L’Essentiel : La rupture brutale des relations commerciales établies doit être justifiée par un préavis raisonnable, l’absence de ce préavis engageant la responsabilité de l’auteur. La compétence territoriale est régie par le règlement n° 1215/2012, permettant aux parties de désigner une juridiction compétente par accord, sous certaines conditions. La loi applicable aux obligations contractuelles est déterminée par le règlement Rome I, qui autorise le choix de la loi, à condition de ne pas contredire les dispositions impératives du pays d’exécution.
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Résumé de l’affaire : La société de droit irlandais, spécialisée dans la gestion de services internet, a été assignée par une société de droit français, offrant des services de renseignements téléphoniques, suite à la suspension de son compte de publicité en ligne. Cette suspension, notifiée par courriel, a été justifiée par une prétendue violation des stratégies publicitaires de la société irlandaise. En réponse, la société française a engagé une procédure devant le tribunal de commerce de Marseille, réclamant des indemnités pour rupture brutale de relations commerciales, déséquilibre significatif et violation d’un règlement européen.
La société irlandaise a contesté la compétence du tribunal français, invoquant une clause de compétence exclusive en faveur des juridictions anglaises, contenue dans le contrat de publicité. Le tribunal de commerce de Marseille a néanmoins déclaré sa compétence, appliquant la loi française et déboutant la société française de ses demandes, tout en condamnant cette dernière à payer des frais. La société française a interjeté appel, soutenant que le tribunal de Marseille était compétent et que la loi française devait s’appliquer, en raison de la nature de la rupture brutale des relations commerciales. Elle a demandé des indemnités substantielles pour divers préjudices subis. En réponse, la société irlandaise a réitéré sa demande de renvoi devant les juridictions anglaises, arguant que la clause de compétence était valide et opposable. Elle a également contesté les demandes d’indemnisation de la société française, affirmant que la relation commerciale avait été suspendue, et non rompue. La cour d’appel a finalement infirmé le jugement du tribunal de commerce, déclarant les juridictions françaises incompétentes et renvoyant les parties à mieux se pourvoir, tout en condamnant la société française aux dépens. |
![]() Tout litige contractuel contre Microsoft Advertising et notamment en cas de suspension abusive de compte d’annonceur (Bing) doit être porté devant les juridictions d’Angleterre et du Pays de Galles.
La clause d’élection de for, qui s’applique à un différend en lien avec le contrat, ou son application (y compris des différents ou des réclamations on contractuels) ou à l’utilisation de Microsoft Advertising, est rédigée dans des termes suffisamment larges pour englober la rupture brutale ou abusive de la relation commerciale entretenue entre les parties et ayant pour objet le service Microsoft Advertising. La Convention de La Haye régit tout litige concernant le service Bing, qui est objectivement international. La qualification de loi de police de l’article L.442-1 du code de commerce sur lequel est fondé l’action en responsabilité contractuelle, cette qualification relative aux règles de conflit de loi, est sans incidence sur l’opposabilité de la clause attributive de juridiction et ne constitue pas « une injustice manifeste ou serait manifestement contraire à l’ordre public de l’Etat du tribunal saisi » au sens de l’article 6 précité de la convention de la Haye. Il n’est pas non plus établit, en quoi le renvoi devant les juridictions d’Angleterre et du pays de Galles heurterait les normes ou principes fondamentaux français. L’article 3 de la Convention de La Haye consacre un principe de licéité de la clause d’élection de for qui désigne, pour connaître des litiges nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, soit les tribunaux d’un Etat contractant, soit un ou plusieurs tribunaux particuliers d’un Etat contractant, à l’exclusion de la compétence de tout autre tribunal. L’article 25 du règlement n°1215/2012 du 12 décembre 2012 dit Bruxelles I Bis, n’est pas applicable en l’espèce dès lors que la clause d’élection de for n’est pas stipulée au profit d’une juridiction d’un Etat membre de l’Union européenne. En effet, l’action a été introduite le 15 juillet 2021, soit après la fin de la période de transition (31 décembre 2020) prévu par l’accord de retrait conclu entre l’Union européenne et le Royaume-Uni de Grande Bretagne et l’Irlande du Nord (article 67 1.a). En droit international privé français, les clauses prorogeant la compétence internationale sont en principe licites lorsqu’elles sont invoquées dans un litige à caractère international et lorsque la clause ne fait pas échec à la compétence territoriale impérative d’une juridiction française (en ce sens 1re Civ., 17 décembre 1985, pourvoi n° 84-16.338, B I n° 354), mais elles ne sont opposables qu’à la partie qui en a eu connaissance et qui l’a acceptée au moment de la formation du contrat (Com., 10 janvier 1989, pourvoi n° 86-15.847, B IV n° 20). Enfin, les clauses attributives de compétence s’appliquent dans l’ordre international, quand bien même des dispositions impératives constitutives de lois de police seraient applicables au fond du litige (en ce sens 1re Civ., 22 octobre 2008, pourvoi n° 07-15.823, Bull2008, I, n° 233 ; Com., 24 novembre 2015, pourvoi n°14.924, B. 2015, IV, n°161 ; 1re Civ., 18 janvier 2017, pourvoi n° 15-26.105, Bull. 2017, I, n° 16). En outre, la Convention de La Haye du 30 juin 2005, qui lie la France, le Royaume-Uni et l’Irlande depuis le 1er octobre 2015, soit antérieurement à la naissance des