Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Paris
Thématique : La juridiction convaincue de la réalité des heures supplémentaires
→ RésuméLa Cour d’appel de Paris a confirmé la réalité des heures supplémentaires effectuées par Mme [T] [M] au sein de la société Hygie Conseils. Malgré les contestations de l’employeur, la salariée a présenté des décomptes précis et des preuves de son activité tardive, ce qui a convaincu la cour de l’existence de ces heures non rémunérées. En conséquence, le licenciement de Mme [M] a été jugé nul, et la société a été condamnée à verser des indemnités pour heures supplémentaires, harcèlement moral et licenciement abusif, ainsi qu’à rembourser des frais de justice.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Cour d’appel de Paris
RG n°
21/06698
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 3
ARRET DU 16 OCTOBRE 2024
(n° , 10 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/06698 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CEDKT
Décision déférée à la Cour : Jugement du 06 Juillet 2021 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOBIGNY – RG n° 19/01615
APPELANTE
Madame [T] [M]
Née le 28 Juin 1965 à [Localité 3]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par, avocat au barreau de PARIS, toque : L0069, avocat postulant et par Me Julia FABIANI, avocat au barreau de PARIS, toque : P0525, avocat plaidant
INTIMEE
S.A.R.L. HYGIE CONSEILS, prise en la personne de son représentant légal
N°SIRET : 509 678 579
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Alexandre EBTEDAEI, avocat au barreau de PARIS, toque : P0010
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 10 Septembre 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Marie-Lisette SAUTRON, Présidente
Mme Véronique MARMORAT, présidente
M. Christophe BACONNIER, président
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Madame Marie-Lisette SAUTRON dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Madame Laetitia PRADIGNAC
ARRET :
– Contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Marie-Lisette SAUTRON, Présidente et par Laetitia PRADIGNAC, Greffière, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS ET PROCEDURE
La société [Localité 5], aux droits de laquelle vient la SARL Hygie Conseils, a engagé Mme [T] [M] par contrat à durée indéterminée à compter du 6 novembre 1989. Elle exerçait en dernier lieu les fonctions de gestionnaire de paie confirmée.
Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des cabinets d’experts-comptables et de commissaires aux comptes. La société Hygie Conseils occupait à titre habituel au moins onze salariés lors de la rupture des relations contractuelles. La rémunération mensuelle brute moyenne de la salariée s’élevait en dernier lieu à la somme de 4 005 euros.
Le 13 décembre 2014, Mme [M] a été placée en arrêt maladie par son médecin traitant, pour cause de ‘surmenage, hyperanxiété, problèmes professionnels’, arrêt renouvelé successivement jusqu’à la rupture du contrat de travail.
Le 19 juin 2015, Mme [M] a saisi le conseil de prud’hommes de Bobigny d’une demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice né d’un harcèlement moral.
Le 23 juin 2015, Mme [M] a été déclarée inapte à son poste de travail, mais apte à un autre poste sous réserve d’éviter les tâches de travail qui nécessitent contacts téléphoniques répétés avec les clientes, la gestion des dossiers à haute complexité, et en réduisant la charge de travail vers des tâches plus simples.
Le 3 septembre 2015, Mme [M] a été convoquée à un entretien préalable, fixé au 15 septembre 2015.
Le 2 novembre 2015, la société Hygie Conseils a notifié à Mme [M] son licenciement en raison de son inaptitude et de son refus des postes de reclassement proposés. A la date de la notification de son licenciement, Mme [M] avait une ancienneté de 35 ans.
L’affaire, radiée le 7 mars 2018, a été réenrôlée le 16 mai 2019.
