MOTIFS
Sur l’application de l’article L. 442-1 du code de commerce.
L’appelant rappelle avoir formulé une demande reconventionnelle au titre des actes de concurrence déloyale, qui doit être considérée comme une demande incidente. Cependant, la demande se rapportant à la rupture brutale des négociations avancées est engagée sur le fondement de l’article L. 421 du code de commerce et, celle inhérente à la conservation des documents comptables appartenant à la SARL Reunionbali et la commission d’actes de concurrence déloyale est recherchée sur le fondement de la responsabilité civile extracontractuelle. L’intimé ne fait que conclure au rejet de toutes les demandes, fins et conclusions de l’appelant, sans développer aucun moyen.
Sur ce,
L’article L. 442-4-III du code de commerce
L’article L. 442-4-III du code de commerce prévoit que les litiges relatifs à l’application des articles L. 442-1, L. 442-2, L. 442-3, L. 442-7 et L. 442-8 sont attribués aux juridictions dont le siège et le ressort sont fixés par décret. L’inobservation de ces textes est sanctionnée par une fin de non-recevoir, susceptible d’être relevée d’office. En l’espèce, l’appelant souhaite engager la responsabilité de l’intimé sur le fondement du code civil et du code de commerce. Il convient donc de répondre à l’application de ces textes de manière combinée à l’article D. 442-3 précité.
Pour la rupture brutale des négociations avancées
L’appelant fonde son action sur l’article L. 421 du code de commerce. Toutefois, la chambre commerciale de la Cour de cassation évoque l’existence d’un pouvoir juridictionnel des juridictions judiciaires spécialisées. Cette demande sera donc jugée irrecevable.
Pour la conservation des documents comptables et la commission d’acte de concurrence déloyale
La cour est compétente pour statuer sur les demandes relatives à la conservation des documents comptables appartenant à l’appelant et la commission d’actes de concurrence déloyale. La décision des juges de première instance sera confirmée de ce chef.
Sur les commissions des mois de juillet et août 2020
La décision des juges de première instance sera confirmée de ce chef.
Sur la demande en remboursement de la somme de 9.400 euros et la demande de remboursement des frais d’hébergement et de formation
La décision des juges de première instance sera confirmée de ce chef.
Sur les demandes relatives à l’existence d’un préjudice moral
L’existence d’une concurrence déloyale n’est pas établie, la décision des premiers juges sera donc confirmée.
Sur la demande d’indemnisation de l’intimé
La décision des premiers juges sera confirmée de ce chef.
Sur la procédure abusive
Aucune circonstance particulière n’est démontrée permettant de retenir une indemnisation pour un préjudice non établi.
Sur les mesures accessoires
L’appelant sera condamné à payer à l’intimé la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
* * *
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°23/
FA
R.G : N° RG 21/00320 – N° Portalis DBWB-V-B7F-FQG7
S.A.R.L. REUNIONBALI.COM
C/
[D]
RG 1ERE INSTANCE : 2020/03687
COUR D’APPEL DE SAINT – DENIS
ARRÊT DU 15 SEPTEMBRE 2023
Chambre commerciale
Appel d’une décision rendue par le TRIBUNAL MIXTE DE COMMERCE DE SAINT PIERRE en date du 08 FEVRIER 2021 RG n° 2020/03687 suivant déclaration d’appel en date du 19 FEVRIER 2021
APPELANTE :
S.A.R.L. REUNIONBALI.COM
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentant : Me Aude CAZAL de la SELARL CAZAL – SAINT-BERTIN, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-PIERRE-DE-LA-REUNION
INTIMEE :
Madame [E] [D]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Me Iqbal AKHOUN de la SELARL IAVOCATS & PARTNERS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION
CLOTURE LE : 20/03/2023
DÉBATS : En application des dispositions de l’article 785 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 14 Juin 2023 devant la cour composée de :
Président : Monsieur Patrick CHEVRIER, Président de chambre
Conseiller : Madame Sophie PIEDAGNEL, Conseillère
Conseiller : Monsieur Franck ALZINGRE, Conseiller
Qui en ont délibéré après avoir entendu les avocats en leurs plaidoiries.
A l’issue des débats, le président a indiqué que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition le 15 Septembre 2023.
Greffiere lors des débats et de la mise à disposition : Madame Nathalie BEBEAU, Greffière.
