Critiques entre salariés sur Facebook : risque maximal
La salariée qui créée une ambiance délétère au travail, notamment appuyée par des conversations publiques entre salariés sur Facebook, s’expose à un licenciement pour faute.
Mise en garde préalable
Ben qu’interpellée sur la nécessité de modifier son comportement critique à l’égard de ses collègues et de sa hiérarchie, la salariée a persisté à tenir des propos régulièrement méprisants à l’égard de ses collègues de travail notamment en leur présence, ainsi que des propos critiques à l’égard de l’employeur, créant ainsi une ambiance délétère et anxiogène sur l’open-space, trois des quatre collègues ayant avisé la direction des graves difficultés de travail engendrées par ce comportement persistant.
Une attitude générale ouvertement critique
Est également attestée l’attitude générale de la salariée ouvertement critique à l’égard de ses supérieurs ; il est également établi que la salariée déformait les propos de ses supérieurs auprès de ses collègues mettant ainsi ses managers en porte à faux ; enfin, sa participation à une conversation publique sur facebook dénigrant sa collègue et son employeur est également avérée.
Comportement délétère et anxiogène
L’ensemble de ces éléments établit la persistance du comportement délétère et anxiogène reproché par l’employeur à la salariée et rendait impossible la poursuite de la relation contractuelle. Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres motifs du licenciement intervenu, il y a lieu de le dire fondé sur une cause réelle et sérieuse et de débouter la salariée de l’ensemble de ses demandes au titre de la rupture du contrat de travail.
REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS Pôle 6 – Chambre 10 ARRET DU 14 SEPTEMBRE 2022
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/10233 – N° Portalis 35L7-V-B7D-CAYRH
Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Septembre 2019 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de MEAUX – RG n° F 18/00231
APPELANTE
Madame [P] [E] [L]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Jean-francis DARRIEU, avocat au barreau de MEAUX, toque : C 765
INTIMEE
SAS CANON FRANCE BUSINESS SERVICES prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Christine HILLIG POUDEVIGNE, avocat au barreau de PARIS, toque : K0036
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 11 Mai 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Anne MEZARD, Vice Présidente placée faisant fonction de conseillère par ordonnance du Premier Président en date du 28 Avril 2022,chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Monsieur Nicolas TRUC, Président de la chambre
Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente de la chambre
Madame Madame Anne MEZARD, Vice Présidente placée faisant fonction de conseillère par ordonnance du Premier Président en date du 28 Avril 2022
Greffier : lors des débats : Mme Sonia BERKANE
ARRET :
— contradictoire
— mis à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
— signé par Monsieur Nicolas TRUC, Président et par Sonia BERKANE,Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Selon contrat à durée indéterminée du 30 juillet 2009 à effet au 4 septembre 2009, la société OCE Business Services devenue la société Canon France Business Services a embauché Mme [P] [E] [L] en qualité de gestionnaire, classification employée, niveau IV, échelon 3, coefficient 285 de la convention collective de la métallurgie région parisienne.
Par courrier en date du 18 avril 2017, la société Canon France Services a convoqué Mme [P] [E] [L] à un entretien préalable, qui s’est tenu le 28 avril 2017.
Par courrier recommandé avec accusé de réception du 15 mai 2017, il lui a été notifié un licenciement pour cause réelle et sérieuse avec dispense d’exécuter le préavis aux motifs de son attitude néfaste générant un climat anxiogène et des risques psychosociaux, un comportement imprévisible, déloyal et dénigrant, outre un refus de polyvalence et d’exécution des directives de sa hiérarchie.
Contestant le bien-fondé de son licenciement et sollicitant des dommages et intérêts, Mme [E] [L] a saisi le conseil de prud’hommes de Meaux le 23 mars 2018.
Par jugement du 9 septembre 2019, le conseil de prud’hommes de Meaux a dit que le licenciement était fondé sur une cause réelle et sérieuse, a débouté Mme [E] [L] de l’ensemble de ses demandes et l’a condamnée aux dépens.