En dernier lieu, la salariée a demandé au conseil de prud’hommes, avec exécution provisoire :
– de fixer la moyenne des salaires des douze derniers mois à la somme de : 4 005 euros,
– de dire et juger qu’elle a été victime de harcèlement moral,
à titre principal,
– dire et juger que son licenciement est nul et de nul effet,
à titre subsidiaire,
– de dire et juger que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse,
en tout état de cause,
– de condamner l’employeur à lui payer les sommes suivantes :
. 96 000 euros au titre de l’indemnité de rupture (24 mois)
. 12 000 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,
. 1 200 euros au titre de l’ indemnité compensatrice de congés payés afférents,
. 24 000 euros au titre des dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité,
. 24 000 euros au titre des dommages et intérêts en réparation du préjudice né du harcèlement moral,
. 7 434,47 euros au titre des rappels de salaires en raison d’heures supplémentaires pour 2012,
. 743,45 euros au titre de l’indemnité de congés payés afférents,
. 6 860,31 euros au titre des rappels de salaires en raison d’heures supplémentaires pour 2013,
. 686,03 euros au titre de l’indemnité de congés payés afférents,
. 11 767,04 euros au titre des rappels de salaires en raison d’heures supplémentaires pour 2014,
. 1 176,70 euros au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés afférents,
. 24 000 euros au titre de l’indemnité forfaitaire de travail dissimulé,
. 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– de condamner l’employeur à la remise de bulletins de salaire et des documents de fin de contrat conformes au jugement,
– d’assortir les condamnations d’intérêts au taux légal, avec capitalisation des intérêts (article 1343-2 du code civil).
A titre reconventionnel, l’employeur a demandé la condamnation de la salariée à lui payer la somme de 4 500 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.
Par jugement du 6 juillet 2021, auquel la cour se réfère pour l’exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, le conseil de prud’hommes a rejeté toutes les demandes et condamné Mme [M] à des éventuels dépens.
Mme [M] a relevé appel de ce jugement par déclaration transmise par voie électronique le 22 juillet 2021.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 3 juillet 2024 et l’audience de plaidoiries a été fixée au 10 septembre 2024.
EXPOSE DES PRÉTENTIONS
Par conclusions communiquées par voie électronique le 17 juin 2024, auxquelles la cour se réfère expressément pour l’exposé des moyens, Mme [M] demande à la cour de la dire et juger recevable et bien fondée en ses demandes, d’infirmer en toutes ses dispositions le jugement prononcé le 6 juillet 2021 par le conseil de prud’hommes de Bobigny et de faire droit à ses demandes principales qu’elle réitère, en sollicitant la condamnation de l’employeur à lui payer la somme de 5 000,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions communiquées par voie électronique le 19 janvier 2022, auxquelles la cour se réfère expressément pour l’exposé des moyens, la société Hygie Conseils demande à la cour de confirmer le jugement, de débouter la salariée, et de la condamner aux dépens et au paiement d’une somme de 3 000,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la première instance, et de 3 000,00 euros au titre de article 700 du code de la procédure civile pour la procédure d’appel.
MOTIVATION
I – L’exécution du contrat de travail
– les heures supplémentaires
La salariée appelante soutient qu’elle s’occupait seule de clients basés en outre mer de sorte qu’elle travaillait souvent les soirées et les fins de semaine. Elle prétend établir la réalité et le nombre d’heures effectuées en produisant un décompte accompagné des pièces lui ayant permis de l’établir. Elle rappelle que l’employeur, qui avait connaissance de sa charge de travail induisant les heures supplémentaires, et qui en connaissait donc l’existence sans s’y opposer, les a acceptées et c’est vainement qu’il vient prétendre de pas les avoir demandées. Elle affirme que sa demande qui concerne une période démarrant en janvier 2012 ne peut être atteinte par la prescription dès lors que la prescription n’est acquise que pour les demandes antérieures au 16 juin 2010, en raison de la saisine de la juridiction prud’homale le 17 juin 2015 et de l’application du droit transitoire de la prescription.
L’employeur soutient d’abord que les demandes antérieures à octobre 2012 sont prescrites en application des dispositions de l’article L 3245-1 du Code du travail, le contrat ayant été rompu le 2 novembre 2015. Il note que la salariée doit étayer sa demande mais qu’elle se contente de produire un décompte établi par elle-même pour les besoins de la cause et non corroboré par des éléments objectifs. Il fait observer que la salariée avait l’habitude, sans doute pour se préconstituer un dossier en prévision du contentieux, d’envoyer sur sa messagerie personnelle ses heures d’arrivée et de sortie ou des mails tardifs qui ne signent pas la réalisation d’un travail effectif tardif.
L’employeur soulève un moyen de prescription, qui est une fin de non recevoir devant tendre à l’irrecevabilité de la demande, mais ne formule pas telle prétention dans son dispositif, et se contente de solliciter la confirmation du jugement et le rejet des demandes. Par conséquent, il n’y a pas lieu de statuer sur la prescription conformément aux dispositions de l’article 954 alinéa 3 du Code de procédure civile.
Sur le fond, selon l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.
Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.
