L’Essentiel : Le 10 juillet 2017, une société de gestion immobilière (le bailleur) a consenti à une société de conseil (le locataire) un bail dérogatoire pour des locaux, d’une durée de vingt-quatre mois, avec un loyer annuel de 100.000 € HT et HC. Le 4 février 2022, le bailleur a demandé au locataire de quitter les lieux, contesté par ce dernier qui affirmait bénéficier d’un bail commercial depuis le 10 juillet 2020. Le 25 mai 2022, le bailleur a délivré un congé pour reconstruire l’immeuble, tout en offrant une indemnité d’éviction, et a assigné le locataire devant le juge des loyers.
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Constitution du bail dérogatoireLe 10 juillet 2017, une société de gestion immobilière (le bailleur) a consenti à une société de conseil (le locataire) un bail dérogatoire pour des locaux situés à une adresse précise, pour une durée de vingt-quatre mois, avec un loyer annuel de 100.000 € HT et HC. Ce bail a été modifié à plusieurs reprises par des avenants, prolongeant la durée et modifiant les modalités de paiement du loyer. Demandes de résiliation et contestationsLe 4 février 2022, le bailleur a demandé au locataire de quitter les lieux, ce que ce dernier a contesté en affirmant bénéficier d’un bail commercial depuis le 10 juillet 2020, date à laquelle le bail dérogatoire aurait expiré. En réponse, le bailleur a soutenu que si un bail commercial avait été formé, le loyer devait être fixé à 600.000 € par an. Procédures judiciaires et demandesLe 25 mai 2022, le bailleur a délivré un congé au locataire pour reconstruire l’immeuble, tout en offrant une indemnité d’éviction. Par la suite, le bailleur a notifié au locataire des demandes de fixation du loyer à 360.000 € HT/HC/an et a assigné le locataire devant le juge des loyers du tribunal judiciaire de Paris le 28 septembre 2022. Réponses du locataire et audienceDans son mémoire du 15 mai 2023, le locataire a demandé la reconnaissance d’un bail commercial formé depuis le 10 juillet 2020, avec un loyer fixé à 192.000 € HT et HC par an. L’affaire a été portée à l’audience le 5 décembre 2024, où le juge a soulevé la question de sa compétence pour statuer sur le litige. Décision du juge des loyersLe juge a conclu que sa compétence était limitée aux litiges concernant le montant du loyer révisé ou renouvelé. Étant donné que les parties ne s’accordaient pas sur la date de fixation du loyer, le juge a déclaré son incompétence et a renvoyé l’affaire au tribunal judiciaire de Paris, réservant les dépens et les demandes liées aux frais irrépétibles. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelle est la compétence du juge des loyers commerciaux selon l’article R.145-23 du code de commerce ?Selon l’article R.145-23 du code de commerce, les contestations relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé sont portées devant le président du tribunal judiciaire ou le juge qui le remplace. Les autres contestations, quant à elles, doivent être portées devant le tribunal judiciaire, qui peut, accessoirement, se prononcer sur les demandes mentionnées à l’alinéa précédent. Il est donc important de noter que la compétence du juge des loyers commerciaux est strictement limitée aux litiges concernant le montant du loyer révisé ou renouvelé. Dans le cas présent, le litige ne porte pas sur le loyer d’un bail commercial révisé ou renouvelé, mais sur la date à laquelle le loyer doit être fixé, ce qui dépasse le cadre de compétence du juge des loyers commerciaux. Quelles sont les implications de l’article L.145-5 du code de commerce dans ce litige ?L’article L.145-5 du code de commerce stipule que, lorsque le délai légal maximum d’un bail dérogatoire est expiré, un bail commercial est réputé formé. Dans cette affaire, la locataire a soutenu qu’un bail commercial s’était formé à compter du 10 juillet 2020, soit le lendemain de l’expiration du délai légal maximum de trois ans d’un bail dérogatoire. Cela signifie que, selon cet article, la locataire pourrait revendiquer des droits en tant que titulaire d’un bail commercial, ce qui aurait des conséquences sur la fixation du loyer et les obligations des parties. Cependant, le juge a constaté que le litige ne se limitait pas à la simple question de la formation du bail commercial, mais englobait également des contestations sur le montant du loyer, ce qui le rend incompétent pour statuer sur cette affaire. Quels sont les effets de la décision du juge des loyers commerciaux sur les