Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 14 octobre 2015, 14-19.917, Publié au bulletin

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Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 14 octobre 2015, 14-19.917, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Vu l’article 49, II, de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, dans sa rédaction issue de l’article 44 de la loi n° 2006-961 du 1er août 2006 ;

Attendu que, selon ce texte, l’Institut national de l’audiovisuel (INA) exerce les droits d’exploitation des archives audiovisuelles des sociétés nationales de programme dans le respect des droits moraux et patrimoniaux des titulaires de droits d’auteur ou de droits voisins du droit d’auteur, et de leurs ayants droit ; que, toutefois, par dérogation aux articles L. 212-3 et L. 212-4 du code de la propriété intellectuelle, les conditions d’exploitation des prestations des artistes-interprètes desdites archives et les rémunérations auxquelles cette exploitation donne lieu sont régies par des accords conclus entre les artistes-interprètes eux-mêmes ou les organisations de salariés représentatives des artistes-interprètes et l’INA et que ces accords doivent notamment préciser le barème des rémunérations et les modalités de versement de ces rémunérations ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que reprochant à l’INA de commercialiser sur son site internet, sans leur autorisation, des vidéogrammes et un phonogramme reproduisant les prestations de Liaquat Ali X…, dit Kenny Y…, batteur de jazz décédé le 26 janvier 1985, MM. Z… et X…-Y…, ses ayants droit, l’ont assigné pour obtenir réparation de l’atteinte ainsi prétendument portée aux droits d’artiste-interprète dont ils sont titulaires, en invoquant l’article L. 212-3 du code de la propriété intellectuelle, aux termes duquel sont soumises à l’autorisation écrite de l’artiste-interprète la fixation de sa prestation, sa reproduction et sa communication au public, ainsi que toute utilisation séparée du son et de l’image de la prestation lorsque celle-ci a été fixée à la fois pour le son et l’image ;

Attendu que, pour accueillir leur demande, l’arrêt, après avoir énoncé que la mission de conservation et d’exploitation des archives audiovisuelles conférée à l’INA par le législateur n’exonérait pas ce dernier du respect des droits des artistes-interprètes, retient que la dérogation prévue par l’article 44 de la loi du 1er août 2006 ne trouve à s’appliquer que pour autant que l’artiste-interprète a autorisé la fixation et la première destination de son interprétation, auquel cas l’INA peut s’affranchir de solliciter son autorisation ou celle de ses ayants droit pour une nouvelle utilisation de sa prestation ;

Qu’en subordonnant ainsi l’applicabilité du régime dérogatoire institué au profit de l’INA à la preuve de l’autorisation par l’artiste-interprète de la première exploitation de sa prestation, la cour d’appel, qui a ajouté à la loi une condition qu’elle ne comporte pas, a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il condamne l’INA à payer à MM. Z… et X…-Y… la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice subi des suites de l’exploitation non autorisée des vingt-sept vidéogrammes et phonogramme visés dans les écritures, l’arrêt rendu le 11 juin 2014, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Versailles ;

Condamne MM. Z… et X…-Y… aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de l’Institut national de l’audiovisuel ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze octobre deux mille quinze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Hémery et Thomas-Raquin, avocat aux Conseils, pour l’Institut national de l’audiovisuel.

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir condamné l’INA à payer à Kenneth Z… et Laurent X… Y… la somme de 5. 000 euros en réparation du préjudice subi des suites de l’exploitation non autorisée des 27 vidéogrammes et phonogramme visés dans les écritures des intimés ;

AUX MOTIFS QUE « l’INA excipe en troisième lieu de sa mission de service public de conservation et d’exploitation des archives audiovisuelles de l’ORTF et des sociétés nationales de radiodiffusion sonore et de télévision, pour l’exécution de laquelle le législateur a institué un régime dérogatoire au droit exclusif des artistes-interprètes en habilitant les syndicats représentant les artistes-interprètes à conclure des accords fixant les conditions d’exploitation de ces archives en contrepartie d’une rémunération équitable ;

que l’article 49 de la loi du 30 septembre 1986 tel que modifié par l’article 44 de la loi n° 2006-961 du 1er août 2006 relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information dispose :

« Toutefois, par dérogation aux articles L. 212-3 et L. 212-4 du Code de la propriété intellectuelle, les conditions d’exploitation des prestations des artistes-interprètes des archives mentionnées au présent article et les rémunérations auxquelles cette exploitation donne lieu sont régies par des accords conclus entre les artistes-interprètes eux-mêmes ou les organisations de salariés représentatives des artistes-interprètes et l’Institut. Ces accords doivent notamment préciser le barème des rémunérations et les modalités de versement de ces rémunérations » ;

mais que les dispositions susvisées sont précédées du rappel du principe selon lequel « l’Institut exerce les droits d’exploitation mentionnés au présent paragraphe dans le respect des droits moraux et patrimoniaux des titulaires de droits d’auteur ou de droits voisins du droit d’auteur, et de leurs ayants droit » ;