relations contractuelles, s’applique dans des situations internationales, aux accords exclusifs d’élection de for conclus en matière civile ou commerciale (article 1er) tel que celui en litige, dispose en son article 3 que : « Aux fins de la présente Convention : a) un « accord exclusif d’élection de for » signifie un accord conclu entre deux ou plusieurs parties, qui est conforme aux exigences prévues au paragraphe c), et qui désigne, pour connaître des litiges nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, soit les tribunaux d’un Etat contractant, soit un ou plusieurs tribunaux particuliers d’un Etat contractant, à l’exclusion de la compétence de tout autre tribunal ; b) un accord d’élection de for qui désigne les tribunaux d’un Etat contractant, ou un ou plusieurs tribunaux particuliers d’un Etat contractant, est réputé exclusif sauf si les parties sont convenues expressément du contraire ; c) un accord exclusif d’élection de for doit être conclu ou documenté : i) par écrit ; ou ii) par tout autre moyen de communication qui rende l’information accessible pour être consultée ultérieurement ; d) un accord exclusif d’élection de for faisant partie d’un contrat est considéré comme un accord distinct des autres clauses du contrat. La validité de l’accord exclusif d’élection de for ne peut être contestée au seul motif que le contrat n’est pas valable ». En application de son article 5§1, le tribunal ou les tribunaux d’un Etat contractant désignés dans un accord exclusif d’élection de for sont compétents pour connaître d’un litige auquel l’accord s’applique, sauf si celui-ci est nul selon le droit de cet Etat. Et l’article 6 « Obligation du tribunal non élu » prévoit que : « Tout tribunal d’un Etat contractant autre que celui du tribunal élu sursoit à statuer ou se dessaisit lorsqu’il est saisi d’un litige auquel un accord exclusif d’élection de for s’applique, sauf si : c) donner effet à l’accord aboutirait à une injustice manifeste ou serait manifestement contraire à l’ordre public de l’Etat du tribunal saisi ». Rupture brutale des relations commerciales établiesLa rupture brutale des relations commerciales établies est régie par l’article L. 442-1 du Code de commerce, qui impose une protection contre les ruptures abusives. Cet article stipule que toute rupture d’une relation commerciale établie doit être justifiée par un préavis raisonnable, et que l’absence de ce préavis peut engager la responsabilité de l’auteur de la rupture. Compétence territoriale et clause attributive de juridictionLa compétence territoriale est régie par le règlement n° 1215/2012 (Bruxelles I bis), notamment son article 25, qui permet aux parties de désigner une juridiction compétente par accord. Toutefois, cette clause ne peut être opposée que si elle respecte les conditions de validité prévues par la Convention de La Haye du 30 juin 2005 sur les accords d’élection de for, qui exige que l’accord soit écrit et que les parties aient eu connaissance de la clause au moment de la formation du contrat. Application de la loi applicableLa loi applicable aux obligations contractuelles est déterminée par le règlement Rome I (règlement (CE) n° 593/2008), qui, en son article 9-1, précise que les parties peuvent choisir la loi applicable à leur contrat, sous réserve que ce choix ne contredise pas les dispositions impératives de la loi du pays où le contrat est exécuté. Incompétence des juridictions françaisesLa décision de la Cour d’appel de déclarer les juridictions françaises incompétentes repose sur l’application de la clause attributive de juridiction contenue dans le contrat Microsoft Advertising, qui désigne les tribunaux d’Angleterre et du Pays de Galles. Cette clause est considérée comme opposable à la société Le 118 918, car elle a continué à utiliser les services après avoir été informée des modifications contractuelles, acceptant ainsi les nouvelles conditions, y compris la clause de compétence. Ordre public et lois de policeL’application de la clause attributive de juridiction ne doit pas être manifestement contraire à l’ordre public, conformément à l’article 6 de la Convention de La Haye. En l’espèce, la qualification de l’article L. 442-1 comme loi de police ne suffit pas à établir que l’application de la clause serait contraire à l’ordre public français, car les clauses attributives de juridiction sont généralement admises même en présence de dispositions impératives. |
Q/R juridiques soulevées :
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AU NOM DU PEUPLE FRAN’AIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 4
ARRÊT DU 12 MARS 2025
(n° , 1 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : 22/03787 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CFJ3X
Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 février 2022 – Tribunal de Commerce de Marseille – RG n° 2021F00954
APPELANTE
S.A.S. LE 118 918, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège
immatriculée au R.C.S. d’Aix-en-Provence sous le numéro 503 839 318
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentée par Me Olivier Bernabe, avocat au barreau de Paris, toque : B0753
Assistée de Me Etienne Feildel de la SELAS Bruzzo Dubucq, avocat au barreau d’Aix-en-Provence
INTIMEE
MICROSOFT IRELAND OPERATIONS LIMITED, société de droit irlandais, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 1]
[Adresse 6]
Représentée par Me François Teytaud de l’AARPI Teytaud-Saleh, avocat au barreau de Paris, toque : 1983
Assistée par Me Renaud Christol de la SCP August Debouzy, avocat au barreau de Paris, toque : P438
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 22 janvier 2025, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Mme Sophie Depelley, conseillère, laquelle a préalablement été entendue en son rapport, et M. Julien Richaud, conseiller.
