Concurrence déloyale : Mesures conservatoires ordonnées

Notez ce point juridique

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MOTIFS DE LA DECISION

Sur la compétence :

L’action engagée devant la juridiction des référés commerciale par les sociétés Corporate distribution diversity et Price Telecom.com, qui vise à obtenir des mesures pour prévenir un dommage imminent ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite résultant d’une concurrence déloyale, est formée non pas contre l’ancien salarié de la société Corporate distribution diversity, qui a téléchargé tous les devis de cette société pendant l’exécution de son contrat de travail, mais contre la société qu’il dirige.

Parallèlement, le conseil des prud’hommes a été saisi par la société Corporate distribution diversity d’une demande contre son ancien salarié de dommages et intérêts. La requête produite aux débats fait apparaître que cette demande est fondée exclusivement sur un ‘détournement de commande’ qui n’a rien à voir avec le téléchargement des devis.

Les appelantes font valoir que l’action engagée devant le tribunal de commerce qui vise à faire cesser des actes de concurrence déloyale est différente de celle introduite devant le conseil des prud’hommes et qu’elle relève de la compétence de la juridiction commerciale en ce qu’il s’agit d’un litige entre sociétés commerciales.

Pour soutenir que les demandes formées contre elle relèvent de la compétence exclusive de la juridiction prud’homale, la société Mycom invoque les dispositions des articles L. 1141-1 conférant aux juridictions prud’homales la connaissance des différends qui peuvent s’élever à l’occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du code du travail entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu’ils emploient et celles de L. 1141-3 du code du travail aux termes duquel le conseil de prud’hommes règle les différends et litiges nés entre salariés à l’occasion du travail. Elle fait valoir que l’appréciation de faits prétendument constitutifs de concurrence reprochés à un salarié avant la rupture de son contrat de travail relève de la compétence exclusive du conseil des prud’hommes. Elle souligne que les faits de téléchargement ont été commis par M. [N] avant la fin du contrat de travail le liant à la société Corporate distribution diversity et ne peuvent d’ailleurs être imputés à la société Mycom qui n’existait pas encore.

Mais en application des dispositions de l’article L. 721-3 du code de commerce, le tribunal de commerce est compétent pour statuer sur l’action en concurrence déloyale opposant deux sociétés commerciales, même dans le cas où, comme en l’espèce, l’une d’elle est l’ancien employeur du salarié qui a commis les actes de détournement de données confidentielles qu’elle reproche à l autre de détenir, et a fortiori lorsque le litige est introduit devant le juge des référés commercial à qui il est demandé de statuer sur des mesures sollicitées en application des articles 872 et 873 du code de procédure civile, qui ne tranche pas le fond du litige et dont la décision présente un caractère provisoire. Il en résulte que l’absence de rupture du contrat de travail au moment où les actes de téléchargement ont été commis par le salarié et le fait que la société Mycom n’existait pas encore à cette date sont sans incidence sur la compétence de la juridiction commerciale.

L’ordonnance entreprise sera infirmée de ce chef et le tribunal de commerce d’Angers sera déclaré compétent.

Sur l’évocation du litige

Bien que les parties ne demandent pas expressément à la cour d’user de la faculté d’évocation qui lui est reconnue par l’article 88 du code de procédure civile, elles ont, chacune, conclu sur les demandes, soit principalement, s’agissant des appelantes pour obtenir le prononcé de mesures au titre des articles 872 et 873 du code de procédure civile, soit subsidiairement, s’agissant de l’intimée, pour demander à la cour de constater que les conditions prévues à ces textes ne sont pas remplies, en contestant en premier lieu tout acte de concurrence déloyale.

Il est de bonne justice d’évoquer le fond et de statuer sur le litige.

