27/06/2023
ARRÊT N° 426/2023
N° RG 22/02996 – N° Portalis DBVI-V-B7G-O6D6
EV/IA
Décision déférée du 22 Juillet 2022 – Juge de l’exécution de CASTRES ( 22/00320)
Mme GUERIN
S.A.S. CARREMAN INTERNATIONAL
C/
[Z] [U] [K]
INFIRMATION PARTIELLE
Grosse délivrée
le
à
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D’APPEL DE TOULOUSE
3ème chambre
***
ARRÊT DU VINGT SEPT JUIN DEUX MILLE VINGT TROIS
***
APPELANTE
S.A.S. CARREMAN INTERNATIONAL
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Jehan DE LA MARQUE de la SCP D’AVOCATS SALESSE ET ASSOCIES, avocat postulant au barreau de TOULOUSE
Représentée par Me Thomas ALHO ANTUNES, avocat plaidant au barreau de PARIS
INTIMÉ
Monsieur [Z] [U] [K]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 3] CHINE
Représenté par Me Ophélie BENOIT-DAIEF de la SELARL SELARL LEXAVOUE, avocat postulant au barreau de TOULOUSE et par Me Pierre PIC de la SELAS TEYNIER PIC, avocat plaidant au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 15 Mai 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant E.VET, Conseiller, chargé du rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
C. BENEIX-BACHER, président
E.VET, conseiller
A. MAFFRE, conseiller
Greffier, lors des débats : M. BUTEL
ARRET :
– CONTRADICTOIRE
– prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
– signé par C. BENEIX-BACHER, président, et par M. BUTEL, greffier de chambre
Par deux ordonnances du 20 avril 2021, le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Castres a autorisé la SAS Carreman International à pratiquer des saisies conservatoires des droits d’associés et valeurs mobilières de M. [K] au sein de la SAS Carreman International et de son compte courant d’associé dans la société en garantie d’une créance évaluée à 2 millions d’euros.
Par procès-verbaux du 19 juillet 2022, la SAS Exesud, huissier de justice, a été mandatée par la SAS Carreman International pour procéder à la saisie- conservatoire :
‘ de la somme de 913’957,08 € sur le compte associé de M. [K] dans la société,
‘ de 698’925 actions que M. [K] détient dans la société.
Ces actes ont été dénoncés à M. [K] le 20 juillet 2021.
Par acte du 9 mars 2022, M. [K] a fait assigner la SAS Carreman International devant le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Castres en vue d’obtenir la mainlevée de la saisie-conservatoire de son compte courant d’associé, procédure enregistrée sous le numéro 22/00320.
Par acte du 11 mars 2022, il a fait assigner la société devant le même juge en mainlevée de la saisie-conservatoire de ses actions, procédure enregistrée sous le numéro 22/00321.
Par décision du 22 juillet 2022, le juge de l’exécution de Castres a :
‘ ordonné la jonction des procédures enregistrées sous les numéros 22/00320 et 22/00321,
‘ prononcé la mainlevée de la saisie-conservatoire de la somme de 913 957.08 € sur les comptes ouverts au nom de [Z] [U] [K], pratiquée le 19 juillet 2021, à la requête de la SAS Carreman International sur autorisation du juge de l’exécution du 20 avril 2021,
‘ prononcé la mainlevée de la saisie-conservatoire de 698’925 actions que [Z] [U] [K] détient dans la SAS Carreman International, pratiquée le 19 juillet 2021, à la requête de la SAS Carreman International, sur autorisation du juge de l’exécution du 20 avril 2021,
‘ condamné la SAS Carreman International aux dépens,
‘ débouté les parties de leurs demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration du 3 août 2022, la SAS Carreman International a formé appel de la décision en ce qu’elle a: «prononcé la mainlevée de la saisie-conservatoire de la somme de 913 957.08 € sur les comptes ouverts au nom de [Z] [U] [K], pratiquée le 19 juillet 2021, à la requête de la SAS Carreman International sur autorisation du juge de l’exécution du 20 avril 2021, prononcé la mainlevée saisie conservatoire de 698’925 actions que [Z] [U] [K] détient dans la SAS Carreman International, pratiquée le 19 juillet 2021, à la requête de la SAS Carreman International, sur autorisation du juge de l’exécution du 20 avril 2021,condamné la SAS Carreman International aux dépens, débouté la SAS Carreman International de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.».