Mme Sophie Depelley et M. Julien Richaud ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Brigitte Brun-Lallemand, première présidente de chambre,
Mme Sophie Depelley, conseillère
M. Julien Richaud, conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Valérie Jully
ARRET :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Mme Brigitte Brun-Lallemand, première présidente de chambre, et par M. Maxime Martinez, greffier auquel la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire, présent lors de la mise à disposition.
La société de droit Irlandais Microsoft Ireland Operations Limited (ci-après « la société Microsoft ») a pour activité la gestion de services internet, dont les services de publicité en ligne, proposés aux utilisateurs situés en Europe.
La société Le 118 918 est une société de droit français, ayant pour activité le service de renseignements téléphoniques, accessible via un numéro sous forme 118 XYZ. Ce service de renseignements téléphoniques permet aux utilisateurs de téléphone fixe ou mobile d’obtenir les coordonnées de particuliers et de professionnels et d’être mis directement en relation avec le correspondant recherché. Les numéros courts débutant par 118 ont été créés par décision du 27 janvier 2005 n° 05-0061 de l’Autorité de Régulation des télécommunications devenue l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de presse (ci-après, « l’Arcep »), afin d’ouvrir à la concurrence le marché des services de renseignements téléphoniques. Par décision du 1er juillet 2014, l’ARCEP a attribué le numéro 118 918 à la société Le 118 918 pour une durée de 20 ans.
Pour promouvoir son activité, la société Le 118 918 a souscrit un contrat intitulé « Bing Ads » avec la société Microsoft Online Inc. à effet au 13 novembre 2014 pour des services de publicité en ligne qui permet aux annonceurs de promouvoir leur activité par le référencement et l’achat de publicités sponsorisées.
Le 29 avril 2021, la société Le 118 918 a reçu un courriel de « Microsoft Advertising », lui indiquant une suspension du compte Bing n° C00000JSN9 en raison d’une « violation des Stratégies Microsoft Advertising ».
Par acte signifié le 13 juillet 2021, la société Le 118 918 a assigné la société Microsoft Ireland Opérations devant le tribunal de commerce de Marseille pour obtenir le paiement de diverses indemnités au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies, du déséquilibre significatif et de la violation du règlement n° 2019/1150.
Devant le tribunal, la société Microsoft Ireland Opérations a soulevé son incompétence au profit des juridictions en Angleterre ou au Pays de Galles et l’application de la loi anglaise, en se prévalant d’une clause attributive de compétence insérée dans un contrat Microsoft Advertising.
Par jugement du 3 février 2022, le tribunal de commerce de Marseille a :
– S’est déclaré territorialement compétent,
– Déclaré la loi française seule applicable,
– Débouté la société LE 118 918 SAS de toutes ses demandes, fins et conclusions,
– Condamné la société LE 118 918 SAS à payer à la société Microsoft Ireland Operations Limited la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles occasionnés par la présente procédure,
– Conformément aux dispositions de l’article 696 du code de procédure civile, laissé à la charge de la société LE 118 918 les dépens toutes taxes comprises de la présente instance tels qu’énoncés par l’article 695 du code de procédure civile, étant précisé que les droits, taxes et émoluments perçus par le secrétariat-greffe de la présente juridiction seront liquidés à la somme de 70,55 euros TTC.
– Conformément aux dispositions des articles 514 et 515 du code de procédure civile, dit que le présent jugement est de plein droit exécutoire à titre provisoire ;
– Rejeté pour le surplus toutes autres demandes, fins et conclusions contraires aux dispositions du présent jugement.
La société LE 118 918 a interjeté appel de ce jugement par déclaration reçue au greffe de la Cour le 14 février 2022, intimant la société Microsoft Ireland Operations.
Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 9 décembre 2024, la société Le 118 918 demande à la Cour de :
Vu le règlement n°1215/2021 dit « Bruxelles I bis », et notamment son article 25
Vu l’Accord transitoire du 12 novembre 2019 conclu entre l’Union européenne et le Royaume Uni,
Vu la Convention de la Haye sur les accords d’élection de for du 30 juin 2005,
Vu l’article 9-1 du règlement Rome I, Règlement (CE) n° 593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles,
Vu les articles L. 442-1, L. 442-4-III, D. 442-3 et l’annexe 4-2 du Code de commerce,
Vu la jurisprudence précitée,
Vu les pièces versées aux débats,
Sur la compétence :
– Dire et juger que le Tribunal de commerce de Marseille, et la Cour d’appel de Paris à sa suite, sont compétents pour juger du présent litige ;
– Dire et juger que le présent litige est soumis aux dispositions de l’article L.442-1 du Code de commerce par application du règlement Rome I, non seulement en raison du caractère de loi de police du régime de la rupture brutale, mais également en raison du fait que le régime de la rupture brutale institue une responsabilité d’ordre public auquel les parties ne peuvent déroger par accord ;
– Confirmer en conséquence le jugement du 3 février 2022 rendu par le Tribunal de commerce de Marseille en ce qu’il s’est déclaré territorialement compétent pour connaître du présent litige, et reconnu la compétence des juridictions françaises pour connaître du litige, ainsi que l’application au litige de la loi française ;
– Débouter dès lors la société Microsoft Ireland Operations Limited de son appel incident tendant à voir réformer le jugement du 3 février 2022 en ce qu’il s’est déclaré compétent pour connaître du présent litige, et en ce qu’il a reconnu l’application du droit français et notamment l’article L.442-1 du Code de commerce applicable au présent litige,
Sur le fond :
