N° de minute : 4/2023
COUR D’APPEL DE NOUMÉA
Arrêt du 30 janvier 2023
Chambre sociale
Numéro R.G. : N° RG 21/00074 – N° Portalis DBWF-V-B7F-SL5
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 7 septembre 2021 par le tribunal du travail de NOUMEA (RG n° :F19/256)
Saisine de la cour : 13 septembre 2021
APPELANT
S.A.R.L. [4], prise en la personne de son représentant légal en exercice,
Siège social : [Adresse 2]
Représentée par Me Sophie BRIANT, membre de la SELARL SOPHIE BRIANT, avocat au barreau de NOUMEA
INTIMÉ
CAISSE DE COMPENSATION DES PRESTATIONS FAMILIALES, DES ACCIDENTS DU TRAVAIL ET DE PRÉVOYANCE DES TRAVAILLEURS DE NOUVELLE CALÉDONIE, prise en la personne de son représentant légal
Siège social : [Adresse 3]
Représentée par Me Laure CHATAIN, membre de la SELARL CABINET D’AFFAIRES CALEDONIEN, avocat au barreau de NOUMEA
S.E.L.A.R.L. [5], ès qualités de mandataire judiciaire de la société [4]
Siège social : [Adresse 1]
Représentée par Me Sophie BRIANT, membre de la SELARL SOPHIE BRIANT, avocat au barreau de NOUMEA
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 24 novembre 2022, en audience publique, devant la cour composée de :
M. Philippe ALLARD, Président de chambre, président,
M. François BILLON, Conseiller,
M. Thibaud SOUBEYRAN, Conseiller,
qui en ont délibéré, sur le rapport de M. Philippe ALLARD
Greffier lors des débats : Mme Isabelle VALLEE
Greffier lors de la mise à disposition : Mme Cécile KNOCKAERT
ARRÊT :
– contradictoire,
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,
– signé par M. Philippe ALLARD, président, et par Mme Cécile KNOCKAERT adjointe administrative principale faisant fonction de greffier en application de l’article R 123-14 du code de l’organisation judiciaire, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.
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A la suite d’un contrôle portant sur la période allant du 2ème trimestre 2013 au 1er trimestre 2015, la CAFAT a notifié à la société [4], qui exploite une activité de cabaret et bar de nuit, un avis de régularisation n° 2018/0549/NM en date du 29 mai 2018 prévoyant l’affiliation au régime général, en qualité de salariées, des « artistes ayant travaillé pour (son) compte ».
Par lettre du 16 juin 2018, la gérante de la société [4] a contesté le redressement projeté en niant tout lien de subordination entre la société et les danseuses.
Le 31 juillet 2018, la CAFAT a répondu qu’elle maintenait les régularisations opérées.
Selon lettre recommandée datée du 10 octobre 2018, la CAFAT a mis la société [4] en demeure de régler une somme globale de 34.300.361 FCFP pour la période du 3ème trimestre 2013 au 2ème trimestre 2018.
Par lettre datée du 20 décembre 2018, la société [4] a saisi la commission de conciliation et de recours gracieux.
Selon lettre recommandée datée du 12 juin 2019, la société [4] a été informée que la commission de conciliation et de recours gracieux avait rejeté sa réclamation au motif que « les arguments invoqués ne permettaient pas de remettre en cause les constatations matérielles effectuées par l’agent de contrôle et contenues dans son avis de régularisation ».
Le 28 novembre 2019, la CAFAT a délivré une contrainte n° 0447/2019/CJT d’un montant de 34.300.361 FCFP.
Le 13 décembre 2019, la société [4] a formé opposition à cette contrainte devant le tribunal du travail de Nouméa en arguant de la nullité de la procédure de contrôle et en contestant avoir entretenu un lien contractuel avec les artistes, tant calédoniennes que néo-zélandaises, puisque celles-ci intervenaient au titre d’un contrat de production conclu avec la société de droit néo-zélandais [6].
Selon jugement du 5 octobre 2020, le tribunal mixte de commerce de Nouméa a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l’égard de la société [4].
Par lettre datée du 17 novembre 2020, la CAFAT a déclaré entre les mains de la selarl [5], mandataire judiciaire, une créance globale de 31.264.832 FCFP.
