Décision de justice sur la Confidentialité

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REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Chambre commerciale internationale

POLE 5 – CHAMBRE 16

ARRET DU 14 FEVRIER 2023

(n° 21 /2023 , 16 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/16659 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGORO

Décision déférée à la Cour : ordonnance de référé-rétractation rendue par le Président du tribunal judiciaire de Paris le 13 septembre 2022 (3è chambre 3è section) RG n° 22/00651

APPELANTE

PHILIPS FRANCE COMMERCIAL

société par actions simplifiée

immatriculée au RCS de NANTERRE sous le numéro 811 847 243

ayant son siège social : [Adresse 2]

prise en la personne de ses représentants légaux,

Représentée par Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : K0111

Assistée par Me Sabine AGÉ et Me Amandine MÉTIER, de la SAS HOYNG ROKH MONEGIER, avocats plaidants du barreau de PARIS

INTIMEE

THALES S.A.

Société de droit français

immatriculée au RCS de NANTERRE sous le numéro 552 059 024

ayant son siège social : [Adresse 10] (FRANCE)

Représentée par Me Grégoire DESROUSSEAUX de la SCP AUGUST & DEBOUZY et associés, avocat postulant et plaidant du barreau de PARIS, toque : P0438

Assistée par Me Abdelaziz KHATAB, de la SCP AUGUST & DEBOUZY ET ASSOCIÉS, avocat plaidant du barreau de PARIS, toque : P0438

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 13 Décembre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Daniel BARLOW, Président

Mme Fabienne SCHALLER, Conseillère

Mme Laure ALDEBERT, Conseillère

qui en ont délibéré.

Un rapport a été présenté à l’audience par Mme Fabienne SCHALLER, dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Najma EL FARISSI

ARRET :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Daniel BARLOW, président de chambre et par Najma EL FARISSI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* *

*

I/ FAITS ET PROCEDURE

1. La cour est saisie selon la procédure à jour fixe de l’appel d’une ordonnance de référé-rétractation rendue par le Président du tribunal judiciaire de Paris le 13 septembre 2022, qui a rejeté la demande de rétractation et de modification de l’ordonnance sur requête qu’il avait rendue le 15 novembre 2021 au visa des articles 145 et suivants du code de procédure civile.

2. La société THALES SA (ci-après la société « Thales ») est la société mère de droit français du groupe Thales, acteur mondial de l’électronique et des équipements dans les domaines de l’aérospatial, de la défense, de la sécurité et du transport terrestre. Le groupe Thales est entré au capital de Gemalto Bv en 2019, ce groupe étant spécialisé dans la communication « machine to machine » (M2M) permettant aux objets d’échanger entre eux sans fil ni intervention humaine (aussi appelé « internet of things » ou « IoT »).

3. La société PHILIPS FRANCE COMMERCIAL (ci-après désignée « Philips ») est une filiale de droit français de la société néerlandaise Koninklijke Philips Nv, chargée de la commercialisation en France des produits du groupe, lequel est un acteur mondial de l’électronique et des télécommunications mobiles (normes Gsm) et titulaire d’un portefeuille de brevets essentiels déclarés comme tels à l’ETSI.

4. Les produits développés par le groupe Gemalto mettant en ‘uvre lesdites normes (GSM, Umts et Lte), les parties se sont rencontrées à partir de 2015 et les groupes Philips et Thales (avec Gemalto) sont entrés en négociation en vue de la conclusion d’un accord de licence FRAND (« Fair, Reasonnable and Non Discriminatory ») portant sur les brevets essentiels de la société Philips.

5. En 2020, au terme de cinq années de négociations infructueuses, le groupe Philips estimant que les sociétés Gemalto, devenues Thales, avaient contrefait certains de ses brevets, a engagé diverses actions en contrefaçon aux Etats-Unis contre la société Thales aux fins d’obtenir l’interdiction d’accès au marché américain des produits selon elle contrefaisants des sociétés Thales et Gemalto.

6. Estimant que ces actions en justice étaient instrumentalisées par la société Philips pour forcer la société Thales à accepter des conditions de négociations de licence en violation du droit de la concurrence européen et considérant que le comportement fautif de Philips lui causait un grave préjudice, la société Thales a formé le 9 novembre 2021 une demande sur requête de mesures d’instruction in futurum qui a donné lieu à une ordonnance sur requête du délégué du président du tribunal judiciaire de Paris du 15 novembre 2021 aux termes de laquelle le juge des requêtes a :

« autorisé la société Thales à faire procéder, par tout huissier de son choix, à des mesures d’instruction selon l’article 145 du code de procédure civile aux fins de faire constater et établir les faits dommageables commis en France par le groupe Philips dans sa conduite des négociations en vue de parvenir à la conclusion d’une licence « FRAND » portant sur ses droits de brevets déclarés essentiels aux normes GSM, AMR, UMTS et LTE auprès de l’ETSI ;

« autorisé tout huissier territorialement compétent, au choix de la requérante, à procéder aux mesures d’instruction dans les locaux de la société Philips France Commercial, situés [Adresse 2] ;

‘ autorisé l’huissier instrumentaire à se faire assister :

– par tout huissier, ainsi que tout clerc ou collaborateur de son choix ; et/ou

– par un expert informatique indépendant de son choix ;

– par un serrurier ; et/ou

– par un commissaire de police ou tout autre représentant de la force publique territorialement compétent requis à cette fin par l’huissier afin de veiller à l’accomplissement de sa mission ;

‘ autorisé l’huissier instrumentaire :