Par dernières conclusions du 4 mai 2023, la SAS Carreman International demande à la cour de :
‘ infirmer le jugement dont appel en ce qu’il a :
o prononcé la mainlevée de la saisie-conservatoire de la somme de 913.957,08 € sur les comptes ouverts au nom de M. [Z] [U] [K], pratiquée le 19 juillet 2021, à la requête de la société Carreman International , sur autorisation du juge de l’exécution du 20 avril 2021,
o prononcé la mainlevée de la saisie-conservatoire de 698.925 que M. [Z] [U] [K] détient dans la société Carreman International, pratiquée le 19 juillet 2021, à la requête de la société Carreman International, sur autorisation du juge de l’exécution du 20 avril 2021,
o condamné la société Carreman International aux dépens,
o débouté la société Carreman International de sa demande au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
Et statuant à nouveau
‘ rejeter l’ensemble des demandes de M. [Z] [U] [K],
‘ confirmer les saisies-conservatoires des droits d’associés et valeurs mobilières de M. [Z] [U] [K] au sein de la société Carreman International ainsi que de sa créance de compte courant d’associé créditeur, autorisées pour garantie au moins de la somme de 2.000.000 € en principal, selon ordonnance du juge del’exécution près le tribunal judiciaire de Castres du 20 avril 2021, et constituées depuis le 19 juillet 2021,
‘ condamner M. [Z] [U] [K] à régler à la société Carreman International une somme de 10.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et de la présente instance d’appel.
Par dernières conclusions du 11 mai 2023, M. [Z] [K] demande à la cour de :
A titre principal,
‘ rabattre la date de clôture de l’instruction au jour de l’audience de plaidoirie du 15 mai 2023 ;
‘ déclarer recevables les présentes conclusions ;
A titre subsidiaire,
‘ déclarer irrecevable les conclusions adverses en date du 4 mai 2023 pour non-respect du principe du contradictoire ;
Sur l’appel :
‘ confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions ;
En conséquence,
‘ ordonner la mainlevée de la saisie-conservatoire du compte courant d’associé de M. [Z] [U] [K] ;
‘ ordonner la mainlevée de la saisie-conservatoire des actions de M. [Z] [U] [K] dans la société Carreman International ;
A titre subsidiaire,
‘ ordonner la mainlevée partielle de la saisie conservatoire du compte courant d’associé de M. [Z] [U] [K] ;
‘ ordonner la mainlevée partielle de la saisie conservatoire des actions de M. [Z] [U] [K] dans la société Carreman International ;
En tout état de cause :
‘ condamner la société Carreman International à verser à M. [Z] [U] [K] la somme de 30 000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.
La clôture de l’instruction est intervenue le 15 mai 2023.
La cour, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des demandes et moyens des parties, fera expressément référence au jugement entrepris ainsi qu’aux dernières conclusions déposées.
MOTIFS
La SAS Carreman International explique :
‘ être spécialisée dans le négoce de tissu, la fabrication et la vente de produits textiles et assimilés. Elle est un holding contrôlant plusieurs filiales de production en Chine et en Roumanie, dirigée par M. [W], président qui en est l’actionnaire principal, par l’intermédiaire de sociétés hongkongaises qui représentent 66,45 % du capital,
‘ que M. [K], ressortissant et résident chinois est le dirigeant et actionnaire ultra-majoritaire d’un ensemble de sociétés de droit chinois portant notamment les noms commerciaux Red Import et Tytex,
‘ que depuis 2010, M. [K] comptait parmi les partenaires commerciaux de la société pour le façonnage en Chine d’une partie de la production du groupe Carreman et qu’à compter de 2014 il est entré au capital de la société,
‘ cinq ans après son entrée dans le capital de la société, M. [K] s’est engagé à en prendre le contrôle aux termes d’un accord-cadre signé avec M. [W] le 19 août 2019 et que par l’intermédiaire d’une nouvelle société, Shanghai Tytex, il s’est engagé à acquérir 100 % des actions de la société High sitch Ltd, qui contrôle les sociétés hongkongaises détenant 66,45 % du capital moyennant 25 millions d’euros. Elle précise que la finalisation de cette cession emportait la nécessité de procéder au remboursement des dettes bancaires auprès de l’unique banquier français le Crédit agricole soit environ 10 millions d’euros, ainsi qu’il a été retenu par la sentence arbitrale du 20 mai 2022 qui a reçu exequatur le 11 juillet de la même année,
‘ que malgré ses engagements à finaliser le remboursement anticipé de la banque, M. [K] est revenu unilatéralement sur son engagement d’acquérir et prendre le contrôle du groupe en l’abandonnant.
