N° RG 21/01447 – N° Portalis DBV2-V-B7F-IXQL
COUR D’APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 05 JANVIER 2023
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DE ROUEN du 21 Janvier 2021
APPELANTE :
Madame [Y] [L]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Claudie ALQUIER, avocat au barreau de ROUEN substitué par Me Saîda AZZAHTI, avocat au barreau du HAVRE
INTIMEE :
Madame [I] [F] épouse [V]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Roselyne ADAM-DENIS, avocat au barreau de ROUEN
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Partielle numéro 2021/005960 du 26/05/2021 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de Rouen)
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 15 Novembre 2022 sans opposition des parties devant Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente
Madame BACHELET, Conseillère
Madame BERGERE, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme WERNER, Greffière
DEBATS :
A l’audience publique du 15 Novembre 2022, où l’affaire a été mise en délibéré au 05 Janvier 2023
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 05 Janvier 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.
Exposé du litige
EXPOSÉ DU LITIGE
Mme [I] [V] a été engagée par Mme [Y] [L] en qualité d’assistante maternelle par deux contrats de travail à durée indéterminée du 1er mars 2018 pour la garde de ses deux enfants.
Les relations contractuelles des parties étaient soumises à la convention collective nationale des assistants maternels du particulier employeur.
Par l’intermédiaire de son conseil, Mme [I] [V] a pris acte de la rupture des contrats de travail par lettre du 23 juillet 2020, faute de paiement des salaires depuis le 1er février 2020 et des heures supplémentaires.
Par requête du 22 septembre 2020, Mme [I] [V] a saisi le conseil de prud’hommes de Rouen en requalification de sa prise d’acte de rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse et paiement de rappels de salaire et d’indemnités.
Par jugement du 21 janvier 2021, le conseil de prud’hommes a requalifié la prise d’acte de Mme [I] [V] pour les deux contrats de travail en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, condamné Mme [Y] [L] à verser à Mme [I] [V] les sommes suivantes :
rappel de salaire pour la période du 1er février au 23 juillet 2020 : 3177,87 euros,
dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 1 213,80 euros,
préavis pour les deux contrats : 553 ,45 euros,
indemnité de licenciement pour les deux contrats : 132,56 euros
indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile : 1 000 euros,
débouté Mme [I] [V] de sa demande au titre des heures supplémentaires, condamné Mme [Y] [L] aux entiers dépens de l’instance.
Le 7 avril 2021, Mme [Y] [L] a interjeté un appel limité aux dispositions aux termes desquelles la prise d’acte a été requalifié en licenciement sans cause réelle et sérieuse et l’a condamnée au paiement de diverses sommes.
Moyens
Motivation
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l’exercice du droit de retrait
Mme [Y] [L] soutient que les contrats de travail ont été valablement rompus antérieurement à la prise d’acte, rupture pour laquelle les dispositions du code du travail ne s’appliquent pas comme relevant de l’article 18 de la convention collective et de l’article L.423-24 du code de l’action sociale et des familles, qu’ayant déménagé de [Localité 3], elle a informé dès novembre 2019, Mme [I] [V] de ce qu’elle allait changer sa fille aînée d’école et trouver une assistante maternelle plus proche pour sa plus jeune enfant, que les enfants lui ont été confiés pour la dernière fois le 20 décembre 2019, qu’elle lui a confirmé verbalement qu’elle mettait fin aux contrats de travail en la dispensant de l’exécution du préavis prenant fin le 23 janvier 2020.
Mme [I] [V], qui ne dénie pas le principe du droit de retrait, fait valoir que son exercice impose qu’il soit notifié par lettre recommandée avec accusé de réception, ce qui n’a pas été fait en l’espèce, contestant aussi avoir été licenciée verbalement et avoir été dispensée de l’exécution du préavis.
L’article L.423-24 dispose que ‘Le particulier employeur qui décide de ne plus confier d’enfant à un assistant maternel qu’il employait depuis trois mois doit notifier à l’intéressé sa décision de rompre le contrat par lettre recommandée avec demande d’avis de réception. La date de présentation de la lettre recommandée fixe le point de départ du préavis éventuellement dû en vertu de l’article L. 423-25. L’inobservation de ce préavis donne lieu au versement d’une indemnité compensatrice du congé dû.
Le particulier employeur qui ne peut plus confier d’enfant à un assistant maternel qu’il employait depuis trois mois au moins, en raison de la suspension ou du retrait de l’agrément de celui-ci, tels qu’ils sont prévus par les dispositions de l’article L. 421-6, doit notifier à l’intéressé la rupture du contrat de travail par lettre recommandée avec demande d’avis de réception. Les charges liées à la rupture du contrat de travail consécutives à la suspension ou au retrait de l’agrément ne peuvent être supportées par le particulier employeur.’
Selon l’article 18 de la convention collective nationale étendue des assistants maternels du particulier employeur du 1er juillet 2004 :
‘Toute rupture après la fin de la période d’essai est soumise aux règles suivantes :
a) Rupture à l’initiative de l’employeur.
– Retrait de l’enfant L’employeur peut exercer son droit de retrait de l’enfant. Ce retrait entraîne la rupture du contrat de travail.
L’employeur qui décide de ne plus confier son enfant au salarié, quel qu’en soit le motif, doit lui notifier sa décision par lettre recommandée avec avis de réception. La date de première présentation de la lettre recommandée fixe le point de départ du préavis.
En l’espèce, Mme [Y] [L] ne justifie pas avoir adressé une lettre recommandée avec accusé de réception à Mme [I] [V] pour lui notifier l’exercice du droit de retrait.
