Contester une inspection de la Commission européenne

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Avant toute procédure d’inspection, la Commission européenne doit démontrer qu’elle détient des indices suffisamment sérieux permettant de suspecter des échanges d’informations portant sur les stratégies commerciales futures des entreprises (ententes illicites). Le cas échéant, la procédure peut être annulée partiellement ou totalement par le TPUE.   

Décisions d’inspection de la Commission censurées par le TPUE

Dans l’affaire Intermarché, Casino, Mousquetaires, le TPUE a annulé partiellement des décisions d’inspection de la Commission faisant suite à des soupçons de pratiques anticoncurrentielles par plusieurs entreprises françaises du secteur de la distribution alimentaire. La Commission n’a pas démontré qu’elle détenait des indices suffisamment sérieux permettant de suspecter des échanges d’informations portant sur les stratégies commerciales futures des entreprises. 

Ayant reçu des informations relatives à des échanges d’informations entre plusieurs entreprises et associations d’entreprises du secteur de la distribution alimentaire et non alimentaire, la Commission européenne a adopté, en février 2017, une série de décisions ordonnant à Intermarché, Casino et Mousquetaires de se soumettre à des inspections. 

Motivation des opérations de contrôle

Au soutien de leurs recours, les sociétés  Intermarché, Casino et Mousquetaires ont soulevé, avec succès une violation de l’obligation de motivation du contrôle. Le Tribunal a rappelé que les décisions d’inspection doivent indiquer les présomptions que la Commission entend vérifier, à savoir ce qui est recherché et les éléments sur lesquels doit porter l’inspection (description de l’infraction suspectée, c’est-à-dire marché présumé en cause, nature des restrictions de concurrence suspectées et secteurs couverts par la prétendue infraction).

Cette obligation de motivation spécifique vise à faire apparaître le caractère justifié de l’inspection et à permettre aux entreprises concernées de saisir la portée de leur devoir de collaboration tout en préservant, dans le même temps, les droits de la défense.

Dans chaque affaire, le TPUE doit pouvoir vérifier que les décisions d’inspection font apparaître de manière circonstanciée que la Commission estimait disposer d’indices suffisamment sérieux l’ayant amenée à suspecter des pratiques anticoncurrentielles.

En l’occurrence, la Commission détenait des indices suffisamment sérieux pour suspecter une pratique concertée concernant les échanges d’informations relatifs aux rabais obtenus sur les marchés de l’approvisionnement de certains produits de consommation courante et les prix sur le marché de la vente de services aux fabricants de produits de marque.

En revanche, en l’absence de tels indices en ce qui concerne les échanges d’informations portant sur les stratégies commerciales futures des entreprises suspectées, le Tribunal a accueilli le moyen tiré de la violation du droit à l’inviolabilité du domicile en ce qui concerne cette deuxième infraction, et annulé partiellement les décisions d’inspection de la Commission.

Pouvoir d’inspection et d’enquête de la Commission

Pour rappel, le règlement no 1/2003 du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence détermine les pouvoirs de la Commission en matière d’inspections. Dans le cadre de ses inspections, la Commission a notamment procédé à des visites des bureaux des sociétés visées où des copies du contenu du matériel informatique ont été effectuées.

Pour l’accomplissement des tâches qui lui sont assignées, la Commission peut procéder à toutes les inspections nécessaires auprès des entreprises et associations d’entreprises. Les agents et les autres personnes les accompagnant mandatés par la Commission pour procéder à une inspection sont investis des pouvoirs suivants :

a)       accéder à tous les locaux, terrains et moyens de transport des entreprises et associations d’entreprises ;

b)       contrôler les livres ainsi que tout autre document professionnel, quel qu’en soit le support ;

c)       prendre ou obtenir sous quelque forme que ce soit copie ou extrait de ces livres ou documents ;

d)       apposer des scellés sur tous les locaux commerciaux et livres ou documents pendant la durée de l’inspection et dans la mesure où cela est nécessaire aux fins de celle-ci ;

e)       demander à tout représentant ou membre du personnel de l’entreprise ou de l’association d’entreprises des explications sur des faits ou documents en rapport avec l’objet et le but de l’inspection et enregistrer ses réponses.

Les agents et les autres personnes les accompagnant mandatés par la Commission pour procéder à une inspection exercent leurs pouvoirs sur production d’un mandat écrit qui indique l’objet et le but de l’inspection, ainsi que la sanction prévue à l’article 23 au cas où les livres ou autres documents professionnels qui sont requis seraient présentés de manière incomplète et où les réponses aux demandes faites seraient inexactes ou dénaturées. La Commission avise, en temps utile avant l’inspection, l’autorité de concurrence de l’État membre sur le territoire duquel l’inspection doit être effectuée.