Elle considère que M. [K], qui en qualité d’actionnaire a obtenu des informations stratégiques et confidentielles utiles, a non seulement échappé à son engagement de rachat de capital ce qui lui a causé de graves difficultés financières mais aussi commis à son encontre des actes de concurrence déloyale en démarchant ses plus gros clients, en commercialisant ses produits avec les références, couleur, tissu identique aux siens, provoquant la perte de son client le plus important, Uniqlo, a débauché des salariés, volé des marchandises, modifié unilatéralement les conditions de paiement des sociétés du groupe Carreman à l’égard de ses propres sociétés. Enfin, elle lui reproche d’avoir, par l’intermédiaire de ses sociétés, effectué des saisies provisoires sur ses filiales dans le but d’assécher sa trésorerie ce qui a été sanctionné judiciairement.
Elle explique que de multiples procédures judiciaires ont été introduites à Hong-Kong, en France et en Chine, dont certaines sont toujours en cours.
Ainsi, devant le tribunal de commerce de Bordeaux devant lequel elle poursuit à titre personnel M. [K] à hauteur de 22,1 millions d’euros de dommages-intérêts pour perte de marge sur coûts variables résultant de la rupture brutale des relations commerciales la liant à la société Red Import qu’il dirige, pour perte de valeur résultant de la rupture brutale des relations commerciales avec les structures du groupe dont elle est le holding, agissements fautifs comme associés et notamment manquement à son devoir de loyauté.
En effet, elle considère que M. [K] a manqué à son devoir de loyauté vis-à-vis d’elle alors qu’il était actionnaire à hauteur de 28,07 % du capital jusqu’à son exclusion puisqu’il l’a brutalement abandonnée en mars 2020 de manière à favoriser déloyalement ses propres sociétés. Elle précise qu’après avoir récupéré des informations confidentielles dans le cadre du processus d’acquisition et s’être arrogé un rôle de dirigeant de fait pendant la période intercalaire précédant la signature des actes de cession afin de créer une confusion dans l’esprit des partenaires commerciaux, il a rompu les accords contractuels et tout mis en ‘uvre pour causer sa perte afin de capter sa clientèle sans contrepartie, les sociétés Tytex et Red Import qu’il dirige lui ayant sans préavis imposé de nouvelles conditions de paiement et de livraison à compter du 1er juin 2020 en les appliquant à toutes les commandes sachant qu’elle ne pourrait les assumer entraînant une augmentation du besoin en fonds de roulement qui a été chiffrée pour l’ensemble de groupes entre 8,8 et 15,9 millions d’euros et une désorganisation complète de la société et de ses filiales.
Elle rappelle que les sociétés dirigées par M. [K] n’ont aucun actif connu en France et que les seuls actifs connus de M. [K] sur le territoire français correspondent aux avoirs ayant fait l’objet de la procédure de la saisie objet du litige.
Elle précise que par assemblée générale extraordinaire du 30 mai 2022, M. [K] a été exclu de la société.
M. [K] conteste les intentions malveillantes qui lui sont attribuées par son adversaire et souligne d’ailleurs que l’accusation principale concerne le processus visant à l’acquisition par sa société Shanghai Tytex des parts de la SAS Carreman International détenues par son président alors que si l’opération a avorté sa société a perdu 5 millions d’euros au profit personnel de M. [W] qui lui-même entretenait une confusion entre ses intérêts personnels et ceux de la société qu’il détient selon l’arrêt de la cour d’appel de Toulouse du 13 janvier 2022 Il rappelle d’ailleurs être devenu actionnaire de la SAS Carreman International à la demande de M. [W], la société connaissant d’importantes difficultés financières et ayant besoin d’un nouvel investisseur.
Il explique que l’opération de rachat n’a pu aboutir en raison d’un crédit auprès du Crédit Agricole que la SAS Carreman International n’était pas en mesure de rembourser alors qu’il était devenu immédiatement exigible en raison de la réduction de la participation de M. [W] et d’un autre actionnaire au-dessous du seuil de 55 % du capital, que les difficultés de la SAS Carreman International et les prémices de la crise sanitaire ont justifié le report de l’opération qui n’a finalement jamais été finalisée.