ARRÊT : prononcé publiquement par sa mise à disposition des parties le 15 Septembre 2023.
* * *
LA COUR
Mme [E] [N] [D], exerçant à l’enseigne Génésis, a travaillé de manière indépendante pour la SARL Réunionbali.com, qui commercialise des meubles et objets importés de Bali.
Une promesse de cession de parts sociales pour un montant de 50.000 euros a été signée entre les parties le 23 juin 2020, laquelle devait être transformée en août 2020 en une vente du fonds de commerce.
En prévision de la réalisation de ce projet, Mme [D] a financé pour un montant de 9.400 euros l’achat de meubles en provenance de Bali qui ont été mis en vente au show-room de la société Réunionbali.com.
En janvier 2020, Mme [D] et l’un des gérants de la SARL Réunionbali.com se sont rendus à Bali afin de permettre à Mme [D] de se former et de rencontrer les fournisseurs de la société dont elle envisageait d’acquérir les parts sociales.
Se plaignant du non-respect de l’accord de cession de parts, par acte en date du 29 septembre 2020, Mme [D], exerçant à l’enseigne Génésis, a assigné la SARL Réunionbali.com devant le tribunal mixte de commerce de Saint-Pierre de la Réunion aux fins d’obtenir le remboursement de la somme de 9.400 euros au titre de l’avance pour l’achat de meubles, le paiement des sommes de 252,07 euros et 2.077,07 euros au titre de commissions pour les mois de juillet et août 2020, 1.000 euros au titre de son préjudice moral, 600 euros pour le remboursement de ses frais de conseil, 468 euros pour le remboursement des frais engagés au titre de la consultation de l’expert-comptable et de 1.500 euros au titre des frais d’avocat.
La société Réunionbali.com a conclu au débouté des prétentions de Mme [D] et sollicité à titre reconventionnel le paiement des sommes de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts et 3.000 euros au titre des frais irrépétibles, outre la condamnation de la défenderesse à une amende civile de 3.000 euros.
C’est dans ces conditions que, par jugement rendu le 8 février 2021, le tribunal mixte de commerce de Saint Denis de la Réunion a statué en ces termes :
-CONDAMNE la SARL Réunionbali.com à payer à Mme [D] :
. Une somme de 3.797,50 euros au titre du remboursement de l’avance pour l’achat des meubles
. Une somme de 2.329, 14 euros au titre des commissions de juillet et août 2020
-DÉBOUTÉ les parties du surplus de leurs demandes
-CONDAMNÉ la SARL Réunionbali.com à payer à Mme [D] une somme de 900 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile
-CONDAMNÉ la SARL Réunionbali.com aux entiers dépens de la présente instance, y compris les frais de greffe taxés et liquidés à hauteur de 66,22 euros
-RAPPELÉ que la présente décision est de droit assortie de l’exécution provisoire en toutes ses dispositions.
* * *
Par déclaration au greffe en date du 19 février 2021, la société Réunionbali.com a interjeté appel de cette décision.
L’affaire a été orientée sur le circuit de la mise en état, par ordonnance du 8 mars 2021.
L’appelant a notifié par voie électronique ses premières conclusions, le 11 mai 2021. Par exploit d’huissier en date du 12 mai 2021, ce dernier a signifié la déclaration d’appel et ses conclusions.
L’intimé a ensuite constitué avocat, notifié par RPVA le 14 juin 2021. Il a notifié ses premières conclusions, selon les mêmes formes en date du 23 juillet 2021.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 31 janvier 2022 et, par arrêt avant-dire droit, la cour de céans a :
-RÉVOQUÉ l’ordonnance de clôture,
-ORDONNÉ la réouverture des débats,
-SOLLICITÉ les observations des parties sur la recevabilité du moyen et des demandes formulées en cause d’appel sur les dispositions de l’article L. 442-6 devenu L. 442-1 du code de commerce au regard des dispositions de l’article D. 442-3 du même code et ce, avant le 30 janvier 2023, sous peine de radiation,
-RENVOYÉ à l’audience de mise en état du 20 février 2023,
-RÉSERVÉ les dépens.
L’ordonnance de clôture est datée du 20 mars 2023.
