Contrat de commande non abouti : le sort des avances de l’auteur

Notez ce point juridique

En présence d’un projet d’édition d’ouvrage (BD), en l’absence d’écrit, les sommes versées à l’auteur peuvent être conservées par lui, en rémunération de son travail de préparation. En l’occurrence, les retards dans la formalisation du contrat d’édition étaient imputables à l’éditeur.

Sort des sommes versées à l’auteur

L’auteur a fait valoir avec succès que les projets de BD résultaient de sa propre initiative et ne constituaient pas des oeuvres de commande pour lesquelles aucun contrat de commande n’a été conclu avec l’éditeur.  Les négociations ayant échoué et en l’absence d’engagement écrit, il n’incombait à l’auteur aucune contrepartie contractuelle au titre des sommes qu’il avait perçues. Ces sommes n’étaient par ailleurs pas des avances mais une indemnisation pour le travail de création qu’il a réalisé.

L’article 1101 du code civil dans sa rédaction applicable à la cause, prévoit que le contrat est une convention par laquelle une ou plusieurs personnes s’obligent, envers une ou plusieurs autres, à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose. L’article L. 131-2 du code de la propriété intellectuelle, dans sa version applicable à la cause, prévoit que les contrats de représentation, d’édition et de production audiovisuelle définis au présent titre doivent être constatés par écrit. Il en est de même des autorisations gratuites d’exécution.

Dans tous les autres cas, les dispositions des articles 1341 à 1348 du code civil sont applicables. L’acceptation est la manifestation de volonté de son auteur d’être lié dans les termes de l’offre et que l’acceptation non conforme à l’offre est dépourvue d’effet. L’acceptation de l’offre doit être dénuée d’ambiguïté complète et ferme.

Preuve du contrat de commande

Les échanges électroniques n’établissaient ni la rencontre des consentements, ni la finalisation d’une relation contractuelle entre l’éditeur et l’auteur pour aboutir à la publication de la bande dessinée, notamment par l’acceptation commune d’un contrat d’édition écrit, indispensable en vertu du code de la propriété intellectuelle, régularisé par la signature des parties. Les échanges manifestaient d’ailleurs la réalité des tensions ou des désaccords portant sur la réalisation du projet, dont les parties admettent qu’il n’a pas abouti.

Ainsi, l’éditeur était mal fondé à soutenir qu’il a existé un contrat, fût-ce de précommande entre l’éditeur et l’auteur.

La répétition de l’indu

Aux termes de l’article 1235 du code civil dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance N° 2016-131 du 10 février 2016, tout paiement suppose une dette ; ce qui a été reçu sans être dû est sujet à restitution. La restitution n’est pas admise à l’égard des obligations naturelles qui ont été volontairement acquittées.

Il résulte de ces dispositions que la faute du solvens engage la responsabilité de son auteur envers l’accipiens lorsqu’elle a causé à celui-ci un préjudice. Le remboursement mis à la charge de l’accipiens doit alors être diminué du montant de ce préjudice.

En l’espèce, l’auteur a accepté de percevoir une partie de la subvention régionale sur laquelle était adossé le projet et il a permis à l’éditeur de présenter à la REGION REUNION une intention commune de l’éditeur et de l’auteur, constituée par le projet de publication de l’oeuvre litigieuse.

Or, la société n’a adressé à l’auteur les contrats d’édition aux fins d’analyse et de signature que très tardivement tandis que l’auteur n’avait pas renvoyé ces contrats signés ni adressé des remarques sur leur contenu.

Il est aussi certain que l‘auteur a travaillé sur l’élaboration de la bande dessinée pendant plus de deux ans,  adressant même à plusieurs reprises l’état de son travail à l’éditeur, dans la croyance qu’il avait de la régularisation d’un contrat d’édition.

L’éditeur a ainsi tardé à remettre à l’auteur le projet de contrat d’édition, tandis que ce dernier ne l’a pas accepté lors de la réception de l’offre alors qu’il avait été clairement avisé par l’éditeur qu’il restait libre de contracter avec qui il voulait.