Dire et juger que la société Microsoft Ireland Operations Limited a commis une rupture brutale de relation commerciale établie au préjudice de la société LE 118 918 ;
Infirmer en conséquence le jugement du 3 février 2022 rendu par le Tribunal de commerce de Marseille en toutes ses dispositions portant grief à l’appelante, et notamment en ce qu’il a :
* Débouté la société LE 118 918 de toutes ses demandes, fins et conclusions, notamment de sa demande tendant à voir la société Microsoft Ireland Operations Limited à indemniser le préjudice découlant de la rupture brutale du contrat Bing Ads,
* Condamné la société LE 118 918 à payer la société Microsoft la somme de 5000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
* Laissé à la société LE 118 918 la charge des dépens,
Et statuant à nouveau :
A titre principal :
– Dire et juger que la société Microsoft Ireland Operations Limiteda rompu brutalement sa relation commerciale établie avec LE 118 918, et engage sa responsabilité à son égard ;
– Dire et juger que la société Microsoft Ireland Operations Limiteda rompu abusivement sa relation commerciale établie avec le 118 918, et engage sa responsabilité à son égard ;
– Condamner la société Microsoft Ireland Operations Limited à payer à la société LE 118 918 la somme de 238.780 euros relatif au préjudice subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies, au titre de la perte de marge sur coûts variables ;
– Condamner la société Microsoft Ireland Operations Limited à payer à la société LE 118 918 la somme de 402.880 euros relatif au préjudice subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies, au titre des investissements réalisés en pure perte,
– Condamner la société Microsoft Ireland Operations Limited à payer à la société LE 118 918 la somme de 30.000 euros relatif au préjudice moral subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies,
– Condamner la société Microsoft Ireland Operations Limited à payer à la société LE 118 918 la somme de 1.546.000 euros au titre de la perte définitive de son fonds de commerce,
– Dire que les condamnations porteront intérêts au taux légal avec capitalisation à compter du 29 avril 2021,
A titre subsidiaire, et à défaut de condamnation définitive :
– Condamner la société Microsoft Ireland Operations Limited à payer, à titre provisionnel, à faire valoir sur son préjudice final, à la société LE 118 918 la somme de 102.200,00 euros au titre de la rupture brutale de relation commerciale établie ;
– Condamner la société Microsoft Ireland Operations Limited à payer, à titre provisionnel, à LE 118 918, la somme de 452.000,00 euros au titre du déséquilibre significatif et de la violation du Règlement n° 2019/1150 du 20 juin 2019 ;
– Ordonner la désignation de quelque expert financier que ce soit inscrit sur la liste de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence aux fins de chiffrage du préjudice subi par la société LE 118 918 du fait de la rupture brutale de la relation commerciale établie par la société Microsoft Ireland Operations Limited ;
– Surseoir à statuer dans l’attente du rapport d’expertise financière ;
En toutes hypothèses :
– Débouter la société Microsoft Ireland Operations Limited en l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
– Condamner la société Microsoft Ireland Operations Limited à payer à la société LE 118 918 la somme de 50.000,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamner la société Microsoft Ireland Operations Limited aux entiers dépens de l’instance, y compris les frais d’expertise ;
– Ordonner la publication de l’arrêt à intervenir sur la page d’accueil du site internet https://www.bing.com/’cc=fr et ce aux frais de la société Microsoft Ireland Operations Limited ;
Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 5 décembre 2024, la société Microsoft Ireland Operations demande à la Cour de :
Vu la Convention de la Haye du 30 juin 2005 sur les accords d’élection de for,
Vu le Règlement n°593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles,
Vu le Règlement (UE) 2019/1150 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 promouvant l’équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices de services d’intermédiation en ligne,
Vu les articles 1105 et 1171 du code civil,
Vu les articles L. 442-1, I et L. 442-1, II du code de commerce,
Vu les articles 15, 16, 135 et 700 du code de procédure civile,
Vu les pièces produites et la jurisprudence citée,
In limine litis,
Réformer le jugement du tribunal de commerce de Marseille du 3 février 2022 en ce qu’il s’est déclaré compétent pour connaître du présent litige ;
Par voie de conséquence,
Renvoyer la société LE 118 918 à mieux se pourvoir devant une « High Court of Justice » localisée en Angleterre ou au Pays de Galles parce que l’article13 du Contrat Microsoft Advertising qui désigne les « tribunaux d’Angleterre et du pays de Galles » pour tout « différend en lien avec le présent contrat, ou son application (y compris des différends ou des réclamations non contractuels) ou [l’]utilisation de Microsoft Advertising » est parfaitement opposable à la société LE 118 918, valable et applicable ;
Sur le fond,
Réformer le jugement du tribunal de commerce de Marseille du 3 février 2022 en ce qu’il a statué sur le fondement de dispositions de droit français manifestement inapplicables au litige, parce que l’article13 du Contrat Microsoft Advertising qui prévoit que « les lois d’Angleterre et du pays de Galles régissent le présent contrat, ainsi que toutes obligations non contractuelles découlant dudit contrat, les réclamations concernant sa violation et votre utilisation de Microsoft Advertising, sans égard aux principes des conflits de lois »est parfaitement opposable à la société LE 118 918 et que son application ne causerait aucune injustice manifeste ;