PRÉTENTIONS ET MOYENS
Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 14 février 2023, la société Réunionbali.com demande à la cour de :
-INFIRMER le jugement rendu le 8 février 2021 par le tribunal mixte de commerce de Saint-Pierre en ce qu’il a condamné la SARL Réunionbali.com à payer à Mme [D] les sommes de :
3.797,50 euros au titre du remboursement de l’avance pour l’achat des meubles (le container);
2.329,14 euros au titre des commissions de juillet et août 2020
900 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile
Et aux entiers dépens dont frais de greffe à hauteur de 66,22 euros,
-INFIRMER le jugement le jugement rendu le 8 février 2021 par le tribunal mixte de commerce de Saint-Pierre en ce qu’il a débouté la SARL Réunionbali.com de ses demandes au titre de la réparation de son préjudice et de la procédure abusive,
En conséquence,
-DIRE ET JUGER que la SARL Réunionbali.com n’est redevable à l’égard de Mme [D] que de la somme de 5.602,50 euros,
-CONSTATER le versement de cette somme par la SARL Réunionbali.com à Mme [D] par virement bancaire en date du 5 octobre 2020,
-CONSTATER l’impossibilité de la SARL Réunionbali.com de verser à Mme [D] ses commissions des mois de juillet et août 2020 en l’absence des facturiers et bons de commande pour les périodes concernées,
-ENJOINDRE Mme [D] à restituer à la SARL Réunionbali.com les facturiers et bons de commandes des mois de juillet et août 2020 sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la signification de l’arrêt à venir
-ENJOINDRE Mme [D] à restituer à la SARL Réunionbali.com les noms et coordonnées des clients ayant conclu des ventes avec la société en juillet et août 2020 sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la signification de l’arrêt à venir
-DIRE ET JUGER que Mme [D] s’est rendue coupable d’agissements fautifs en ce qu’elle a brutalement rompu des négociations avancées, indûment conservé des documents comptables appartenant à la SARL Réunionbali.com et exercé des actes de concurrence déloyale au détriment de cette dernière,
-DIRE ET JUGER que les agissements fautifs de Mme [E] [D] ont causé un préjudice direct et certain à la SARL Reunionbali,
En conséquence :
-CONDAMNER Mme [E] [D] à verser à la SARL Reunionbali la somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts,
-DIRE ET JUGER que l’action introduite par Mme [E] [D] est abusive ;
En conséquence :
-CONDAMNER Mme [E] [D] à une amende civile de 3 000 euros,
En tout état de cause :
-DÉBOUTER Mme [E] [D] de l’ensemble de ses demandes,
-CONDAMNER Mme [E] [D] à verser à la SARL Reunionbali la somme de 4.000 euros au titre des frais irrépétibles non compris dans les dépens,
-CONDAMNER Mme [E] [D] aux entiers frais et dépens, dont distraction au profit de la ROTSELAAR CAZAL – SAINT-BERTIN pour ceux dont elle aura fait l’avance,
Pour le surplus,
-CONFIRMER la décision attaquée en toutes ses autres dispositions.
* * *
En réplique, dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 30 janvier 2023, Mme [D] demande à la cour de :
-DIRE l’appel recevable mais mal fondé,
-CONFIRMER le jugement ce qu’il a :
Condamné la SARL Réunionbali.com à payer à Mme [D] :
*Une somme de 3.797,50 euros au titre du remboursement de l’avance pour l’achat des meubles,
*Une somme de 2.329,14 euros au titre des commissions de juillet et août 2020,
Condamné la SARL Réunionbali.com à payer à Mme [D] une somme de 900 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamné la SARL Réunionbali.com aux entiers dépens de la présente instance, y compris les frais de greffe taxés et liquidés à hauteur de 66,22 euros,
-INFIRMER le jugement en ce qu’il a :
Débouté les parties du surplus de leurs demandes
STATUANT À NOUVEAU,
-DÉBOUTER la société Réunionbali.com de toutes ses demandes, fins et conclusions,
-DIRE notamment que le grief de concurrence déloyale n’est pas caractérisé,
-CONDAMNER la société Réunionbali.com à payer à Mme [D] la somme de 5.000 euros à titre de dommage intérêts, au titre du préjudice moral,
-CONDAMNER la société Réunionbali.com à payer à Mme [D] la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
-DÉBOUTER l’appelante de l’ensemble de ses demandes fins et prétentions qui sont contestées dans le principe et dans le quantum, toute sur les demandes principales, que sur les demandes accessoires.
* * *
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est fait expressément référence aux conclusions des parties, visées ci-dessus, pour l’exposé de leurs prétentions et moyens.
