Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Paris
Thématique : Rétention administrative et question de constitutionnalité des délais de privation de liberté
→ RésuméContexte de l’AffaireUn ressortissant algérien, désigné ici comme un étranger, est entré en France pour la première fois en 1988. Après un éloignement en 2008, il est revenu irrégulièrement en 2009 et a obtenu un titre de séjour en 2010. En janvier 2025, il a été placé en rétention administrative suite à un arrêté d’expulsion pris par le préfet de l’Hérault. Placement en Rétention et ContestationLe préfet a ordonné un vol pour reconduire l’étranger vers son pays d’origine, mais après un refus d’admission en Algérie, il a été renvoyé en France. L’étranger a contesté l’arrêté d’expulsion devant le juge administratif, demandant la suspension de cette décision. Le tribunal administratif a suspendu l’exécution de l’expulsion, mais a notifié un nouvel arrêté d’obligation de quitter le territoire français. Prolongation de la RétentionLe préfet a demandé une prolongation de la mesure de rétention, tandis que l’étranger a contesté cette prolongation. Le juge a rejeté la contestation de l’étranger et a ordonné la prolongation de la rétention pour 26 jours. L’étranger a ensuite présenté une déclaration d’appel et une question prioritaire de constitutionnalité. Examen de la Question Prioritaire de ConstitutionnalitéL’étranger soutient que l’article L. 741-7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers, tel qu’interprété par le juge, permet une privation de liberté illimitée sans contrôle adéquat, ce qui violerait les principes constitutionnels. Le préfet a contesté la recevabilité de cette question, arguant qu’elle ne présente pas de caractère sérieux. Recevabilité et Transmission de la QPCLa question prioritaire de constitutionnalité a été jugée recevable, car elle a été présentée dans un mémoire distinct et motivé. Le tribunal a décidé de transmettre la question à la Cour de cassation, en se basant sur l’applicabilité de la disposition contestée au litige et sur le caractère sérieux de la question soulevée. Conclusion et OrdonnanceLe tribunal a ordonné la transmission à la Cour de cassation de la question concernant la conformité de l’article L. 741-7 avec les principes constitutionnels. Cette décision a été prise en tenant compte des implications sur les droits et libertés garantis par la Constitution, notamment en ce qui concerne la liberté individuelle et la protection des droits des étrangers sur le territoire français. |
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
ORDONNANCE DU 05 FÉVRIER2025
( 6 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général et de décision : B N° RG 25/00621 (QPC)
Numéro d’inscription au répertoire général et de décision : B N° RG 25/00622 (dossier au fond)
Nous, Stéphanie Gargoullaud, présidente de chambre à la cour d’appel de Paris, agissant par délégation du premier président de cette cour, assistée de Catherine Charles, greffier aux débats et au prononcé de l’ordonnance,
DEMANDEUR A LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ ET APPELANT AU FOND
M. [G] [O]
né le 12 août 1965 à [Localité 1], de nationalité algérienne
RETENU au centre de rétention : Mesnil Amelot n°2
assisté de Me Marie-David-Bellouard, avocat au barreau de Marseille et de Me Julie Gonidec, avocate au barreau de Marseille
DEFENDEUR A LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ ET INTIMÉ AU FOND
LE PREFET DE L’HERAULT
représenté par Me Nicolas Rannou du cabinet Centaure, avocat au barreau de Paris
MINISTÈRE PUBLIC
L’affaire a été communiquée au ministère public le 04 février 2025 à 12h28 et 12h29, qui a fait connaître son avis
ORDONNANCE :
– contradictoire
– prononcée en audience publique,
Vu l’ordonnance du 02 février 2025 du magistrat du siège du tribunal judiciaire de Meaux ordonnant la jonction de la procédure introduite par la requête du préfet de l’Hérault enregistrée sous le n° RG 25/00422 et celle introduite par le recours de M. [G] [O] enregistré sous le n° RG 25/00421, déclarant le recours de M. [G] [O] recevable, rejetant le recours de M. [G] [O], déclarant la requête du préfet de l’Hérault recevable et la procédure régulière, rejetant la demande d’assignation à résidence judiciaire et ordonnant la prolongation de la rétention de M. [G] [O] au centre de rétention administrative n°2 du [2], ou dans tout autre centre ne dépendant pas de l’administration pénitentiaire, pour une durée de vingt six jours à compter du 02 février 2025 à 15h33 ;