Juger irrecevables et écarter des débats les conclusions d’appelante versées par LE 118 918 le 21 novembre 2024, et en tout état de cause juger irrecevables et écarter des débats les pièces n°20, 21 et 23 versées par LE 118 918 au soutien de ses conclusions d’appelante du 21 novembre 2024 ;
Juger irrecevables les prétentions et demandes nouvelles par lesquelles LE 118 918 demande à la cour d’appel de Paris de « Dire et juger que la société Microsoft Ireland Operations Limited a rompu abusivement sa relation commerciale établie avec LE 118 918, et engage sa responsabilité à son égard », « Condamner la société Microsoft Ireland Operations Limited à payer à la société LE 118 918 la somme de 238.780 euros relatif au préjudice subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies, au titre de la perte de marge sur coûts variables », « Condamner la société Microsoft Ireland Operations Limited à payer à la société LE 118 918 la somme de 402.880 euros relatif au préjudice subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies, au titre des investissements réalisés en pure perte », « Condamner la société Microsoft Ireland Operations Limited à payer à la société LE 118 918 la somme de 30.000 euros relatif au préjudice moral subi du fait de la rupture 63 brutale des relations commerciales établies, », « Condamner la société Microsoft Ireland Operations Limited à payer à la société LE 118 918 la somme de 1.5456.000 euros au titre de la perte définitive de son fonds de commerce » ;
En toute hypothèse
Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Marseille du 3 février 2022 en ce qu’il a constaté l’absence de rupture des relations commerciales entre LE 118 918 et Microsoft Ireland Operations Limited ;
Débouter LE 118 918 de toutes ses demandes, fins et conclusions parce que la relation commerciale entre LE 118 918 et Microsoft Ireland Operations Limited a été suspendue et non rompue et que cette suspension n’est ni abusive ni entachée de mauvaise foi ;
En tout état de cause, condamner LE 118 918 à payer à Microsoft Ireland Operations Limited la somme de 50 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
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L’ordonnance de clôture du 14 mai 2024 a été révoquée par arrêt du 3 juillet 2024. Une nouvelle ordonnance de clôture a été rendue le 10 décembre 2024.
La Cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l’article 455 du code de procédure civile.
I- Sur l’exception d’incompétence
Exposé des moyens,
A l’appui de son appel incident, la société Microsoft Ireland Operations demande in limine litis la réformation du jugement entrepris sur la compétence territoriale du tribunal pour juger du présent litige et le renvoi de l’affaire aux tribunaux d’Angleterre et du Pays de Galles. A cet effet, la société Microsoft soutient que la relation commerciale entretenue avec la société Le 118 918 est régie par le contrat Microsoft Advertising dès lors que la société Le 118 918 a signé le contrat Bing Ads le 13 novembre 2014, qui était un contrat à durée indéterminée, résiliable à tout moment (article 7). Elle indique que ce contrat Bing Ads prévoyait dans son article 10 que « Microsoft pourra modifier à tout moment le présent Contrat sous réserve du respect d’un préavis de quatorze (14) jours [‘]. La poursuite de la participation de l’Annonceur au Programme Bing Ads suite à l’expiration de ladite période de préavis signifiera son acceptation de ladite modification ». Elle explique que la société Le 118 918 ayant continué à utiliser les services Microsoft Advertising jusqu’au 29 avril 2021, celle-ci a donc accepté toutes les modifications du contrat Bing Ads, en ce compris le remplacement de Microsoft Online Inc. par Microsoft Ireland Opérations Ltd., et conduisant à la version du contrat Microsoft Advertising en vigueur le 29 avril 2021 seule applicable. Elle précise que cette version contient une clause attributive de juridiction au profit des tribunaux d’Angleterre et du Pays de Galles qui a nécessairement été acceptée par la société Le 118 918 pour pouvoir utiliser les services en cause. Elle en conclut que cette clause attributive de juridiction est opposable à la société Le 118 918.
La société Microsoft fait en outre valoir que la clause attributive de juridiction remplit toutes les conditions de validité posées par la Convention de la Haye sur les accords d’élection de for, à savoir que :
– Conformément à l’article 5 de la convention, la clause est conclue par écrit, elle est rédigée en termes clairs et précis, en des caractères apparents et dans le corps du contrat Microsoft Advertising ; elle est rédigée en termes suffisamment large pour englober l’action en rupture brutale et déséquilibre significatif ;
– Les règles de compétence matérielle et géographique des tribunaux, en Angleterre et au Pays de Galles, sont fixées notamment au regard de la nature du litige et des montants en jeu et permettent d’identifier clairement et sans ambiguïté le tribunal compétent ;
– L’application de la clause n’aboutirait à aucune injustice manifeste (article 6) : selon le rapport explicatif de la Convention, l’injustice manifeste renvoie à une « situation exceptionnelle dans laquelle l’une des parties ne pourrait obtenir un procès équitable » « lorsqu’il existe d’autre motifs particuliers à cette partie lui interdisant d’engager une procédure ou de se défendre dans une procédure devant le tribunal élu » ou des « circonstances particulières entourant la conclusion de l’accord ‘ par exemple, s’il a résulté d’une fraude » : la société Le 118 918 ne démontre pas de faits d’une telle gravité ;
– L’application de la clause ne serait pas manifestement contraire à l’ordre public français : l’article L.442-1 du code de commerce n’est plus qualifié de loi de police dans un litige privé, l’éventuelle qualification de cet article comme loi de police n’a aucun impact sur la clause attributives de juridiction et il est constant que les clauses attributives de juridiction sont applicables aux allégations de rupture brutale d’une relation internationale.