Sur les mesures sollicitées contre la société Mycom

Les appelantes invoquent une jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle le seul fait pour une société créée par un ancien salarié de détenir

* * *

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL

D’ANGERS

CHAMBRE A – COMMERCIALE

CC/IM

ARRET N°:

AFFAIRE N° RG 23/00800 – N° Portalis DBVP-V-B7H-FE76

Jugement du 02 Mai 2023

Président du TC d’ANGERS

n° d’inscription au RG de première instance 2023001866

ARRET DU 07 NOVEMBRE 2023

APPELANTES :

S.A.R.L. CORPORATE DISTRIBUTION DIVERSITY prise en la personne de son Gérant en exercice, domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Localité 2]

S.A.R.L. PRICE TELECOM.COM prise en la personne de son gérant en exercice, domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentées par Me Anne sophie FINOCCHIARO de la SELAS FIDAL DIRECTION PARIS, avocat postulant au barreau d’ANGERS, et Me Nicolas MENAGE, avocat plaidant au barreau de RENNES – N° du dossier ANG01622

INTIMEE :

S.A.S. MYCOM exerçant sous le nom commercial ‘GAÏA COM’, prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Localité 1]

Représentée par Me Inès RUBINEL de la SELARL LEXAVOUE RENNES ANGERS, avocat postulant au barreau d’ANGERS, et Me Pauline BRONNEC, avocat plaidant au barreau de NANTES – N° du dossier 235930

COMPOSITION DE LA COUR

L’affaire a été débattue publiquement à l’audience du 05 Septembre 2023 à 14 H 00, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme CORBEL, présidente de chambre, qui a été préalablement entendue en son rapport, et M. CHAPPERT, conseiller.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme CORBEL, présidente de chambre