La selarl [5], ès qualités, est intervenue volontairement à la cause.
Selon jugement du 7 septembre 2021, la juridiction saisie a :
– rejeté l’opposition de la société [4],
– validé la contrainte n° 0447/2019/CJR,
– fixé sa créance à la liquidation judiciaire à la somme de 23.595.989 FCFP,
– débouté les parties de leurs autres demandes,
– condamné la société [4], « représentée par son mandataire liquidateur », à verser à la CAFAT la somme de 150.000 FCFP au titre des frais irrépétibles,
– condamné la société [4], « représentée par son mandataire liquidateur », aux dépens.
Le premier juge a principalement retenu :
– que la CAFAT justifiait que les contrôleurs concernés avaient été habilités à procéder aux vérifications litigieuses ;
– que le premier contrôle entrepris par Mme [M], qui n’avait pas été mené à son terme en raison de la carence de l’opposante, n’interdisait pas à la CAFAT de procéder à un nouveau contrôle ;
– que la CAFAT n’avait pas l’obligation de procéder à l’audition de toutes les danseuses, qui, pour certaines, résidaient à l’étranger ;
– qu’aucune violation de la procédure de contrôle n’était établie ;
– que les danseuses étaient sous la subordination de la société [4] qui leur donnait des directives précises et des ordres.
Par requête déposée au greffe du tribunal du travail le 13 septembre 2021, la société [4] a interjeté appel de cette décision.
Aux termes de ses conclusions récapitulatives transmises le 20 mai 2022, la société [4] demande à la cour de :
à titre principal,
sur la nullité du contrôle de redressement et de la contrainte subséquente,
– infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;
– dire et juger que la CAFAT a adressé un premier avis de contrôle le 4 février 2014 portant sur un périmètre de contrôle pour la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2013 ;
– dire et juger que la CAFAT a abandonné ce contrôle par l’émission d’un nouvel avis de contrôle du 24 juillet 2015, de sorte que la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2013 couverte par le premier contrôle ne pouvait plus être contrôlée dans le cadre du contrôle dit « réaffecté » ;
– annuler le redressement notifié le 29 mai 2018 et la contrainte du 28 novembre 2019 n° 0447/2019/CJR ;
à titre subsidiaire,
– infirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré ;
– dire et juger que la CAFAT a adressé l’avis de contrôle prévu dans la charte du cotisant, par courrier du 24 juillet 2015, définissant le périmètre du redressement à partir du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2013 ;
– constater que la CAFAT a surchargé le chiffre 3 sur l’année 2013 pour le transformer en 2014, irrégularité viciant le contrôle ;
– dire et juger que le contrôle qui a été mené par la suite et l’avis de régularisation ont été réalisés pour la période allant du 2ème trimestre 2013 au 1er trimestre 2015 de sorte que le périmètre du contrôle ne correspond pas au périmètre du contrôle déjà vicié mentionné à l’avis de contrôle du 24 juillet 2015 ;
– dire et juger que la CAFAT a, de ce fait, violé les règles relatives à la charte du cotisant de sorte que la société [4] n’a pu avoir connaissance, ni de la nature, ni de la cause, ni de l’étendue de son obligation ;
– dire et juger qu’il s’agit là d’une irrégularité substantielle ne nécessitant même pas la démonstration d’un préjudice, préjudice que la société [4] a, en tout état de cause, subi ;
– dire, en conséquence, que la procédure est viciée, l’irrégularité étant substantielle au regard de la violation du principe du contradictoire, et des éléments de défense, irrégularité qui doit être sanctionnée par la nullité du contrôle du redressement subséquent et donc de la contrainte notifiée ;
– annuler le redressement notifié le 29 mai 2018 et la contrainte du 28 novembre 2019 n° 0447/2019/CJR ;
– dire et juger que la charge de la preuve de l’existence d’un contrat de travail incombe à la CAFAT ;
– dire et juger qu’en s’abstenant d’examiner la situation de chacune des trente personnes visées par l’avis de régularisation (à l’exception de Mmes [V], [W] et [K]), la CAFAT a violé gravement les règles relatives à la preuve de l’article Lp 16 4ème alinéa de la loi du pays n° 2001-016 du 11 janvier 2002, ce qui entraîne l’annulation du contrôle et par suite du redressement, ainsi que de la contrainte notifiée ;