En réponse, la société Le 118 918 fait valoir que la clause attributive de juridiction dont entend se prévaloir la société Microsoft ne lui est pas opposable. Elle explique ne pas avoir coché en ligne l’acceptation des CGV lors de la création de son compte en 2014 puisqu’elle a signé un contrat écrit le 13 novembre 2014. Elle indique que la relation commerciale s’est poursuivie avec la société Microsoft Ireland Operations, mais sans la formation d’un nouveau contrat ou la cession de contrat. Selon elle, ni la clause attributive au profit des juridictions américaines insérée dans le contrat de 2014, ni la clause attributive insérée dans les conditions générales excipées par Microsoft ne lui sont opposables.
La société Le 118 918 soutient en tout état de cause que la clause est inapplicable au regard de la Convention de La Haye de 2005 sur les accords d’élection de for, pour les raisons suivantes :
– L’appréciation de cette clause ne peut se faire en application de l’article 25 du règlement Bruxelles I bis, dès lors que la juridiction désignée ne relève plus, depuis le 31 décembre 2020, d’un Etat membre au regard des articles 67 1. Et 126 de l’accord transitoire conclu entre le Royaume-Uni et l’Union européenne ;
– L’article 6 de la convention de la Haye de 2005 prévoit que « Tout tribunal d’un Etat contractant autre que celui du tribunal élu sursoit à statuer ou se dessaisit lorsqu’il est saisi d’un litige auquel un accord exclusif d’élection de for s’applique, sauf si [‘] c) donner effet à l’accord (‘) serait manifestement contraire à l’ordre public de l’Etat du tribunal saisi », c’est-à-dire, notamment lorsque la clause conduirait à écarter une loi de police impérative de l’ordre juridique français, ce qui est le cas du régime de la rupture brutale des relations commerciales établies ;
– En toute hypothèse, l’article 6 c) de la convention n’exige pas la qualification de loi de police, mais simplement que l’application de la clause soit contraire à l’ordre public de l’Etat du tribunal choisi, et alors que le régime de la rupture brutale est considéré comme étant d’ordre public ;
– L’application de la clause pourrait constituer également une injustice manifeste au sens de l’article 6 de la convention dès lors que Le 118 918 se trouve dans une situation d’urgence et a dû assigner à jour fixe, que le contexte sanitaire au moment de l’introduction de l’instance n’était pas propice à des déplacements au Royaume-Uni, que la distance géographique et le recours à un avocat local aurait entraîné un surcoût, et qu’enfin évincer le régime protecteur de la rupture brutale entraînerait une injustice manifeste.
La société Microsoft Ireland Operations réplique qu’il est gravement inexact de soutenir qu’il aurait été extrêmement difficile pour Le 118 918 de lancer et suivre une action judiciaire devant les tribunaux d’Angleterre ou au Pays de Galles dans un contexte de confinements successifs, ainsi qu’il ressort des pièces mises en débat (note 83 de ses écritures permettant d’accéder à la communication de l’IBA relative à cette période).
Réponse de la Cour,
L’action introduite par la société Le 118 918 à l’encontre de la société Microsoft Ireland Operations, ayant son siège social en Ireland (Dublin), a pour objet l’indemnisation de préjudices liés à la rupture brutale et abusive de la relation commerciale entretenue entre les parties.
A l’appui de son exception d’incompétence, la société Microsoft Ireland Operations oppose la clause attributive de juridiction insérée à l’article 13 du contrat « Microsoft Advertising » dans une version produite en pièce n° 2, dite version applicable au 22 avril 2021, et qui dispose :
« [s]i un différend en lien avec le présent contrat, ou son application (y compris des différends ou des réclamations non contractuels) ou votre utilisation de Microsoft Advertising venait à être entendu par un tribunal, le forum exclusif sera les tribunaux (a) d’Angleterre et du pays de Galles, si votre siège social est dans l’EMOA. »
Étant également observé que selon la stipulation de la section 15 de ce contrat :
Section 15. Entité Microsoft. « Microsoft » signifie Microsoft Online, Inc. ([Adresse 4], États-Unis), sauf si votre principal lieu d’activité se trouve (a) en Inde, auquel cas « Microsoft » signifieMicrosoft Corporation (India) Private Limited ([Adresse 7]) ; (b) au Brésil, auquel cas « Microsoft » signifie Microsoft do Brasil Importação eComércio de Software e Video Games Ltda., inscrit auprès du CNPJ sous le numéro 04.712.500/0001-07 ([Adresse 5]. CEP : 04543-907 [Localité 9]/SP Brésil) ; ou (c) en Europe, au Moyen-Orient ou en Afrique (zone « EMEA ») ou dans la zone Asie-Pacifique (« APAC »), auquel cas « Microsoft » signifie Microsoft Ireland Operations Limited ([Adresse 8]).