– à accéder, ou faire accéder, à tout service et/ou système de messagerie électronique professionnelles et/ou personnelles, ainsi qu’aux espaces de stockage, accessibles à partir de et/ou installé sur tout système informatique (postes informatiques fixes ou portables, disque dur interne ou externe, CD Rom, serveur, intranet, extranet, téléphones, support de données local ou délocalisé), existant ou accessible sur le lieu des mesures ordonnées, à partir du poste informatique professionnel de Mme [K] [C], ainsi que de toute personne ayant participé ou participant aux négociations visées ci-dessus, pour le compte du groupe PHILIPS,

– et à effectuer des recherches, sur les différents supports informatiques (dont les fichiers effacés éventuellement récupérés par ses assistants ou par le technicien), au besoin après extinction, redémarrage, réinitialisation des mots de passe, extraction et examen des disques durs et/ou toute autre manipulation nécessaire, en utilisant les termes de recherche suivant, seuls ou en combinaison : ‘Thales’, ‘Gemalto’, ‘[H] [E]’, ‘[E]’, ‘[Courriel 8]’ ‘[U] [X]’. ‘[Courriel 3]’. ‘[Courriel 4]’, ‘[V] [T]’, ‘[Courriel 6]’, [Courriel 7], ‘International Trade Commission’, ‘ITC’, ‘United States International Trade Commission’, ‘USITC’, ‘injunction’.

– Copier, sur tout support qui lui plaira, l’ensemble des courriels, documents, fichiers, dossiers échangés, créés, modifiés ou supprimés par les personnes visées plus haut, entre le 11 décembre 2015 et la date de réalisation des mesures ordonnées, et se rapportant aux faits décrits ci-dessus, à l’exclusion de tout courriel, document, fichier, dossier, identifié comme personnel ; »

7. La mesure a été exécutée le 14 décembre 2021 au siège de la société Philips France Commercial, et l’huissier a placé l’ensemble des éléments en copie sur clé USB et sous séquestre provisoire.

8. Par exploit d’huissier en date du 14 janvier 2022, la société Philips a saisi le juge des référés d’une demande de rétractation de ladite ordonnance et subsidiairement de modification de cette ordonnance.

9. C’est dans ces conditions qu’a été rendue l’ordonnance du 13 septembre 2022 par laquelle le juge des requêtes, statuant en référé, a rejeté les demandes de la société Philips de rétractation et modification de ladite ordonnance et, y ajoutant, a ordonné une mesure d’expertise, désignant Madame le Batonnier [J] pour y procéder, aux fins de se faire remettre le procès-verbal des opérations du 14 décembre 2021 ainsi que l’ensemble des éléments saisis et placés sous séquestre provisoire, réunir un cercle de confidentialité constitué uniquement des avocats de chacune des parties et :

« – ouvrir le séquestre provisoire, procéder à son examen en présence des conseils des parties, et identifier :

* de première part, pour les écarter, les documents protégés au titre du secret des correspondances entre avocat (français ou étranger) et client, étendu aux courriels de juristes internes du groupe Philips qui relateraient le contenu d’une telle correspondance, tous éléments dont les avocats de la société Thales ne pourront prendre connaissance,

* de deuxième part, pour les écarter également, les documents identifiés comme personnels par Mme [C],

– dresser la liste des deux catégories de documents, en mentionnant les observations éventuelles des parties, annexer les documents contenant des informations utiles à son rapport, et non couverts par le secret professionnel, et faire ensuite retour des documents originaux à l’huissier, lequel en sera constitué séquestre jusqu’à ce qu’il soit à nouveau et définitivement statué (en particulier sur la protection des données couvertes par le secret des affaires du groupe Philips) ».

10. Par déclaration en date du 11 octobre 2022, la société Philips a interjeté appel de cette ordonnance.

11. Le 19 octobre 2022, la société Philips a été autorisée à assigner la société Thales à jour fixe devant la chambre 5-16 de la cour d’appel de Paris pour l’audience du 13 décembre 2022 à 14 heures 30.

12. Par ordonnance du 1er décembre 2022, le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris a fixé la provision due à l’expert par la société Thales à 24 000 euros, indiqué que les conseils de la société Philips ont la charge de la sélection des messages couverts par le secret professionnel, de ceux qui ne le sont pas et de ceux relevant d’une catégorie intermédiaire. Le juge a par ailleurs décidé qu’un premier travail de sélection sera effectué sur 100 messages et qu’un point sera fait à l’issue de ce premier tri. L’expert devra remettre son rapport avant le 29 juin 2023 (et non plus au 31 janvier 2023 comme cela était initialement prévu).

II/ PRETENTIONS DES PARTIES

13. Aux termes de conclusions communiquées par voie électronique le 9 décembre 2022, la société Philips France Commercial demande à la Cour, au visa des articles 490, 917, 918, 232, 249 et 700 du Code de procédure civile, de bien vouloir :

A titre principal,

– INFIRMER l’ordonnance du 13 septembre 2022 en ce qu’elle a rejeté les demandes de la société Philips France Commercial aux fins de rétractation et de modification de l’ordonnance du 15 novembre 2021,

– et, statuant à nouveau, RETRACTER l’ordonnance du 15 novembre 2021 dans toutes ses dispositions,

A titre subsidiaire pour le cas où l’ordonnance du 15 novembre 2021 ne serait pas rétractée:

– de CONFIRMER l’ordonnance du 13 septembre 2022 en ce qu’elle a ordonné une mesure d’expertise et désigné pour y procéder Madame [I] [J], [Adresse 1] ([Courriel 5]),

– d’INFIRMER l’ordonnance du 13 septembre 2022 pour le surplus en toutes ses dispositions concernant la mesure d’expertise,

et, statuant à nouveau :

DESIGNER, aux côtés de Madame [J], pour procéder à la mesure d’expertise ordonnée, Monsieur [G] [L], avocat aux barreaux de Paris et New-York, [Adresse 9],