MOTIFS
Sur l’application de l’article L. 442-1 du code de commerce.
L’appelant rappelle avoir formulé une demande reconventionnelle au titre des actes de concurrence déloyale, qui doit être considérée comme une demande incidente. À ce titre, par application de l’article 51 du code de procédure civile en son alinéa second et de l’article 333 du même code, il est rappelé que les autres juridictions que le tribunal judiciaire peuvent connaître des demandes incidentes qui n’entreraient pas dans leur compétence territoriale initiale.
Cependant, la demande se rapportant à la rupture brutale des négociations avancées est engagée sur le fondement de l’article L. 421 du code de commerce et, celle inhérente à la conservation des documents comptables appartenant à la SARL Reunionbali et la commission d’actes de concurrence déloyale est recherchée sur le fondement de la responsabilité civile extracontractuelle, au visa de l’article 1240 du code civil, étant rappelé qu’il existe un préjudice moral résultant d’un acte de concurrence déloyale.
L’intimé ne fait que conclure au rejet de toutes les demandes, fins et conclusions de l’appelant, sans développer aucun moyen.
Sur ce,
L’article L. 442-4-III du code de commerce, dans sa version en vigueur depuis le 26 avril 2019, prévoit que les litiges relatifs à l’application des articles L. 442-1, L. 442-2, L. 442-3, L. 442-7 et L. 442-8 sont attribués aux juridictions dont le siège et le ressort sont fixés par décret, l’article D. 442-3 du code de commerce établissant la liste de ces juridictions, la cour d’appel de Paris étant seule compétente pour connaître des jugements ayant statué en application de l’article L. 442-4.
L’article D. 442-3 précité prévoit en effet : « Pour l’application du III de l’article L. 442-4, le siège et le ressort des juridictions commerciales compétentes en métropole et dans les départements d’outre-mer sont fixés conformément au tableau de l’annexe 4-2-1 du présent livre. La cour d’appel compétente pour connaître des décisions rendues par ces juridictions est celle de Paris. »
L’inobservation de ces textes est sanctionnée par une fin de non-recevoir, susceptible d’être relevée d’office, cette règle étant d’ordre public.
En l’espèce, dans ses dernières conclusions, et en réponse à l’interrogation de la cour via son arrêt avant-dire droit, l’appelant dit vouloir engager la responsabilité de l’intimé sur le fondement du code civil et du code de commerce en raison de la rupture brutale de négociations avancées, de la conservation des documents comptables appartenant à la SARL Reunionbali, de la commission d’actes de concurrence déloyale au détriment de cette dernière.
Il convient donc de répondre à l’application de ces textes de manière combinée à l’article D. 442-3 précité.
Pour la rupture brutale des négociations avancées
L’appelant fonde son action sur l’article L. 421 du code de commerce, lequel dispose que : « II ‘ Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé par le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l’absence d’un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels ». Il estime que cette action ne tombe pas sous le coup d’une fin de non-recevoir en ce qu’elle constitue une demande incidente (cf supra).
Pour asseoir sa démonstration, l’appelant opère une distinction entre la compétence d’attribution et la compétence territoriale, considérant que cette dernière sous-tend les dispositions de l’article D. 442-3 du code de commerce.
Toutefois, depuis un arrêt Cinésogar du 10 juillet 2018 (n° 17-16.365), la chambre commerciale de la Cour de cassation évoque l’existence d’un pouvoir juridictionnel des juridictions judiciaires spécialisées.
Ainsi, au visa de l’article 125 du code de procédure civile et des articles L. 420-7 et R. 420-3 du code de commerce, il a été jugé que : « Attendu qu’il résulte de la combinaison de ces textes que les actions en réparation des préjudices nés de pratiques anticoncurrentielles sont portées devant les juridictions spécialisées désignées à l’article R. 420-3 du code de commerce et que seule la cour d’appel de Paris est investie du pouvoir juridictionnel de statuer sur l’appel formé contre les décisions rendues par ces juridictions ; que l’inobservation de ces règles d’ordre public est sanctionnée par une fin de non-recevoir ».
Il en résulte tout d’abord que les juridictions qui ne sont pas désignées par les textes régissant la spécialisation sont dépourvues de pouvoir juridictionnel et, ensuite, que ce défaut de pouvoir juridictionnel est sanctionné par une fin de non-recevoir d’ordre public qui doit donc être relevée d’office.