A cet égard, le projet de contrat d’édition a été transmis plus de deux ans après les premiers échanges sur le projet),  La société a donc été tenue responsable de la tardiveté de l’offre de contrat d’édition. En conséquence, l’auteur n’était pas enu à répétition de l’indu réclamé.

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REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS   

COUR D’APPEL DE SAINT – DENIS

ARRÊT DU 30 AVRIL 2021

Chambre civile

Appel d’une décision rendue par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE SAINT-PIERRE en date du 19 OCTOBRE 2018 suivant déclaration d’appel en date du 21 JANVIER 2019 RG n° 15/01289

APPELANTE :

S.A.R.L. DES BULLES DANS L’OCEAN

63 rue L Chatel

[…]

Représentant : Me Marie NICOLAS de la SELARL ALQUIER & ASSOCIÉS, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

INTIMÉ :

Monsieur Z K D Y

[…]

[…]

Représentant : Me Bruno RAFFI, avocat au barreau de SAINT-PIERRE-DE-LA-REUNION

DATE DE CLÔTURE : 12 Décembre 2019

DÉBATS : en application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 26 Février 2021 devant Monsieur CHEVRIER Patrick, Président de chambre, qui en a fait un rapport, assisté de Mme Véronique FONTAINE, Greffier, les parties ne s’y étant pas opposées.

Ce magistrat a indiqué, à l’issue des débats, que l’arrêt sera prononcé, par sa mise à disposition au greffe le 30 Avril 2021.

Il a été rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Président : Monsieur Patrick CHEVRIER, Président de chambre

Conseiller : Madame Pauline FLAUSS, Conseillère

Conseiller : M. Thibaud RHIM, Vice-président placé

Qui en ont délibéré

Arrêt : prononcé publiquement par sa mise à disposition des parties le 30 Avril 2021.

* * *

LA COUR :

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur X est le propriétaire de plusieurs librairies sous le nom commercial DES BULLES DANS L’OCEAN, dénommé C, spécialisées dans le commerce et l’édition d’ouvrage de bandes dessinées.

La société C a commandé à Monsieur Y Z, auteur de bandes dessinées sous le pseudonyme « D », plusieurs oeuvres, désignées « H I » et « LES OMBRES » afin de les publier dans ses éditions.

Estimant que Monsieur Y n’avait pas respecté ses engagements contractuels lui préférant des éditeurs concurrents, la SARL DES BULLES DANS l’OCEAN (C) l’a par exploit d’huissier en date du 14 avril 2015, fait assigner devant le Tribunal de Grande Instance de Saint-Pierre en remboursement de la somme de 8.000 € correspondant aux avances qu’il a reçues pour des œuvres commandées et non livrées, ainsi que des dommages et intérêts et la somme de 5 000 € pour ses frais irrépétibles.

Par ordonnance en date du 28 avril 2016, le juge de la mise en état a rejeté l’exception d’incompétence soulevé par Monsieur Y Z au profit de Tribunal de Grande Instance de Paris sur le fondement des dispositions de l’article L331-1 du code de la propriété intellectuelle.

La cour d’appel de Saint-Denis a, par arrêt en date du 28 avril 2017, confirmé ladite ordonnance dont appel a été interjeté par Monsieur Y Z.

Par jugement du 19 octobre 2018, le tribunal de grande instance de Saint-Pierre a :

— Débouté les parties de toutes leurs demandes;

— Condamné la SARL « DES BULLES DANS L’OCEAN » à payer à Monsieur Y Z la somme de 4 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile;

— Condamné la demanderesse aux dépens.

La SARL DES BULLES DANS L’OCEAN a interjeté appel de cette décision par déclaration déposée au greffe de la cour en date du 21 janvier 2019.

L’affaire a été renvoyée à la mise en état par ordonnance en date du 21 janvier 2019.