– dire et juger qu’il s’agit là d’une méthode par extrapolation illicite ;
– dire et juger qu’en globalisant son redressement, la CAFAT a encore violé le principe du contradictoire, de sorte que l’avis de régularisation, et par voie de conséquence la contrainte, sont viciés ;
– annuler le redressement notifié le 29 mai 2018 et la contrainte du 28 novembre 2019 n° 0447/2019/CJR ;
plus subsidiairement, au fond,
– infirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré ;
– dire et juger qu’il ressort des documents publiés par la CAFAT que les professions artistiques (comédiens, journalistes, musiciens, « compteurs », sculpteurs, etc.) doivent être affiliées au RUAMM de sorte que la CAFAT se trouve liée par ses propres règles ;
– rappeler, à cet égard, le principe de présomption de non-salariat ;
– dire et juger que la CAFAT a entendu Mmes [V], [W] et [K], alors même que celles-ci ne font pas parties du personnel de la société [4] et ne sont pas liées, à titre personnel, par un contrat avec la société [4] ;
– dire et juger que les artistes, y compris néo-zélandaises, ne sont pas liées avec la société [4] par une quelconque relation contractuelle, de sorte que la CAFAT n’était pas en droit de les appréhender par une quelconque affiliation ;
– dire et juger en tout état de cause que la CAFAT ne démontre aucun lien de subordination et ne démontre pas plus l’existence d’un service organisé qui lui permettrait d’appréhender sous son affiliation les artistes en cause ;
– annuler le redressement ainsi que la contrainte qui en est la conséquence ;
à titre encore plus subsidiaire,
– dire et juger que le principe de non-rétroactivité est applicable en NouveIle-Calédonie ;
– dire et juger que l’ensemble des danseuses calédoniennes étaient assujetties au RUAMM ;
– dire et juger que la décision d’affiliation des danseuses calédoniennes ne peut avoir d’effet rétroactif, ni donner lieu à redressement pour le passé et en conséquence, annuler le redressement, ainsi que la contrainte subséquente ;
– annuler le redressement notifié le 29 mai 2018 et la contrainte du 28 novembre 2019 n° 0447/2019/CJR ;
– condamner la CAFAT à payer à la société [4] une somme de l 000 000 FCFP au titre des frais irrépétibles exposés en première instance ;
– condamner la CAFAT à payer à la société [4] une somme de l 000 000 FCFP au titre des frais irrépétibles exposés en appel ;
– condamner la CAFAT aux entiers dépens d’instance et d’appel, dont distraction au profit de la selarl Sophie Briant.
Dans ses conclusions transmises le 15 août 2022, la CAFAT prie la cour de :
– confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
– rejeter l’opposition à contrainte formée par la société [4], comme étant mal fondée ;
– valider la contrainte n° 0447/2019/CJR du 28 novembre 2019 d’un montant de 34.300.361 FCFP ;
– constater et fixer la créance de la CAFAT au redressement judiciaire de la société [4] à la somme de 23.595.989 F CFP ;
en tout état de cause,
– condamner la selarl [5], ès qualités de liquidateur de la société [4], à lui payer la somme de 250.000 FCFP au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner la selarl [5], ès qualités de liquidateur de la société [4], aux dépens d’appel.
Le 17 novembre 2022, la selarl [5], ès qualités de mandataire judiciaire de la société [4], est intervenue volontairement à l’instance mais n’a fait valoir aucune observation.
Sur ce, la cour,
1) A titre liminaire, il sera observé que si, selon l’en-tête du jugement entrepris, la société [4] était représentée par la selarl [5], ès qualités de mandataire liquidateur, et que cette formule a été reprise dans le dispositif du jugement, cette société n’a jamais été placée en liquidation judiciaire.
2) La société [4] excipe de la nullité de la procédure de contrôle en reprochant à la CAFAT d’avoir initié un contrôle portant sur la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014 selon lettre du 24 juillet 2015 après avoir abandonné un précédent contrôle portant sur la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2013 initié selon lettre du 4 février 2014.
