient à la salariée, qui se prévaut de l’existence d’une relation de travail antérieurement à la période couverte par le contrat de travail, d’en rapporter la preuve.

Elle ne produit en l’occurrence que deux attestations rédigées en termes généraux, dont l’une ne respecte pas le formalisme de l’article 202 du code de procédure civile et l’autre émane d’un agent de sécurité sans autre précision et relate des faits qu’il n’a pu personnellement constater, auquel la cour dénie toute valeur probatoire.

La cour déboute la salariée de sa demande d’indemnité forfaitaire, par confirmation du jugement.

Sur la demande de dommages-intérêts pour perte de chance de bénéficier d’une retraite plus élevée

La cour a écarté l’existence d’une relation de travail avant le 1er septembre 2010 et le préjudice résultant de la perte de l’emploi est suffisamment réparé par les dommages-intérêts alloués à ce titre. La cour confirme le jugement en ce qu’il a rejeté cette demande.

Sur la demande de dommages-intérêts pour non-remise des bulletins de paie et du reçu pour solde de tout compte et remise tardive du certificat de travail et de l’attestation Pôle Emploi

La salariée ne justifiant pas d’un préjudice distinct de celui réparé par les intérêts moratoires, sa demande indemnitaire est rejetée, par confirmation du jugement.

Sur la demande de liquidation de l’astreinte

La cour adopte les motifs des premiers juges qui ont constaté l’absence d’exécution de la décision du bureau de conciliation et confirme la condamnation de l’employeur au paiement de 5 000 euros à titre de liquidation de l’astreinte ordonnée le 5 juin 2018.

Sur les autres demandes

Il convient d’ordonner à l’employeur de remettre à la salariée un bulletin de paie récapitulatif et un reçu pour solde de tout compte conformes au présent arrêt, sans qu’il apparaisse nécessaire d’assortir cette décision d’une mesure d’astreinte.

Il y a lieu de rappeler que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception, par l’employeur, de sa convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes et les créances indemnitaires à compter du jugement pour les créances confirmées, et de l’arrêt pour le surplus.

L’équité commande de confirmer la décision du conseil de prud’hommes en ce qui concerne les frais irrépétibles de première instance de la salariée et de condamner l’employeur à lui verser 2 000 euros au titre de ses frais irrépétibles d’appel.

L’employeur, qui succombe, supportera les dépens d’appel.

Dispositif

PAR CES MOTIFS

La Cour,

– Confirme le jugement, sauf en ce qu’il a condamné Mme [T] à payer à Mme [L] la somme de 10 000 euros de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et en ce qu’il a prononcé une astreinte ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :

– Condamne Mme [T] à payer à Mme [L] la somme de 20 000 euros de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– Rappelle que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception, par Mme [T], de sa convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes et les créances indemnitaires à compter du jugement pour les montants confirmés, et de l’arrêt pour le surplus ;

– Enjoint à Mme [T] de remettre à Mme [L] un bulletin de paie récapitulatif et un reçu pour solde de tout compte conformes au présent arrêt ;

– Rejette la demande d’astreinte ;

– Condamne Mme [T] à verser à Mme [L] la somme nouvelle de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamne Mme [T] aux dépens d’appel.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE

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