Conseil d’État, 5ème et 6ème chambres réunies, 22/02/2018, 408410

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Conseil d’État, 5ème et 6ème chambres réunies, 22/02/2018, 408410

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

L’Association sportive culturelle chrétienne audiovisuelle (ASCCA) a demandé à la cour administrative d’appel de Paris d’annuler la décision du 2 juin 2015 par laquelle le Conseil supérieur de l’audiovisuel a rejeté sa candidature pour l’édition d’un service privé de télévision généraliste à caractère local diffusé en clair par voie hertzienne terrestre en mode numérique dans le département de la Martinique, ensemble l’autorisation délivrée par le Conseil supérieur de l’audiovisuel à la société Média H Antilles Guyane. Par un arrêt n° 15PA03478 du 21 novembre 2016, la cour a rejeté cette demande.

Par un pourvoi sommaire et deux mémoires complémentaires, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat les 27 février et 29 mai et 21 juillet 2017, l’Association sportive culturelle chrétienne audiovisuelle demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge du Conseil supérieur de l’audiovisuel une somme de 6 000 euros à verser à son avocat au titre des articles 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

– la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

– l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

– la directive 2002/20/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 relative à l’autorisation de réseaux et de services de communications électroniques ;

– la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 ;

– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Alain Seban, conseiller d’Etat,

– les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat de l’Association sportive culturelle chrétienne audiovisuelle et à la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, avocat du Conseil supérieur de l’audiovisuel.

1. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une décision du 28 mai 2014, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a lancé un appel aux candidatures en vue de l’exploitation d’un service privé de télévision par voie hertzienne terrestre en mode numérique, sur une fréquence alors utilisée par la société HRTV dont l’autorisation arrivait à expiration ; que, statuant lors de sa séance du 6 mai 2015, le CSA a délivré une autorisation à la société Média H Antilles Guyane, venue aux droits de la société HRTV, et rejeté la candidature présentée par l’Association sportive culturelle chrétienne audiovisuelle ; que cette association a demandé à la cour administrative d’appel de Paris d’annuler l’autorisation et le refus qui lui avait été opposé ; qu’elle a, à l’appui de sa requête, soulevé une question prioritaire de constitutionnalité visant le III de l’article 30-1 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication ; qu’elle se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 21 novembre 2016 par lequel la cour a refusé de transmettre cette question au Conseil d’Etat et rejeté sa requête ;

Sur le refus des juges du fond de transmettre au Conseil d’Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l’association requérante :

2. Considérant que les dispositions de l’article 23-2 de l’ordonnance portant loi organique du 7 novembre 1958 prévoient que, lorsqu’une juridiction relevant du Conseil d’Etat est saisie de moyens contestant la conformité d’une disposition législative aux droits et libertés garantis par la Constitution, elle transmet au Conseil d’Etat la question de constitutionnalité ainsi posée à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et qu’elle ne soit pas dépourvue de caractère sérieux ;

3. Considérant que l’article 30-1 de la loi du 30 septembre 1986 fixe les conditions dans lesquelles le Conseil supérieur de l’audiovisuel autorise l’usage de ressources radio-électriques pour la diffusion des services de télévision par voie hertzienne terrestre en mode numérique ; qu’aux termes du III de cet article, le conseil supérieur  » procède à une audition publique des candidats  » ; que, devant la cour administrative d’appel, l’association requérante a soutenu que cette disposition méconnaît les droits et libertés garantis par la Constitution ;

4. Considérant que la publicité des auditions des candidats à l’attribution d’une ressource radioélectrique par le CSA, prévue par le législateur, a pour objet d’assurer la transparence de la procédure d’attribution ; que, compte tenu notamment du fait que le dossier de candidature n’est, en revanche, pas soumis à la même publicité, il n’est pas démontré que cette publicité serait susceptible d’entrer en conflit avec la volonté du candidat de protéger des informations relevant du secret des affaires, lequel n’est au demeurant pas garanti par les dispositions et principes de la Constitution, ou de porter atteinte à la liberté d’entreprendre ; qu’il n’est pas davantage démontré qu’il en résulterait quelque atteinte que ce soit à l’égalité entre les candidats ; qu’il suit de là que la cour administrative d’appel, dont l’arrêt est suffisamment motivé sur ce point, a pu, sans commettre d’erreur de droit ni d’erreur de qualification juridique, refuser de transmettre au Conseil d’Etat la question prioritaire de constitutionnalité qui lui était soumise ; que la circonstance que l’arrêt énonce que cette question  » ne présente pas un caractère sérieux « , alors qu’aux termes du 3° de l’article 23-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 la juridiction saisie d’une question prioritaire de constitutionnalité la renvoie au Conseil d’Etat ou à la Cour de cassation à la condition, notamment, qu’elle ne soit  » pas dépourvue de caractère sérieux « , n’est pas de nature à justifier l’annulation de ce refus ;

Sur le non-respect par le CSA des dispositions de l’article 28-1 de la loi du 30 septembre 1986 :