Aussi, les contrats de travail liant les parties n’ont pas été rompus par ce biais.
Il n’est pas davantage établi l’existence d’un licenciement verbal, contredit par le silence opposé par l’employeur aux différents courriers adressés par la salariée évoquant son attente des papiers de licenciement, lui imposant dès lors de prendre acte de la rupture pour mettre un terme à la relation contractuelle, l’attestation Pôle emploi mentionnant la date du 11 mai 2020, précisant la date du dernier jour travaillé comme étant le 23 décembre 2020, mais non signée et éditée par Pôle emploi le 16 avril 2021 ne permettant pas de s’assurer que Mme [Y] [L] a accompli des démarches antérieurement à la prise d’acte.
Sur la prise d’acte de la rupture du contrat de travail
La prise d’acte est un mode de rupture du contrat par lequel le salarié met un terme à son contrat en se fondant sur des manquements qu’il impute à l’employeur.
Il convient d’apprécier les griefs reprochés par le salarié et de s’assurer qu’ils sont suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail et ainsi, qualifier la rupture de licenciement sans cause réelle et sérieuse.
A défaut , la prise d’acte s’analyse en une démission.
C’est au salarié qu’il incombe d’établir les faits allégués à l’encontre de l’employeur qu’ils soient mentionnés dans l’écrit ou invoqués au soutien de ses prétentions.
A l’appui de sa prise d’acte, Mme [I] [V] invoque le non paiement de ses salaires depuis le 1er février 2020 et de ses heures supplémentaires au nombre de 250.
Alors que les contrats de travail n’ont pas été rompus par l’employeur, que l’absence de prestation de travail lui est imputable et qu’il n’est pas contesté qu’il n’a plus procédé au paiement des salaires jusqu’à la prise d’acte adressée le 23 juillet 2020, le manquement est établi et, sur la base d’un salaire net mensuel de 553,45 euros comme retenu par les premiers juges, il est dû à ce titre la somme de 3 177,87 euros nets.
La cour confirme sur ce point le jugement entrepris.
S’agissant les heures supplémentaires, si les dispositions du code du travail relatives à la durée du travail ne sont pas applicables aux assistants maternels employés par les particuliers, qui sont soumis à la convention collective nationale du 1er juillet 2004, il n’en va pas de même de celles de l’article L. 3171-4 du code du travail relatives à la preuve de l’existence ou du nombre des heures effectuées.
Aux termes de l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.
Il résulte des articles L. 3171-2 à L. 3171-4 du code du travail, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.
Mme [I] [V] soutient avoir accompli 250 heures supplémentaires non rémunérées.
A l’appui de sa prétention, elle produit un document signé des deux parties reprenant ses horaires de travail en distinguant les semaines d’école et les semaines de vacances pour déterminer son salaire net mensuel dans le cadre de la mensualisation, salaire repris dans le cadre du contrat régularisé.
Aucun autre élément n’est produit contredisant ce document quant aux horaires de travail.
Dès lors, par arrêt confirmatif, la demande au titre des heures supplémentaires est rejetée, faute pour la salariée de produire des éléments suffisamment précis mettant l’employeur en mesure d’y répondre utilement.
Alors qu’il est établi que Mme [Y] [L] n’a plus réglé les salaires, élément déterminant de la relation contractuelle, sans avoir procédé à la rupture du contrat de travail, c’est à raison que les premiers juges ont retenu que la prise d’acte devait produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse à effet au 23 juillet 2020.
Ils sont donc confirmés de ce chef.
Sur les conséquences de la rupture
Contrairement à ce que prétend Mme [Y] [L], le paiement du salaire de janvier ne s’analyse pas comme étant la rémunération du préavis dû et dès lors, sur la base du salaire net justement retenu, l’employeur est redevable de la somme de 553,45 euros au titre du préavis.
L’indemnité de licenciement égale à 1/120ème du total des salaires nets perçus pendant la durée des contrats a été justement calculée en première instance compte tenu de la rupture au 23 juillet 2020 et faute pour l’employeur d’établir son règlement, preuve qui ne peut résulter de la seule mention portée sur l’attestation Pôle emploi.
La cour confirme le jugement entrepris ayant statué sur ce point.
Mme [I] [V] ayant deux ans d’ancienneté, ses dommages et intérêts ne peuvent être inférieurs à un demi-mois de salaire.
Faute de produire tous éléments de nature à justifier de sa situation professionnelle postérieurement à la rupture du contrat de travail, par arrêt infirmatif, la cour lui alloue la somme de 450 euros à titre de dommages et intérêts.
Sur les dépens et frais irrépétibles
En qualité de partie principalement succombante, Mme [Y] [L] est condamnée aux entiers dépens et déboutée de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.
Pour le même motif, prenant en compte l’aide juridictionnelle partielle dont bénéficie Mme [I] [V], Mme [Y] [L] est condamnée à lui payer la somme de 300 euros en cause d’appel, en sus de la somme allouée en première instance pour les frais générés par l’instance et non compris dans les dépens.
Dispositif
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Infirme le jugement entrepris en ce qu’il a statué sur le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Statuant à nouveau,
Condamne Mme [Y] [L] à payer à Mme [I] [V] la somme de 450 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Le confirme en ses autres dispositions ;
Y ajoutant,
Condamne Mme [Y] [L] à payer à Mme [I] [V] la somme de 300 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en appel ;
Déboute Mme [Y] [L] de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Mme [Y] [L] aux entiers dépens de première d’instance et d’appel.
La greffière La présidente