Par la suite les relations commerciales entre Synotytex et Red Import d’une part, la SAS Carreman International et ses filiales d’autre part se sont dégradées, ces dernières ayant notamment refusé de prendre livraison de certaines commandes passées et payant avec retard les factures des premières justifiant la modification des conditions de paiement et la suspension des commandes passées. Enfin, il considère que c’est à bon droit que ses sociétés ont récupéré le tissu brut et produits finis stockés qui étaient la propriété de la société Synotytex.
Il rappelle que l’arbitrage intervenu à Hong Kong le 20 mai 2022 ne le concerne pas et que toutes les procédures devant les tribunaux chinois ont connu une issue en faveur des sociétés Synotytex et Red Import .
Il relève que dans le cadre de la procédure pendante devant le tribunal de commerce de Bordeaux la SAS Carreman International a modifié ses demandes initiales, lui réclamant désormais 22 millions d’euros et essayant de refaire en France le procès que ses filiales ont perdu en Chine en le rattachant à un litige qui ne le concerne pas. Il considère que quand bien même des agissements fautifs étaient établis, le préjudice serait subi par les filiales chinoises de la SAS Carreman International et non par elle de sorte qu’elle n’a pas intérêt à agir devant le tribunal de Bordeaux.
De plus, selon lui le dernier rapport d’expert produit par la SAS Carreman International mentionne clairement qu’elle n’a pas subi de préjudice direct puisqu’elle demande réparation du fait de la perte de valeur de ses filiales sur le fondement de prétendus préjudices subis par ces dernières.
Il explique que la modification des conditions de paiement que ses sociétés ont décidé à l’égard des filiales de l’appelante n’ont pas changé les conditions prévues pour les commandes existantes et a été imposée par les filiales de la Carreman International qui ont refusé de prendre livraison de certaines commandes en provoquant une accumulation de stocks et payant les factures avec retard.
De même, il conteste un prétendu démarchage illicite ou débauchage de salariés alors que les clients et salariés concernés étaient les clients et salariés des filiales chinoises de la SAS Carreman International et non de la SAS Carreman International elle-même.
Il soutient que la SAS Carreman International ne produit aucune pièce à l’appui de son allégation de démarchage et que le groupe Carreman avec Synotytex ont convenu que l’usine de confection d’Uniqlo achèterait la marchandise auprès de Synotytex, cet accord ne concernant que certaines commandes.
S’agissant de la confusion intentionnelle entre les produits de ses sociétés et ceux de la SAS Carreman International, il affirme que celle-ci lui a donné son accord pour qu’il soit procédé ainsi.
Il conteste avoir désorganisé la SAS Carreman International en s’imposant comme nouveau dirigeant de fait et décisionnaire du groupe devant les équipes et les clients alors qu’il n’a jamais pris aucune décision engageant la SAS Carreman International ou ses filiales ayant seulement apporté son assistance dans le cadre de l’augmentation de ses capacités en Chine notamment dans la commande de matériel de production et de déménagement et souligne qu’en tout état de cause les contrats ont été signés par des employés des filiales chinoises de la SAS Carreman International et non par lui.
Il considère enfin que la SAS Carreman International ne démontre pas l’apparence d’un préjudice et moins encore de son étendue alors que la société rencontrait déjà des difficultés financières bien avant que les relations ne se tendent avec lui et qu’elle a aussi dû faire face à la crise sanitaire et que le rapport d’expert produit par la SAS Carreman International ne relève aucun préjudice qu’il lui aurait causé.
L’article L 511-1 du code des procédures civiles d’exécution dispose : «Toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement.
La mesure conservatoire prend la forme d’une saisie conservatoire ou d’une sûreté judiciaire. ».
En l’espèce, la SAS Carreman International est une société mère qui contrôle trois filiales de production en Chine dont le capital social était répartie entre 12 actionnaires, M. [W] détenant 66,45 % à travers diverses sociétés dont le siège était à Hong Kong et dont il est le bénéficiaire effectif et M. [Z] [K] 28,07 %, son entrée dans la société résultant d’un protocole d’accord signé le 3 février 2014 homologué par le tribunal de commerce de Paris.