5. Considérant qu’aux termes du 1er alinéa de l’article 30-1 de la loi du 30 septembre 1986 :  » Sous réserve des dispositions de l’article 26, l’usage de ressources radioélectriques pour la diffusion de tout service de télévision par voie hertzienne terrestre en mode numérique est autorisé par le Conseil supérieur de l’audiovisuel dans les conditions prévues au présent article (…)  » ; qu’aux termes du 1er alinéa de l’article 28 :  » La délivrance des autorisations d’usage de la ressource radioélectrique pour chaque nouveau service diffusé par voie hertzienne terrestre autre que ceux exploités par les sociétés nationales de programme, est subordonnée à la conclusion d’une convention passée entre le Conseil supérieur de l’audiovisuel au nom de l’Etat et la personne qui demande l’autorisation (…)  » ; qu’aux termes du I de l’article 28-1 :  » I. – La durée des autorisations délivrées en application des articles 29, 29-1, 30, 30-1 et 30-2 ne peut excéder dix ans. Toutefois, pour les services de radio en mode analogique, elle ne peut excéder cinq ans. Ces autorisations sont délivrées par le Conseil supérieur de l’audiovisuel dans un délai de huit mois à compter de la date de clôture de réception des déclarations de candidatures des éditeurs ou des distributeurs de services. (…)  » ;

6. Considérant que les dispositions de l’article 28-1 qui prescrivent au CSA de délivrer les autorisations d’émettre dans un délai de huit mois à compter de la clôture de l’appel aux candidatures ont été introduites par l’article 42 de la loi n° 2004-669 du 9 juillet 2004 afin de transposer en droit interne l’article 7-4 de la directive 2002/20/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 relative à l’autorisation de réseaux et de services de communications électroniques, qui a prévu un tel délai afin de favoriser un usage plus efficace de la ressource radioélectrique en évitant que des fréquences attribuables soient gelées pendant des durées excessives ; qu’il ne résulte ni des dispositions de la directive, ni des dispositions législatives qui les ont transposées, que le dépassement du délai de huit mois entraîne la caducité de la procédure de sélection, laquelle aurait pour conséquence de retarder encore l’attribution des fréquences ; qu’ainsi, la cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que le délai de huit mois n’était pas  » imparti à peine de nullité  » ;

Sur la prise en compte par le CSA d’éléments extérieurs aux dossiers de candidature :

7. Considérant que l’association requérante a fait valoir devant les juges du fond que le CSA avait attendu, pour arrêter la liste des candidatures recevables, que soit connue l’issue d’une procédure concernant la société HRTV qui, déclarée en cessation de paiement et placée en redressement judiciaire par un jugement du tribunal mixte de commerce de Fort-de-France du 23 avril 2013, avait fait l’objet d’une reprise par la société Média H Antilles Guyane, approuvée par le tribunal de commerce de Fort-de-France le 28 octobre 2014, après un avis favorable délivré par le CSA le 7 octobre 2014 ; qu’elle soutenait que l’instance de régulation avait ainsi statué au vu d’éléments relatifs à la société HRTV qui ne figuraient pas dans son dossier de candidature ; que, toutefois, il appartient au CSA, le cas échéant, de tenir compte de l’évolution de la situation juridique des personnes qui ont répondu à un appel aux candidatures ; qu’ainsi, la circonstance alléguée n’étant pas de nature à entacher d’illégalité les décisions attaquées, le moyen était inopérant ; que la cour administrative d’appel n’a, dès lors, pas entaché son arrêt d’irrégularité en ne répondant pas explicitement à ce moyen et n’a pas commis d’erreur de droit en s’abstenant de l’accueillir ; que, par ailleurs, l’arrêt attaqué a répondu de manière suffisante au moyen tiré de ce que le CSA, en raison des relations qu’il avait eues avec la société Média H Antilles Guyane pendant la période comprise entre la clôture de l’appel aux candidatures et l’approbation de la liste des candidatures jugées recevables, aurait méconnu le principe d’impartialité ;

Sur l’appréciation des projets au regard des critères d’octroi des autorisations :

8. Considérant qu’en jugeant que le CSA avait pu légalement estimer que le projet de l’association requérante contribuerait dans une moindre mesure à l’impératif prioritaire de sauvegarde du pluralisme des courants d’expression socioculturels et répondrait moins bien à l’intérêt du public que le projet de la société Média H Antilles Guyane, la cour administrative d’appel a porté sur les pièces du dossier une appréciation souveraine qui, en l’absence de dénaturation, ne peut être discutée devant le juge de cassation ;

9. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que l’association requérante n’est pas fondée à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque ;

10. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise, à ce titre, à la charge du CSA qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;

D E C I D E :

————–

Article 1er : Le pourvoi de l’Association sportive culturelle chrétienne audiovisuelle est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l’Association sportive culturelle chrétienne audiovisuelle, à la ministre de la culture et au Conseil supérieur de l’audiovisuel.

Copie pour information en sera adressée au Premier ministre.

ECLI:FR:CECHR:2018:408410.20180222

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