Dès lors, si les textes qui régissent la spécialisation évoquent la « compétence » des juridictions spécialisées – ce qui logiquement peut orienter les plaideurs sur la « thèse » de l’incompétence, sanctionnée par une exception d’incompétence ‘ il est avant tout question d’un défaut pouvoir juridictionnel en vertu duquel le raisonnement fondé sur l’article 51 du code de procédure civile, proposé par l’appelant ne peut prospérer. Ce raisonnement s’appuie en effet sur une exception de procédure.
Cette demande sera donc jugée irrecevable.
Pour la conservation des documents comptables et la commission d’acte de concurrence déloyale
La procédure de première instance, telle qu’elle est versée au dossier par l’intimé, n’est manifestement pas fondée que sur les dispositions visées par l’article L. 442-4-III. C’est d’ailleurs en ce même sens que les juges de première instance ont statué en décidant, à propos de la concurrence déloyale et des dommages-intérêts réclamés à titre reconventionnel par la société Réunionbali, qu’il « n’est nullement démontré l’existence d’un préjudice moral de la société du fait des agissements de Mme [D]. La demande à ce titre sera rejetée ».
En outre, l’appelant précise bien que, du point de vue de ces deux demandes, la responsabilité de l’intimé est engagée sur le fondement de la responsabilité civile extracontractuelle, au visa de l’article 1240 du code civil.
Étant souligné que si les parties sont libres de choisir le fondement juridique de leur action – et même de le modifier en cours d’instance – et qu’il appartient au juge en vertu de l’article 12 du code de procédure civile d’appliquer au litige les règles de droit qui lui sont effectivement applicables (en particulier s’il s’agit de règles impératives) sans être tenu pour autant par les qualifications ou les fondements juridiques invoqués par les parties, force est de constater que le fondement civil proposé par l’appelant permet d’appréhender la situation juridique soumise à l’appréciation de la cour.
Dès lors, s’agissant d’une demande indemnitaire fondée sur une action en responsabilité extracontractuelle, la présente juridiction a été saisie régulièrement et est compétente pour statuer sur les demandes relatives à la conservation des documents comptables appartenant à l’appelant et la commission d’actes de concurrence déloyale.
Sur les commissions des mois de juillet et août 2020
L’appelant conteste que l’intimé ait pu ‘uvrer à hauteur de 20 % du chiffre d’affaires de la SARL Reunionbali. Pour convaincre, il rappelle qu’en l’absence de factures et de bons de commande sur ces deux mois, il lui est impossible d’identifier le montant exact et réel des ventes réalisées et des commissions de l’intimé. Aussi, il considère que l’intimé n’étaye ses allégations par aucune pièce probante et ne satisfait donc pas aux exigences posées par l’article 1353 du code civil. Quant aux pièces produites par l’intimé, elles sont le fruit de sa propre création de sorte qu’elles devront être écartées des débats. L’appelant ajoute qu’au regard du tableau dressé par son expert-comptable le chiffre d’affaires du mois de janvier 2020 a été réalisé en grande partie par Mme [O], associée de la SARL Reunionbali et, qu’en tout état de cause, les bilans produits concernant les 5 dernières années démontrent que la société a eu un résultat net constant et que l’intimé n’a ni apporté trois containers supplémentaires par mois, ni même réalisé un chiffre d’affaires de 25.000 euros mensuels.
L’intimé se réfère à la motivation du jugement tout en précisant que la condamnation prononcée est parfaitement justifiée en ce que la saisie informatique du cahier des ventes d’octobre 2019 à août 2020 confirme le détail des ventes. Ainsi, les commissions dues ont bien été appliquées sur la base des ventes réalisées, sans compter que la partie adverse a reconnu dans un courrier du 19 octobre 2020 le principe et le montant de ces deux factures ou encore que l’activité de Mme [O] n’a été qu’occasionnelle. Quoi qu’il en soit, les développements sur le chiffre d’affaires réalisé, le bilan sur cinq années et le nombre de containers livrés par an sont étrangers aux débats.