– ORDONNER à l’huissier instrumentaire de remettre à Madame [J] et à Monsieur [L] une copie du procès-verbal des opérations du 14 décembre 2021, ainsi que de l’ensemble des éléments saisis au siège de la société Philips France Commercial et placés sous séquestre provisoire,

– DIRE que Madame [J] et Monsieur [L] auront pour mission de:

 » rechercher :

1° les messages et documents échangés entre Philips et ses avocats,

2° les messages et documents internes de Philips s’inscrivant dans une stratégie de défense ou évoquant les conseils juridiques fournis par ses avocats,

 » trier ces messages conformément à ces deux catégories et, pour chacune d’entre elles, par sous-catégorie correspondant chacune au pays auquel se rattache le message (soit par référence au lieu d’exercice de l’avocat destinataire ou auteur du message, soit par référence au territoire où s’applique la stratégie judiciaire ou le conseil juridique évoqués), pour que leur protection soit ensuite analysée au regard du droit applicable,

 » rechercher les messages et documents à caractère personnel ou identifiés comme « personnel » par Madame [K] [C],

 » enregistrer l’ensemble de ces messages et documents, ainsi organisés, sur deux clés USB identiques,

 » dire que Madame [J] et Monsieur [L] pourront recueillir toute observation de la société Philips France Commercial et de ses conseils pour accomplir leur mission,

 » dire que Madame [J] et Monsieur [L] devront, à l’issue de leur mission, remettre au greffe et à la société Philips France Commercial, une clé USB chacun sur laquelle auront été copiés les éléments précités couverts par le secret professionnel ou se rapportant à des données personnelles, ainsi que le constat rapportant ses opérations de tri de ses éléments,

 » dire que Madame [J] et Monsieur [L] devront remettre à l’huissier les éléments saisis expurgés des éléments couverts par le secret professionnel ou se rapportant à des données personnelles,

 » ordonner à l’huissier instrumentaire de maintenir sous séquestre provisoire ces éléments saisis, jusqu’à ce qu’il soit statué, au fond, sur la légalité de la mesure,

 »dire que la société Thales fera l’avance des honoraires de Madame [J] et de Monsieur [L] pour l’exécution de leur mission,

 » dire que, au regard, du constat réalisé par Madame [J] et Monsieur [L], il appartiendra à la société Philips France Commercial de ressaisir le juge des référés ou de saisir le juge de la mise en état dans la procédure au fond pendante devant la 3e chambre 1ère section du tribunal judiciaire de Paris et enregistrée sous le numéro de rôle 21/16149, afin qu’il soit statué sur le sort des messages et documents couverts par le secret professionnel ou se rapportant à des données personnelles saisis lors de l’exécution de la mesure du 14 décembre 2021,

A titre très subsidiaire pour le cas où l’ordonnance du 15 novembre 2021 ne serait pas rétractée, et par application de la Convention de la Haye du 18 mars 1970 et des articles 734, 734-1 et 734-2 du code de procédure civile,

– ORDONNER à l’huissier instrumentaire de remettre une copie de la clé USB contenant les informations saisies au greffe de la 3e chambre, 1ère section du tribunal judiciaire de Paris,

– DEMANDER par commission rogatoire à l’autorité compétente désignée par les États-Unis d’Amérique la désignation d’un juge, en particulier un juge de la District Court for the District of Delaware, afin qu’il étudie les éléments saisis présents sur la clé USB et indique ceux qui sont protégés au titre du legal privilege ou de la doctrine du work product selon la loi américaine applicable,

– RECONVOQUER les parties à l’issue de l’exécution de la mesure afin qu’il soit statué sur le sort des éléments ainsi identifiés,

En tout état de cause,

– DEBOUTER la société Thales de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions;

– CONDAMNER la société Thales au paiement de la somme de 50 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens, qui seront directement recouvrés par la SCP Grappotte Benetreau dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile.

14. Aux termes de conclusions notifiées par voie électronique le 12 décembre 2022, la société Thales SA demande à la Cour, au visa des articles 490, 145, 232, 249, 699 et 700 du Code de procédure civile, de bien vouloir :

– CONFIRMER l’ordonnance du 13 septembre 2022 en toutes ses dispositions sauf sur les quatrième et cinquième chefs de mission suivants :

« – ouvrir le séquestre provisoire, procéder à son examen en présence des conseils des parties, et identifier :

* de première part, pour les écarter, les documents protégés au titre du secret des correspondances entre avocat (français ou étranger) et client, étendu aux courriels de juristes internes du groupe Philips qui relateraient le contenu d’une telle correspondance, tous éléments dont les avocats de la société Thales ne pourront prendre connaissance,

* de deuxième part, pour les écarter également, les documents identifiés comme personnels par Mme [C],

– dresser la liste des deux catégories de documents, en mentionnant les observations éventuelles des parties, annexer les documents contenant des informations utiles à son rapport, et non couverts par le secret professionnel, et faire ensuite retour des documents originaux à l’huissier, lequel en sera constitué séquestre jusqu’à ce qu’il soit à nouveau et définitivement statué (en particulier sur la protection des données couvertes par le secret des affaires du groupe Philips) » ;

– INFIRMER l’ordonnance sur ces chefs de mission

Et, statuant à nouveau, REMPLACER ces chefs de mission par :

« – ouvrir le séquestre provisoire, procéder à son examen en présence des conseils des parties, et identifier :

* de première part, les documents protégés au titre du secret des correspondances entre avocat (français ou étranger) et client, pour les écarter sans que les avocats de la société Thales ne puissent en prendre connaissance,

* de deuxième part, les documents de juristes internes du groupe Philips qui relateraient le contenu de documents protégés au titre du secret des correspondances entre avocat français et client, dans les conditions posées par la Cour de cassation dans son arrêt du 26 janvier 2022, pourvoi n°17-87359, pour y canceller ce contenu relaté, sans que les avocats de la société Thales ne puissent prendre connaissance de ce contenu relaté,