demandes de la bailleresse ?La décision du juge des loyers commerciaux de se déclarer incompétent a des conséquences directes sur les demandes formulées par la bailleresse. En effet, la bailleresse avait demandé la fixation du loyer à 360.000 € HT/HC/an et la condamnation de la locataire à payer des intérêts sur les rappels de loyer. Cependant, puisque le juge a déterminé qu’il n’avait pas compétence pour statuer sur ces demandes, celles-ci doivent être renvoyées au tribunal judiciaire de Paris, qui est compétent pour traiter ce type de litige. Cela signifie que la bailleresse devra présenter à nouveau ses demandes devant le tribunal judiciaire, où le litige pourra être examiné dans son ensemble, y compris la question de la fixation du loyer et des éventuels rappels dus. Comment les frais irrépétibles sont-ils traités dans cette décision ?Les frais irrépétibles, mentionnés dans l’article 700 du code de procédure civile, sont des frais que la partie gagnante peut demander à la partie perdante de lui rembourser. Dans cette affaire, le juge des loyers commerciaux a réservé les dépens ainsi que les demandes au titre des frais irrépétibles, ce qui signifie qu’il n’a pas pris de décision définitive sur cette question. Cela laisse la possibilité au tribunal judiciaire de se prononcer sur les frais irrépétibles lors de l’examen du litige. Ainsi, la partie qui sera finalement jugée gagnante pourra demander le remboursement de ses frais, en fonction de l’issue de la procédure devant le tribunal judiciaire. |
JUDICIAIRE
DE PARIS
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Loyers commerciaux
N° RG 22/11765
N° Portalis 352J-W-B7G-CYAGY
N° MINUTE : 4
Assignation du :
28 Septembre 2022
Jugement d’incompétence
[1]
[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :
JUGEMENT
rendu le 06 Février 2025
DEMANDERESSE
S.N.C. PAN MARAIS
[Adresse 3]
[Localité 5]
représentée par Maître Gina MARUANI, avocate au barreau de PARIS, avocate plaidante, vestiaire #P0428
DEFENDERESSE
S.A.R.L. ERELL CONSULTING
[Adresse 6]
[Localité 4]
représentée par Maître Claire OLDAK, avocate au barreau de PARIS, avocate plaidante, vestiaire #E0960
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Lucie FONTANELLA, Vice-présidente, Juge des loyers commerciaux
Siégeant en remplacement de Monsieur le Président du Tribunal judiciaire de Paris, conformément aux dispositions de l’article R.145-23 du code de commerce ;
assistée de Camille BERGER, Greffière
DEBATS
A l’audience du 05 Décembre 2024 tenue publiquement
JUGEMENT
Rendu publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort
Par acte sous seing privé du 10 juillet 2017, la S.N.C PAN MARAIS a consenti à la S.A.R.L ERELL CONSULTING un bail dérogatoire portant sur des locaux situés [Adresse 1] et [Adresse 2] à [Localité 7] pour une durée de vingt-quatre mois et moyennant un loyer annuel de 100.000 € HT et HC.
Les parties ont conclu trois avenants :
– Le 12 février 2020, elles sont convenues de proroger le bail de quarante-sept semaines à compter du 10 juillet 2019 pour se terminer le 31 mai 2020,
– Le 15 mars 2020, elles sont convenues de modifier la durée du bail pour la porter à trois ans, six mois et vingt-et-un jours à compter du 10 juillet 2017 pour se terminer le 31 janvier 2021, et de fixer le loyer dû entre le 15 mars 2020 et le 31 janvier 2021 à 30 % HT du chiffre d’affaires, toutes charges comprises, en remplacement du loyer antérieur,
– Le 29 juillet 2021, elles sont convenues de proroger le bail pour huit mois et dix jours, soit du 1er février au 10 octobre 2021 et de maintenir le loyer variable toutes charges comprises de 30 % HT du chiffre d’affaires.
Par lettre en date du 04 février 2022, la bailleresse a demandé à la locataire de quitter les lieux.
La locataire a contesté occuper les lieux sans droit ni titre, faisant valoir en application de l’article L.145-5 du code de commerce qu’elle bénéficiait d’un bail commercial depuis le 10 juillet 2020, soit la date du lendemain de l’expiration du délai légal maximum de trois ans d’un bail dérogatoire.
Par lettre du 28 avril 2022, la bailleresse a répondu que si un bail commercial s’était formé le 10 juillet 2020, le loyer devait, depuis cette date, être fixé à la valeur locative des locaux qu’elle évaluait à 600.000 €/an, HT et HC.
Par acte extrajudiciaire du 25 mai 2022, elle a fait délivrer à la locataire un congé en vue de reconstruire l’immeuble pour le 09 juillet 2023 et lui a offert une indemnité d’éviction.