La salarié produit des décomptes des heures qu’elle prétend avoir réalisées, détaillés au jour le jour, accompagnés de courriels qui montrent une activité tardive, parfois les samedis et dimanches, ce qui est suffisamment précis pour permettre à l’employeur de justifier le temps de travail réel de la salariée.
Or, celui-ci n’en justifie pas. Le fait que d’autres salariés, gestionnaires de paie, attestent avoir une charge de travail correcte, ne permet pas d’éclairer la cour sur le temps de travail effectivement réalisé par la salarié.
Aussi, la cour, convaincue de la réalité des heures supplémentaires dans la proportion invoquée par la salariée doit faire droit aux demandes, par infirmation du jugement.
– le travail dissimulé
La salarié soutient que le fait de ne pas payer les heures supplémentaires suffit à caractériser le travail dissimulé et qu’il est indéniable que l’employeur a voulu éluder ses droits conformément à la pratique en cours dans l’entreprise.
Or, le travail dissimulé suppose une intention dissimulatrice absente en l’espèce. En effet, la salariée n’a jamais fait état d’heures supplémentaires impayées de sorte que l’admission de sa demande ne peut à elle seule la caractériser.
La demande sera donc rejetée par confirmation du jugement.
– le harcèlement
La salariée soutient avoir subi un harcèlement moral caractérisé par :
* une surcharge de travail,
* une exclusion du bénéfice de primes exceptionnelles accordées aux autres salariés,
* des reproches injustifiés,
* une menace de rupture du contrat de travail,
* une dégradation de son environnement de travail et de sa santé.
L’employeur soutient au contraire que la salarié n’a pas subi de tels agissements, qu’elle a été en arrêt pour raison non professionnelle, qu’elle ne justifie pas d’une différence de traitement salarial entre elle et ses collègues qui avaient plus de dossiers et qu’elle a perçu les primes. Il affirme que la surcharge de travail relève d’un ressenti subjectif découlant d’une mauvaise organisation alors que la salariée a été déchargée en 2013. En outre il conteste les menaces de rupture du contrat de travail.
La salariée qui allègue un harcèlement moral doit, en application des dispositions de l’article L 1154-1 du Code du travail en sa version applicable en l’espèce, présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement, étant rappelé que le harcèlement est défini par l’article L 1152-1 du Code précité comme tous agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Au vu de ces éléments, il incombe alors à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs de harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Des pièces versées au débat par la salariée établissent une surcharge de travail qui a conduit plus haut à la condamnation de l’employeur au paiement d’heures supplémentaires, une dégradation de la santé de la salariée en raison d’un état anxio-dépressif et d’un surmenage relatés dans divers certificats médicaux mais qui ressortent également de l’avis d’inaptitude qui préconise un allègement de la charge de travail de Mme [M]. Par ailleurs, en mai 2015 l’employeur a relayé le mécontentement de clients l’imputant à l’organisation de travail de la salarié qu’il dit chercher à améliorer.
Ces éléments pris dans leur ensemble, laissent présumer l’existence d’un harcèlement moral en ce sens que ce sont des agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
L’employeur justifie le mécontentement de clients en produisant deux attestations mais ne justifie pas la surcharge de travail en lien avec la dégradation de l’état de santé de la salariée.
Aussi, le harcèlement moral est caractérisé de sorte que le préjudice en résultant, notamment au niveau de la santé de la salariée, sera indemnisé par l’allocation d’une somme de 10 000 euros.
– l’obligation de sécurité
La salariée soutient que l’employeur n’a pas respecté l’obligation particulière de sécurité découlant des dispositions de l’article L 1152-4 du code du travail puisqu’il n’a pas pris au sérieux la plainte pour harcèlement moral du 30 avril 2015, l’accusant de proférer des accusations fallacieuses sur la base de propos déformés.
L’employeur soutient au contraire n’avoir été destinataire d’aucune plainte de la salariée avant ses arrêts de travail, que le harcèlement moral n’est pas démontré, que la salariée échoue à démontrer l’existence de conditions de travail dégradées, mais qu’au contraire, le travail se faisait dans une ambiance sereine et conviviale à laquelle elle participait. Il ajoute que les congés étaient pris dans les délais.
L’employeur, tenu à une obligation de sécurité, doit prendre toutes mesures nécessaires en vue de prévenir le harcèlement moral en application des dispositions de l’article L 1152-4 du Code du travail.