Sur ce,
L’article 1353 du code civil dispose que : « Celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation. »
Aux termes des pièces de procédure, en particulier la lettre envoyée à l’avocat de l’intimé par celui de l’appelant en date du 11 septembre 2020, il est établi que l’intimé s’était porté acquéreur d’abord de parts sociales de la SARL Reunionbali, pour un montant initial de 50.000 euros. Le paiement devant intervenir fin 2019 ou, au plus tard, au début de l’année 2020. Par ailleurs, l’intimé, en tant qu’agent commercial indépendant, a été sollicité pour utiliser le showroom de la société dans le but de se familiariser avec le fonctionnement de la structure, ce pour quoi elle a perçu une rémunération.
En juillet 2020, l’intimé a décidé de ne se porter acquéreur que du fonds de commerce, l’appelant réclamait alors la somme de 63.500 euros en raison de frais supplémentaires générés par ce changement de position. Au final, fin août 2020, l’intimé a décidé de ne donner aucune suite au projet de rachat.
Dans ce même courrier, l’appelant admet que la rémunération due à l’intimé correspondait à une somme égale à 20 % du chiffre d’affaires H.T, sans compter que pour les autres mois que juillet et août 2020 aucune contestation n’est portée par l’une ou l’autre des parties, ce qui permet d’en déduire que le mode de calcul n’est pas à remettre en question et que seule la preuve de la prestation de l’intimé est en débat.
À l’appui de sa demande, l’intimé produit deux factures de commission pour les deux mois querellés ainsi qu’un récapitulatif des ventes durant la période d’octobre 2019 à août 2020. Ce récapitulatif, présenté sous forme de tableau reprend les sommes suivantes :
MOIS
CA HT
Rémunération 20% du CA
OCT 2019
5.975,12 euros
1.195,02 euros
NOV 2019
7.264,52 euros
1.452,90 euros
DEC 2019
4.659,68 euros
1.014,88 euros
JANV 2020
8.267,28 euros
1.653,46 euros
FEV 2020
7.299,45 euros
1.459,89 euros
MAR 2020
1.908,29 euros
381,66 euros
AVR 2020
8.349,31 euros
1.669,86 euros
MA 2020
10.035,94 euros
2.007,19 euros
JUI 2020
3.700,46 euros
740,02 euros
JUIL 2020
1260,37 euros
252,07 euros
AOU 2020
10.389,86 euros
2.077,97 euros
S’il est vrai que ces éléments, en ce compris les factures, ne sont pas en eux-mêmes des moyens de preuve suffisants puisqu’ils émanent de la main de l’intimé, il n’en reste pas moins que lorsqu’ils sont confrontés à la saisie informatique du cahier des ventes émanant de l’appelant lui-même, ils correspondent en tous points. En effet, cette saisie informatique permet de vérifier que les chiffres repris mensuellement par l’appelant, pour les mois d’octobre 2019 à août 2020, sont strictement identiques.
Aussi, l’appelant ne peut pas a posteriori, notamment au moyen de témoignage sur la présence d’une autre personne ou encore en se référant au chiffre d’affaires des cinq dernières années, remettre en question ce qu’il a en son temps entériné lui-même, sans compter que le travail effectué par Mme [O] en janvier 2020 n’a aucune incidence sur le travail de l’intimé, en juillet et août 2020.
En conséquence, la décision des juges de première instance sera confirmée de ce chef.
Sur la demande en remboursement de la somme de 9.400 euros et la demande de remboursement des frais d’hébergement et de formation
L’appelant rappelle que, pour favoriser la reprise de la structure, un voyage en Indonésie a été financé à l’intimé pour un coût de l’ordre de 3.797,50 euros. L’idée étant que l’acheteur puisse rencontrer les fournisseurs et se familiariser avec le fonctionnement de la logistique, les achats et les transitaires. Une somme de 5.602,50 euros a déjà été payée par virement du 5 octobre 2020, déduction faite des 3.797,50 précités. L’appelant fait ensuite observer que la facture produite par l’intimé correspond à son voyage et son séjour à l’île Maurice lorsqu’elle est revenue de Bali.
L’intimé rétorque que chaque partie a pris en charge ses frais de voyage et d’hôtel.
Sur ce,
Vu l’article 1353 du code civil précité,
La cour observe en premier lieu que l’appelant conclut : « La SARL Reunionbali ne conteste pas que Mme [D] a avancé les fonds à hauteur de 9.400 euros pour l’achat d’un container de meubles en novembre 2019 ». L’intimé produit une liste de mails échangés avec l’expert-comptable en charge du dossier, attestant que cette somme versée correspond à un acompte sur la vente projetée.