* de troisième part, pour les écarter, les documents identifiés comme personnels par Mme [C],

– dresser la liste des trois catégories de documents, en mentionnant les observations éventuelles des parties, annexer les documents contenant des informations utiles à son rapport, et non couverts par le secret professionnel, et faire ensuite retour des documents originaux à l’huissier, lequel en sera constitué séquestre jusqu’à ce qu’il soit à nouveau et définitivement statué (en particulier sur la protection des données couvertes par le secret des affaires du groupe Philips) ; » ;

– DEBOUTER la société Philips France Commercial de l’ensemble de ses demandes ;

– CONDAMNER Philips France Commercial à payer à Thales SA la somme de 20 000 € (vingt mille euros) au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– CONDAMNER Philips France Commercial aux dépens.

III/ MOTIFS DE LA DECISION

15. Il résulte de l’article 145 du code de procédure civile que s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.

16. Aux termes de l’article 493 du code de procédure civile, l’ordonnance sur requête est une décision provisoire tenue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse.

17. Selon l’article 496, alinéa 2, du code de procédure civile, s’il est fait droit à la requête, tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu l’ordonnance.

18. L’article 497 du même code précise que le juge a la faculté de modifier ou de rétracter son ordonnance, même si le juge du fond est saisi de l’affaire.

19. Il en résulte que l’instance en rétractation d’une ordonnance rendue sur requête a une nature particulière, qu’elle n’est pas une voie de recours et qu’elle a pour seul objet de soumettre à l’examen d’un débat contradictoire les mesures initialement ordonnées à l’initiative d’une partie en l’absence de son adversaire, la saisine du juge de la rétractation se trouvant limitée à cet objet.

20. C’est dès lors dans les limites de cet objet et des dispositions de l’article 561 du code de procédure civile que la cour est saisie d’un appel de cette ordonnance.

Sur les demandes à titre principal

1- Sur l’absence de motivation de la dérogation au principe de la contradiction

21. La société Philips soutient que la société Thales n’a pas justifié, pour déroger au principe de la contradiction et formuler une requête ex parte, qu’il existait un risque sérieux de dépérissement des preuves.

22. Elle fait valoir qu’aucun risque n’était avéré, ce que la société Thales ne pouvait ignorer, puisque dans le cadre des procédures engagées aux Etats-Unis, la salariée de Philips, Madame [C], était tenue à une obligation de litigation hold, c’est-à-dire à une stricte obligation de conservation des éléments susceptibles d’être communiqués aux juridictions américaines dans le cadre desdites procédures, lesquels sont similaires à ceux recherchés au terme de l’ordonnance du 15 novembre 2021, et donc non susceptibles de disparaitre. Elle précise que le risque de disparition est d’autant moins possible qu’une « retention policy » a été mise en place précisément pour imposer un devoir de conservation des preuves, même volatiles.

23. De plus, la société Philips indique que la société Thales avait déjà reçu communication, dans le cadre des procédures devant les juridictions américaines au titre de la Discovery (communication de tous les éléments non couverts par le secret professionnel), de toutes les informations recherchées.

24. Enfin, la société Philips fait valoir que la société Thales aurait pu obtenir l’accès aux documents litigieux pour les besoins de la procédure française en formant une demande contradictoire auprès d’une District Court américaine, sur le fondement du titre 28 §1782 de l’U.S. Code.

25. Elle en conclut que rien ne justifiait de déroger au principe de la contradiction et de procéder par voie de requête.

26. En réponse, la société Thales soutient qu’elle a parfaitement justifié la nécessité d’obtenir sur requête les mesures d’instruction sollicitées. Elle indique que la preuve du comportement fautif de la société Philips dans les négociations était entre les mains de celle-ci et que la mise en place d’une procédure de discovery à l’étranger est sans pertinence pour le présent litige en France.

27. La société Thales fait valoir que les obligations pesant sur Madame [C] aux Etats-Unis en tant que litigation holder n’écartaient pas le risque de dépérissement des preuves en France puisque la retention policy américaine ne concerne pas la filiale française de Philips. Elle en déduit qu’au contraire, cela ne fait que démontrer la nature volatile de ces preuves et l’intérêt actuel, au moment de la requête, de procéder ex parte.

28. Elle conteste enfin qu’une requête fondée sur l’article 28 §1782 de l’US Code aurait pu prospérer, la société Philips France Commercial étant une société française, ayant son siège social en France. Il en est de même pour Madame [K] [C] qui est domiciliée en France. En outre, elle soutient que les procédures américaines et la procédure devant le tribunal judiciaire de Paris ont des fondements et des objets totalement différents.

29. Dès lors, la société Thales conclut que le moyen tiré de l’insuffisance de motivation de la nécessité de déroger au principe du contradictoire doit être écarté.

SUR CE,

30. Il est constant que les circonstances justifiant qu’il soit dérogé au principe de la contradiction pour ordonner des mesures ex parte doivent être caractérisées dans la requête et dans l’ordonnance qui y fait droit.

31. En l’espèce, il résulte des paragraphes 12 et suivants de l’ordonnance entreprise que les moyens invoqués dans la requête ont non seulement été rappelés par le juge des requêtes saisi de la demande de rétractation, mais ont également, à juste titre, été retenus comme suffisamment caractérisés, par des motifs que la cour adopte, l’ordonnance soulignant notamment que le risque de dépérissement des preuves était établi par la nature volatile et facilement destructible des preuves qui consistaient essentiellement en des échanges de courriels, et qu’il n’était pas établi qu’en application des règles américaines applicables pour le litige engagé aux Etats-Unis, l’obligation pour la salariée de la société Philips, Madame [C], de ne pas détruire les pièces relatives à la procédure aux Etats-Unis en sa qualité de « litigation holder », notion de droit américain, couvre les pièces relatives à la procédure en France.