Or, son dossier est vide de toute mesures en ce sens, y compris après que la salariée ait agi en justice, l’employeur ayant d’emblée, sans autre mesure investigatrice, considéré les accusations de la salariée comme fallacieuses.
Le manquement est donc avéré. La salarié peut donc obtenir réparation du préjudice qu’elle dit avoir subi et qui est distinct de la réparation du préjudice lié au harcèlement moral lui-même. En effet, la salarié se plaint d’une insuffisance de repos en produisant son planning qui montre un service affecté par des absences de certains collègues. D’ailleurs, son décompte met en évidence des temps de travail hebdomadaires parfois supérieurs à 48 h. Aussi, la somme de 5 000 euros réparera entièrement les préjudices subi.
2- la rupture du contrat de travail
– la nullité du licenciement
La salariée soutient que le licenciement est nul au motif qu’il vise à sanctionner son action judiciaire tendant à obtenir des dommages et intérêts en réparation du préjudice né du harcèlement moral, en violation des article 5§1 de la convention internationale du travail n° 158 et de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et donc de son droit et de sa liberté fondamentale d’agir en justice.
Elle considère que la nullité du licenciement tient également au fait qu’en violation des dispositions des articles L 1152-2 et L 1152-3 du code du travail, il cherche à sanctionner le fait qu’elle ait dénoncé le harcèlement moral dont elle était victime, l’employeur ayant à cet égard dans la lettre de licenciement qualifié sa plainte de fallacieuse sans pourtant avoir cherché à en vérifier la réalité.
Elle considère que le Conseil de Prud’hommes, en rejetant la demande de nullité du licenciement au motif qu’elle ‘n’était pas fondée dans sa demande de harcèlement moral » a :
– d’une part, passé sous silence le premier moyen invoqué par elle au soutien de sa demande, à savoir la violation du droit d’ester en justice,
– et d’autre part, fait une inexacte application du droit et de la jurisprudence applicables dès lors que la recevabilité du second moyen invoqué par elle ne tient pas au fait de savoir s’il y a ou non un situation de harcèlement moral, mais si le licenciement est intervenu en réaction au harcèlement moral dénoncé.
L’employeur soutient qu’il n’a pas été fait reproche à la salariée de son action contentieuse qui a été rappelée dans la lettre de licenciement comme un élément objectif de contexte.
La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est rédigée en ces termes :
‘ Vous occupez chez HYGIE CONSEILS le poste de ‘gestionnaire paie confirmée’ en charge des questions de droit social de nos clients.
Vous êtes en arrêt maladie de façon continue depuis le 13 décembre 2014.
Le 23 juin 2015, vous avez été déclarée par le médecin du travail inapte à votre poste, avec les précisions suivantes :’apte à un autre poste : à éviter les tâches de travail qui nécessitent contacts téléphonique répétées avec les clients et à éviter la gestion des dossiers à haute complexité, en réduisant la charge d etravail vers de stâches plus simples’.
Dès le 3 juillet 2015 nous vous avons proposé un aménagement de votre poste de travail, conformément aux recommandations du médecin du travail :
– en évitant de vous confier les dossiers nécessitant des contacts téléphoniques répétés,
– en vous reirant les dossiers à haute complexité technique,
– en vous proposant une répartition différente du portefeuille de clients pour alléger votre charge d etravail et vous confier de stâches plus simples.
Le 16 juillet 2015, vous avez indiqué votre intérêt pour cette proposition et vous avez demandé des précisions complémentaires.
Suite à notre réponse, par lettre le 6 août 2015, vous avez finalement décidé de refuser cette proposition d’aménagement de poste, en la jugeant ‘contraire aux préconisations du médecin du travail’.
Entre temps, nous avons appris que vous aviez saisi , sans aucune explication ni tentative de conciliation préalable, le conseil de prud’hommes de Bobigny d’une demande de harcèlement moral, et que vous réclamez la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts (!).
Nous vous avons convoquée à un entretien préalable, afin d’échanger sur la décision d’inaptitude prise par le médecin du travail.
Néanmoins, par courrier en date du 14 septembre 2015, vous nous avez signalé ne pas pouvoir vous déplacer pour des raisons de santé.
Dans une ultime tentative pour essayer de vous reclasser, nous vous avons adressé une nouvelle proposition de poste sous forme d’un mi-temps.