Mme [E] [L] a interjeté appel de la décision dont elle avait reçu notification le 16 septembre 2019 par déclaration du 14 octobre 2019.
Par dernières conclusions notifiées par RPVA le 9 janvier 2020, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des faits et des moyens développés, Mme [E] [L] demande à la cour de’:
Infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Meaux du 9 septembre 2019, en ce qu’il a dit que le licenciement de Mme [E] [L] est fondé sur une cause réelle et sérieuse,
Statuant à nouveau
Dire et Juger que le licenciement de Mme [E] [L] est sans cause réelle ni sérieuse,
En conséquence,
Condamner la société Canon France business services à payer à Madame [E] [L] la somme de 24 385 euros soit 10 mois de salaire à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Meaux du 9 septembre 2019, en ce qu’il a débouté Mme [E] [L] de sa demande d’indemnité pour harcèlement moral,
Statuant à nouveau
Dire et Juger que Mme [E] [L] a été victime de harcèlement moral de la part de la société Canon France business services,
En conséquence,
Condamner la société Canon france business services à payer à Mme [E] [L] la somme de 9 754 euros soit 4 mois de salaire à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral,
Y ajoutant,
Dire que l’intérêt au taux légal s’appliquera sur les condamnations prononcées et ce, à compter du prononcé de la décision à intervenir,
Condamner la société Canon France business services à la remise des documents conformes (fiches de paie, solde de tout compte, attestation pôle emploi) sous astreinte de 50 euros par jour à compter du prononcé de la décision avec liquidation de l’astreinte par le conseil,
Condamner la société Canon France business services à payer à Mme [E] [L] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile,
Condamner la société Canon France business services aux entiers dépens.
Par dernières conclusions notifiées par RPVA le 8 avril 2020, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des faits et des moyens développés, la société Canon France business services demande à la cour de’:
Confirmer le jugement rendu le 9 septembre 2019 par le conseil de prud’hommes de Meaux en toutes ses dispositions
Par voie de conséquence :
Dire et juger que licenciement de Mme [E] [L] repose sur une cause réelle et sérieuse, et en toute hypothèse, est bien fondé,
Dire et juger que Mme [E] [L] n’a pas fait l’objet de harcèlement moral,
En toute hypothèse,
Débouter Mme [E] [L] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
Condamner Mme [E] [L] à payer à la société CFBS une somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamner Mme [E] [L] en tous les dépens de la présente procédure et de ses suites.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 16 février 2022.
SUR CE
I- Sur la rupture du contrat de travail
En application de l’article L.1232-1 du code du travail, un licenciement doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.
En vertu des articles L.1235-1 et 2 du même code, dans leur version applicable au litige, l’employeur qui prend l’initiative de rompre le contrat de travail doit énoncer son ou ses motifs dans la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige. Il incombe à l’employeur d’alléguer des faits précis sur lesquels il fonde le licenciement.
Si la charge de la preuve du caractère réel et sérieux du licenciement n’appartient spécialement à aucune des parties, le juge formant sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et au besoin par toute mesure d’instruction qu’il juge utile, il appartient néanmoins à l’employeur de fournir au juge des éléments lui permettant de constater la réalité et le sérieux du motif invoqué. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
La lettre de licenciement du 15 mai 2017 est libellée dans les termes suivants :
«Depuis l’année 2016, votre hiérarchie a pu remarquer de multiples problèmes de comportement vous concernant. Voici les différents points qui vous sont reprochés’:
— Attitude néfaste générant un climat anxiogène et des risques psychosociaux’:
Nous avons été alertés en date du 7 avril 2017 de l’existence d’une conversation Facebook entre vous et trois autres salariés de Canon, travaillant sur le site de [Localité 5]. Au cours de cet échange médisant, vous critiquez ouvertement votre collègue de service en des termes choquants «’je bosse avec The BLONDE pour rappel, ça peut pas être pire’» ou encore «’Moi ça fait 4 ans que je la supporte’»’; vous n’hésitez pas non plus à lancer un pari en ligne dont elle fait l’objet au cours de la conversation.