32. En tout état de cause, les règles de procédure applicables aux Etats-Unis n’ont pas vocation à s’appliquer en France, et le juge des requêtes a précisé que la société Philips France Commercial n’était pas partie à cette procédure de « discovery » et que c’était la société Philips RS North America qui était soumise au devoir de conservation des pièces électroniques.

33. La dérogation au principe du contradictoire apparait dès lors suffisamment justifiée par la nécessité de préserver des preuves par nature volatiles (échanges de courriels détenus par une salariée de la société Philips), les éléments produits aux débats établissant un risque certain de dépérissement desdites preuves, nécessaires pour le litige en jeu.

2- Sur la déloyauté

34. La société Philips invoque l’exigence de loyauté envers le juge dans une procédure non contradictoire et soutient que la société Thales a adopté un comportement déloyal dans sa présentation des faits de l’affaire. Elle affirme que la société Thales a volontairement caché, d’une part, être déjà en possession de certaines informations, notamment dans le cadre des procédures intentées aux Etats-Unis et, d’autre part, avoir saisi la Commission européenne d’une demande d’enquête sur le comportement du groupe Philips au regard des règles du droit de la concurrence européenne.

35. Elle ajoute que la société Thales n’a jamais contesté ni les termes du protective order ni l’étendue des éléments communiqués par Philips alors qu’elle aurait pu le faire. La société Philips soutient que Thales cherche en réalité à contourner les règles de protection américaines et les règles de secret des affaires pour avoir un accès direct aux accords conclus par ses concurrents directs avec Philips.

36. De plus, la société Philips fait valoir que la société Thales aurait pu faire usage de la procédure contradictoire du titre 28 § 1782 du U.S. Code pour demander aux sociétés Philips la communication de certains documents, et qu’elle aurait dû le mentionner dans sa requête, ce qu’elle n’a pas fait.

37. Enfin, la société Philips reproche à la société Thales d’avoir omis de mentionner au juge français l’existence d’un accord de confidentialité de leurs échanges conclu entre les parties alors que la mesure d’instruction demandée a permis d’appréhender des discussions couvertes par cet accord.

38. En réponse, la société Thales rappelle tout d’abord que le moyen de rétractation tiré du défaut de loyauté ne fait pas partie des conditions de l’article 145 du code de procédure civile et conteste en tout état de cause avoir fait preuve de déloyauté dans la présentation de sa requête.

39. Elle soutient avoir informé le juge des requêtes en détail sur la base d’éléments concrets concernant le contexte du litige et avoir communiqué l’ensemble des pièces au soutien de sa demande, sans omission. Elle conteste toute déloyauté au regard du périmètre du « protective order » américain, qui est sans effet sur la procédure en France.

40. Elle indique qu’elle n’avait aucune obligation d’informer le juge des requêtes de sa demande d’enquête à la Commission Européenne.

41. La société Thales ajoute qu’il ne peut pas lui être reproché de ne pas avoir mentionné l’existence de l’accord de confidentialité entre les parties dans sa requête dès lors que l’existence même de cet accord était confidentielle. En outre, les échanges intervenus entre les parties et couverts par cet accord de confidentialité ne sont pas les documents visés par la requête et quand bien même Thales aurait souhaité faire état d’éléments couverts par cet accord, il était possible d’appliquer les dispositions prévues pour la protection du secret des affaires.

SUR CE,

42. C’est par des motifs précis et circonstanciés que la cour adopte que le juge des requêtes saisi en référé a écarté la demande de rétractation de l’ordonnance pour défaut de loyauté dans la présentation de ses demandes, rappelant que ce moyen rajoute une condition que la loi ne prévoit pas.

43. En tout état de cause, les demandes de la requérante ont été très précisément présentées dans la requête et prises en compte dans l’ordonnance, sans qu’il en résulte une présentation mensongère des demandes.

44. A titre surabondant, lors du débat contradictoire dans le cadre de la demande de rétractation et devant la cour, il n’est pas apparu que la société Thalès aurait manqué de loyauté dans la présentation de ses demandes.

45. Il ne pouvait enfin être exigé de la requérante d’anticiper sur les arguments postérieurs tirés du débat contradictoire, la loyauté s’appréciant au moment du dépôt de la requête.

46. C’est dès lors à juste titre que le juge des requêtes a écarté le moyen tiré de l’absence de loyauté en se fondant sur des omissions alléguées dont il a considéré que la révélation n’aurait « nullement été de nature à modifier l’appréciation du juge des requêtes ».

3- Sur l’absence de motif légitime

47. La société Philips soutient que si la recherche ou la conservation des preuves destinées à établir un litige éventuel est un motif légitime au sens de l’article 145 du code de procédure civile, le juge de la rétractation doit tenir compte des éléments de preuve produits à l’appui de la requête et postérieurement à celle-ci pour apprécier l’existence d’un tel motif.

48. Or, la société Thales aurait selon elle volontairement dissimulé être déjà en possession de certaines informations recherchées en France et avoir saisi la Commission européenne d’une demande d’enquête. Dès lors, la mesure d’instruction in futurum sollicitée n’était pas légitime.

49. La société Philips souligne que la société Thales n’a pas eu besoin des éléments de preuve saisis pour assigner certaines sociétés du groupe Philips en responsabilité délictuelle trois jours après l’exécution de la mesure et avant même d’avoir eu accès aux documents saisis.