– Vu l’article 23-1 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1985 portant loi organique sur le conseil constitutionnel ;
– Vu les articles 126-1 et suivants du code de procédure civile, notamment l’article 126-3 ;
– Vu la demande d’examen de la question prioritaire de constitutionnalité déposée par un écrit distinct et motivé le 04 février 2025 à 15h25, par le conseil choisi de M. [G] [O] ;
– Vu la communication du dossier au ministère public en date du 4 février 2025 à 12h28 et 12h29 ;
– Vu les observations écrites du ministère public en date du04 février 2025 à 20h58 tendant à rejeter la demande de transmission de la question pour défaut de caractère applicable au litige et de défaut de caractère sérieux ;
– Vu les conclusions et pièces du conseil de l’intéressé transmises le 04 février 2025 à 22h05 ;
– Vu les observations des conseils de l’intéressé ;
– Vu les observations du conseil de la préfecture ;
SUR QUOI,
Exposé des faits et de la procédure
M. [G] [O], ressortissant de nationalité algérienne né le 12 août 1965, est entré en France une première fois en 1988 à l’âge de 23 ans, puis, après un éloignement du territoire le 27 juin 2008, il y est à nouveau entré irrégulièrement en septembre 2009. Un titre de séjour lui a été délivré à compter du mois de septembre 2010.
M. [G] [O] été placé en rétention administrative en application d’un arrêté du préfet de l’Hérault notifié le 7 janvier 2025 à 16h30, en vue d’exécuter un arrêté d’expulsion du territoire français pris en urgence absolue le même jour.
Le préfet a sollicité un ‘routing’ et un vol a été obtenu le 8 janvier 2025 pour le lendemain, date à laquelle M. [G] [O] a été pris en charge pour être reconduit par un vol à destination d'[Localité 1] qui a atterri à 17h57. Après un refus d’admission sur le territoire algérien, M. [G] [O] et son escorte ont pris un avion de retour vers la France.M. [O] est arrivé le 9 janvier à 22h45 au centre de rétention administrative n° 2 de [Localité 3].
Parallèlement, M. [O] a contesté l’arrêté d’expulsion devant le juge administratif et sollicité la suspension de cette décision sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative.
Par une ordonnance du 29 janvier 2025, les juges des référés du tribunal administratif de Paris ont suspendu l’exécution des décisions du 7 janvier 2025 par lesquelles le ministre de l’Intérieur a expulsé du territoire M. [O] et fixé le pays de destination, enjoint au ministre de l’Intérieur de procéder au réexamen de sa situation dans le délai d’un mois, et rejeté la demande de suspension de l’exécution de la décision portant retrait du titre de séjour.
Le même jour, le préfet lui a notifié un arrêté portant obligation de quitter le territoire francais, ainsi qu’un arrêté de placement en rétention pris sur le fondement de ce nouvel arrêté. La notification est intervenue à 23h59 et la notification des droits en rétention à M. [O] le 30 janvier à 0h20.
Le magistrat du siège du tribunal judiciaire a été saisi, par lepréfet, d’une requête en prolongation de la mesure et, par M. [O], d’une requête en contestation de l’arrêté de placement en rétention. Par une ordonnance du 2 février 2025, le juge a rejeté la requête de M. [O], déclaré la procédure régulière, rejeté la demande d’assignation à résidence et ordonné la prolongation de la mesure pour une durée de 26 jours.
Le 3 février, M. [O] a présenté une déclaration d’appel et, par mémoire séparé, une question prioritaire de constitutionnalité.
EXAMEN DE LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE
En application de l’article 61-1 de la Constitution, lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé.
Selon l’article 23-1 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, devant les juridictions relevant du Conseil d’Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d’irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Devant une juridiction relevant de la Cour de cassation, lorsque le ministère public n’est pas partie à l’instance, l’affaire lui est communiquée dès que le moyen est soulevé afin qu’il puisse faire connaître son avis.