En second lieu, il est produit aux débats une promesse de cession de parts sociales puis une promesse de cession du fonds de commerce. L’un comme l’autre de ces documents n’a été signé et ne peut donc avoir valeur contractuelle.
En revanche, ils peuvent renseigner sur l’intention des parties. Or, force est de constater que ces deux documents ne comportent aucune mention se rapportant à la prise en charge de frais occasionnés par la préparation de la cession. Dans le deuxième projet, il est indiqué au titre des « charges et conditions » que le promettant (l’appelant en l’occurrence) aura la charge de « régler toutes dépenses, charges et débours nés de l’exploitation du fonds cédé jusqu’au jour de l’entrée en jouissance du cessionnaire » ; quant au premier projet, il se contente de préciser : « Un apport de 9.400 euros a été versé par Mme [D] [E] sur le compte bancaire crédit agricole de Réunionbali.com. Cette somme sera déductible du montant total de la vente une fois celle-ci payée par Réunionbali (…) ».
En troisième lieu, ce n’est que dans le courrier du 11 septembre 2020 qu’il est évoqué par l’appelant l’hypothèse d’une avance sur frais.
De l’ensemble, comme en ont conclu les premiers juges, il s’en déduit que la demande de remboursement de 3.797,50 euros n’est pas justifiée et qu’il n’y a pas lieu de déduire cette somme des 9.400 euros que l’appelant reconnaît devoir.
Dans la mesure où l’appelant a déjà payé 5.602,50 euros, la décision de condamnation des premiers juges doit être confirmée.
Sur les demandes relatives à l’existence d’un préjudice moral
Pour fonder sa demande, l’appelant développe trois points :
-sur la volonté de Mme [D] de racheter les parts sociales de la SARL Reunionbali ;
-sur la rétention illégale de documents comptables appartenant à la SARL Reunionbali de la part de Mme [D] ;
-sur la concurrence déloyale des activités de Mme [D] au détriment de la SARL Reunionbali.
Il ne sera abordé que les deux derniers points puisqu’il a déjà été tranché, au chapitre de la recevabilité, la question de la rupture brutale des pourparlers qui se rattache très clairement au premier point. L’appelant ne peut pas soutenir l’hypothèse d’un préjudice distinct au regard de l’adage « specialia generalibus derogant » aux termes duquel lorsque deux cadres juridiques peuvent s’appliquer à une situation, l’un spécifique et l’autre général, c’est le cadre spécifique qui doit être appliqué.
Par ailleurs, après avoir souligné que l’appelant ne rapporte pas la preuve d’aucun fait précis et circonstancié de nature à démontrer le caractère fautif du comportement de l’intimé, ce dernier formule une demande d’indemnisation de son préjudice moral, en raison des frais et désagréments (frais d’avocat, frais expert-comptable et désagréments divers). De ce chef, l’intimé conclut donc à l’infirmation du jugement.
Sur la rétention des documents comptables appartenant à la société Reunionbali
L’appelant explique que l’intimé a conservé les facturiers dont elle a disposé lors de sa participation au showroom en juillet et août 2020. Cette rétention a entaché l’image de la société auprès de ses clients, cette dernière ne pouvant pas leur répondre de manière précise et détaillée.
L’intimé argue que l’appelant ne peut apporter la preuve que lesdits documents sont en sa possession.
Sur ce,
Vu l’article 1353 du code civil précité,
S’il est effectivement fort probable que l’intimé ait pu disposer des facturiers et des bons de commande à l’occasion de sa participation au showroom de l’entreprise, il ne s’agit que d’une présomption non étayée par d’autres pièces versées aux débats, lesquelles ne renseignent pas sur les conditions d’exercice de l’intimé, en particulier la remise des facturiers. Dès lors, rien ne permet de dire que l’intimé a conservé avec certitude lesdits documents, de sorte que la décision des premiers juges sera confirmée de ce chef.
Sur l’exercice d’une concurrence déloyale
L’appelant fait valoir que l’intimé continue à ce jour de se présenter comme travaillant « chez Reunionbali.com » ainsi qu’en attestent sa page personnelle Facebook, sa page personnelle « REUNIONBALI » sur le site internet Pinterest, exposant en photos des meubles de la société, et l’édition de cartes de visite à son nom sous l’enseigne de la SARL Reunionbali mais avec un logo distinct. De plus, il existe une société dénommée SAS Reunionbali en cours d’immatriculation au RCS de [Localité 3].