Par acte d’huissier du 26 février 2019, l’appel a été signifié à Monsieur Z K D Y selon les modalités de l’article 658 du Code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 12 décembre 2019.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées au greffe de la cour par voie électronique le 30 octobre 2019, la SARL DES BULLES DANS L’OCEAN demande à la cour de :

— Débouter Monsieur Y de l’ensemble de ses demandes fins et conclusions dirigées à son encontre ;

— Infirmer la décision querellée en ce qu’elle a débouté les parties de toutes leurs demandes et l’a condamné à payer à Monsieur Y Z la somme de 4.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;

Et statuant à nouveau,

— Juger que Monsieur Y a violé ses obligations contractuelles ;

— Juger que le comportement déloyal de Monsieur Y constitue une inexécution abusive et fautive de ses obligations pouvant ouvrir droit à des dommages et intérêts sur le fondement des dispositions des articles 1134 et 1147 du Code civil dans sa version applicable au moment des faits ;

— Dire et juger que le paiement des avances sur droit effectuées au profit de Monsieur Y sont dépourvues de cause ;

Et, en conséquence,

— Condamner Monsieur Y à lui restituer la somme de 8.000 euros au titre des avances versées pour des oeuvres commandées mais jamais livrées, outre intérêts au taux légal à compter de la date de la mise en demeure ;

— Condamner Monsieur Y à lui payer la somme de 20.000 euros au titre de la perte de chance de voir paraître dans ses éditions ces deux ouvrages ;

— Condamner Monsieur Y à lui payer la somme de 10.000 euros au titre de ses préjudices subis en termes d’image et de réputation,

En tout état de cause,

— Condamner Monsieur Y à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,

— Condamner Monsieur Y aux entiers dépens de la procédure, distraits au profit de la SCP SAGOT-NASSAR, avocats au Barreau de Saint-Pierre, représentée par Maître NASSAR, qui y a pourvu pour son affirmation de droit,

— Ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir nonobstant caution ou appel.

L’appelante affirme, au vu des échanges de mails versés aux débats, qu’il existait bien un contrat de précommande entre elle et Monsieur Y concernant les projets « H I » et « LES OMBRES », pour lesquels elle lui avait versé une certaine somme d’argent, de sorte que pesait en contrepartie sur ce dernier, une obligation de livrer les commandes.

Elle précise que compte tenu de la date des faits, les dispositions des articles 1359 et 1363 issus de l’ordonnance du 10 février 2016 ne sont pas applicables de sorte que la preuve de l’existence du contrat de commande n’est pas soumise à l’exigence d’un écrit. Sur le fondement des dispositions de l’article 1134 du Code civil, elle fait valoir que Monsieur Y n’a pas exécuté ses obligations contractuelles de livraison des commandes. Elle se prévaut d’un enrichissement sans cause justifiant ainsi sa demande de restitution des avances sur droit qu’elle lui a versées indûment. Elle expose avoir subi d’une part un préjudice financier lié à la perte de chance de publier lesdits ouvrages dans son édition et d’autre part, un préjudice d’image et moral causé par le comportement déloyal de l’intimé, pour lesquels elle demande réparation conformément aux dispositions de l’article 1147 du Code civil.

Aux termes de ses dernières conclusions en réplique et d’appel incident, déposées au greffe de la cour par voie électronique le 7 novembre 2019, Monsieur Z K D Y demande à la cour de :

— Déclarer l’appel de la société DES BULLES DANS L’OCEAN recevable, mais mal fondé;

— Rejeter l’appel principal;

— Débouter la société DES BULLES DANS L’OCÉAN de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions;

Confirmer le jugement rendu entre les parties par le tribunal de grande instance de Saint-Pierre de la Réunion ;

En toutes hypothèses :

— Constater l’absence de contrat de commande des albums LES OMBRES et H I entre lui et la société DES BULLES DANS L’OCÉAN;

— Constater l’absence de preuve de l’obligation contractuelle de remboursement de la somme de 4.000 € versée au titre du financement partiel de son travail effectué sur l’album LES OMBRES;