50. En réponse, la société Thales soutient qu’il ne lui revenait pas de justifier du bien-fondé de son action devant le Tribunal judiciaire de Paris, au stade de la requête, dès lors que cela relève des débats au fond. De plus, elle conteste détenir les éléments auxquels elle a demandé à avoir accès : ni la procédure de discovery, ni la demande d’enquête à la Commission ne lui ont donné, et ne lui donneront accès aux éléments de preuve nécessaires pour les besoins de son action devant le tribunal judiciaire de Paris.

51. Elle ajoute qu’aucun argument ne peut être tiré du fait qu’elle a assigné la société Philips avant d’avoir accès aux éléments saisis.

SUR CE,

52. Il résulte de l’article 145 du code de procédure civile que pour apprécier l’existence d’un motif légitime pour une partie de conserver ou d’établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, il n’appartient pas au juge de trancher les conditions de mise en ‘uvre de l’action que cette partie pourrait ultérieurement engager.

53. Cet article n’exige pas du demandeur qu’il établisse le bien-fondé de l’action en vue de laquelle la mesure est sollicitée, la légitimité du motif s’appréciant au regard de l’utilité de cette mesure.

54. En l’espèce, la société Thalès a expliqué clairement dans sa requête les circonstances de fait qui ont justifié le dépôt de sa demande de mesures d’instruction, exposant de façon détaillée le déroulement des négociations du contrat de licence et l’échec de celles-ci, et soulignant le rôle prépondérant que semble avoir joué Madame [K] [C] dans les négociations et dans la stratégie dont elle estime avoir été victime. Après avoir rappelé les litiges engagés devant les juridictions américaines, la société Thales a rappelé qu’elle n’avait saisi aucun tribunal français au jour du dépôt de sa requête et que compte tenu de la volatilité des preuves contenues dans des échanges d’e-mails, des enjeux et des fautes qu’elle estimait établies, et du rôle joué par la salariée de Philips, Madame [C], dans la stratégie de négociation, elle devait réunir les preuves avant d’engager une action, et elle justifiait ainsi suffisamment d’un motif légitime.

55. Elle a, ce faisant, justifié d’un motif légitime, par la démonstration du lien existant entre les mesures sollicitées et le litige l’opposant à la société Philips, et de l’utilité de ces mesures, sans qu’il soit démontré qu’elle aurait déjà eu en sa possession les éléments de preuve ainsi recherchés.

56. C’est dès lors à juste titre que le juge a refusé de rétracter son ordonnance en faisant référence à l’assignation délivrée postérieurement à l’exécution des mesures, dont il a considéré qu’elle ne faisait que confirmer le motif légitime.

4- Sur la proportionnalité de la mesure

57. La société Philips soutient qu’en vertu de l’article 145 du Code de procédure civile les mesures légalement admissibles ne peuvent être générales et doivent être circonscrites dans le temps, dans leur objet et proportionnées à l’objectif poursuivi, qu’en l’espèce, les mesures sollicitées ne sont pas légalement admissibles dès lors qu’elles ne prennent pas en compte ses intérêts légitimes et ne sont pas proportionnées au but recherché.

58. La société Philips fait valoir que les termes de recherches autorisés sont trop génériques et que la protection des éléments susceptibles d’être couverts par le secret professionnel ou par des règles de droit indépendantes liées à la stratégie et au règlement des litiges n’est pas assurée.

59. Elle fait valoir que la correspondance interne au groupe Philips est protégée par le secret professionnel dès lors qu’elle concerne une stratégie de défense mise en place par ses avocats, quelle que soit la procédure envisagée ou engagée et qu’il en est de même des communications échangées entre les salariés du groupe Philips évoquant la stratégie procédurale définie par leurs avocats américains (protégées par le « work product » aux Etats Unis). A ce titre, Philips précise qu’il ressort d’une jurisprudence américaine constante que l’attorney-client priviledge et la doctrine du work product s’appliquent à toutes les communications entre une personne non-domiciliée aux Etats-Unis et non employée par une société américaine avec des avocats ou in-house counsels américains dès lors que ces communications concernent les Etats-Unis.

60. La société Philips ajoute que la société Thales n’était pas recevable à se prévaloir d’un quelconque droit à réparation pour des faits commis plus de cinq ans avant le commencement de son action, soit le 15 novembre 2016, et qu’elle n’avait donc pas le droit d’obtenir une mesure d’instruction pour des faits déjà prescrits.

61. De plus, la société Philips indique que la mesure n’est pas suffisamment circonscrite dans le temps. Enfin, elle soutient que la mesure est disproportionnée au regard des éléments de preuve déjà communiqués aux sociétés Thales par le groupe Philips.

62. En réponse, la société Thales soutient que les mesures ordonnées étaient légalement admissibles.

63. Tout d’abord, elle relève que les mots-clés choisis pour effectuer les recherches étaient parfaitement justifiés au regard des objectifs des mesures ordonnées, qu’ils étaient limités de sorte à ne pas dépasser ce cadre.

64. La société Thales soutient par ailleurs que les conditions d’extension du secret professionnel des avocats posées dans l’arrêt de la Cour de cassation du 26 janvier 2022 sont très strictes et que la solution de cet arrêt, qu’elle juge de faible portée, n’a pas vocation à s’appliquer s’agissant d’une stratégie concernant une affaire engagée à l’étranger ou élaborée par des conseils autres que des avocats français dès lors qu’elle a été rendue au visa de l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971. Elle fait valoir que le droit français ne protège pas les communications internes des juristes français.

65. Elle conteste également l’argument tiré de la prescription, considérant que les faits poursuivis par Thales ne sont pas prescrits, qu’elle peut parfaitement rechercher des preuves antérieures à ces faits pour les établir.

66. Les mesures ordonnées étaient proportionnées à leur objectif, Thales rappelle que la procédure de discovery n’a aucune pertinence pour l’action intentée par Thales en France et ne permet aucunement d’obtenir les preuves nécessaires. Elle ajoute que la nécessité de recourir à une procédure non contradictoire était légitime.