Ces railleries gratuites sont facteurs de climat anxiogène et de risques psycho-sociaux dont les conséquences peuvent être dramatiques et que nous ne pouvons par conséquent pas tolérer.
De plus, vous n’hésitez pas à mentir à vos collègues dans le but de créer une ambiance détestable au sein de votre service. En effet, le 24 mars 2017, vous avez eu une conversation informelle avec [S] [H], Directeur des opérations et données transactionnelles de Cfbs, qui vous sentait démotivée et qui a pris le temps de vous rassurer en vous affirmant que vous aviez votre place au sein de Cfbs et qu’elle comptait sur vous au sein du service ADV. Suite à cet échange informel, des témoignages ont remonté que vous vous vantiez d’avoir été reçue en entretien alors que ce n’était pas le cas de vos collègues, en prétextant que [S] [H] vous aurait dit que vous étiez la meilleure, que le service ne pouvait pas tourner sans vous et que les autres ne savaient pas travailler. Cela est non seulement totalement faux mais démontre également votre volonté manifeste de rabaisser et humilier vos collègues de travail.
Aussi, à plusieurs reprises au cours de ces derniers mois, il vous a été demandé lors de vos échanges téléphoniques professionnels d’être plus discrète car ceux-ci étaient bruyants et gênants pour vos collègues. Vous n’avez jamais daigné changer d’attitude alors que vous êtes capable d’être plus que discrète lors de vos conversations téléphoniques personnelles. Cette attitude néfaste n’est plus tolérable pour vos collègues.
— Comportement imprévisible, déloyal et dénigrant
Lorsque vous ne souhaitez pas communiquer avec votre équipe, vous mettez vos écouteurs pour vous isoler et écouter de la musique. De plus, de nombreux collaborateurs ont remonté à votre hiérarchie qu’ils avaient l’impression de vous importuner lorsqu’ils venaient vous vous ne preniez même pas la peine de les regarder.
De nombreux témoignages rapportés prouvent que vous avez tenu des propos injurieux et choquants à l’égard des membres du comité de direction, de votre hiérarchie ou encore de vos collègues : lors de vos conversations téléphoniques, vous ne cessez de les critiquer et de dénigrer ouvertement Cfbs dans son ensemble. Cette attitude insultante et irrespectueuse envers l’organisation et vos collègues de travail est absolument inadmissible et ne peut être tolérée plus longtemps.
Aussi, de nombreux collègues du siège rapportent que vous vous plaignez très souvent en rapportant que vous souhaitez quitter l’entreprise. Vous ne vous gênez pas non plus d’ailleurs pour évoquer depuis plus d’un an vos différentes candidatures dans d’autres entreprises ainsi que les entretiens qui s’en suivent.
Enfin, lorsque vous avez été informée de la réception de votre convocation à l’entretien préalable au licenciement, vous avez poussé un cri de joie au sein de l’open space accompagné des mots suivants’: «’Yes’! Je suis licenciée. Je n’aurais même pas besoin de faire ma lettre de démission.’»
— de polyvalence et d’exécution des directives de votre hiérarchie’:
Vous êtes réticente concernant la gestion des commandes et des factures fournisseurs. Vous soutenez que la gestion des commandes ne fait pas partie de vos tâches, ce qui est faux. Vous allez même jusqu’à dire à une de vos collègues que vous ferez exprès de faire des erreurs si votre hiérarchie vous demandait d’exécuter des tâches dont vous n’aviez pas envie.
Ces différentes situations sont inacceptables et créent un climat délétère au sein de l’Adv et des risques psychosociaux pour vos collègues de travail. Nous avons donc pris la décision de procéder à votre licenciement pour motif réel et sérieux…’»
L’employeur fait valoir que la salariée était largement avisée depuis 2015 de la nécessité de modifier son comportement ouvertement critique et dénigrant à l’égard de ses collègues et de ses supérieurs, et que l’aggravation de ses dérives a justifié le licenciement sur ce seul fondement.