— Constater l’absence de preuve de l’obligation contractuelle de remboursement de la somme de 4.000 € versée au titre du financement partiel de son travail effectué sur l’album H I;

— Constater la contribution au financement du travail qu’il a réellement effectué, concernant LES OMBRES et H I, sans exigence de contrepartie contractuelle de la part de C ;

— Constater l’absence d’engagement de l’auteur à la publication en exclusivité des deux oeuvres litigieuses au bénéfice de C;

— Constater l’absence de perte de chance de C du fait de l’absence de publication des oeuvres litigieuses par ce dernier ;

— Constater que le préjudice que l’éditeur prétend avoir subi est uniquement dû à sa propre faute;

— Constater l’absence de preuve du préjudice subi par l’éditeur du fait de l’auteur;

— Constater le caractère parfaitement infondé des dommages et intérêts revendiqués ;

— Constater l’absence de responsabilité de l’auteur du fait de la publication des oeuvres par des tiers ;

— Recevoir son appel incident;

Y faisant droit :

— Infirmer le jugement rendu entre les parties par le tribunal de grande instance de Saint-Pierre de la Réunion en ce qu’il a rejeté sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts ;

— Condamner la société DES BULLES DANS L’OCÉAN à lui verser :

. 16 000 € au titre du préjudice financier qu’il a subi du fait des frais engendrés pour le projet H I sur la croyance qu’il obtiendrait sa part de la subvention par C, du versement partiel de la subvention qui lui est due et de la perte de chance de percevoir directement une subvention de la Région de la Réunion afin de finir le projet, et de percevoir les fruits de son travail ;

. 2 000 € au titre du préjudice moral qu’il a subi du fait de la procédure abusive initiée par M. X.

En tous les cas :

— Condamner la société DES BULLES DANS L’OCEAN à lui payer la somme de 4000 € par application de l’article 700 du Code de procédure civile pour la seule procédure d’appel, ainsi qu’aux entiers frais et dépens d’appel.

Monsieur Y explique que les projets « LES OMBRES » et « H I », résultent de sa propre initiative en collaboration avec Monsieur A, et ne constituent pas des oeuvres de commande pour lesquelles aucun contrat de commande n’a été conclu avec la SARL C dès lors qu’ils se trouvaient encore en phase de négociation sur un éventuel contrat d’édition. Les négociations ayant fait échec et en l’absence d’engagement écrit, il soutient qu’il ne lui incombait aucune contrepartie contractuelle au titre des sommes qu’il avait perçues. Il expose que ces sommes ne sont par ailleurs pas des avances contrairement à ce que soutient la partie adverse, mais une indemnisation pour le travail de création qu’il a réalisé. Il affirme alors que l’appelante ne justifie d’aucun préjudice indemnisable causé par son propre fait. Il fait état de préjudices financier et moral pour lesquels il sollicite la réparation au titre d’un appel incident.

Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il convient de se reporter à leurs écritures ci-dessus visées figurant au dossier de la procédure en application de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS :

Sur l’existence d’un lien contractuel :

L’article 1101 du code civil dans sa rédaction applicable à la cause, prévoit que le contrat est une convention par laquelle une ou plusieurs personnes s’obligent, envers une ou plusieurs autres, à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose.

L’article L. 131-2 du code de la propriété intellectuelle, dans sa version applicable à la cause, prévoit que les contrats de représentation, d’édition et de production audiovisuelle définis au présent titre doivent être constatés par écrit. Il en est de même des autorisations gratuites d’exécution.

Dans tous les autres cas, les dispositions des articles 1341 à 1348 du code civil sont applicables.

L’acceptation est la manifestation de volonté de son auteur d’être lié dans les termes de l’offre et que l’acceptation non conforme à l’offre est dépourvue d’effet. L’acceptation de l’offre doit être dénuée d’ambiguïté complète et ferme.

La SARL C soutient que bien qu’aucun contrat d’édition n’ait été signé, il a existé un contrat de précommande concernant les projets « H I » et « LES OMBRES », pour lesquels le défendeur a perçu des avances.