SUR CE,

67. Il résulte de l’article 145 du code de procédure civile que constituent des mesures légalement admissibles des mesures d’instruction circonscrites dans le temps et dans leur objet et proportionnées à l’objectif poursuivi.

68. En l’espèce, l’ordonnance contestée a fixé des limitations dans le temps et dans leur objet de la façon suivante, autorisant l’huissier instrumentaire :

« – à accéder, ou faire accéder, à tout service et/ou système de messagerie électronique professionnelles et/ou personnelles, ainsi qu’aux espaces de stockage, accessibles à partir de et/ou installé sur tout système informatique (postes informatiques fixes ou portables, disque dur interne ou externe, CD Rom, serveur, intranet, extranet, téléphones, support de données local ou délocalisé), existant ou accessible sur le lieu des mesures ordonnées, à partir du poste informatique professionnel de Mme [K] [C], ainsi que de toute personne ayant participé ou participant aux négociations visées ci-dessus, pour le compte du groupe PHILIPS,

– et à effectuer des recherches, sur les différents supports informatiques (dont les fichiers effacés éventuellement récupérés par ses assistants ou par le technicien), au besoin après extinction, redémarrage, réinitialisation des mots de passe, extraction et examen des disques durs et/ou toute autre manipulation nécessaire, en utilisant les termes de recherche suivant, seuls ou en combinaison : ‘Thales’, ‘Gemalto’, ‘[H] [E]’, ‘[E]’, ‘[Courriel 8]’ ‘[U] [X]’. ‘[Courriel 3]’. ‘[Courriel 4]’, ‘[V] [T]’, ‘[Courriel 6]’, [Courriel 7], ‘International Trade Commission’, ‘ITC’, ‘United States International Trade Commission’, ‘USITC’, ‘injunction’.

– Copier, sur tout support qui lui plaira, l’ensemble des courriels, documents, fichiers, dossiers échangés, créés, modifiés ou supprimés par les personnes visées plus haut, entre le 11 décembre 2015 et la date de réalisation des mesures ordonnées, et se rapportant aux faits décrits ci-dessus, à l’exclusion de tout courriel, document, fichier, dossier, identifié comme personnel ; »

69. Il résulte de cette énumération que les mots-clés listés de façon précise et détaillée peuvent être utilisés pour faire des recherches soit en les combinant, soit seuls, ce qui limite l’objet des mesures sollicitées.

70. S’agissant du caractère générique allégué et de l’absence de limitation dans le temps invoqués par la société Philips, l’ordonnance contestée a retenu par des motifs appropriés, que la cour adopte, que : « l’ordonnance n’a autorisé que des recherches circonscrites dans le temps (entre le 11 décembre 2015 et la date d’exécution de la mesure), et dans leur objet, au moyen de mots-clefs, non pas constitués de termes génériques (comme auraient pu l’être par exemple les mots-clefs tribunaux ou procédure), mais de termes spécifiques, et d’identités d’individus précis, tous en strict lien avec les faits dénoncés par la requérante. »

71. Contrairement à ce que soutient la société Philips, le fait d’avoir autorisé la combinaison des termes de recherche n’a pas pour effet d’autoriser l’huissier à faire des recherches sans limite, mais au contraire de restreindre le champ de celles-ci pour mieux cibler la pertinence, en particulier pour les termes comme « ITC » ou « injunction », en les combinant avec les noms propres des quelques personnes identifiées ou avec les adresses mail de ces personnes seulement.

72. En tout état de cause, l’ordonnance ayant ajouté une mesure d’expertise pour procéder au tri des éléments avant leur communication à la société Thales, il ne peut être soutenu que la mesure ne serait pas circonscrite dans son objet.

73. Le moyen selon lequel certains éléments ne pourraient être saisis au motif que l’action au fond serait prescrite est inopérant dans le cadre d’une requête aux fins de mesure d’instruction in futurum.

74. Il n’appartient en effet pas au juge des requêtes de vérifier la recevabilité des actions envisagées, mais au juge du fond saisi du litige de statuer sur l’éventuelle prescription de l’action et partant, sur l’irrecevabilité des preuves se rapportant à l’action alléguée.

75. S’agissant du secret professionnel et du legal privilege couvrant les correspondances entre un avocat et son client, l’ordonnance entreprise a rappelé à juste titre l’article 66-5 de la Loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, modifié par la Loi n°2011-331 du 28 mars 2011 aux termes duquel « En toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l’avocat et ses confrères à l’exception pour ces dernières de celles portant la mention  » officielle « , les notes d’entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel. »

76. L’ordonnance a rapproché ce droit au secret professionnel de celui de « l’attorney-client privilege » américain qu’elle a estimés très similaires et a ordonné une mesure de tri complémentaire, demandée tant par la société Thalès que par la société Philips, faisant ainsi droit à la demande d’exclusion des éléments couverts par le secret professionnel.

77. Elle a en revanche écarté la règle du « work product » qui est une règle de procédure civile propre aux juridictions américaines dans le cadre de la discovery qui n’est pas applicable en France et ne permet pas d’étendre aux juristes d’entreprise qui ne sont pas avocats, les règles du privilège « avocat-client », ce qui était le cas de Madame [C], qui n’était pas avocat, mais juriste salariée.

78. Le juge des requêtes saisi en référé a ainsi désigné un expert aux fins d’extraire des documents saisis ceux portant atteinte au secret des correspondances entre avocat et client, étendu aux courriels de juristes internes qui divulgueraient le contenu d’une telle correspondance, selon les modalités précisées au dispositif de l’ordonnance dont appel, justifiant ainsi avoir pris des mesures proportionnées et légalement admissibles, venant s’ajouter à l’ordonnance initiale, et qui font partie du pouvoir du juge des requêtes.