M. CHAPPERT, conseiller

Mme GANDAIS, conseillère

Greffière lors des débats : Mme TAILLEBOIS

ARRET : contradictoire

Prononcé publiquement le 07 novembre 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions de l’article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Catherine CORBEL, présidente de chambre, et par Sophie TAILLEBOIS, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

~~~~

FAITS ET PROCÉDURE

La société (SARL) Corporate distribution diversity, immatriculée le 24 juillet 2012 au registre du commerce et des sociétés de Poitiers, exerce, sous le nom commercial Planète Telecoms, les activités principales de grossiste en matériel télécom, réseaux informatiques, négoce de matériels télécom et réseaux éco-recyclé, d’exportation et importation de matériels télécom, de prestations audit télécom.

Le 1er septembre 2020, M. [C] [N] a été engagé par la SARL Corporate distribution diversity en qualité de commercial sous contrat de travail à durée indéterminée.

Le 3 juin 2022, M. [D] [N], frère de M. [C] [N] a établi les statuts de la société (SASU) Mycom, qui a été immatriculée le 22 juin 2022 au registre du commerce et des sociétés d’Angers, avec pour objet social, les activités principales de négoce de matériel télécom, informatique, bureautique, électrique et électronique, de conseil en management, d’import-export de tous produits télécom, d’informatique, électronique, d’objets connectés, de matériel BTP et de produits divers, d’ingénierie, d’études techniques, d’audit et de mise en oeuvre de solution radio, GSM 3G, 4G, 5G wifi.

M. [D] [N] a été nommé président de la SAS Mycom aux termes de l’article 35 desdits statuts.

Le contrat de travail de M. [C] [N] auprès de la SARL Corporate distribution diversity a pris fin, à la suite d’une rupture conventionnelle, le 30 juin 2022.

Le même jour, la SARL Corporate distribution diversity s’est plainte de ce que M. [C] [N] avait, durant ses congés, participé à un salon afin de représenter une autre société, Price telecom.com, ayant le même dirigeant que la société Corporate distribution diversity, sans son accord et sans avis préalable, et de ce qu’il avait procédé au téléchargement de plus de 6.000 devis comportant les noms de tous ses clients depuis dix ans. Sur interpellation de l’huissier de justice qu’elle avait mandaté, M. [C] [N] a reconnu avoir téléchargé ces devis.

Par procès-verbal d’huissier de justice dressé le 24 août 2022, la société Corporate distribution diversity reprochant à M. [C] [N] de continuer à agir en son nom vis-à-vis de sa clientèle, et de se présenter comme son salarié, a fait constater qu’il se présentait toujours comme son salarié sur son profil Linkedin.

Le 30 août 2022, M. [D] [N] a cédé une partie de ses parts sociales au capital social de la société Mycom à son frère M. [C] [N] qui a pris la présidence de ladite société.

Par requête déposée le 27 janvier 2023, la société Corporate distribution diversity a fait assigner M. [C] [N] devant le conseil des prud’hommes de Nantes aux fins de voir constater l’existence d’une faute lourde de ce dernier pour ‘détournement d’une commande’. Cette procédure prud’homale est actuellement pendante.

Par acte de commissaire de justice du 17 février 2023, les sociétés Corporate distribution diversity et Price telecom.com ont fait assigner la société Mycom, en référé, devant le président du tribunal de commerce d’Angers, aux fins, au vu des articles 872 et 873 alinéa 2 du code de procédure civile de :

– faire interdiction à la société Mycom de prendre attache commercialement avec l’ensemble des clients que les sociétés Corporate distribution diversity et Price telecom.com avaient à la date du 30 juin 2022, et ce sous peine de devoir payer une astreinte de 10 000 euros par non-respect constaté,

– dire et juger que la preuve du manquement à l’interdiction pourra être rapportée par tous moyens,

– se réserver le droit de liquider l’astreinte.

En défense, la société Mycom a soulevé l’incompétence du tribunal de commerce d’Angers ratione materiae au profit du conseil de prud’hommes de Nantes. Au fond, elle a conclu au rejet des demandes des sociétés Corporate distribution diversity et Price Telecom.com et à leur condamnation à lui verser la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive.

Par ordonnance de référé du 2 mai 2023, le président du tribunal de commerce d’Angers a :

au principal,

– renvoyé les parties à mieux se pourvoir au fond ainsi qu’elles en aviseront,

mais, dès à présent,

– déclaré son incompétence au profit du conseil des prud’hommes de Nantes,

en conséquence,

– dit n’y avoir lieu à référé,

– rejeté la demande en réparation du préjudice formulée par la SAS Mycom,

– dit qu’il n’y a pas lieu à l’application de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné solidairement les sociétés Corporate distribution diversity et Price Telecom.com aux dépens de l’ instance.

Par déclaration du 15 mai 2023, les sociétés Corporate distribution diversity et Price telecom.com ont interjeté appel de cette ordonnance en attaquant chacune de ses dispositions sauf celle qui a rejeté la demande en réparation du préjudice formée par la société Mycom ; intimant la société Mycom.