Au soutien de ces allégations, l’employeur verse notamment’:
la conversation facebook échangée avec trois salariés de la société Canon France sur «’le mur’» de l’application, soit sur un espace public, au cours de laquelle Mme [E] [L] a tenu les propos dénigrants qui lui sont reprochés à l’égard d’une de ses collègues d’open space des propos très critiques à l’égard des deux employeurs,
le mail du 14 avril 2017 de Mme [H] directrice des opérations sur site qui se plaint du détournement de son entretien informel avec Mme [E] [L] mettant ainsi «’ses managers en porte à faux’», qui évoque l’«’humeur massacrante et démotivée’» de la salariée «’comme à son habitude’», ainsi que ses entretiens individuels avec les trois collègues de la salariée dont il ressortait que «’le point majeur de ces entretiens et commun à toutes et les grosses difficultés relationnelles qui impactent leur motivation au quotidien est le comportement d'[P]. Notamment [Y] [M] qui refuse catégoriquement de travailler avec [P].’»,
le courrier recommandé avec AR du 11 mars 2015 adressé par le directeur adjoint des ressources humaines à Mme [E] [L] rappelant son entretien avec ses deux directeurs dans le «’but de vous rappeler à l’ordre sur votre comportement et attitude très négative ces dernières semaines. Vos critiques excessives à l’égard de la direction et votre refus d’effectuer certaines tâches, pourtant inhérentes à votre fonction, pénalise l’activité de votre service…’»,
l’entretien annuel d’évaluation 2015 dans lequel les items «’attitude constructive’», «’relations avec les collègues’», «’relations avec les supérieurs’» sont «’à améliorer’»’,
l’entretien annuel d’évaluation annuel 2016 dans lequel les mêmes items demeurent à améliorer, avec une détérioration des items «’écoute’», «’faculté d’adaptation’» et «’esprit d’équipe’» devenus «’à améliorer’» également,
l’attestation de Mme [K], coordinatrice du service ADV et assistanat de site,
les attestations de trois des quatre collègues du service susvisé, qui relatent par des anecdotes distinctes le dénigrement constant de Mme [E] [L] à l’égard de Mme [R], visée dans la conversation facebook, qui en témoigne également. Ainsi, il est indiqué notamment: «’je l’entendais tenir les propos suivants’: qu’elle ne rentabilisait pas assez sa chaise, qu’elle aimait pavaner son cul dans les couloirs, que c’était une allumeuse et la traitait ouvertement de blonde’» «’lorsque j’ai été embauchée , elle a commencé à me dire que j’étais «’blonde’» que chez canon ils n’embauchaient pas les gens en fonction de leur travail… je l’entendais souvent parler de moi à tous ses sites à demi-mots au téléphone…; avec moi c’était une personne médisante jalouse et toujours insatisfaite’»..
les 4 attestations relatent également les multiples critiques de Mme [E] [L] à l’égard de la direction, outre l’expression constante de son désir de quitter la société.
Mme [E] [L] fait valoir qu’elle a travaillé avec conscience et dévouement pour la société malgré la restructuration intervenue en 2015 qui a conduit l’employeur à lui imposer d’assumer, en plus de sa fonction de gestionnaire, celle d’assistante de site, sans augmentation salariale, augmentation de charge l’ayant conduite en arrêt maladie pour dépression.
Elle souligne sa polyvalence et la satisfaction des clients dont elle produit de nombreux mails de remerciements.
Elle conteste tout comportement délétère allégué par l’employeur et considère que les 4 attestations produites sont de complaisance et dictées par l’employeur qui cherchait à constituer un dossier disciplinaire à son encontre afin de se séparer d’elle sans fondement.
Elle soutient que les propos non datés ni explicités énoncés dans les attestations sont contredits par ses propres attestations et notamment celle du 4ème collègue d’open space M. [D] [I].