qu’il suit de ces éléments que la mission de conservation et d’exploitation des archives audiovisuelles provenant de l’ORTF et des sociétés nationales de programmes qui lui est conférée par le législateur n’exonère par l’INA du respect des droits d’artistes-interprètes et que la dérogation instituée à l’article 44 de la loi n° 2006-961 du 1er août 2006 ne trouve à s’appliquer que pour autant que l’artiste interprète a autorisé la fixation et la première destination de son interprétation, auquel cas l’INA peut s’affranchir de solliciter son autorisation ou celle de ses ayants droit pour une nouvelle utilisation de sa prestation ;

qu’il incombe dès lors à l’INA, qui tient les droits sur les enregistrements litigieux de l’ORTF et des sociétés nationales de programmes et qui ne saurait avoir plus de droits que ces derniers, de justifier, au regard des dispositions de l’article L. 212-3 ou de celles de l’article L. 212-4 du Code de la propriété intellectuelle, de l’autorisation consentie par Kenny Y… à la captation et à la diffusion de sa prestation ;

or l’INA ne produit aucun contrat écrit ni un quelconque élément de nature à établir un accord de Kenny Y… à l’enregistrement de sa prestation et à son exploitation dans le cadre d’un programme télévisuel ;

que par voie de conséquence, l’exploitation faite par l’INA, sous forme de vidéogramme et de phonogramme, d’enregistrements reproduisant des prestations de Kenny Y…, est attentatoire aux droits de l’artiste interprète et ouvre droit à réparation » (cf. arrêt p. 5 et 6) ;

ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE « ces lois celles du 7 août 1974, 29 juillet 1982 et 30 septembre 1986 ont eu pour effet de transférer à l’INA la propriété matérielle des archives de l’ORTF et des sociétés nationales de radiodiffusion et de télédiffusion et de lui conférer la mission de les exploiter ; néanmoins, le transfert de la propriété des archives appartenant à ces organisme et sociétés nationales n’a pas pour effet d’affecter les droits de propriété intellectuelle appartenant aux tiers et notamment les droits voisins des artistes-interprètes ; qu’ainsi, si on retient que l’INA se trouve substitué dans les droits de producteur du défunt ORTF, il ne peut avoir plus de droit que ce dernier ; or, il a été ci-dessus constaté que le défendeur ne produisait pas de contrat écrit ni même d’autres éléments de nature à établir les relations contractuelles ayant existé entre producteur et artiste interprète. Dès lors il ne peut pas se prévaloir du droit d’exploitation des interprétations de Kenny Y…. L’INA a conclu avec les syndicats des artistes-interprètes des accords collectifs qui visent à définir la rémunération due pour les nouvelles utilisations des prestations des artistes-interprètes engagés pour des émissions de télévision ou radiodiffusion dont l’INA est propriétaire ou copropriétaire. Cependant ces accords ne visent à déterminer les rémunérations dues pour de nouvelles exploitations qu’autant qu’une exploitation première ait été autorisée par les artistes-interprètes concernés. Or en l’espèce l’INA ne dispose d’aucun élément sur le consentement donné par Kenny Y… à l’exploitation des émissions en cause. Aussi ces accords collectifs ne sont-ils pas applicables à l’exploitation des enregistrements des interprétations de Kenny Y… (cf. jugement p. 7) ;

ALORS QU’en application de l’article L. 212-3 du Code de la propriété intellectuelle, l’exploitation de la prestation d’un artiste interprète réalisée notamment par sa fixation, sa reproduction et sa communication au public est soumise à l’autorisation écrite de l’artiste interprète et, en application de l’article L. 212-4 du même Code, la signature du contrat conclu entre un artiste interprète et un producteur pour la réalisation d’une oeuvre audiovisuelle vaut autorisation de fixer, reproduire et communiquer au public la prestation de l’artiste interprète ; que l’article 49 II de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986, tel que modifié par l’article 44 de la loi n° 2006-961 du 1er août 2006, prévoit que, par dérogation aux articles L. 212-3 et L. 212-4 du Code de la propriété intellectuelle, les conditions d’exploitation par l’INA des prestations des artistes-interprètes des archives audiovisuelles mentionnées audit article et les rémunérations auxquelles cette exploitation donne lieu sont régies par des accords conclus entre les artistes-interprètes eux-mêmes ou les organisations de salariés représentatives des artistes-interprètes et l’Institut ; qu’en retenant que la dérogation instituée par cet article ne trouve à s’appliquer que pour autant que l’artiste interprète a autorisé la fixation et la première destination de son interprétation et ne dispense pas l’INA de justifier, dans les conditions prévues par les articles L. 212-3 ou L. 212-4 du Code de la propriété intellectuelle, de l’autorisation donnée par l’artiste interprète pour la captation et la diffusion de sa prestation, la Cour d’appel a violé l’article 49 II de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 modifié par l’article 44 de la loi n° 2006-961 du 1er août 2006.

ECLI:FR:CCASS:2015:C101092

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