– Sur la licéité de la clause d’élection du for
Comme le relève à juste titre la société Le 118 918, l’article 25 du règlement n°1215/2012 du 12 décembre 2012 dit Bruxelles I Bis, n’est pas applicable en l’espèce dès lors que la clause d’élection de for n’est pas stipulée au profit d’une juridiction d’un Etat membre de l’Union européenne. En effet, la présente action a été introduite le 15 juillet 2021, soit après la fin de la période de transition (31 décembre 2020) prévu par l’accord de retrait conclu entre l’Union européenne et le Royaume-Uni de Grande Bretagne et l’Irlande du Nord (article 67 1.a).
En droit international privé français, les clauses prorogeant la compétence internationale sont en principe licites lorsqu’elles sont invoquées dans un litige à caractère international et lorsque la clause ne fait pas échec à la compétence territoriale impérative d’une juridiction française (en ce sens 1re Civ., 17 décembre 1985, pourvoi n° 84-16.338, B I n° 354), mais elles ne sont opposables qu’à la partie qui en a eu connaissance et qui l’a acceptée au moment de la formation du contrat (Com., 10 janvier 1989, pourvoi n° 86-15.847, B IV n° 20). Enfin, les clauses attributives de compétence s’appliquent dans l’ordre international, quand bien même des dispositions impératives constitutives de lois de police seraient applicables au fond du litige (en ce sens 1re Civ., 22 octobre 2008, pourvoi n° 07-15.823, Bull2008, I, n° 233 ; Com., 24 novembre 2015, pourvoi n°14.924, B. 2015, IV, n°161 ; 1re Civ., 18 janvier 2017, pourvoi n° 15-26.105, Bull. 2017, I, n° 16).
En outre, la Convention de La Haye du 30 juin 2005, qui lie la France, le Royaume-Uni et l’Irlande depuis le 1er octobre 2015, soit antérieurement à la naissance des relations contractuelles, s’applique dans des situations internationales, aux accords exclusifs d’élection de for conclus en matière civile ou commerciale (article 1er) tel que celui en litige, dispose en son article 3 que :
« Aux fins de la présente Convention :
a) un « accord exclusif d’élection de for » signifie un accord conclu entre deux ou plusieurs parties, qui est conforme aux exigences prévues au paragraphe c), et qui désigne, pour connaître des litiges nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, soit les tribunaux d’un Etat contractant, soit un ou plusieurs tribunaux particuliers d’un Etat contractant, à l’exclusion de la compétence de tout autre tribunal ;
b) un accord d’élection de for qui désigne les tribunaux d’un Etat contractant, ou un ou plusieurs tribunaux particuliers d’un Etat contractant, est réputé exclusif sauf si les parties sont convenues expressément du contraire ;
c) un accord exclusif d’élection de for doit être conclu ou documenté :
i) par écrit ; ou
ii) par tout autre moyen de communication qui rende l’information accessible pour être consultée ultérieurement ;
d) un accord exclusif d’élection de for faisant partie d’un contrat est considéré comme un accord distinct des autres clauses du contrat. La validité de l’accord exclusif d’élection de for ne peut être contestée au seul motif que le contrat n’est pas valable ».
En application de son article 5§1, le tribunal ou les tribunaux d’un Etat contractant désignés dans un accord exclusif d’élection de for sont compétents pour connaître d’un litige auquel l’accord s’applique, sauf si celui-ci est nul selon le droit de cet Etat.
Et l’article 6 « Obligation du tribunal non élu » prévoit que :
« Tout tribunal d’un Etat contractant autre que celui du tribunal élu sursoit à statuer ou se dessaisit lorsqu’il est saisi d’un litige auquel un accord exclusif d’élection de for s’applique, sauf si :
c) donner effet à l’accord aboutirait à une injustice manifeste ou serait manifestement contraire à l’ordre public de l’Etat du tribunal saisi ».
En l’espèce, l’action introduite par la société Le 118 918 a pour objet l’indemnisation de préjudices résultant de la rupture brutale et abusive de la relation commerciale entretenue avec la société Microsoft se manifestant par la suspension de son compte « Microsoft Advertising n°C00000JSN9 » notifiée par courriel du 29 avril 2021.
La Cour observe que l’action de la société Le 118 918 ayant son siège en France porte sur les services « Microsoft Advertising » dont elle déplore la suspension, et ce à l’encontre de la société Microsoft Ireland Operations ayant son siège en Irlande (Dublin).
Aussi, la Convention de La Haye précitée régit le litige, qui est objectivement international, et aucune exclusion au titre de l’article 2 de cette convention n’est alléguée.
L’article 3 consacre un principe de licéité de la clause d’élection de for qui désigne, pour connaître des litiges nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, soit les tribunaux d’un Etat contractant, soit un ou plusieurs tribunaux particuliers d’un Etat contractant, à l’exclusion de la compétence de tout autre tribunal.