Par requête déposée le 15 mai 2023, les sociétés Corporate distribution diversity et Price telecom.com ont sollicité du premier président de la cour d’appel d’Angers l’autorisation de faire assigner à jour fixe la société Mycom.

Par ordonnance du 16 mai 2023, le magistrat délégué par le premier président de la cour d’appel d’Angers a autorisé les appelantes à faire assigner la société Mycom pour l’audience du 5 septembre 2023 à 14h.

Par acte de commissaire de justice du 27 juin 2023 portant dénonce de leurs écritures d’appelantes, les sociétés Corporate distribution diversity et Price telecom.com ont fait assigner la société Mycom à comparaître à ladite audience.

La société Mycom a formé appel incident.

La société Corporate distribution diversity et la société Price telecom.com, d’une part, la SAS Mycom, d’autre part, ont conclu.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

La SARL Corporate distribution diversity et la SARL Price telecom.com demandent à la cour de :

– Infirmer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a :

*renvoyé les parties à mieux se pourvoir au fond ainsi qu’elles en aviseront,

* déclaré son incompétence au profit du conseil des prud’hommes de Nantes,

* dit n’y avoir lieu à référé.

statuant à nouveau,

vu les articles 872 et 873 du code de procédure civile,

– faire interdiction à la SAS Mycom de prendre attache commercialement avec l’ensemble des clients qu’elles avaient à la date du 30 juin 2022 et ce sous peine de devoir payer une astreinte de 10.000 euros par non-respect constaté,

– dire et juger que la preuve du manquement à l’interdiction pourra être rapportée par tous moyens,

– se réserver le droit de liquider l’astreinte.

– confirmer l’ordonnance en ce qu’elle a rejeté la demande en réparation du préjudice formée par la société Mycom,

– rejeter l’appel incident formé par la société Mycom.

– condamner la SAS Mycom au paiement de la somme de 4.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

La SAS Mycom prie la cour de :

vu les articles L. 1411-1, L. 1411-3 et L. 1411-14 du code du travail,

vu les articles 32-1, 872 et 873 du code de procédure civile,

– la dire et juger recevable et bien fondée en sa constitution, et en son appel incident, la déclarer fondée et y faisant droit,

à titre principal,

– confirmer l’ordonnance rendue le 2 mai 2023 par le juge des référés près le tribunal de commerce d’Angers en ce qu’elle a :

* renvoyé les parties à mieux se pourvoir au fond ainsi qu’elles en aviseront,

* déclaré son incompétence au profit du conseil des prud’hommes de Nantes,

en conséquence,

* dit n’y avoir lieu à référé,

– infirmer l’ordonnance rendue le 2 mai 2023 par le juge des référés près le tribunal de commerce d’Angers en ce qu’elle a :

* rejeté la demande en réparation du préjudice qu’elle a formulée,

et statuant à nouveau,

– condamner in solidum, conjointement et solidairement les sociétés Corporate distribution diversity et Price Telecom.com à lui verser la somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts,

à titre subsidiaire,

dans l’hypothèse où la compétence du tribunal de commerce serait retenue,

– déclarer la section des référés incompétente à connaître de la demande visant à voir prononcer une mesure d’interdiction de commercer à son encontre,

en conséquence,

– débouter les sociétés Corporate distribution diversity et Price Telecom.com de l’intégralité de leurs demandes comme étant irrecevables et en toute hypothèse mal fondées,

en tout état de cause,

– débouter la société Corporate distribution diversity de l’ensemble de ses demandes,

– débouter la société Price Telecom.com de l’ensemble de ses demandes,

et rejetant toute demande contraire comme irrecevable et en toute hypothèse mal fondée,

– condamner in solidum, solidairement et conjointement les sociétés Corporate distribution diversity et Price Telecom.com à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel avec distraction au profit de l’avocat soussigné aux offres de droit.

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties il est renvoyé, en application des dispositions des articles 455 et 954 du code de procédure civile, à leurs dernières conclusions respectivement déposées au greffe :

– le 1er septembre 2023 pour la SARL Corporate distribution diversity et la SARL Price Telecom.com,

– le 26 juillet 2023 pour la SAS Mycom.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la compétence :

L’action engagée devant la juridiction des référés commerciale par les sociétés Corporate distribution diversity et Price Telecom.com, qui vise à obtenir des mesures pour prévenir un dommage imminent ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite résultant d’une concurrence déloyale, est formée non pas contre l’ancien salarié de la société Corporate distribution diversity, qui a téléchargé tous les devis de cette société pendant l’exécution de son contrat de travail, mais contre la société qu’il dirige.

Parallèlement, le conseil des prud’hommes a été saisi par la société Corporate distribution diversity d’une demande contre son ancien salarié de dommages et intérêts. La requête produite aux débats fait apparaître que cette demande est fondée exclusivement sur un ‘détournement de commande’ qui n’a rien à voir avec le téléchargement des devis.