De cette façon, votre charge de travail aurait été réduite, et vous auriez été en mesure de gérer, comme l’avait préconisé le médecin du travail, les dossiers simples à traiter, sans tâches complexes à réaliser, et sans contacts téléphoniques répétés.
Parallèlement, nous avons communiqué cette nouvelle proposition au médecin du travail afin de solliciter son avis.
Le Docteur [H] [I], médecin du travail, nous a rendu visite dans nos locaux le 13 octobre 2015 et a pu rencontrer vos collègues. Interrogé sur le poste à mi-temps qui vous est proposé, il a émis un avis favorable. Il nous a par ailleurs indiqué qu’il vous avait suggéré l’idée d’une réunion en notre présence, afin de discuter du contenu d ece poste, ce que vous avez expressément refusé.
Le 15 octobre 2015, vous nous avez de nouveau fait part de votre refus du nouvel aménagement de poste proposé, en enjoignat littéralement le cabinet à ‘tirer les conséquences qui s’imposent’, autrement dit, de vous licencier.
Nous ne pouvons que constater votre refus systématique des propositions d’aménagement de poste qui vous sont faites, et votre volonté manifeste de rompre la relation de travail en n’hésitant pas à user de demandes fallacieuses auprès des tribunaux à l’encontre de votre employeur.
Nous estimons avoir rempli de bonne foi nos obligations en matière de recherches de reclassement, en vous proposant à deux reprises des postes aménagés selon les préconisations du médecin du travail, et en consacrant autant de temps que nécessaire à cette recherche.
Cependant, nous ne pouvons vous obliger à accepter la poursuite de la relation contractuelle alors que, de votre côté, vous multipliez les signaux nous indiquant que vous n’avez aucune intention de revenir au sein de notre cabinet.
Par conséquent, nous vous informons que nous avons décidé de vous licencier en raison de votre inaptitude constatée par le médecin du travail, et du refus de votre part des postes de reclassement qui vous étaient proposés, ce qui rend impossible la poursuite de la relation de travail.
Votre contrat prend fin à la date d’envoi de cette lettre, soit le 2 novembre 2015. Compte tenu de votre inaptitude, vous n’êtes pas en mesure d’effectuer votre période de préavis qui ne vous sera donc pas rémunérée.’
Contrairement à ce que soutient l’employeur, sa décision de licencier est en lien avec la procédure judiciaire initiée 5 mois plus tôt par la salariée. En effet, en regrettant l’absence d’explication et de conciliation préalable à la procédure judiciaire relative au harcèlement, seule procédure en cours à cette date, et en utilisant un point d’exclamation marqueur de sentiment tel notamment l’étonnement et l’indignation, l’employeur a bien reproché à la salariée d’avoir saisi la juridiction dans ces conditions, qu’elle trouvait manifestement contestables. En prenant acte des refus de la salariée d’accepter les aménagements de poste, il ajoute que la salariée veut rompre le contrat et use de demandes fallacieuses à l’encontre de son employeur ce qui manifeste encore une fois sa réprobation et le lien qu’il fait entre la procédure judiciaire pour harcèlement moral et la rupture du contrat de travail. Enfin, l’employeur ne motive pas le licenciement par une impossibilité de reclassement mais par le refus de la salariée d’accepter des postes de reclassement qu’il a considéré plus haut comme une volonté de celle-ci de rompre le contrat y compris par des moyens fallacieux.
Or, l’exercice par un salarié de son droit d’agir en justice contre son employeur ne peut être une cause de licenciement. Est nul le licenciement intervenu en raison d’une action en justice introduite ou susceptible d’être introduite par le salarié à l’encontre de son employeur.
De même est nulle toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L 1152-1 et L 1152-2 du Code du travail.
Par infirmation du jugement, qui n’a pas répondu au moyen allégué, le licenciement sera jugé nul.
Il n’y a donc pas lieu de statuer sur la demande subsidiaire en contestation du bien fondé du licenciement.
La salarié peut donc prétendre :
– à une indemnité compensatrice de préavis égale à 3 mois du salaire qu’elle aurait perçu si elle avait travaillé ( 3 830,35 euros) soit la somme de 11 491,05 euros,
– à une indemnité de congés payés afférents, soit 1 149,10 euros
– à des dommages et intérêts qui ne peuvent être inférieurs aux salaires des 6 derniers mois ( 31 551,39 euros y compris les heures supplémentaires).