Il est incontestable que la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2013 est commune aux deux opérations de contrôle. Dès lors que l’agent de contrôle n’avait notifié à la société [4] ni constat d’une bonne application des législations et réglementations, ni observations sans redressement, ni avis de régularisation, la première procédure de contrôle n’est jamais allée à son terme. Aucune disposition n’interdisait à l’organisme social de poursuivre ses investigations sur la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2013 tant que l’action en recouvrement n’était pas prescrite.
Ce moyen sera écarté.
3) La société [4] fait également valoir que le contrôle initié par la lettre du 24 juillet 2015 est nul dans la mesure où l’agent de contrôle avait porté de façon manuscrite le chiffre 4 sur la mention : « comptabilité générale (balances et grands-livres) relative à la période objet de la vérification, en l’occurrence du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2013 », la transformant en « comptabilité générale (balances et grands-livres) relative à la période objet de la vérification, en l’occurrence du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014 ».
Aucun texte n’interdit aux agents de la CAFAT d’adresser aux cotisants contrôlés des messages manuscrits. La modification de la période concernée par le contrôle n’appelle aucune réserve dans la mesure où cette modification a été notifiée à la société [4] avant le démarrage des opérations de vérification proprement dites.
Ce moyen sera écarté.
4) La société appelante reproche à la CAFAT d’avoir, au mépris des termes de l’avis de contrôle du 24 juillet 2015, étendu les opérations de vérification au premier trimestre 2015.
L’avis de régularisation du 29 mai 2018 qui a été notifié à la société [4] vise le 1er trimestre 2015. La contrainte n° 0447/2019/CJT ainsi que la mise en demeure du 10 octobre 2018 se réfèrent également au 1er trimestre 2015.
Cette modification du périmètre du contrôle, intervenue en l’absence de toute notification préalable d’un avis de contrôle, soit au mépris du principe du contradictoire, encourt la nullité. Il en résulte que la contrainte est nulle en ce qu’elle tend au paiement d’un rappel de cotisations et de contributions pour le 1er trimestre 2015, soit d’une somme de 2.607.224 FCFP.
5) La société [4] dénonce une irrégularité de la méthode de contrôle en ce que l’agent de contrôle avait procédé à une vérification par extrapolation ou échantillonnage.
Il résulte du dossier que l’agent de contrôle a procédé à l’audition de :
– Mme [C], gérante de la société [4] à compter du 12 novembre 2013
– Mme [B] qui avait travaillé comme « artiste danseuse indépendante » dans le cabaret
– Mme [Z] qui avait travaillé comme danseuse sous le nom de « [K] »
– Mme [T], gérante de la société [4] de septembre 2011 à février 2013
– Mme [H] qui avait travaillé comme danseuse sous le nom de « [L] »
– Mme [N] qui avait travaillé comme danseuse sous le nom de « [V] »
– M. [X], co-gérant de la société [4] en remplacement de Mme [T]
– Mme [U], gérante de la société [4] de juin 2013 à août 2014
– M. [O], gérant de la société [8] qui était en charge de la comptabilité de la société [4] jusqu’au 31 mars 2013.
Ces auditions ont fait apparaître que les autres danseuses qui s’étaient produites dans le cabaret étaient de nationalité étrangère et qu’elles avaient quitté le territoire à la fin de leurs contrats.
L’agent de contrôle, M. [A], a observé dans l’avis de régularisation daté du 29 mai 2018 que :
– le cabaret avait été fermé pour travaux du 27 juillet 2014 au 21 octobre 2014,
– treize danseuses s’étaient produites « régulièrement » du 22 octobre 2014 au 31 décembre 2014,
– il avait pu consulter les fiches « show list » émargées par les danseuses pour la période du 1er août 2013 au 31 décembre 2014,
– il lui avait été remis un « grand livre global provisoire » pour la période du 1er avril 2013 au 31 mars 2014, « clôturé en l’état »,
– la quote-part redistribuée aux danseuses ne figurait pas dans la comptabilité générale de la société [4],
– les recettes provenant des « shows extérieurs », encore appelés « outbookings », n’étaient enregistrées ni sur les fiches « show lists », ni dans les comptes de la société.