Elle produit au soutien de ses prétentions les pièces suivantes :

— Trois devis émanant d’un imprimeur (LESAFFRE) pour réaliser les bandes dessinées intitulées BATAY-COQ, datés respectivement du 19 septembre 2012, 29 mars 2013, 1er août 2014 ;

— Une mise en demeure adressée à Monsieur B par le Conseil de l’éditeur le 27 novembre 2014, aux termes de laquelle il est clairement réclamé le remboursement des acomptes à hauteur de 8.000 euros, outre 200 euros au titre des frais d’infographie, en soulignant que l’auteur avait décidé de ne pas publier ses albums chez C ;

— La convention avec la REGION REUNION, datée du 29 janvier 2013 et 10 avril 2013, allouant à l’éditeur une subvention de 20.000 euros, dont 16.000 euros dès la signature, au titre de « l’aide aux entreprises culturelles » pour la réalisation totale du projet dans un délai de trois ans ;

— Un contrat d’édition avec Monsieur Y, K « D » en date du 1er septembre 2014, non signé par les parties, relatif à l’album BATAY-I ;

— Un contrat de mise en couleur en date du 8 septembre 2014, non signé par les parties, relatif à l’album BATAY-I.

Pour démontrer l’existence d’un précontrat entre l’éditeur et l’auteur, la société C verse aux débats des échanges de messages électroniques entre Monsieur L-M X et Monsieur Z Y, K D.

Un échange daté du 17 juillet 2014 (pièce N° 8 e l’appelante) établit que Monsieur Y a exposé à Monsieur X qu’il avait commencé le projet H I depuis deux ans et qu’il attend depuis un contrat pour lequel il a engagé beaucoup de frais (plus de 7.000 euros) afin de « monter le dossier de subvention » que son interlocuteur a récupéré pour avoir la subvention de l’éditeur, perçue un an auparavant. Pourtant, l’auteur se plaint de ne pas avoir de contrat ni aucune garantie financière alors que « cet argent » devait lui revenir de droit. Il informe alors la société C que le projet H-I va être publié au mois d’octobre chez un autre éditeur ou une autre revue (dénommée XXI) en soulignant que c’est « carré », qu’il est payé et que « ça sort à l’heure ». Il conclut en affirmant que le projet qui lui tient à cœur ne se fera pas chez « DES BULLES » car il « en a marre de se faire balader ».

La réponse du même jour de Monsieur X précise que l’éditeur n’a touché qu’une avance de 8.000 euros dont la moitié a été reversée à l’auteur. Il lui rappelle les vicissitudes du projet, notamment la priorité donnée par Monsieur Y à un autre projet intitulé « LES OMBRES », reconnaissant alors le droit de l’auteur de traiter avec un autre éditeur ou une autre publication mais en lui indiquant qu’il alerterait la REGION à propos de la perception de la moitié de la subvention versée.

Malgré cet échange semblant épuiser le débat sur la réalisation du projet d’édition de l’album, un autre échange de mail en date du 1er août 2014 (pièce N° 13 de l’appelante), soit quelques jours plus tard, établit que Monsieur X, pour C, contacte de nouveau Monsieur Y pour lui donner des précisions sur l’état du devis de l’imprimeur, le prix public prévisible de l’album, la répartition des droits sur la vente pour un tirage de 3800 exemplaires, l’hypothèse de tirage supplémentaire en cas de succès. L’éditeur conclut le message en proposant à l’auteur, en cas d’accord, de lui renvoyer les contrats le lendemain.

Un autre message de l’éditeur, en date du 8 septembre 2014 (pièce N° 14), confirme l’envoi à l’auteur de l’album du « contrat spécifique couleurs » qui complète celui envoyé pour le principal.

Monsieur Y, K D, répond le 9 septembre 2014 en précisant « je regarde tout ça » et le « transfère aux autres ». Il indique avoir fini les 30 pour XXI et il voit exactement le scénario complet pour C en grand format. Il conclut que malgré un voyage en Roumanie entre le mois de septembre et octobre, il avance quand même sur H et précise que « ça suit son cours ».