Elle affirme avoir toujours apprécié travailler en binôme contrairement à sa collègue [M] qui s’y refusait et que les pièces produites démontrent que les nuisances sonores étaient le fait de ses collègues, comme l’a implicitement reconnu l’employeur en lui mettant à disposition un ordinateur portable afin de lui permettre de s’éloigner pour mener à bien ses fonctions.
Elle indique ne pas avoir pu remplir la fiche navette créée le 24 mars soit immédiatement avant son licenciement.
Mais la cour relève qu’il ressort des pièces versées au débat que, bien qu’interpellée depuis 2015 sur la nécessité de modifier son comportement critique à l’égard de ses collègues et de sa hiérarchie, Mme [E] [L] a persisté à tenir des propos régulièrement méprisants à l’égard de ses collègues de travail notamment en leur présence, ainsi que des propos critiques à l’égard de l’employeur, créant ainsi une ambiance délétère et anxiogène sur l’open-space, trois des quatre collègues ayant avisé la direction des graves difficultés de travail engendrées par ce comportement persistant’; est également attestée son attitude générale ouvertement critique à l’égard de ses supérieurs’; il est également établi que la salariée déformait les propos de ses supérieurs auprès de ses collègues mettant ainsi ses managers en porte à faux ; enfin, sa participation à une conversation publique sur facebook dénigrant sa collègue et son employeur est également avérée.
L’ensemble de ces éléments établit la persistance du comportement délétère et anxiogène reproché par l’employeur à la salariée depuis le 11 mars 2015 et rendait impossible la poursuite de la relation contractuelle.
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres motifs du licenciement intervenu, il y a lieu de le dire fondé sur une cause réelle et sérieuse et de débouter Mme [E] [L] de l’ensemble de ses demandes au titre de la rupture du contrat de travail.
II – Sur le harcèlement moral
Le harcèlement moral s’entend, aux termes de l’article L.1152-1 du code du travail, d’agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail du salarié, susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Aux termes de l’article L.1154-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi N°2016-1088 du 8 août 2016, lorsque survient un litige au cours duquel le salarié évoque une situation de harcèlement, celui-ci doit présenter des éléments de faits laissant supposer l’existence d’un harcèlement, l’employeur devant prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Dès lors qu’ils peuvent être mis en rapport avec une dégradation des conditions de travail, les certificats médicaux produits par la salariée figurent au nombre des éléments à prendre en considération pour apprécier l’existence d’une situation de harcèlement laquelle doit être appréciée globalement au regard de l’ensemble des éléments susceptibles de la caractériser.
A l’appui de sa demande, Mme [E] [L] évoque
1/ une politique de déni de sa personne au profit de la productivité caractérisée par
— l’accroissement de sa charge de travail depuis la réorganisation du service ADV au début de l’année 2015, lui imposant d’intervenir comme Assistante de site en plus de sa qualité de Gestionnaire ADV. (pièces 8 et 10′:rapport d’entretien d’évaluation 2015 et mail de sa collègue Mme [R] du 1er avril 2015),
— un délaissement de l’employeur alors qu’elle effectuait un malaise sur son lieu de travail le 13 février 2015, reconnu comme accident du travail par la CPAM, après relances de sa part, (pièces 11 à 13, 44 à 47),
— une nouvelle réorganisation de son service en 2017 sans explicitation des méthodologies de travail concernant ses tâches au niveau de la facturation et particulièrement le recouvrement, (pièce 48 mail du 24 février 2017) tout en préparant un entretien d’évaluation à charge,
— l’absence de réaction de l’employeur suite aux insultes d’une collègue le 20 avril 2017 (pièces 24 et 25)
— une dégradation des conditions de travail en open space engendrant des nuisances sonores jointe à une augmentation des objectifs de productivité dénoncé par le Chsct dans son procès verbal du 24 mars 2017, (pièce 52)
2/ des mesures concrètes de nuisance à son encontre via
— le 24 mars 2017, le blocage de ses codes de facturation à son insu, (pièce 55)
— le 29 mars 2017, la conduite d’un entretien d’évaluation à charge, (pièce 15)
— la convocation en entretiens individuels de ses collègues, en son absence et des demandes de doléances explicitées aux fins d’établir le dossier de licenciement, (pièces 31, 36, 36 et 39)
— un comportement discriminatoire adopté par la société CFBS à son encontre, les 3 autres salariés concernés par la discussion facebook n’ayant pas été licenciés.(pièces 27 à 29)
ces agissements répétés ayant entraîné une dépression nerveuse établie par ses multiples arrêts maladie sur la période 2015-2017 ( pièces 49 à 51).
