Cour d’appel de Nouméa, 23 janvier 2025, RG n° 23/00192
Cour d’appel de Nouméa, 23 janvier 2025, RG n° 23/00192

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel de Nouméa

Thématique : Relations commerciales complexes et absence de bail formel : enjeux de preuve et de responsabilité.

Résumé

Contexte de l’affaire

La SARL TREPAIL, co-gérée par un dirigeant d’entreprise et ses enfants, exploitait un commerce de bijouterie et horlogerie dans un centre commercial. En novembre 2013, suite à la fermeture de son établissement, le dirigeant a sollicité l’aide d’un propriétaire pour déménager son matériel et stocker celui-ci dans des locaux appartenant à ce dernier.

Aménagement et relations commerciales

Le propriétaire a aménagé les locaux pour accueillir le matériel de la SARL TREPAIL. Un projet de création d’une société commune pour exploiter ces locaux n’a pas abouti. À partir d’avril 2014, la SARL TREPAIL et une autre société, TRES’OR, ont commencé à occuper l’étage de l’immeuble sans formaliser leur relation par un bail commercial.

Réclamations de loyers

En février 2015, le propriétaire a réclamé le paiement d’un loyer total, mais les sociétés n’ont pas répondu. Elles ont quitté les locaux sans préavis, ce qui a conduit le propriétaire à introduire une action en justice pour obtenir le paiement des loyers dus.

Procédure de première instance

Le propriétaire et une société de chantier ont demandé au tribunal de déclarer la résiliation du contrat de bail verbal et de condamner les sociétés à payer des sommes importantes au titre des loyers et des frais de remise en état. Cependant, le tribunal a déclaré leurs demandes irrecevables, arguant que le propriétaire n’avait pas prouvé son droit de propriété sur les locaux.

Appel de la décision

Le propriétaire et la société de chantier ont fait appel de cette décision, soutenant qu’ils avaient des preuves de leur droit de propriété et que des baux commerciaux avaient été établis, même sans écrit. Ils ont demandé la réformation du jugement et la condamnation des sociétés à payer des sommes dues.

Arguments des sociétés défenderesses

Les sociétés TREPAIL et TRES’OR, ainsi que leur dirigeant, ont contesté la demande du propriétaire, affirmant qu’aucun bail commercial n’existait et que les relations étaient basées sur des contrats de dépôt-vente et de prêt à usage. Elles ont également demandé que le propriétaire soit condamné aux dépens.

Décision de la cour d’appel

La cour d’appel a infirmé le jugement de première instance concernant l’irrecevabilité de l’action du propriétaire, mais a débouté ce dernier de toutes ses prétentions. Elle a également déclaré recevable l’intervention de la société de chantier, tout en condamnant le propriétaire et la société de chantier aux dépens.

N° de minute : 2025/21

COUR D’APPEL DE NOUMÉA

Arrêt du 23 Janvier 2025

Chambre Civile

N° RG 23/00192 – N° Portalis DBWF-V-B7H-T7T

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 15 Mai 2023 par le Tribunal de première instance de NOUMEA (RG n° :19/1250)

Saisine de la cour : 28 Juin 2023

APPELANTS

M. [P] [I]

né le 01 Juillet 1971 à [Localité 6],

demeurant [Adresse 2]

Représenté par Me Frédéric DE GRESLAN de la SELARL SOCIETE D’AVOCAT DE GRESLAN-LENTIGNAC, avocat au barreau de NOUMEA

S.C.I. DIOXYDE, venant aux droits de la SARL ACTION CALEDONIENNE DE CHANTIER ( ACC),

[Adresse 8]

Représentée par Me Frédéric DE GRESLAN de la SELARL SOCIETE D’AVOCAT DE GRESLAN-LENTIGNAC, avocat au barreau de NOUMEA

INTIMÉS

S.A.R.L. TREPAIL, prise en la personne de son représentant légal en exercice, Siège social : [Adresse 3]

Représentée par Me Thérèse PELLETIER de la SELARL T. PELLETIER CONSULTANTS, avocat au barreau de NOUMEA

S.A.R.L. TRES’OR, prise en la personne de son représentant légal en exercice,

Siège social : [Adresse 4]

Représentée par Me Thérèse PELLETIER de la SELARL T. PELLETIER CONSULTANTS, avocat au barreau de NOUMEA

23/01/2025 : Copie revêtue de la formule exécutoire – Me PELLETIER ;

Expéditions – Me DE GRESLAN ;

– Copie TPI ; Copie CA

M. [V] [N]

né le 04 Mars 1985 à [Localité 6],

demeurant [Adresse 1]

Représenté par Me Thérèse PELLETIER de la SELARL T. PELLETIER CONSULTANTS, avocat au barreau de NOUMEA

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 25 Novembre 2024, en audience publique, devant la cour composée de :

M. François GENICON, Président de chambre, président,

Mme Marie-Claude XIVECAS, Conseiller,

Madame Béatrice VERNHET-HEINRICH, Conseillère,

qui en ont délibéré, sur le rapport de M. François GENICON.