Les appelantes font valoir que l’action engagée devant le tribunal de commerce qui vise à faire cesser des actes de concurrence déloyale est différente de celle introduite devant le conseil des prud’hommes et qu’elle relève de la compétence de la juridiction commerciale en ce qu’il s’agit d’un litige entre sociétés commerciales.

Pour soutenir que les demandes formées contre elle relèvent de la compétence exclusive de la juridiction prud’homale, la société Mycom invoque les dispositions des articles L. 1141-1 conférant aux juridictions prud’homales la connaissance des différends qui peuvent s’élever à l’occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du code du travail entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu’ils emploient et celles de L. 1141-3 du code du travail aux termes duquel le conseil de prud’hommes règle les différends et litiges nés entre salariés à l’occasion du travail. Elle fait valoir que l’appréciation de faits prétendument constitutifs de concurrence reprochés à un salarié avant la rupture de son contrat de travail relève de la compétence exclusive du conseil des prud’hommes. Elle souligne que les faits de téléchargement ont été commis par M. [N] avant la fin du contrat de travail le liant à la société Corporate distribution diversity et ne peuvent d’ailleurs être imputés à la société Mycom qui n’existait pas encore.

Mais en application des dispositions de l’article L. 721-3 du code de commerce, le tribunal de commerce est compétent pour statuer sur l’action en concurrence déloyale opposant deux sociétés commerciales, même dans le cas où, comme en l’espèce, l’une d’elle est l’ancien employeur du salarié qui a commis les actes de détournement de données confidentielles qu’elle reproche à l’autre de détenir, et a fortiori lorsque le litige est introduit devant le juge des référés commercial à qui il est demandé de statuer sur des mesures sollicitées en application des articles 872 et 873 du code de procédure civile, qui ne tranche pas le fond du litige et dont la décision présente un caractère provisoire. Il en résulte que l’absence de rupture du contrat de travail au moment où les actes de téléchargement ont été commis par le salarié et le fait que la société Mycom n’existait pas encore à cette date sont sans incidence sur la compétence de la juridiction commerciale.

L’ordonnance entreprise sera infirmée de ce chef et le tribunal de commerce d’Angers sera déclaré compétent.

Sur l’évocation du litige

Bien que les parties ne demandent pas expressément à la cour d’user de la faculté d’évocation qui lui est reconnue par l’article 88 du code de procédure civile, elles ont, chacune, conclu sur les demandes, soit principalement, s’agissant des appelantes pour obtenir le prononcé de mesures au titre des articles 872 et 873 du code de procédure civile, soit subsidiairement, s’agissant de l’intimée, pour demander à la cour de constater que les conditions prévues à ces textes ne sont pas remplies, en contestant en premier lieu tout acte de concurrence déloyale.

Il est de bonne justice d’évoquer le fond et de statuer sur le litige.

Sur les mesures sollicitées contre la société Mycom

Les appelantes invoquent une jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle le seul fait pour une société créée par un ancien salarié de détenir des informations confidentielles relatives à la société qui employait précédemment ce salarié et obtenues par celui-ci pendant l’exécution de son contrat de travail constitue un acte de concurrence déloyale.

Elles estiment que la mesure requise d’interdiction de commercer avec tous leurs anciens clients est proportionnée à l’objectif légitime qu’elles poursuivent.

La société Mycom oppose aux prétentions adverses le principe de la liberté d’entreprise et la liberté du commerce autorisant une entreprise à concurrencer une autre.

Elle prétend que les seuls griefs qui sont invoqués visent M. [N].

Elle soutient que les conditions d’application des articles 872 et 873 du code de procédure civile ne sont pas réunies en l’absence d’urgence, de dommage imminent ou de trouble manifestement illicite, en faisant valoir que le téléchargement a été réalisé il y a plus d’un an et deux mois, qu’il n’a pas été opéré par M. [N] dans le but de capter la clientèle de son ancien employeur et qu’il ne serait démontré aucun acte de concurrence déloyale en l’absence de preuve de l’utilisation déloyale du fichier dans la mesure où le seul contrat qui a été conclu par la société Mycom avec un ancien client de la société Corporate distribution diversity ne l’a été que parce qu’elle lui a présenté une offre plus avantageuse.

Mais le seul fait, pour une société dirigée par l’ancien salarié d’un concurrent, de détenir des informations confidentielles relatives à l’activité de ce dernier et obtenues par ce salarié pendant l’exécution de son contrat de travail, est susceptible de constituer un acte de concurrence déloyale.