Un autre échange de messages électroniques en date du 17 septembre 2014 à 18 heures 23 permet de constater que l’éditeur a relancé l’auteur par un bref  » M’oublie pas !! « . Monsieur Y a répondu à 19 heures 30 en répondant : » de quoi ‘ Pour les contrats ‘ « , précisant qu’il partait jusqu’au 5 octobre 2014. A 19 heures 51, Monsieur X répondait : » Non, quelques visuels pour monter un flyer de présentation pour les commerciaux de UD. « Monsieur E répliquait dès 20 heures 51 qu’il n’avait pas vu l’affiche et qu’il avait fait un montage avec des images, joignant ce fichier » au cas où « .

Monsieur Y produit divers échanges plus anciens pour établir que les sommes perçues de la part de la société C, notamment un acompte de 4.000 euros, ne sont pas en rapport avec le projet H-I. Ainsi, l’échanges d’emails du 13 mars 2013 (pièce N° 8 de l’intimée) contient un premier message de Monsieur X à Monsieur Y lui envoyant d’abord « le projet rectifié ». Il écrit ensuite « qu’on n’a pas abordé les 4.000 euros que je t’ai versés pour les Ombres, qui finalement se fera chez PHEBUS », proposant de ventiler cette somme sur l’ensemble des contrats en cours pour diluer l’impact.

L’auteur répond le même jour en indiquant qu’il va regarder le contrat et en répondant à propos de l’avance de 4.000 euros pour « LES OMBRES », mentionnant qu’il n’était pas d’accord pour perdre de l’argent sur ZISKAKAN ou H I qui n’ont rien à voir avec les 4.000 euros.

En pièce N° 9, l’intimé produit un échange de mail, notamment celui du 4 octobre 2013, aux termes duquel, Monsieur Y écrit à l’éditeur qu’il « n’a toujours pas de nouvelles des sous ni du contrat pour BATAY I ». Il souligne que la subvention a été perçue mais qu’il n’a pas encore touché la part qui lui reviendrait, en affirmant qu’il en a besoin et qu’il lui revient de droit. « Il conclut d’ailleurs » pour faire simple « que, » soit on a les sous rapidement (semaine prochaine) soit il n’y aura pas de projet H I et il faudra rendre les sous à la région. C’est aussi simple que ça, on s’assoit sur cet argent et toi aussi. « 

La chronologie de ces échanges établit que les désaccords relatifs au projet d’album LES OMBRES, sont antérieurs au projet H I. En effet, les mails produits par Monsieur Y à propos de l’évolution du projet LES OMBRES datent pour l’essentiel de 2011 tandis que ceux relatifs au projet H I ont été émis entre 2012 et 2014.

Sur le projet H I :

Les échanges de message, rappelés plus haut, n’établissent ni la rencontre des consentements, ni la finalisation d’une relation contractuelle entre la société C et Monsieur Y pour aboutir à la publication de la bande dessinée H I, notamment par l’acceptation commune d’un contrat d’édition écrit, indispensable en vertu du code de la propriété intellectuelle, régularisé par la signature des parties. Les échanges manifestent d’ailleurs la réalité des tensions ou des désaccords portant sur la réalisation du projet, dont les parties admettent qu’il n’a pas abouti.

Ainsi, la SARL C est mal fondée à soutenir qu’il a existé un contrat, fût-ce de précommande entre l’éditeur et l’auteur.

Sur la répétition de l’indu pour le projet H I :

Aux termes de l’article 1235 du code civil dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance N° 2016-131 du 10 février 2016, tout paiement suppose une dette ; ce qui a été reçu sans être dû est sujet à restitution.

La restitution n’est pas admise à l’égard des obligations naturelles qui ont été volontairement acquittées.

Il résulte de ces dispositions que la faute du solvens engage la responsabilité de son auteur envers l’accipiens lorsqu’elle a causé à celui-ci un préjudice. Le remboursement mis à la charge de l’accipiens doit alors être diminué du montant de ce préjudice.

En l’espèce, il est incontestable que Monsieur Y avait accepté de percevoir une partie de la subvention régionale sur laquelle était adossé le projet H I, et qu’il a permis à C de présenter à la REGION REUNION une intention commune de l’éditeur et de l’auteur, constituée par le projet de publication de l’oeuvre litigieuse.

Or, la société C n’a adressé à Monsieur Y les contrats d’édition aux fins d’analyse et de signature que le 8 et le 9 septembre 2014 tandis Monsieur Y n’a pas renvoyé ces contrats signés ni adressé des remarques sur leur contenu.

Il est aussi certain que Monsieur Y a travaillé sur l’élaboration de la bande dessinée H I pendant plus de deux ans avant 2014, adressant même à plusieurs reprises l’état de son travail à l’éditeur, dans la croyance qu’il avait de la régularisation d’un contrat d’édition.

La SARL C a ainsi tardé à remettre à l’auteur le projet de contrat d’édition, tandis que Monsieur Y ne l’a pas accepté lors de la réception de l’offre alors qu’il avait été clairement avisé par l’éditeur qu’il restait libre de contracter avec qui il voulait.

A cet égard, le projet de contrat d’édition transmis vainement par la SARL C à Monsieur Y en septembre 2014, plus de deux ans après les premiers échanges sur le projet H I (pièce N° 11 de l’appelante), ne contient aucune stipulation particulière relative à l’imputation d’une somme de 4.000 euros perçue à titre d’avance sur les droits d’auteur (article 6).

La société C doit donc être tenue responsable de la tardiveté de l’offre de contrat d’édition à Monsieur Y, malgré la présentation du projet d’album H I comme support de la demande de subvention à la REGION en 2012, confirmée en janvier 2013.

En conséquence, Monsieur Y ne peut être tenu à répétition de l’indu réclamé.

Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.

Sur le projet LES OMBRES :

Selon les pièces produites par les parties, le projet d’album « LES OMBRES » aurait été envisagé avant 2012 puisque la société C a versé à Monsieur Y une somme de 4.000 euros en deux versements de 2.000 euros les 14 juillet et 19 juillet 2011.

L’appelante demande le remboursement de cette somme qu’elle prétend avoir payé à titre d’avance pour l’oeuvre qui aurait été commandée mais jamais livrée.

Toutefois, elle ne produit aucun élément relatif à ses allégations, limitant ses moyens à la reprise de pièces de Monsieur Y, notamment un message électronique de ce dernier en date du 1er et 2 mars 2011 qui correspond à un échange entre l’auteur et un Monsieur J A, dont la qualité n’est pas précisée, auquel Monsieur Y indique que C est très intéressé par le projet mais « comprend qu’on attende les gros », c’est-à-dire une réponse d’un éditeur d’envergure nationale ou internationale, à savoir les EDITIONS GLENAT.

Ce message ne constitue nullement une reconnaissance d’un contrat mais confirme seulement l’existence d’une négociation fondée sur un vif intérêt de la société C pour le projet « LES OMBRES ».

Compte tenu de l’absence de preuve de l’indu, il n’y a pas lieu d’accueillir la demande de la SARL C.

Le jugement querellé sera aussi confirmé de ce chef.

Sur les fautes et la responsabilité de Monsieur Y à l’égard de la société C :

En l’absence de conventions définitivement acceptées par Monsieur Y, il ne peut lui être reproché d’avoir manqué à son obligation de loyauté, d’exclusivité ou d’exécution d’une convention d’édition qui n’était pas conclue par écrit.

A cet égard, le message de Monsieur X en date du 17 juillet 2014 (pièce N° 8 de l’appelante) contient la mention claire que Monsieur Y est libre de traiter avec un autre éditeur ou une autre publication, sous réserve du sort de la partie de la subvention régionale qui lui a été déjà versée.