79. Il n’y a par conséquent pas lieu de réformer l’ordonnance entreprise sur l’ensemble de ces chefs.

Sur les demandes subsidiaires et reconventionnelles

80. La société Philips demande, sur le fondement des articles 232 et 249 du code de procédure civile, et très subsidiairement sur le fondement de la Convention de la Haye du 18 mars 1970 sur l’obtention des preuves à l’étranger en matière civile ou commerciale et des articles 734 et suivants du code de procédure civile, l’ajout de Monsieur [G] [L], en qualité de tiers chargé de faire le tri des éléments couverts par le secret professionnel et les données à caractère personnel parmi les éléments saisis, compte tenu de l’application du droit américain à une partie significative des documents saisis.

81. Elle demande encore que les conseils de la société Thales ne puissent pas assister aux opérations de tri des éléments saisis, ou réunions associées, dès lors que cela leur donnerait accès à des éléments couverts par le secret professionnel ce qui porterait une atteinte irréparable aux droits fondamentaux de Philips.

82. En réponse, la société Thales soutient que la mesure de tri peut être réalisée par tout expert, sans qu’il soit nécessaire de faire intervenir un expert américain, ce d’autant que les dispositions du droit américain invoquées par Philips n’ont aucune vocation à s’appliquer. La société Thales fait valoir que tant les communications des avocats américains de Philips que les communications internes des juristes de Philips peuvent être facilement identifiées, la protection de leur contenu confidentiel n’étant pas menacée.

83. Elle s’oppose à la demande de Philips tendant à voir ses conseils écartés des opérations de tri. A ce titre, elle fait valoir que la déontologie de la profession d’avocat offre suffisamment de gages de préservation des secrets de Philips.

84. Enfin, s’agissant de la demande de commission rogatoire en vue de l’exécution d’une mesure d’instruction aux Etats-Unis, elle indique que cette demande est sans objet dès lors que c’est la loi française qui s’applique pour déterminer l’existence d’une protection des éléments saisis.

85. La société Thales forme une demande reconventionnelle de voir modifier le quatrième chef de mission de l’expert, tel que défini par l’ordonnance litigieuse, au motif qu’elle ne respecte pas exactement les conditions dans lesquelles la Cour de cassation a accepté, dans son arrêt du 26 janvier 2022, d’étendre le secret professionnel des avocats aux communications internes des juristes d’entreprise en France. Thales fait valoir qu’une distinction doit être opérée entre les avocats français et les avocats étrangers et demande une modification subséquente du chef de mission de l’expert.

86. En réponse, la société Philips conteste cette interprétation et sollicite le rejet de cette demande de modification. Elle fait valoir que doivent notamment être écartés des éléments placés sous séquestre provisoire tous échanges internes du groupe Philips qui relateraient ou feraient référence au contenu d’un entretien ou d’une correspondance, quelle qu’en soit la forme, ayant eu lieu entre un membre du groupe Philips et au moins l’un de ses avocats (français ou étranger), ainsi qu’à tout document ou fichier protégé par l’attorney-client privilege ou la doctrine du work product américains.

SUR CE,

87. Il résulte des éléments versés aux débats et des motifs susrappelés que la nomination d’un deuxième expert, spécialiste en droit américain, n’est pas nécessaire compte tenu de la mission de tri qui a été ordonnée, cette mission n’étant pas régie par le droit américain et portant uniquement sur une appréciation factuelle, telle que décrite dans la mission qui est suffisamment précise pour que l’expert déjà nommé puisse remplir cette mission seul. L’utilité d’ordonner une commission rogatoire aux Etats-Unis n’est pas plus justifiée.

88. S’agissant de la demande de voir interdire aux avocats de Thales d’être présents lors des opérations de tri, une telle interdiction n’est justifiée par aucun secret des affaires comme l’invoque à tort la société Philips, et ne se justifie pas au regard de l’article 145 du code de procédure civile, l’ordonnance ayant en outre prévu la constitution d’un « cercle de confidentialité constitué uniquement des avocats de chacune des parties, qui signeront un accord de confidentialité concernant les opérations menées lors de l’expertise » et qu’il en soit référé au juge des requêtes en cas de difficulté, ce qui n’a pas été allégué en l’espèce.

89. S’agissant enfin de la modification de la mission demandée par la société Thales, il ne résulte pas des termes fixés par l’ordonnance litigieuse que les conditions de tri fixées soient contraires aux règles applicables, les données confidentielles couvertes par le secret des correspondances échangées avec un avocat, et contenues dans les documents saisis, devant être écartées par l’expert, comme l’autorise la mission consistant à « écarter les documents protégés au titre du secret des correspondances entre avocat (français ou étranger) et client, étendu aux courriels de juristes internes du groupe Philips qui relateraient le contenu d’une telle correspondance ».

90. Il y a lieu, pour l’ensemble de ces motifs, de confirmer l’ordonnance attaquée en toutes ses dispositions et de rejeter les demandes additionnelles ou reconventionnelles de modification de l’ordonnance.

Sur les frais irrépétibles

91. La société Philips succombant en l’ensemble de ses demandes, il y a lieu de mettre à sa charge les dépens de la présente instance et de la condamner à payer à la société Philips une somme qu’il est équitable de fixer à hauteur de 20 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

IV/ DISPOSITIF

Par ces motifs, la cour :

1) Confirme l’ordonnance de référé rétractation en date du 13 septembre 2022 en toutes ses dispositions soumises à la cour ;

Y ajoutant,

2) Condamne la société Philips France Commercial à payer à la société Thales la somme de vingt-mille euros (20 000 €) au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

3) La condamne aux dépens.

LA GREFFIERE, LE PRESIDENT,

 

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