L’intimé réfuté toute idée de concurrence déloyale après avoir rappelé qu’il a travaillé pour le compte de la société Reunionbali et au sein de son show-room.
Sur ce,
Pour qu’une concurrence déloyale puisse être caractérisée, il est nécessaire que la deuxième société ayant emprunté le nom de la première s’adresse à la même clientèle et exerce son activité dans la même zone géographique de sorte qu’il existe un risque de confusion pour la clientèle entre les deux sociétés (Cass.com 31 janvier 1977, n° 75-13.984).
Au cas d’espèce, sont produits aux débats :
-l’impression des pages Facebook illustre des meubles de la société Reunionbali.com, avec des références aux horaires d’ouverture des showrooms ; reste que l’ensemble de ces documents comporte des dates s’étalant du 6 janvier 2018 au 16 juin 2019, autrement dit à une période antérieure aux deux projets de cession ;
-l’impression de pages pinterest, au nom de [E] [D], comporte une référence à Réunionbali et présente plusieurs meubles de décoration ; reste que les renseignements comportant ces documents ne permettent pas de déterminer précisément leur date ;
-l’impression d’une carte de visite au nom de [E] [D], avec en en-tête la mention « Réunion Bali ‘ mobilier et décoration sur mesure » et avec la mention du site www.reunionbali.com ; ici encore, aucune date n’est mentionnée ;
-la promesse de vente de fonds de commerce sous conditions suspensives ; ce document fait état d’une reprise de la SARL Reunionbali.com par la SAS Reunionbali ; reste que ce document n’a pas été signé, et pour cause le projet de rachat n’a pas abouti, puis surtout l’appelant n’apporte pas la preuve, notamment avec la production d’un extrait Kbis que la société SAS Reunionbali existe aujourd’hui.
De l’ensemble, il s’en déduit que l’appelant ne rapporte pas la preuve que les éléments soumis à l’appréciation de la cour ont été utilisés en dehors de la période probatoire durant laquelle l’intimé a participé à l’activité de la société en tant qu’agent commercial indépendant.
L’existence d’une concurrence déloyale n’est pas établie, la décision des premiers juges sera donc confirmée.
Sur la demande d’indemnisation de l’intimé
L’intimé considère que l’appelant porte l’entière responsabilité de la rupture des pourparlers. C’est la majoration des prix décidée par l’appelant qui a entraîné la rupture des pourparlers.
L’appelant s’y oppose en exposant qu’aucune preuve n’est rapportée.
Au cas particulier, la cour observe, au vu des mails échangés avec son expert-comptable notamment, que l’intimé a pris seul l’initiative de modifier les conditions initialement prévues, en choisissant de passer d’une cession de parts sociales à une cession du fonds de commerce. En outre, ces mêmes échanges ne permettent pas d’identifier la raison de la rupture des pourparlers, l’intimé n’hésitant pas à interroger son conseil sur le montant des rémunérations du gérant à prévoir.
Dans ces conditions, l’échec de la transaction ne peut être imputé à l’une ou l’autre partie, ce qui ne permet pas d’identifier un quelconque préjudice moral. La décision des premiers juges sera confirmée de ce chef.
Sur la procédure abusive
Aucune circonstance particulière n’est démontrée par la SARL Reunionbali, permettant de retenir que l’action de Mme [E] [D] a dégénéré en abus de droit susceptible de justifier une indemnisation d’un préjudice non établi de surcroît.
Sur les mesures accessoires
Étant rappelé qu’il n’y a pas lieu, au regard de la confirmation de jugement décidée, de remettre en cause la décision sur les frais irrépétibles et les dépens, à hauteur d’appel l’équité commande de condamner l’appelant à payer à l’intimé la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
L’appelant sera également condamné aux entiers dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, en matière commerciale, par mise à disposition au greffe conformément à l’article 451 alinéa 2 du code de procédure civile ;
DÉCLARE irrecevable la demande formulée au titre de la rupture brutale des négociations avancées,
CONFIRME le jugement rendu le 8 février 2021 par le tribunal mixte de commerce de Saint-Pierre,
Y ajoutant,
CONDAMNE la SARL Reunionbali.com à payer à Mme [E] [D] la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la SARL Reunionbali.com aux entiers dépens.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Patrick CHEVRIER, Président de chambre, et par Madame Nathalie BEBEAU, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT