Cour d’appel de Paris, 23 octobre 2024, RG n° 22/03086
Cour d’appel de Paris, 23 octobre 2024, RG n° 22/03086

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel de Paris

Thématique : La reconnaissance des heures supplémentaires en télétravail durant la crise sanitaire

 

Résumé

La crise sanitaire a mis en lumière la question des heures supplémentaires en télétravail. Madame [E], employée de l’ANRU, a réclamé le paiement d’heures supplémentaires non rémunérées depuis mars 2020, arguant qu’elle avait continué à travailler aux mêmes horaires qu’avant le confinement. Cependant, l’ANRU a contesté ces demandes, affirmant que les heures supplémentaires n’étaient pas justifiées et que les instructions sur le respect des horaires collectifs avaient été clairement communiquées. Le tribunal a confirmé le jugement initial, déboutant Madame [E] de ses demandes, soulignant que les heures supplémentaires alléguées n’avaient pas reçu l’accord de l’employeur.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

23 octobre 2024
Cour d’appel de Paris
RG n°
22/03086

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 9

ARRET DU 23 OCTOBRE 2024

(n° , 4 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/03086 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CFKJW

Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Février 2022 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° 21/06878

APPELANTE

Madame [P] [E]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Patrice ITTAH, avocat au barreau de PARIS, toque : P0120

INTIMEE

Etablissement Public L’AGENCE NATIONALE POUR LA RÉNOVATION URBAINE

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Didier Guy SEBAN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0498

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 17 Septembre 2024, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Stéphane MEYER, président de chambre chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Monsieur Stéphane MEYER, président de chambre

Monsieur Fabrice MORILLO, conseiller

Madame Nelly CHRETIENNOT, conseillère

Greffier, lors des débats : Monsieur Jadot TAMBUE

ARRET :

– contradictoire,

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Monsieur Stéphane MEYER, président de chambre et par Madame Marika WOHLSCHIES, greffier à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Madame [P] [E] a été engagée par l’établissement public dénommé Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine (ANRU), pour une durée indéterminée à compter du 1er septembre 2008, en qualité d’assistante de direction, dans le cadre d’un contrat de détachement. Elle a été nommée attachée de direction auprès du directeur général et auprès du président du conseil d’administration à compter du 31 mai 2016. Elle a exercé ses missions en télétravail à compter du 16 mars 2020, pendant la période du premier confinement dû à la crise sanitaire.

Le 3 août 2021, Madame [E] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris de demandes relatives à des heures supplémentaires.

Par jugement du 11 janvier 2022, le conseil de prud’hommes de Paris a débouté Madame [E] de ses demandes et laissé les dépens à sa charge.

Madame [E] a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 24 février 2022, en visant expressément les dispositions critiquées.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 3 janvier 2023, Madame [E] demande l’infirmation du jugement et la condamnation de l’ANRU à lui payer 17 052,75 € de rappel de salaire pour heures supplémentaires, ainsi qu’une indemnité pour frais de procédure de 2 000 €.

Au soutien de ses demandes et en réplique à l’argumentation adverse, Madame [E] expose que :

– alors qu’elle a toujours transmis le relevé de ses heures supplémentaires, l’employeur refuse de les rémunérer depuis mi-mars 2020, date à partir de laquelle elle se trouvait en télétravail tout en continuant d’effectuer les mêmes horaires de travail que précédemment ;

– elle s’est trouvée dans l’impossibilité d’entrer ses heures supplémentaires dans le logiciel Eurecia et en a immédiatement informé sa hiérarchie.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 26 juillet 2022, l’ANRU demande la confirmation du jugement, le rejet des demandes de Madame [E] et sa condamnation à lui verser une indemnité pour frais de procédure de 3 500 €. Elle fait valoir que :

– les heures supplémentaires effectuées par Madame [E] avant le confinement étaient variables ;

– il existait, au sein de l’entreprise, une procédure de déclaration des heures supplémentaires sur le logiciel Eurecia, que Madame [E] n’a pas suivie ;

– pendant sa période de télétravail, correspondant au confinement, elle a été informée par son responsable hiérarchique qu’elle devait se conformer à l’horaire collectif applicable au sein de l’entreprise car les heures supplémentaires n’étaient pas justifiées par sa charge de travail.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 17 septembre 2024.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions.

* * *

MOTIFS DE LA DECISION

Aux termes de l’article L.3243-3 du code du travail, l’acceptation sans protestation ni réserve d’un bulletin de paie par le travailleur ne peut valoir de sa part renonciation au paiement de tout ou partie du salaire et des indemnités ou accessoires de salaire qui lui sont dus en application de la loi, du règlement, d’une convention ou d’un accord collectif de travail ou d’un contrat.

Aux termes de l’article L.3171-4 du même code, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Il appartient donc au salarié de présenter, au préalable, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies, afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement, en produisant ses propres éléments.