La CAFAT n’avait pas à mener une enquête à travers le monde pour localiser et entendre les danseuses étrangères qui avaient travaillé dans le cabanet durant la période vérifiée. L’agent de contrôle a entendu les danseuses qui habitaient sur le territoire, les gérants qui se sont succédés ainsi que le comptable afin de déterminer les conditions d’exercice effectif des danseuses : il ne saurait lui être reproché d’avoir procédé à une enquête fragmentaire.
Il ressort de ces témoignages concordants que les danseuses, étrangères ou non, fournissaient des prestations identiques et étaient rémunérées selon les mêmes méthodes. C’est ainsi que M. [X] a pu déclarer que « c’était les mêmes contrats pour les danseuses, étrangères ou pas. Les mêmes contraintes et les mêmes sanctions en cas d’absence… Elles étaient rémunérées de la même manière, un pourcentage entre le cabaret et la danseuse (« booking » et « touching ») et elles gardaient l’intégralité de leurs pourboires (« tips ») ». Mme [N] a, quant à elle, affirmé : « Il n’y a pas de différences (entre les danseuses étrangères et les danseuses locales). Nous avons les mêmes contrats. Nous faisons les mêmes prestations, avons les mêmes horaires et suivons le même règlement. »
Il résulte de l’avis de régularisation que :
– l’agent de contrôle a arrêté l’assiette des cotisations en lien avec l’activité au sein de l’établissement en s’appuyant sur les fiches « show list » établies par le cabaret ;
– en revanche, il a évalué « forfaitairement » les revenus tirés des shows extérieurs en l’absence de toute donnée comptable,
– il a également eu recours à « la taxation forfaitaire » pour chiffrer les revenus distribués au titre de l’activité « Show list » durant le premier trimestre 2015, période pour laquelle la contrainte a d’ailleurs été précédemment annulée, dans la mesure où il n’existait pas de fiches « show list » pour cette période.
En l’état de ces éléments, la cour retiendra que le grief tiré du recours abusif à la méthode par échantillonnage et extrapolation n’a aucun fondement factuel puisque l’agent de contrôle s’est borné à reprendre les données figurant dans des documents établis par le cabaret et n’a eu recours à la taxation forfaitaire qu’en l’absence de toutes données chiffrées, absence dont la société [4] est responsable. Il sera ajouté que l’appelante n’identifie pas les données que l’agent de contrôler aurait pu et dû exploiter.
Ce grief sera écarté.
6) La société [4] s’oppose au redressement en se retranchant derrière la présomption de non-salariat attachée à l’inscription au Ridet et l’absence de tout lien contractuel entre elle-même et les différentes danseuses.
La société [4] justifie avoir conclu avec la société de droit néo-zélandais [6] qui était l’une de ses associés, un contrat soumis au droit néo-zélandais (article 11) par lequel cette dernière, en qualité de « producteur », avait garanti à la première « la présence permanente de six strip-teaseuses de sexe féminin (…) chargées de se produire » dans son établissement (article 2), pour une durée de cinq ans à compter du 1er avril 2008, renouvelable tacitement pour une durée d’un an (article 9).
Selon l’article 2, le « producteur assur(ait) sous sa responsabilité la recherche et le recrutement des artistes qui (devraient) se produire à [Localité 7], aux conditions qu’il aura arrêtées directement avec ces artistes ».
Les prestations attendues des danseuses ont été définies par l’article 6 dans les termes suivants :
« Chaque Artiste se produira dans l’établissement du Client pendant douze semaines consécutives à raison de six prestations au minimum sur scène par soirée, cinq jours par semaine, du mardi au samedi inclus, plus, le cas échéant, les veilles de jours de fêtes civiles ou religieuses correspondant à un jour férié.
Les Artistes se produiront dans l’établissement du Client entre vingt heures, le soir, et deux heures le lendemain. Pendant cette période, les Artistes devront rester en permanence dans le cabaret.
En sus de ses prestations sur scène, chaque Artiste exécutera son numéro en « lap dance » ou en salle de billard selon la demande de la clientèle du Client et selon les instructions de ce dernier.