En conséquence, Mme [E] [L] sollicite une somme de 9 754 euros soit 4 mois de salaire à titre de dommages-intérêts du fait du harcèlement moral subi.
La cour relève que la matérialité des faits énoncés n’est pas établie en ce qui concerne le blocage de ses codes de facturation par la pièce qu’elle communique.
La cour retient au vu des autres éléments, qui relatent un syndrome dépressif en sus des opérations médicales dont elle fait état dans ses pièces, ainsi que l’imputation par la salariée de cet état dépressif à ses conditions de travail, que cette dernière établit suffisamment des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et qu’il appartient dès lors à l’employeur de prouver que les agissements précis qui lui sont reprochés n’étaient pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
L’employeur conteste toute politique de déni de Mme [E] [L], a fortiori toute mesure de nuisance à son encontre, et s’étonne de la demande formée au titre du harcèlement moral par une salariée à qui ses collègues ont reproché continûment cette conduite. Il souligne qu’en tout état de cause le harcèlement ne saurait être confondu avec l’exercice normal du pouvoir disciplinaire de l’employeur ni avec son pouvoir de direction et d’organisation et qu’en l’espèce,
la restructuration intervenue en 2015 a consisté à fusionner certaines tâches du pôle assistanat de site avec le pôle Adv en allouant les ressources humaines correspondantes, le pôle étant passé de trois à 6 personnes, sans hausse de charge de travail pour les gestionnaires.(pièce 7)
il justifie ne pas avoir délaissé la salariée le 13 février 2015 qui a fait un malaise après l’entretien de recadrage intervenu à 10 heures sur son comportement et attitude très négative les semaines précédentes, sur ses critiques excessives à l’égard de la direction et son refus d’effectuer certaines tâches, en produisant le courrier de la DRH du 11 mars 2015 après enquête (pièce 22). Ce courrier établit que la salariée n’avait pas été menacée de licenciement d’une part, qu’elle a été reçue dans l’heure par la DRH à l’issue de son malaise, qu’en outre il lui a été proposé d’appeler les pompiers ainsi qu’un taxi pour la reconduire à son domicile, deux offres qu’elle a déclinées. L’employeur justifie également avoir déclaré l’accident de travail le 18 février suivant le malaise (pièce 19)
il souligne que les griefs relatifs à l’open space ou à une recherche de rentabilité relèvent du pouvoir de direction de l’employeur qui n’ont pas dégénéré en abus, alors qu’un ordinateur portable a été remis à la salariée afin qu’elle puisse s’isoler pour effectuer certaines taches (pièce 16),
les trois autres salariés auteurs avec Mme [E] [L] de la conversation publique sur facebook n’avaient fait l’objet d’aucun précédent disciplinaire ni recadrage contrairement à Mme [E] [L] à qui il était reproché continûment le comportement agressif et diffamant depuis plus de deux ans, de sorte qu’aucune discrimination ne peut être alléguée à ce titre également.
La cour relève en outre au vu des pièces communiquées que la salariée a été reçue en entretien individuel le 29 mars 2017 (pièce 16) pour définir ses périmètres et les procédures suite à son mail du 24 février 2017, rappeler sa compétence professionnelle et les moyens mis en ‘uvre pour la soutenir, mais également lui indiquer que désormais «’il fallait qu’elle accepte de s’adapter à l’organisation mise en place’» comme ses collègues le faisaient afin «’de permettre un dispatch équitable des comptes » et qu’ont également été évoquées «’ses relations difficiles avec ses collègues’», qu’ensuite les trois autres salariées de l’open space ont été reçues en entretien individuel, de sorte qu’aucune discrimination ne peut être alléguée.