Les entreprises et associations d’entreprises sont tenues de se soumettre aux inspections que la Commission a ordonnées par voie de décision. La décision indique l’objet et le but de l’inspection, fixe la date à laquelle elle commence et indique les sanctions prévues, ainsi que le recours ouvert devant la Cour de justice contre la décision.

La Commission prend ces décisions après avoir entendu l’autorité de concurrence de l’État membre sur le territoire duquel l’inspection doit être effectuée.

Les agents de l’autorité de concurrence de l’État membre sur le territoire duquel l’inspection doit être effectuée ainsi que les agents mandatés ou désignés par celle-ci doivent, à la demande de cette autorité ou de la Commission, prêter activement assistance aux agents et aux autres personnes les accompagnant mandatés par la Commission.

Lorsque les agents ou les autres personnes les accompagnant mandatés par la Commission constatent qu’une entreprise s’oppose à une inspection ordonnée, l’État membre intéressé leur prête l’assistance nécessaire, en requérant au besoin la force publique ou une autorité disposant d’un pouvoir de contrainte équivalent, pour leur permettre d’exécuter leur mission d’inspection.

Si, en vertu du droit national, l’assistance prévue requiert l’autorisation d’une autorité judiciaire, cette autorisation doit être sollicitée. L’autorisation peut également être demandée à titre préventif.

Lorsqu’une autorisation est demandée, l’autorité judiciaire nationale contrôle que la décision de la Commission est authentique et que les mesures coercitives envisagées ne sont ni arbitraires ni excessives par rapport à l’objet de l’inspection.

Lorsqu’elle contrôle la proportionnalité des mesures coercitives, l’autorité judiciaire nationale peut demander à la Commission, directement ou par l’intermédiaire de l’autorité de concurrence de l’État membre, des explications détaillées, notamment sur les motifs qui incitent la Commission à suspecter une violation des articles [101] et [102 TFUE], ainsi que sur la gravité de la violation suspectée et sur la nature de l’implication de l’entreprise concernée.

Cependant, l’autorité judiciaire nationale ne peut ni mettre en cause la nécessité de l’inspection ni exiger la communication des informations figurant dans le dossier de la Commission. Le contrôle de la légalité de la décision de la Commission est réservé à la Cour de justice.

A savoir sur la saisie des données personnelles

Attention : en cas saisie et copie des données relevant de la vie privée des salariés et dirigeants, la société contrôlée doit manifester son opposition sans délais, sous peine de se voir jugée irrecevable à soulever ce moyen.

Une entreprise inspectée peut être amenée à demander à la Commission de ne pas saisir certaines données pouvant porter atteinte à la vie privée de ses salariés ou dirigeants ou à solliciter de la Commission la restitution de ces données.  Dès lors, lorsqu’une entreprise invoque la protection au titre du droit au respect de la vie privée de ses salariés ou de ses dirigeants pour s’opposer à la saisie du matériel informatique ou d’outils de communication et à la copie des données qui y sont contenues, la décision par laquelle la Commission rejette cette demande produit des effets juridiques à l’égard de cette entreprise.

En outre, une demande de restitution de ces données doit être formulée de manière suffisamment précise pour permettre à la Commission de prendre utilement position à son égard.

Respect des droits de la défense

En revanche, toujours dans cette affaire, le TPUE n’a pas conclu à une violation des droits de la défense des sociétés inspectées. Selon la jurisprudence de la Cour EDH, applicable à la procédure en cause, l’existence d’un droit à un recours effectif suppose la réunion de quatre conditions : l’existence d’un contrôle juridictionnel effectif en fait comme en droit condition d’effectivité), la possibilité pour le justiciable d’obtenir un redressement approprié en cas d’irrégularité (condition d’efficacité), l’accessibilité certaine du recours (condition de certitude) et un contrôle juridictionnel dans un délai raisonnable (condition du délai raisonnable).

Le système de contrôle du déroulement des opérations d’inspection, constitué de l’ensemble des voies de droit mises à la disposition des entreprises inspectées, a satisfait à ces quatre conditions. Le grief tiré de la  méconnaissance du droit à un recours effectif a donc été rejeté.

Le grief tiré de la violation du principe d’égalité des armes et des droits de la défense a aussi été écarté sur la base d’une jurisprudence constante selon laquelle, au stade de la phase d’instruction préliminaire, la Commission ne peut se voir imposer d’indiquer les indices qui justifient l’inspection d’une entreprise suspectée de pratique anticoncurrentielle. En effet, une telle obligation remettrait en cause l’équilibre que la jurisprudence a établi entre la préservation de l’efficacité de l’enquête et la préservation des droits de la défense de l’entreprise. Télécharger la décision

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