Dans tous les cas, l’organisation des passages sur scène, l’exécution des numéros en lap dance ou en salle de billard se fera sous la directive du Client ou du préposé qu’il aura désigné aux Artistes. »
Il a été convenu que la société [6] percevrait une rémunération fixe de 700.000 FCFP par mois ainsi qu’une rémunération variable définie en fonction de la nature des prestations réalisées par chaque danseuse.
Parallèlement, la société [6] concluait avec chaque danseuse un contrat rédigé en langue anglaise et soumis au droit néo-zélandais, dont divers exemplaires, ont été versés au débat. Selon Mme [B], une copie du contrat, rédigé en français, lui avait été remise mais aucune exemplaire de la version française du contrat n’a été communiqué.
L’examen des exemplaires versés au débat révèle que deux modèles de contrat ont été signés.
Selon l’un des modèles (annexes n° 19 à 24, n° 32 de l’appelante), la danseuse s’engageait à fournir au producteur ses services pour lui permettre d’exécuter l’engagement qu’il avait souscrit envers la société [4] (article 1(a)).
L’article 1(b) décrivait l’artiste comme un travailleur indépendant (« an independant contractor »). Ce thème était repris par l’article 2(a) qui prévoyait que ni l’accord, ni aucun de ses termes ne seront réputés créer une relation salariale (« neither this agreement nor any of its terms (express or implied) shall be deemed to create the relationship of employer and employee »).
La durée de l’engagement était définie par l’article 3.
Les prestations que devrait fournir la danseuse étaient décrites précisément par l’article 4 intitulé « Duties » et comprenaient des prestations de danse mais aussi le nettoyage de l’établissement de nuit à la fin du spectacle (« Assist other Artistes and staff to clean up the Cabaret at the end of the night »).
Les heures de travail (« hours of work ») étaient arrêtées par l’article 5.
Un article 6, intitulé « Remuneration », prévoyait que la rémunération de la danseuse résiderait dans des pourboires (« tips »). Au contrat, était annexé le barème des honoraires attachés à chacune des prestations susceptibles d’être assurées (« interactive lap dances », « passive client lap dance », « out bookings », « strip o grams ») (Schedule of fees that Artiste can charge clients in CFP).
Etait annexé au contrat le règlement intérieur du cabaret (« Rules of the cabaret to be observed by the artiste »), dans lequel, entre autres prescriptions, le comportement que devait adopter la danseuse face aux clients était décrit, les contraintes d’un numéro de « lap dance » (la nécessité d’être nue avant la fin de la première chanson) lui étaient expliquées, obligation était faite à l’artiste de débarrasser les verres et les bouteilles à la fin de sa prestation (« Upon completion of her dance she must collect all glasses ans any empty bottles from the table »),
il lui était rappelé que des amendes (« penalties ») lui seraient infligées en cas de méconnaissance du règlement ou encore le port des tenues promotionnelles (« promotional outfits to advertise the Cabaret ») était exigé en cas en de sortie en groupe à deux danseuses ou plus.
Le second modèle (annexe n° 31 de l’appelante) qui contenait des dispositions similaires voire identiques à celles du premier modèle, précisait en son article 3 « Duties » que l’artiste exercerait ses fonctions, selon les instructions du producteur et du cabaret (« The Artiste shall undertake her duties as shall be directed by both the Producer and the Cabaret »).
Si l’ensemble contractuel précédemment relaté atteste de la volonté manifeste de la société [4] et de son associée de faire échapper les danseuses au statut du salariat en insistant sur leur statut de travailleur indépendant, ce dessein ne peut avoir le moindre effet juridique si les danseuses ont exercé leur activité professionnnelle sous un lien de subordination, dès lors que les prestations étaient exécutées en Nouvelle-Calédonie (article Lp 111-1 du code du travail).
La cour observe que :
– Les prestations assurées par les danseuses n’étaient pas uniquement de nature artistique puisque les danseuses étaient contractuellement tenues d’assurer l’entretien du cabaret, sous peine d’amende. Mme [B] l’a rappelé lors de son audition par l’agent de contrôle dans les termes suivants : « Je dois nettoyer le club en fin de soirée ». Elles devaient même ramasser les verres des clients (obligation rappelée par Mme [H] dans son audition). Les danseuses exécutaient ainsi des tâches de femme de ménage et de serveur.