En effet, si en vertu du principe de la liberté du commerce et de l’industrie, le démarchage de la clientèle d’autrui, même par un ancien salarié de celui-ci, est libre et n’est donc pas fautif, c’est à la condition que ce démarchage ne s’accompagne pas de manoeuvres ou procédés déloyaux. Or, le fait de s’approprier tous les devis établis par un concurrent, sur lesquels sont renseignés les noms des clients et les prix pratiqués, et qui renferment ainsi des données confidentielles, pour démarcher sa clientèle, est susceptible de constituer un procédé déloyal de nature à engager la responsabilité de son auteur sur le fondement de l’article 1382, devenu l’article 1240, du code civil, sans même qu’il soit nécessaire de démontrer que ces documents ont été effectivement utilisés dès lors que la détention de ces informations est avérée.

Et, lorsque le salarié ayant détourné les informations confidentielles est l’un des dirigeants de la société concurrente, celle-ci est nécessairement en possession de ces informations.

Dans le cas présent, M. [N] a reconnu devant l’huissier de justice mandaté par la société Corporate distribution diversity avoir téléchargé tous les devis de cette société avant d’avoir quitté la société. En outre, la société Corporate distribution diversity apporte la preuve que la société Mycom a conclu un contrat avec un de ses anciens clients.

Selon le 1er alinéa de l’article 873 du code de procédure civile, le président peut, dans les limites de la compétence du tribunal, et même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

En l’espèce, l’appropriation par la société Mycom des données confidentielles de la société Corporate distribution diversity cause à celle-ci un trouble manifestement illicite tenant à la concurrence déloyale à laquelle elle est exposée par l’utilisation de ses données confidentielles en possession de la société concurrente et qui renseigne celle-ci tant sur l’identité de tous ses clients que sur ses pratiques tarifaires, ce qui lui permet de capter une partie de la clientèle en offrant des prix moins élevés.

Il convient de faire cesser ce trouble manifestement illicite en interdisant à la société Mycom de démarcher les clients de la société Corporate distribution diversity dont les coordonnées figurent dans la liste des devis téléchargés.

Cette interdiction doit être limitée aux clients de la société Corporate distribution diversity.

En effet, s’il est acquis aux débats que M. [N] a pris possession de tous les devis établis jusqu’au 30 juin 2022 au nom de la société Corporate distribution diversity, pour autant, toutes les personnes à qui des devis ont été adressés par la société Corporate distribution diversity ne sont pas des clients de celle-ci si elles n’ont pas conclu de contrat avec elle.

Par ailleurs, il n’est pas démontré que les devis téléchargés par les salariés comprenaient des devis établis par la société Price Telecom.com.

L’interdiction temporaire de démarcher ne doit donc porter que sur les clients de la société Corporate distribution diversity, c’est-à-dire ceux qui ont conclu un contrat avec elle. La société Corporate distribution diversity devra en établir la liste et la porter à la connaissance de la société Mycom pour que cette interdiction soit effective.

S’agissant de mesures conservatoires, cette interdiction sera limitée à deux ans.

L’interdiction sera assortie d’une astreinte provisoire de 10 000 euros par non-respect constaté.

Il n’y a pas lieu de se réserver la liquidation de l’astreinte.

Sur les autres demandes

Compte tenu de la solution donnée au litige, la demande de dommages et intérêts de la société Mycom pour action abusive des parties adverses est rejetée

La société Mycom, partie perdante, est condamnée aux dépens de première instance et d’appel et à payer à la société Corporate distribution diversity la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Les demandes des sociétés Price Telecom.com.et Mycom au même titre sont rejetées.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant contradictoirement, par arrêt mis à disposition au greffe,

Infirme l’ordonnance entreprise sauf en ce qu’elle a rejeté la demande de la société Mycom en dommages et intérêts pour procédure abusive.

Statuant à nouveau sur les autres chefs,

Déclare compétent le tribunal de commerce d’Angers.

Evoquant le litige,

Fait interdiction à la société Mycom, pendant deux ans, de prendre attache commercialement avec l’ensemble des clients avec laquelle la société Corporate distribution diversity avait conclu un contrat à la suite de devis établis jusqu’au 30 juin 2022 et ce, sous peine de devoir payer une astreinte provisoire de 10 000 euros par non-respect constaté,

Dit que cette interdiction prendra effet dès que la société Corporate distribution diversity aura transmis à la société Mycom la liste des clients concernés.

Dit n’y avoir lieu à se réserver le droit de liquider l’astreinte.

Condamne la société Mycom aux dépens de première instance et d’appel qui seront recouvrés selon les dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Condamne la société Mycom à payer aux sociétés Corporate distribution diversity la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Rejette les autres demandes.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,

S. TAILLEBOIS C. CORBEL

 

 

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