La salariée prétend avoir subi un préjudice financier, de carrière et moral important en soulignant le fait qu’elle a été licenciée à 50 ans après une longue carrière sans incident, et qu’elle a perçu une allocation d’aide au retour à l’emploi jusqu’en janvier 2016. L’employeur observe que la salariée ne propose pas de pièces justificatives du préjudice qu’elle prétend avoir subi. Il prétend que la défaillance de la salariée pour retrouver un emploi dans un secteur pourtant pourvoyeur, ne lui est pas imputable, mais est imputable au choix de la salariée de quitter son emploi sous un prétexte fallacieux et de refuser d’accepter les propositions de reclassement.
Compte tenu de l’âge de la salariée, de son ancienneté, de son niveau de salaire et des justificatifs de sa situation après la rupture marquée par un retour à l’emploi en février 2018 sur un poste moins bien rémunéré, la somme de 50 000 euros est de nature à réparer entièrement les préjudices subis.
3-les autres demandes
– la salaire moyen
Il sera fait droit à la demande de la salarié de faire fixer son salaire moyen à 4 005 euros, comme cela ressort effectivement des fiches de paie de novembre 2014 à décembre 2013, étant toutefois observé que ce salaire moyen ne peut servir de base à l’indemnité compensatrice de préavis ni aux dommages et intérêts comme indiqué plus haut.
– l’application des dispositions de l’article 1235-4 du code du travail
Compte tenu de l’effectif de l’entreprise supérieur à 11 selon l’attestation Pôle emploi et au regard de l’ancienneté de la salariée, les conditions s’avèrent réunies pour condamner l’employeur, en application de l’article L.1235-4 du code du travail, à rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage versées du jour de son licenciement jusqu’au jour de la décision judiciaire, dans la limite de six mois d’indemnités.
– les intérêts
Les condamnations seront assortis des intérêts de droit, capitalisés comme il sera dit au dispositif.
– la remise des documents de fin de contrat
Sans astreinte, l’employeur sera condamné à remettre à la salariée un bulletin de paie, une attestation France travail, un certificat de travail conformes au présent arrêt.
– les frais irrépétibles et les dépens
L’employeur qui succombe au sens de l’article 696 du code de procédure civile, supportera les dépens et sera condamné à payer à la salariée la somme de 5 000 euros en remboursement de ses frais irrépétibles de première instance et d’appel.
PAR CES MOTIFS
la cour statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme le jugement rendu le 6 juillet 2021 par le conseil de prud’hommes de Bobigny en ce qu’il a débouté Mme [M] de sa demande d’indemnité forfaitaire de travail dissimulé, et la SARL Hygie conseils de sa demande de remboursement de ses frais irrépétibles ;
Infirme le surplus du jugement déféré ;
statuant à nouveau, dans la limite des chefs d’infirmation,
Fixe à 4 005 euros le montant du salaire mensuel moyen ;
Juge nul le licenciement de Mme [T] [M] par la SARL Hygie Conseils ;
Condamne avec intérêts au taux légal à compter du 15 décembre 2016, date de la demande valant mise en demeure, la SARL Hygie Conseils à payer à Mme [T] [M] les sommes suivantes :
– 26 061,82 euros au titre des heures supplémentaires pour les années 2012, 2013 et 2014,
– 2 606,18 euros au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés afférents,
– 11 491,05 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,
– 1 149,10 euros au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés afférents ;
Condamne avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, la SARL Hygie Conseils à payer à Mme [T] [M] les sommes suivantes :
– 10 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices nés du harcèlement moral,
– 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices nés du manquement par l’employeur à son obligation de prévention du harcèlement moral,
– 50 000 euros en réparation des préjudices nés du licenciement nul ;
Ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil ;
Ordonne le remboursement, par la SARL Hygie Conseils à Pôle Emploi devenu France travail, des indemnités de chômage servies à la salariée, du jour de son licenciement jusqu’au jour de la présente décision, dans la limite de six mois d’indemnités ;
Condamne la SARL Hygie Conseils à remettre à la salariée un buletin de paie, une attestation France Travail et un certificat de travail conformes au présente arrêt ;
Déboute la SARL Hygie Conseils de sa demande de remboursement de ses frais irrépétibles d’appel ;
Condamne la SARL Hygie Conseils à payer à Mme [T] [M] la somme de 5 000 euros en remboursement de ses frais irrépétibles de première instance et d’appel ;
Condamne la SARL Hygie Conseils aux dépens de première instance et d’appel.
Le greffier La présidente
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