– Les danseuses étaient réglées, à la fin de chaque soirée, par la société [4] qui leur remettait des espèces. En dépit de leur statut officiel de travailleur indépendant, elles n’ont jamais émis la moindre facture. Mme [B] a évoqué auprès de l’agent de contrôle ses « problèmes pour justifier de (ses) revenus d’activité indépendante ».
– Les danseuses n’avaient pas la moindre initiative dans l’organisation et l’exécution du travail.
Leur temps de travail était minutieusement défini par les contrats qu’elles signaient, leur comportement, le nombre et la nature de leurs spectacles étaient décrits par le contrat ou le règlement intérieur. Il leur était même fait obligation d’occuper le logement fourni par la société [4] (article 7(c) du premier modèle de contrat d’engagement qui stipule : « The Artiste will be required to reside in subsidised accomodation provided by the Cabaret », ou 7(e) du second modèle) en contrepartie duquel elles avaient réglé un loyer de 7.500 FCFP puis de 12.000 FCFP par semaine (audition de Mme [N]). Elles étaient soumises à un contrôle permanent, facilité par « une vidéosurveillance omniprésente dans le club (loge comprise) » (auditions de Mme [B], de Mme [Z]). Mme [B] a expliqué avoir été « à tout moment contrôlée, surveillée ». Mme [Z] a confirmé que les danseuses étaient « en permanence surveillées » et qu’elle-même avait été sanctionnée financièrement (amende de 2.000 FCFP) pour être restée trop longtemps dans les loges. Mme [H] a expliqué qu’elle avait été « virée » lorsque la gérante de la société [4] avait découvert sa publication sur un site « Facebook », nommé « Striptease.nc ».
– Ces éléments rendent compte d’un lien de subordination, caractéristique d’un contrat de travail tel que défini par l’article Lp 111-2 du code du travail, étant observé que le contrôle de l’activité des danseuses s’exerçait même en dehors des heures de travail (port des tenues promotionnelles).
Il résulte de ce qui précède qu’en dépit des termes de leurs engagements, les danseuses qui se sont produites dans le cabaret exploité par la société [4], n’agissaient pas comme des entrepreneurs mais avaient la qualité de salariées de la société [4] qui tirait profit de leur travail, les rémunérait, leur donnait des ordres et des directives, en contrôlait l’exécution et les sanctionnait.
Dans l’hypothèse même où la société [6] serait regardée comme l’employeur unique des danseuses, la CAFAT disposerait à l’encontre de la société [4], en vertu de l’article Lp 124-2 du code du travail, d’une action directe contre la société [4] puisque le contrat de production, pour lequel la main d’oeuvre nécessaire a été recrutée, a été exécuté dans les locaux de la société [4].
La société [4] doit assumer les obligations résultant de la législation sociale qu’elle a cherché à éluder.
7) L’affiliation de trois danseuses locales au RUAMM en qualité de travailleur indépendant n’interdit pas à la CAFAT de réclamer à l’employeur les cotisations qu’il aurait dû régler s’il n’avait pas tenté de contourner le droit du travail, y compris pour ces trois danseuses.
8) En conclusion, dès lors que la cour a retenu que la CAFAT ne pouvait pas prétendre au paiement d’un rappel de cotisations et de contributions pour le 1er trimestre 2015, la contrainte sera, au vu de la déclaration de créance reçue le 26 novembre 2020 par le mandataire judiciaire, validée à hauteur de 1.465.840 + 2.809.531 + 2.464.683 + 2.463.726 + 499.308 + 2.931.423 + 8.291.520 = 20.926.031 FCFP et la créance de l’organisme sociale admise au passif de la société [4] pour ce même montant.
Par ces motifs
La cour,
Infirme le jugement déféré ;
Statuant à nouveau,
Valide la contrainte litigieuse à hauteur de 20.926.031 FCFP ;
Fixe la créance de la CAFAT au passif de la société [4] à la somme de 20.926.031 FCFP ;
Condamne la société [4] à payer à la CAFAT une somme de 250.000 FCFP sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société [4] aux dépens de première instance et d’appel.
Le greffier, Le président,