M. [K] ressortissant et résident chinois est le dirigeant et principal actionnaire de plusieurs sociétés dont les sociétés Red Import et Sinotytex partenaires privilégiées pour le façonnage des articles textiles commercialisés par les sociétés du groupe Carreman. La SAS Carreman International indique sans être contredite qu’il contrôle les sociétés Red Import et Sinotytex à hauteur de 86,48 %.
Le 12 août 2019, M. [W] et la Shanghai Tytex Co.Ltd (Tytex) filiale à 100 % de Sinotytex, ont conclu un accord-cadre, la société Tytex s’engageant à acquérir 66,45 % du capital de la SAS Carreman International détenu par M. [W] moyennant 25 millions d’euros dont 5 millions à titre d’acompte, seul montant effectivement versé.
Par la suite la cession n’a pas été réalisée, l’opposition entre les parties résultant essentiellement de la prise en charge d’un crédit auprès du Crédit Agricole devenu exigible par le fait que M. [W] n’était plus actionnaire principal.
Si, la sentence arbitrale rendue le 20 mai 2022 relativement à la résiliation du contrat cadre, conclu entre M. [W] à la société Shanghai Tytex ne concerne pas directement M. [K], il n’en demeure pas moins qu’il était actionnaire majoritaire de la société Tytex et l’arbitre relève que des informations importantes concernant la situation financière de la société Carreman, suites à la pandémie ont été fournies à M. [K], destinataire des projections actualisées de flux de trésorerie.
L’arbitre a considéré que les parties étaient conscientes que le prêt Crédit Agricole contenait des stipulations d’exigibilité anticipée nécessitant un financement aux fins de remboursement avant ou après la réalisation et que les ressources de la SAS Carreman International seraient épuisées dans la mesure de l’obligation de remboursement et aurait besoin d’un refinancement.
En conséquence , la question résultant de la nécessité de rembourser le prêt faisait inévitablement partie de l’accord et ne constituait pas une condition suspensive de la réalisation du contrat cadre.
Pour rejeter la demande de dommages-intérêts complémentaires présentée par M. [W] l’arbitre a analysé la situation de la manière suivante : «Je ne suis pas convaincu que le requérant ( M.[W]) ait prouvé que la valeur des titres a été réduite au-dessous de 20 millions d’euros. Je reconnais qu’elle a peut-être quelque peu diminué, en particulier en raison de la pandémie Covid-19, et je reconnais également qu’il est peu probable qu’elle ait augmenté. Mais la charge incombe au requérant de démontrer que sa valeur a diminué au-dessous de 20 millions d’euros et je ne suis pas convaincue qu’elle l’ait fait.
Accorder des dommages-intérêts dans de telles circonstances fait courir le risque de sur indemniser le requérant, qui a déjà conservé les 5 millions d’euros versés par la défenderesse et qui possède toujours les actions de Carreman, quelle que soit leur valeur finale. Si le contrat cadre avait été conclu, elle aurait alors reçu un total de 25 millions d’euros mais elle n’aurait plus les actions Carreman.»
Même si je reconnais qu’il est possible qu’elle ait subi un préjudice supérieur à 5 millions d’euros du fait de la non réalisation, je ne pense pas que cela soit suffisant».
L’arbitre précise que chaque partie était consciente que le prêt Crédit Agricole contenait des stipulations d’exigibilité anticipée et qu’en cas de changement de participation il faudrait le rembourser impliquant un besoin de financement supplémentaire pour la SAS Carreman International dans le cas où le prêt devrait être payé immédiatement que ce soit avant ou après la réalisation et que les ressources de la société seraient épuisées dans la mesure de l’obligation de remboursement. L’accord entre M. [W] et la société devant racheter ses parts n’indiquait pas que le refinancement devait être fourni par M. [W] ou par une autre partie. L’analyse des échanges entre les parties a conduit l’expert à considérer qu’il n’existait aucune raison fondamentale de principe pour laquelle le remboursement du prêt par la SAS Carreman International devait être une condition suspensive de la réalisation du contrat cadre. Et si l’obligation de financer le remboursement du prêt Crédit Agricole a été dévolue à la société en première instance il a été reconnu et accepté par M. [K] qu’il serait finalement responsable du refinancement de la société afin d’en faire une proposition financièrement viable et que la société Shanghai Tytex n’avait n’avait pas été libérée de son obligation de réaliser l’opération en raison du non remboursement de l’emprunt Crédit agricole.