Ainsi, la responsabilité de Monsieur Y ne peut être engagée à l’encontre de la société C pour les deux oeuvres litigieuses puisqu’il n’avait consenti aucune obligation en vertu d’un contrat écrit imposé par les dispositions du code de la propriété intellectuelle que connaissait parfaitement l’éditeur.

Sur la demande reconventionnelle en paiement :

Monsieur Y demande reconventionnellement la condamnation de la SARL C à lui payer les sommes suivantes :

—  16.000 € au titre du préjudice financier qu’il a subi du fait des frais engendrés pour le projet H I ;

—  2.000 € au titre du préjudice moral qu’il a subi du fait de la procédure abusive initiée par M. X.

L’appelant incident soutient que, par la faute de M. X de l’appropriation de la plus grande partie de la subvention régionale, il a perdu la chance de percevoir lui-même la subvention et la part qui lui revient – soit au minimum 8.000 euros. Il a également perdu la chance d’être soutenu financièrement par la Région pour la création de H I (soit la perte de chance d’obtenir une aide de 16.000 euros) si celle-ci demande à C de lui reverser la subvention pour non-aboutissement du projet dans le temps imparti.

Pourtant, même avec retard, Monsieur Y a été destinataire des projets de convention dès le 1er août 2014 alors qu’il avait perçu depuis quelques mois la somme de 4.000 euros en connaissance de l’allocation de la subvention de la région à l’éditeur. Malgré ces informations et ces propositions, il n’a pas donné suite à la signature du contrat d’édition.

Cependant, Monsieur Y est mal fondé à soutenir qu’il a travaillé en vertu d’un accord contractuel ou d’une promesse de contrat avec l’éditeur alors qu’il savait dès 2011 que la SARL C avait renoncé au projet « LES OMBRES » et qu’il revendiquait, ultérieurement, sa liberté de soumettre à tout autre éditeur ou revue le projet H I.

Enfin, il n’a pas répondu à l’offre de contrat, même tardive, présentée par la SARL BDBO en septembre 2014.

Ainsi, en l’absence de convention conclue régulièrement avec la SARL C, Monsieur Y ne peut prétendre au remboursement de frais engendrés par son travail artistique alors qu’il n’a jamais été tenu auprès de la société éditrice en cause.

A cet égard, les préjudices invoqués, constitués par les frais engagés pour la réalisation de l’album, ne sont pas démontrés dès lors que Monsieur Y est resté libre de conclure un contrat d’édition avec tout éditeur de son choix qui aurait accepté de publier et commercialiser son œuvre.

Coresponsable de l’échec du projet de publication de la bande dessinée H I, Monsieur Y est donc mal fondé à invoquer un préjudice financier résultant de l’absence de conclusion du contrat d’édition avec la société C, dont il est le principal artisan en s’étant abstenu de renvoyer l’offre de contrat à l’éditeur en août 2014.

Le jugement querellé sera confirmé de ce chef.

Sur le préjudice moral :

Monsieur Y sollicite la condamnation de Monsieur X en lui reprochant d’avoir intenté une procédure abusive.

Cependant, l’action en justice a été initiée par la SARL C et non Monsieur F, qui n’est pas partie à l’instance, ce qui rend irrecevable la demande.

Enfin, cette action ne constitue pas un abus de droit alors que l’appelante pouvait légitimement espérer la réalisation de l’album H I auquel elle croyait puisqu’elle avait présenté à la REGION REUNION la demande de subvention en septembre 2012.

Le jugement querellé sera confirmé en ce qu’il a rejeté la demande de Monsieur Y à ce titre.

Sur les autres demandes :

Les parties supporteront leurs propres dépens ainsi que leurs frais irréptibles en cause d’appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement, en matière civile et en dernier ressort, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe conformément à l’article 451 alinéa 2 du code de procédure civile,

CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

REJETTE les demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile en appel ;

LAISSE les parties supporter leurs propres dépens de l’appel.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Patrick CHEVRIER, Président de chambre, et par Mme Véronique FONTAINE, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT

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