En l’espèce, M. [O] soutient que l’article L. 741-7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et droit d’asile, tel qu’interprété par le juge, ‘permet une extension illimitée d’une privation de liberté, uniquement justifiée par une modification de la mesure de police la justifiant, sans contrôle de cette modification [et viole] de manière frontale les principes dégagés par le Conseil constitutionnel en particulier dans la décision n° 93-325 DC’. A l’audience, en réponse à l’avis du Ministère public, il la reformule en mode interrogatif direct : ‘ Les dispositions de l’article L. 741-7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et droit d’asile, d’une part, en ce que les mots ‘circonstance nouvelle de fait ou de droit ‘ ajoutés par la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 ne concernent pas l’hypothèse d’un placement en rétention sur le fondement d’une mesure d’éloignement distincte et, d’autre part, en ce qu’elles excluent tout délai de carence ou consacrent un délai de carence de 48 heures favorable à l’administration, sont-elles conformes aux principes constitutionnels dégagés par la décision n° 93-325 DC du 13 août 1993 »
En réplique le préfet soutient que :
– la QPC ne présente pas de caractère sérieux car à la mesure nouvelle de rétention s’attachent des recours propres
– le renvoi d’une QPC n’est pas compatible avec l’office du juge de la rétention eu égard aux délais impartis pour statuer
– la QPC ne s’applique pas au litige: en toute hypothèse pour le décompte de la rétention le délai de 90 jours peut être calculé à compter de la rétention initiale.
La question prioritaire de constitutionnalité a été communiquée au ministère public le 3 février 2025, qui, par une avis du 3 février, porté à la connaissance des parties le 4 février à 9h30, considère que :
– le mémoire ne pose aucune question mais critique l’interprétation faite par le premier juge de l’article L 741-7 et procède par affirmations,
– le mémoire ne vise pas les droits et libertés garantis pas la Constitution,
– la disposition n’est pas applicable au litige mais vise uniquement l’hypothèse de plusieurs placements en rétention sur le fondement d’une même mesure d’éloignement et non l’hypothèse de placements en rétention successifs sur le fondement de mesures d’éloignement différentes comme en l’espèce.
Le ministère public conclut à la non-transmission de la question prioritaire de constitutionnalité.
PAR CES MOTIFS
La déléguée du premier président, statuant par ordonnance rendue publiquement, contradictoirement et insusceptible de recours,
ORDONNE la transmission à la Cour de cassation de la question suivante: ‘ Les dispositions de l’article L. 741-7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et droit d’asile, d’une part, en ce que les mots ‘circonstance nouvelle de fait ou de droit ‘ ajoutés par la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 ne concernent pas l’hypothèse d’un placement en rétention sur le fondement d’une mesure d’éloignement distincte et, d’autre part, en ce qu’elles excluent tout délai de carence ou consacrent un délai de carence de 48 heures favorable à l’administration, sont-elles conformes aux principes constitutionnels dégagés par la décision n° 93-325 DC du 13 août 1993 »
DIT que la présente ordonnance sera adressée à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou conclusions des parties ;
DIT que l’affaire sera rappelée immédiatement à l’audience pour qu’il soit statué au fond, le délai pour statuer expirant à 15h24 ;
ORDONNONS la remise immédiate au procureur général d’une expédition de la présente ordonnance.
Fait à [Localité 4] le 05 février 2025 à
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
REÇU NOTIFICATION DE L’ORDONNANCE ET DE L’EXERCICE DES VOIES DE RECOURS :
Pour information :
L’ordonnance n’est pas susceptible d’opposition.
Le pourvoi en cassation est ouvert à l’étranger, à l’autorité administrative qui a prononcé le maintien en zone d’attente ou la rétention et au ministère public.
Le délai de pourvoi en cassation est de deux mois à compter de la notification.
Le pourvoi est formé par déclaration écrite remise au secrétariat greffe de la Cour de cassation par l’avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation constitué par le demandeur.
Le préfet ou son représentant L’intéressé Les avocats de l’intéressé
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