– Sur l’opposabilité de la clause d’élection de for
Les parties conviennent que leur relation commerciale a débuté par la conclusion d’un contrat écrit signé le 13 novembre 2014 (pièce n°16 Le 118 918) entre les sociétés Le 118 918 et Microsoft Online Inc et intitulé « Contrat Bing Ads de Microsoft Online Inc ». Ce contrat prévoyait à l’article 10 « Dispositions diverses » que :
« L’Annonceur et l’agence (le cas échéant) (a) consentent irrévocablement à ce que tout litige découlant du ou étant lié au présent Contrat soit soumis à la compétence exclusive des tribunaux d’Etat ou fédéraux siégeant dans le comté de King Washington, Etat-Unis d’Amérique, et renoncent à toute objection à la compétence de tels tribunaux, et (b) conviennent de ne pas porter un tel litige en justice devant un autre tribunal. (‘)
Le présent Contrat liera et profitera aux successeurs ainsi qu’aux ayants droits légaux des parties. Microsoft pourra modifier à tout moment le présent Contrat sous réserve du respect d’un préavis de quatorze (14) jours, conformément aux dispositions de l’Article 9. La poursuite de la participation de l’Annonceur au Programme Bing Ads suite à l’expiration de ladite période de préavis signifiera son acceptation de ladite modification ».
Dans ce cadre contractuel, la société Microsoft indique qu’au fil des modifications acceptées par la société Le 118 918, le service Bing Ads est devenu le service « Microsoft Advertising » délivré par la société Microsoft Ireland Operations en Europe, au Moyen-Orient ou en Afrique (zone « EMEA ») et régit par le « contrat de Microsoft Advertising » produit aux débats dans sa version applicable au moment de la notification de la suspension (pièce n°2 Microsoft).
Il ressort des explications et captures d’écran de la société Microsoft, non sérieusement critiquées par la société Le 118 918, que ce contrat Microsoft Advertising est accessible sur l’espace utilisateur du compte Microsoft Advertising de la société Le 118 918 sous l’onglet « Legal » et sur internet à l’adresse suivante :
https ://about.ads.microsoft.com/frfr/ressources/politiques/contrat-microsoft-advertising,
et ce par simple requête sur un moteur de recherche, de même qu’il est disponible à partir de la page de présentation du service Microsoft Advertising, dans l’onglet « Ressources », section « contrat et politiques Microsoft Advertising » puis « Accord », sans qu’il soit nécessaire d’initier une inscription au service Microsoft Advertising pour en prendre connaissance, comme le met d’ailleurs en évidence la pièce n°8 versée aux débats par la société Le 118 918.
Enfin, le préambule du contrat (version 2021) précise « Vous acceptez ce contrat en signant ou en passant une commande pour Microsoft Advertising, ou en continuant d’utiliser Microsoft Advertising après avoir été avisé d’une modification au présent contrat. »
Dans ces conditions, il est démontré que par son utilisation continue des services Microsoft Advertising, la société Le 118 918 avait connaissance et accepté la clause attributive de juridiction stipulée à l’article 13 du contrat « Microsoft Advertising » dans sa version 2021.
Cette clause est par ailleurs rédigée en termes clairs, précis, en caractères apparents et dans le corps du contrat.
De plus, même à admettre, comme il est soutenu par la société Le 118 918, la qualification de loi de police de l’article L.442-1 du code de commerce sur lequel est fondé la présente action, cette qualification relative aux règles de conflit de loi, est sans incidence sur l’opposabilité de la clause attributive de juridiction et ne constitue pas « une injustice manifeste ou serait manifestement contraire à l’ordre public de l’Etat du tribunal saisi » au sens de l’article 6 précité de la convention de la Haye. Il n’est pas non plus établit, en quoi le renvoi devant les juridictions d’Angleterre et du pays de Galles heurterait les normes ou principes fondamentaux français.
De même la société Le 118 918, se bornant à des affirmations péremptoires, ne démontre pas en quoi la désignation des juridictions d’Angleterre et du pays de Galles conduirait à « une injustice manifeste » au regard d’une situation d’ » extrême » urgence ou d’un surcoût « considérable » allégués mais non établis.
Par conséquence, la clause d’élection de for, qui s’applique à un différend en lien avec le présent contrat, ou son application (y compris des différents ou des réclamations on contractuels) ou à l’utilisation de Microsoft Advertising, est rédigée dans des termes suffisamment larges pour englober la rupture brutale ou abusive de la relation commerciale entretenue entre les parties et ayant pour objet le service Microsoft Advertising.
Dès lors, la clause attributive de juridiction insérée à l’article 13 du contrat 2021 « Microsoft Advertising » est bien opposable à la société Le 118 918.
En conséquence, sans avoir à se prononcer sur la loi applicable au litige, il y a lieu d’infirmer le jugement, de déclarer les juridictions françaises incompétentes et de renvoyer les parties à mieux se pourvoir.
II- Sur les dépens et l’application de l’article 700 du code de procédure civile
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a condamné la société Le 118 918 aux dépens de première instance et à payer à la société Microsoft Ireland Operations la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La société Le 118 918, succombant en son appel, sera condamnée aux dépens d’appel.
En application de l’article 700 du code de procédure civile, la société Le 118 918 sera déboutée de sa demande et condamnée à verser à la société Microsoft Ireland Operations la somme de 6 000 euros.
La Cour,
Infirme le jugement en ses dispositions soumises à la Cour sauf en qu’il a condamné la société Le 118 918 aux dépens et à payer la somme de 5 000 euros à la société Microsoft Ireland Operations sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant ;
Déclare les juridictions françaises incompétentes pour connaître du litige entre les parties ;
Renvoie les parties à mieux se pourvoir ;
Condamne la société Le 118 918 aux dépens d’appel ;
En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Le 118 918 et la condamne à verser à la société Microsoft Ireland Operations la somme de 6 000 euros.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE
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