Par lettre recommandée avec accusé de réception et signifiée le 08 juillet 2022, la bailleresse a notifié à la locataire un mémoire préalable demandant :
À titre principal,
– La fixation du loyer dû à compter du 10 juillet 2020 à 360.000 € HT/HC/an,
– La condamnation de la locataire à payer les intérêts au taux légal sur les rappels de loyer à compter du 10 juillet 2020 puis à compter de chaque échéance trimestrielle et d’ordonner la capitalisation des intérêts échus depuis plus d’un an,
À titre subsidiaire,
– Qu’une expertise soit ordonnée pour estimer la valeur locative des locaux loués,
– Dans ce cas de fixer le loyer provisionnel à 360.000 € HT et HC par an jusqu’à sa fixation définitive,
En tout état de cause,
– De condamner la locataire à lui payer une somme de 5.000 € au titre de ses frais irrépétibles ainsi qu’aux entiers dépens, comprenant les frais d’expertise judiciaire dont elle ferait l’avance.
Par acte du 28 septembre 2022, la S.N.C PAN MARAIS a assigné la S.A.R.L ERELL CONSULTING devant le juge des loyers du tribunal judiciaire de PARIS, réitérant ses demandes et sollicitant le rappel de l’exécution provisoire de la décision à intervenir.
Dans son mémoire notifié par lettre recommandée avec accusé de réception présenté le 15 mai 2023, la locataire sollicite du juge des loyers :
À titre principal,
– De prendre acte de l’accord des parties sur le fait qu’un bail commercial s’est formé à compter du 10 juillet 2020,
– De fixer le loyer de ce bail à la somme de 192.000 € HT et HC annuel, à compter du 14 février 2022,
– D’écarter l’exécution provisoire,
À titre subsidiaire,
– Si la date du 14 février n’était pas retenue, de fixer le loyer du bail à la somme de 192.000 € HT et HC annuel, à compter du 11 octobre 2021,
– Si le juge des loyers l’estimait nécessaire, qu’une expertise soit ordonnée aux frais avancés de la bailleresse et de fixer le louer provisionnel au loyer en cours,
En tout état de cause,
– De condamner la bailleresse à lui payer une somme de 5.000 € au titre de ses frais irrépétibles ainsi qu’aux entiers dépens.
L’affaire est venue à l’audience du 05 décembre 2024, à laquelle le juge des loyers a évoqué, en présence des conseils des parties, la question de sa compétence pour statuer sur le litige.
Ceux-ci n’ont pas émis le souhait de pouvoir présenter des observations sur cette question soulevée d’office.
Selon l’article R.145-23 du code de commerce, les contestations relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé sont portées devant le président du tribunal judiciaire ou le juge qui le remplace ; les autres contestations sont portées devant le tribunal judiciaire qui peut, accessoirement, se prononcer sur les demandes mentionnées à l’alinéa précédent.
Selon ce texte, la compétence du juge des loyers commerciaux est strictement limitée aux litiges concernant le montant du loyer révisé ou renouvelé.
Il ne peut donc statuer sur les autres contestations.
En l’espèce, les parties ne s’accordent pas sur la date à laquelle le loyer du bail commercial qui s’est formé en application de l’article L.145-5 du code de commerce doit être fixé ; il apparaît ainsi, d’une part, que le litige ne porte pas sur le loyer d’un bail commercial révisé ou renouvelé et, d’autre part, que ledit litige n’est pas limité au montant de ce loyer.
Il y a lieu en conséquence de se déclarer incompétent au profit du tribunal judiciaire et de lui renvoyer l’affaire.
Dans l’attente de sa décision, les dépens, ainsi que les demandes au titre des frais irrépétibles, qui y sont liées, seront réservés.
Le juge des loyers commerciaux, statuant publiquement, par décision mise à disposition au greffe, contradictoire, et susceptible d’appel dans les conditions de l’article 83 du code de procédure civile,
AVANT DIRE DROIT sur toutes les demandes ;
SE DÉCLARE incompétent pour connaître des contestations relatives à la fixation du prix du bail ;
DÉCLARE le tribunal judiciaire de PARIS compétent pour ce faire ;
ORDONNE en conséquence le renvoi de l’affaire à ladite juridiction ;
ORDONNE la transmission de la procédure à celle-ci conformément à l’article 82 du code de procédure civile, en vue d’un renvoi à la dix-huitième chambre, section 2 ;
RÉSERVE les dépens ainsi que demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Fait et jugé à PARIS, le 06 février 2025.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
C. BERGER L. FONTANELLA
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