Il résulte des dispositions des articles 3, 5 et 6 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, lus à la lumière de l’article 31, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ainsi que de l’article 4, paragraphe 1, de l’article 11, paragraphe 3, et de l’article 16, paragraphe 3, de la directive 89/391/CEE du Conseil, du 12 juin 1989, qu’il incombe à l’employeur, l’obligation de mettre en place un système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur.

En l’espèce, le contrat de travail prévoit un temps de travail de 36h30 par semaine avec l’attribution de 10 jours de réduction du temps de travail.

Madame [E] déclare que, depuis son embauche, elle travaillait de 8h30 à 19h avec une heure de pause de déjeuner, qu’elle était ainsi rémunérée à hauteur de 11h supplémentaires par semaine, soit un total de 47h30 par semaine, mais qu’à compter du début de la crise sanitaire en mars 2020 et de son passage en télétravail, l’ANRU a refusé de lui payer les heures supplémentaires qu’elle continuait pourtant à effectuer pour les mêmes durées.

Cependant, il résulte de l’examen de ses bulletins de paie antérieures à mars 2020 qu’elle ne percevait pas de majoration pour heures supplémentaires tous les mois, et que, lorsqu’elles apparaissent, les heures supplémentaires sont variables d’un mois à l’autre, ce dont il résulte qu’elle ne peut prétendre à une contractualisation de ses heures supplémentaires.

Madame [E] produit cependant un décompte journalier des heures supplémentaires qu’elle prétend avoir réalisées à compter du 16 mars 2020, qui constitue un élément suffisamment précis pour permettre à l’ANRU d’y répondre utilement.

Le salarié peut prétendre au paiement des heures supplémentaires accomplies, soit avec l’accord de l’employeur, soit s’il est établi que la réalisation de telles heures a été rendue nécessaire par les tâches qui lui ont été confiées.

Or, l’ANRU produit le courriel du responsable des ressources humaines du 8 juin 2020, confirmant à Madame [E] qu’il avait été convenu que, depuis le début du confinement et pendant sa période de télétravail correspondant au confinement, ses missions devaient être réalisées  » sur le temps de travail collectif, sans besoin d’aller au-delà « , qu’une éventuelle nécessité de permanence spécifique lui serait signalée, et que, dans le cas où elle serait amenée à commencer plus tôt ou finir plus tard une journée, elle devrait équilibrer avec les heures des autres jours de la semaine. L’ANRU produit des courriels de la secrétaire générale dans le même sens, datés des 23 juillet ,16 novembre et 15 décembre 2020.

Madame [E] soutient qu’elle n’avait pas reçu de telles instructions avant le courriel précité du 8 juin 2020. Cependant, l’ANRU réplique à juste titre que, malgré le rappel clair contenu dans se courriel et l’échange de courriers qui s’en est suivi, elle n’avait alors pas contesté avoir reçu les consignes dès le début de son télétravail.

Madame [E] soutient également qu’elle ne pouvait exécuter de directives que si elles émanaient de son encadrant direct et non pas de la responsable des ressources humaines et ajoute qu’elle était donc fondée à continuer d’effectuer l’horaire habituel qu’elle exécutait depuis plus de 12 ans.

Cependant, d’une part l’ANRU réplique, sans être utilement contredite sur ce point, que le responsable des ressources humaines a une mission particulière en matière de management et qu’il relève de ses fonctions de veiller aux conditions de travail des collaborateurs de l’ANRU et d’autre part, il résulte des explications qui précèdent qu’avant la période du confinement, Madame [E] ne réalisait pas d’heures supplémentaires de façon systématique et qu’elle étaient variables d’un mois sur l’autre.

Il résulte de ces considérations que les heures supplémentaires alléguées par Madame n’avaient pas reçu l’accord de l’employeur, lequel s’y était au contraire opposé.

Madame [E] fait également valoir que la réalisation de ses heures supplémentaires a été rendue nécessaire par les tâches qui lui étaient confiées.

Elle précise à cet égard que le confinement et la mise en place du télétravail n’ont pas induit une baisse d’activité, puisque les déplacements du directeur général ou du président ainsi que les réunions extérieures n’ont pas été supprimées mais converties en réunions à distance, en visioconférence, dont elle a toujours assuré la mise en place et elle ajoute qu’avant et après les deux tours des élections municipales des 15 et 28 juin 2020, elle recevait quotidiennement des appels de maires au sujet des dossiers de demandes.

Cependant, sans être utilement contredite sur ce point, l’ANRU réplique que les réunions étaient extrêmement rares, qu’il n’existait presque plus de rendez-vous à organiser et encore moins de réception de visiteurs à assurer et que le directeur général prenait directement les nombreux appels téléphoniques.

Il n’est donc pas établi que la réalisation d’heures supplémentaires aurait été rendue nécessaires par des tâches confiées par l’employeur.

Le jugement doit donc être confirmé en ce qu’il a débouté Madame [E] de ses demandes.

L’équité ne commande pas qu’il soit fait application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement déféré ;

Y ajoutant ;

Déboute l’ANRU de sa demande d’indemnité pour frais de procédure formée en cause d’appel ;

Condamne Madame [P] [E] aux dépens d’appel.

Le greffier, Le président,


 


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