Il résulte de l’ensemble de ces productions que la société intimée démontre suffisamment que les agissements qui lui sont reprochés n’étaient pas constitutifs d’un harcèlement moral et que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a débouté l’appelante de sa demande de ce chef.
III – Sur les autres demandes
L’équité ne commande pas de faire application de l’article 700 du code de procédure civile dans le cadre de la procédure d’appel.
Mme [E] [L], qui succombe, supportera les dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel,
Condamne Mme [E] [L] aux dépens d’appel,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes plus amples ou contraires,
LA GREFFIERE LE PRESIDENT
→ Questions / Réponses juridiques
Quel est le délai pour saisir le conseil des prud’hommes en cas de licenciement ?
Le salarié dispose d’un délai d’une année pour saisir le conseil des prud’hommes afin d’obtenir des dommages et intérêts en cas de licenciement jugé nul ou sans cause réelle et sérieuse.
Ce délai est stipulé dans l’article L 1471-1 du code du travail, qui précise que « toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture ».
Il est important de noter que ce délai s’applique sans distinction des causes de la rupture, ce qui signifie que même si le licenciement est contesté pour des raisons de harcèlement ou d’autres motifs, le délai d’un an reste en vigueur.
Quelles sont les exceptions au délai de prescription d’un an ?
L’article L 1471-1 alinéa 3 du code du travail prévoit certaines exceptions aux délais de prescription d’un an et de deux ans.
Ces exceptions concernent principalement les actions exercées en vertu des articles L 1152-1 et L 1153-1, qui traitent spécifiquement des cas de harcèlement moral et sexuel.
Cependant, ces dispositions ne s’appliquent pas aux actions relatives à la rupture du contrat de travail, ce qui signifie que même si un salarié invoque des faits de harcèlement, le délai d’un an pour contester la rupture reste applicable.
Quel a été le jugement du conseil des prud’hommes concernant l’action de M. [N] [G] ?
Le conseil des prud’hommes a jugé que l’action de M. [N] [G] était prescrite, car il avait saisi le tribunal plus d’un an après la notification de son licenciement pour faute sérieuse, qui avait eu lieu le 8 novembre 2018.
M. [G] a contesté son licenciement en se basant sur des allégations de harcèlement moral, mais le tribunal a confirmé que les délais de prescription d’un an s’appliquaient à sa situation.
Ainsi, le jugement du 15 juin 2021 a débouté M. [G] de ses demandes, confirmant que son action était irrecevable en raison du non-respect du délai de prescription.
Quelles étaient les accusations portées contre M. [N] [G] ?
M. [N] [G] a été accusé de harcèlement sexuel par un de ses collègues, M. [S]. Les accusations incluaient des comportements inappropriés tels que des propositions sexuelles explicites et des gestes suggestifs.
Les témoignages recueillis lors de l’enquête interne ont corroboré ces allégations, décrivant un climat de travail délétère et des comportements répétitifs de M. [G] qui ont été perçus comme du harcèlement.
Les faits rapportés incluaient des gestes déplacés, des commentaires inappropriés et des tentatives de pression sur des collègues, ce qui a conduit à une mise à pied disciplinaire et, finalement, à son licenciement.
Quelle a été la décision de la cour d’appel concernant l’appel de M. [N] [G] ?
La cour d’appel a confirmé le jugement du conseil des prud’hommes, rejetant l’appel de M. [N] [G].
Elle a statué que le licenciement était justifié en raison des comportements de harcèlement sexuel avérés, et que la sanction de mise à pied était proportionnelle aux faits reprochés.
La cour a également noté que les témoignages recueillis lors de l’enquête interne étaient précis et concordants, établissant que M. [G] avait bien eu des agissements constitutifs de harcèlement sexuel, ce qui a conduit à la confirmation de la décision initiale.
Laisser un commentaire