Greffier lors des débats : M. Petelo GOGO

Greffier lors de la mise à disposition : Mme Mikaela NIUMELE

ARRÊT :

– contradictoire,

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour le 16 janvier 2025 date à laquelle le délibéré a été prorogé au 23 janvier 2025, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,

– signé par M. François GENICON, président, et par M Mme Mikaela NIUMELE, greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.

***************************************

FAITS

M. [I] expose les faits suivants :

La SARL TREPAIL, co-gérée par M. [N] et ses enfants, exploitait au Centre commercial ‘Kenu In’ à [Localité 5] un établissement sous l’enseigne  » TRESURF KENU IN – CHLOE – MAISON DE LA MONTRE  » dont l’activité était le commerce en détail de bijouterie, horlogerie et de vêtements (Quicksilver et Roxy).

En novembre 2013, suite à la fermeture de son établissement TRESURF au Centre commercial de Kenu In, M. [N], co-gérant de la société TREPAIL, a demandé à M. [I] de l’aider à déménager la totalité du matériel et du stock entreposés dans son magasin et de le stocker dans des locaux neufs et vides appartenant à M. [I] situés au rez de chaussée du lot 55 Zico, [Adresse 9] à [Localité 7].

M.[I] a procédé à l’aménagement de ce rez-de-chaussée.

La Société TREPAIL et M. [I] devaient en effet créer une société commune (SARL ZICO 55) afin d’exploiter ces locaux et ce stock.

De Novembre 2013 à Avril 2014, seul le rez-de-chaussée a été exploité.

Les démarches pour créer cette société ‘commune’ n’ont pas abouti.

A compter d’Avril 2014, la Société TREPAIL ainsi que la société TRES’OR, appartenant à la famille de M. [N] (son fils et ses deux filles sont co-gérants de ces sociétés), ont commencé à déménager à l’étage de cet immeuble (d’une superficie d’environ 400 m2) pour l’exploitation de leurs fonds de commerce respectifs (vêtements pour TREPAIL et horlogerie, bijouterie pour TRES’OR).

A compter du mois de Mai 2014, les sociétés TREPAIL et TRES’OR occupaient tout l’espace à l’étage du local appartenant à M. [I] ,soit environ 400 m2 .

Les parties n’ont pas formalisé leurs relations par la signature d’un bail commercial.

Deux projets de baux ont été établis l’un pour une partie de l’étage en faveur de la SARL Très’Or (130 m2) pour un loyer de 200.000 F CFP mensuel, outre 47.500 F CFP de charges annuelles payable d’avance, l’autre, pour la totalité de la surface en faveur de la SARL TREPAIL (400 m2).

La SARL TRES’OR et la SARL TREPAIL n’ont pas donné suite à ces projets d’actes.

Par lettre en date du 20 Février 2015, M. [I] a réclamé le paiement d’un loyer total de 665.000 F CFP charges comprises; sans succès.

M. [I] a mis en demeure la sté TRÉPAIL et TRÉS’OR de payer la somme totale de 6.213.000 F CFP correspondant au paiement du loyer charges comprises pour la période allant du mois de mai 2014 jusqu’au 25 février 2015 déduction faite d’un règlement effectué par la société TRES’OR le 26 septembre 2014.

Le 27 février 2015, les deux sociétés ont quitté les locaux sans préavis.

M. [I] a introduit une action devant le tribunal de première instance instance afin d’obtenir le paiement des loyers par ses locataires.

PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE

Par requête déposée le 30 avril 2019, M. [I] et la SARL ACTION CALÉDONIENNE DE CHANTIER (A.C.C.) ont sollicité la convocation de la SARL TREPAIL et de la SARL TRÉS’OR devant le tribunal de première instance de Nouméa auquel ils ont demandé de :

-Déclarer la procédure opposable à M.[V] [N], pris en sa qualité de liquidateur amiable de la société TRES’OR;

-Constater la résiliation anticipée du contrat de bail commercial verbal en date du 1er mai 2014 conclu par M. [I] avec les sociétés TREPAIL et TRES’OR ;

-Condamner in solidum les SARL TRES’OR et TREPAIL à payer à M. [I] la somme de 13.963.000 F CFP au titre des loyers hors charge arrêtés au Ier mai 2017, majorée des intérêts légaux à compter de la mise en demeure du 26 février 2015 ;

-Condamner in solidum la Société TRES’OR, et la Société TREPAIL à payer à M. [I] la somme de 399.000 F CFP au titre des frais de remise en état du local commercial à l’étage du dock sis lot no 55;

-Prononcer l’exécution provisoire du jugement à intervenir ;

-Condamner in solidum la Société TRES’OR et la Société TREPAIL à payer à M. [I] et à la Société A.C.C la somme de 500.000 XPF au titre de l’Article 700 du Code de Procédure Civile de Nouvelle Calédonie ;

-Condamner in solidum la Société TRES ‘OR et la Société TREPAIL aux entiers dépens.

Par jugement du 15 mai 2023, le tribunal de première instance de Nouméa a rendu la décision dont la teneur suit :

-Déclare irrecevables les demandes présentées par M. [P] [I] et la société ACTION CALEDONIENNE DE CHANTIER;

-Rejette toute demancle plus ample ou contraire y compris celle relative à I’exécution provisoire;

-Condamne in solidum M. [P] [I] et la société ACTION CALEDONIENNE DE CHANTIER à payer à la SARL TRES’OR, à la SARL TREPAIL et à M, [V] [N] la somme de trois cent soixante mille (360 000) francs CFP par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile applicable en Nouvelle-Calédonie ;

-Condamne M. [P] [I] et la société ACTION CALEDONIENNE DE CHANTIER in solidum aux dépens avec distraction au profit de la SELARL PELLETIER & Consultants.

Le jugement indique notamment que M. [I] n’apporte pas la preuve de son droit de propriété sur les locaux.

PROCÉDURE D’APPEL

M. [I] et la société A.C.C. ont fait appel de cette décision le 28 juin 2023.

Un mémoire ampliatif a été déposé de 28 septembre 2023.

Dans le dernier état de ses conclusions du 18 mars 2024, M. [I] et la société DIOXYDE, venant aux droits de la société A.C.C., demandent à la cour de :

-Réformer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de première instance de Nouméa du 15 mai 2023;

Et statuant à nouveau;

Vu les articles 1134 et 1715 du Code civil,

Vu l’article L. 145-4 du Code de commerce,

Vu les pièces versées au débat,

– Déclarer la procédure opposable à M. [V] [N], pris en sa qualité de liquidateur amiable de la société TRES’OR;

– Constater la résiliation unilatérale du contrat de bail commercial verbal en date du 1er mai 2014 conclu par M. [I] par les sociétés TREPAIL et TRES’OR;

– Condamner in solidum les Sociétés TRES’OR et TREPAIL à payer à M. [I] la somme de 13.963.000 F CFP au titre des loyers hors charges arrêtés au 1er mai 2017, majorée des intérêts légaux à compter de la mise en demeure du 26 février 2015;

– Condamner la Société TRES’OR à payer à M. [I] la somme de 3.163.000 F CFP au titre des loyers hors charges arrêtés au Ier mai 2017, majorée des intérêts légaux à compter de la mise en demeure du 26 février 2015 ;

– Condamner la Société TREPAIL à payer à M. [I] la somme de 10.800.000 F CFP au titre des loyers hors charges arrêtés au Ier mai 2017, majorée des intérêts légaux à compter de la mise en demeure du 26 février 2015 ;

– Condamner in solidum la Société TRES’OR, et la Société TREPAIL à payer à M. [I] la somme de 399.000 F CFP au titre des frais de remise en état du local commercial à l’étage du dock sis lot n° 55 ;

– Condamner in solidum la Société TRES’OR et la Société TREPAIL à payer à M. [I] et à la SCI DIOXYDE la somme de 1.000.000 XPF au titre de l’Article 700 du Code de Procédure Civile de Nouvelle Calédonie;

– Condamner in solidum la Société TRES’OR et la Société TREPAIL aux entiers dépens.