Finalement, l’arbitre relève qu’une grande partie du litige fait l’objet de procédures distinctes intentées par la SAS Carreman International contre M. [K], Tytex et Red Import en France et que si le comportement présumé se situe en dehors du comportement interdit par le contrat cadre à la lumière de l’existence de procédures distinctes entre différentes parties bien que liées il laissait le soin aux juridictions françaises d’analyser plus précisément les relations entre les parties.
Parallèlement, les sociétés dont M. [K] détient la plus grande part du capital ont imposé à la SAS Carreman International et à ses filiales de nouvelles conditions de paiement et de livraison à compter du 1er juin 2020 défavorables à leurs partenaires.
En effet, par message du 25 mai 2020, les sociétés Red Import et Shanghai Titex ont imposé à la SAS Carreman International et à ses filiales une modification des conditions de paiement pour les commandes à compter du 1er juin 2020, c’est-à-dire une semaine après, passant d’un paiement par lettre de crédit à 90 jours (virement à 30 jours après la date de livraison pour les filiales chinoises de Carreman) à 30 % la commande et 70 % à l’expédition générant évidemment un besoin soudain et important de trésorerie. L’ancienneté des relations commerciales entre les sociétés ne permettait pas de prévoir cette modification soudaine qui a nécessité des efforts de trésorerie importants alors qu’au surplus la société mère était mise en difficulté par les discussions relatives à l’exigibilité du crédit auprès du Crédit agricole, le tout dans un contexte de pandémie.
Ainsi, même si le message justifiant cette modification des conditions de paiement relève l’accumulation de stocks au profit des sociétés Carreman entraînant des difficultés de trésorerie dans le portefeuille Tytex, cette modification des conditions de paiement n’a pas été précédée de pourparlers et la rapidité de la modification est inhabituelle dans le cadre de rapports commerciaux anciens et non-conflictuels.
Or, si les filiales de la SAS Carreman ont une personnalité juridique autonome, l’appelante était aussi concernée par cette modification qui ne présentait aucune exclusion. De plus, la perte de valeur de ses filiales par le déficit de trésorerie induit par ce changement de modalités de paiement la concernait aussi directement lors de l’établissement de ses comptes consolidés.
L’appelante reproche à M. [K] et à ses filiales de s’être livrés à des actes de concurrence déloyale en démarchant ses plus gros clients et utilisant les mêmes références de produits. Si la SAS Carreman a autorisé cette utilisation dans le cadre des rapports directs entre les sociétés dirigées par M. [K] et elle-même ou ses filiales, il est évident que cette autorisation ne s’étendait pas à d’autres structures, notamment la société «Delegant » ne travaillant pas directement avec elle ou ses filiales mais commerçant dans le même secteur d’activité, cette utilisation dans le cadre de contact pris avec des sociétés tierces étant de nature à entraîner la confusion alors qu’au surplus M. [K] était connu comme actionnaire de la SAS Carreman.
Au surplus, les sociétés dirigées par M. [K] ont engagé des procédures de saisie-conservatoire contre les sociétés filiales de la SAS Carreman, ainsi que le relève M. [K] les sociétés directement impliquées ont réglé leur différend dans le cadre d’une procédure devant le tribunal populaire du comté de Wenshang du 3 mars 2023 qui a retenu que la demande de «préservation de biens» d’une des société dirigée par M. [K] n’était pas seulement objectivement fautive mais avait causé un préjudice économique à des sociétés filiales de la SAS Carreman, ce qui, ajouté aux autres procédures, conforte l’apparence de l’engagement par les sociétés dirigées par M. [K] de procédures conjuguées de nature à mettre en difficulté les filiales de l’appelante.
Enfin, par ordonnance de référé du 24 mars 2022, le président du tribunal de commerce de Paris, a rejeté la demande de M. [K] de constater le caractère manifestement abusif de la convocation d’une assemblée générale des actionnaires de la société Carreman ayant pour objet son exclusion a retenu que « l’éventuelle exclusion de M. [Z] [K] dans ce contexte pourrait se concevoir afin notamment que ce dernier ne puisse exercer les droits à l’information dont dispose tout actionnaire, qu’il ne pourrait plus ainsi disposer d’éléments utiles au développement des contentieux déjà initiés ; que son maintien en qualité d’actionnaire serait en définitive contraire à l’intérêt social de la société,
Nous retenons que l’éventuelle exclusion de M. [Z] [U] [K] ne pourrait en l’état être qualifié d’abus de majorité. ».
M. [K] s’est désisté de l’appel qu’il avait formé contre cette décision.
Pourtant par requête du 5 avril 2022, il a sollicité, de M. Le premier président de la cour d’appel de Paris qu’il soit fait défense à la SAS Carreman International de convoquer l’assemblée générale des actionnaires ayant pour ordre du jour son exclusion et il a été fait droit à sa demande, selon ordonnance du 6 avril suivant. Sur autorisation, la SAS Carreman International a fait assigner en référé M. [K] par acte du 15 avril 2022 aux fins de rétractation de cette ordonnance et il a été fait droit à cette demande selon ordonnance du 21 avril 2022.
Finalement, par procès-verbal d’assemblée générale extraordinaire du 30 mai 2022, M. [K] a été exclu de la société et des discussions sont en cours quant à l’évaluation du prix des actions.
Il résulte de l’ensemble de ces éléments que le comportement de M. [K] en sa qualité d’actionnaire minoritaire et comme dirigeant des sociétés Tytex et Red Import est de nature à créer une apparence de créance de la SAS Carreman International à son égard sur le fondement de l’action engagée par elle devant le tribunal de commerce de Bordeaux.
S’agissant des circonstances susceptibles de menacer le recouvrement de la créance, il n’y a pas lieu de s’interroger comme le font les parties sur les difficultés d’exécution en Chine des décisions étrangères étant précisé qu’un accord d’entraide existe entre les deux pays.
Cependant, les parties sont opposées dans le cadre d’un contentieux aux enjeux financiers importants.
M. [K] ne réside pas en France où il ne détient ni compte bancaire ni bien matériel autre que ceux faisant l’objet de la saisie- conservatoire. Au surplus, alors que son adversaire soutient qu’il dissimule son patrimoine dans des sociétés dont il est actionnaire, M. [K] ne donne aucune précision sur sa solvabilité personnelle en Chine ou dans tout autre pays, la seule exécution d’une condamnation à 10’000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ne pouvant suffire à établir sa solvabilité, au regard de l’importance des sommes en jeu dans le cadre du présent litige.
Il s’en déduit que, compte tenu de l’importance du montant de la créance dont le recouvrement est poursuivi, les circonstances permettent à la SAS Carreman de craindre légitimement que la créance excède les possibilités financières de M. [K].
M. [K] souligne que la saisie de son compte courant d’associé porte sur une somme de 913’957,08 € et que la valeur de ces 698’925 actions doit, au regard de l’évaluation faite le 12 août 2019, être évaluée à 10,5 millions d’euros.
Cependant, au regard des difficultés rencontrées par la SAS Carreman, la valeur actuelle des actions de la société ne peut être fixée comme correspondant à celle fixée il y a quatre ans et s’il n’y a pas lieu dans le cadre du présent litige de fixer le montant prévisible de cette créance apparente, au vu des pièces financières produites par l’appelante, elle peut être considérée comme supérieure au montant de la saisie.
En conséquence, il convient d’infirmer le jugement déféré et de confirmer la saisie conservatoire des droits d’associés et valeurs mobilières de M. [Z] [U] [K] dans la SAS Carreman International selon ordonnance du juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Castres du 20 avril 2021.
Les demandes présentées au titre de l’article 700 du code de procédure civile doivent être rejetées en première instance par confirmation du jugement déféré et en cause d’appel.
M. [K] qui succombe gardera les dépens de première instance et d’appel.
PAR CES MOTIFS:
La cour,
Statuant dans les limites de sa saisine :
Infirme le jugement déféré sauf en ce qu’il a rejeté les demandes présentées au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau :
Confirme les saisies conservatoires des droits d’associés et valeurs mobilières de M. [Z] [U] [K] auprès de la SAS Carreman International et de son compte courant d’associé dans la société en garantie d’une créance évaluée à 2 millions d’euros,
Vu l’article 700 du code de procédure civile :
Rejette les demandes des parties,
Conadamne M. [Z] [U] [K] aux dépens de première instance et d’appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
M.BUTEL C. BENEIX-BACHER