Ils font notamment valoir les moyens, et arguments suivants :

-M. [I] apporte la preuve de sa propriété sur les locaux en cause;

-Un bail commercial lie les parties même si aucun écrit n’a été passé;

-Le bail a été résilié de façon anticipée et fautive;

-un procès-verbal de constat d’huissier fait la preuve de l’existence de différentes dégradations dont il est du réparation;

-M. [N] est mis en cause les qualités de liquidateur de la société TRÉ’SOR afin que la décision soit opposable à cette dernière.

La SARL TREPAIL, SARL TRÉS’OR et M. [N] (intervenant volontaire pris en qualité de liquidateur amiable de la SARL TRÉS’OR demandent la cour de :

-Constater que M. [I] verse aux débats un acte justifiant de sa propriété sur l’immeuble;

-Dire que la société TREPAIL et M. [I] étaient tenus par un contrat de dépôt-vente et non par un bail commercial et qu’aucun loyer ne peut être réclamé;

-Dire que la société TRES’OR et M. [I] étaient tenus par un contrat de prêt à usage et non par un bail commercial et qu’aucun loyer ne peut être réclamé;

-Débouter M. [I] de sa demande de remise en état;

-Dire irrecevable l’intervention en appel de la SCI DIOXYDE, non partie en première instance;

-Rejeter toutes les demandes, fins et conclusions adverses;

En toute hypothèse:

-Condamner in solidum M. [I] et la SCI DIOXYDE à payer 800.000 F à chacune des parties intimées au titre de l’article 700 du code de procédure civile;

-Condamner in solidum M. [I] et la SCI DIOXYDE aux dépens d’instance et d’appel, avec distraction au profit de la Selarl T. Pelletier.

Ils font notamment valoir les moyens, et arguments suivants :

-L’action de la SCI DIOXYDE est irrecevable car cette société n’était pas partie à l’instance devant le tribunal.

-La SARL TRÉPAIL disposait d’un stock de vêtements que M. [I] a pris en dépôt-vente dans ses locaux au rez-de-chaussée. Aucun contrat n’a été signé. M. [I] a omis de reverser à la SARL Trépail une somme de 8 .000.000 Francs CFP. Un jugement du 31 juillet 2019, confirmé par un arrêt de la cour d’appel du 2 novembre 2020, a d’ailleurs reconnu l’existence d’un dépôt-vente d’un stock de marchandises au sein du dock numéro 55 de la ZI de [Localité 7].

-Aucun bail n’a été conclu et aucun loyer n’est dû.

-Concernant la SARL TRÉPAIL, il ne s’agit que d’une mise à disposition provisoire, à titre gratuit, d’une partie du premier étage d’un dock, de mai 2014 à février 2015, dans le cadre d’une tentative de relations commerciales entre les parties.

-Concernant la société TRÉS’OR, M. [I] a proposé de bénéficier d’une partie de l’étage du dock à titre gratuit, dans le cadre d’un prêt usage, afin que son propre commerce du rez-de-chaussée bénéficie de l’attractivité représentée par la société trésor.

-Aucune somme ne peut être réclamée au titre de la remise en état des lieux. En effet, la société TRÉPAIL n’a pas pu détériorer les locaux puisqu’elle n’a fait que remettre des marchandises en dépôt-vente à M. [I].Quant à la société TRÉS’OR aucun état des lieux d’entrée n’a été établi et l’état des lieux de sortie n’est pas contradictoire. En outre, la facture produite par M. [I] a été établi par sa propre société (ACC).

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement et contradictoirement

Infirme le jugement du tribunal de première instance du 15 mai 2023 en ce qu’il a déclaré l’action de M. [I] irrecevable et, statuant à nouveau déclare l’action de M. [I] à l’égard des sociétés TRÉPAIL et TRÉS’OR recevable

Déclare l’intervention de la SCI DIOXYDE, venant aux droits de la SARL ACTION CALÉDONIENNE DE CHANTIER recevable

Déclare recevable l’action de M. [I] l’égard de M. [N] ès qualité de liquidateur amiable de la SARL TRÉS’OR

Déboute M. [I] et la société DIOXYDE de toutes leurs prétentions

Déboute la SARL TRÉPAIL et la SARL TRÉS’OR de leur demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile

Déclare la présente décision opposable à M. [N],ès qualité de liquidateur amiable de la SARL TRÉS’OR

Condamne M. [I] et la société DIOXYDE aux dépens de première instance et d’appel.

Le greffier Le président

 


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Chat Icon