Autorité de la chose jugée : l’exception de faits nouveaux

Notez ce point juridique

Aux termes de l’article 1351 devenu 1355 du code civil :

‘L’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause, que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.’

Aux termes de l’article 122 du code de procédure civile :

‘Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.’

Il résulte de ces textes que l’autorité de chose jugée attachée à une décision interdit en principe de saisir à nouveau un juge d’un litige qui a déjà été tranché et fait obstacle au renouvellement de la demande, en vue d’obtenir une nouvelle décision d’un juge sur la même question litigieuse.

Il en résulte également qu’il est fait exception au principe de l’autorité de la chose jugée lorsque des événements postérieurs, ou des actes ou faits nouveaux, sont venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice (Cass. civ., 8 févr. 1926 : DP 1927, 1, p. 191. – Cass. req., 11 févr. 1935 : DH 1935, p. 177 ; Civ. 8 févr. 1926, DP 1927. 1. 191 ; Req. 11 févr. 1935, DH 1935. 177 ; Civ. 2e, 17 mars 1986, Bull. civ. II, no 41 ; Com. 4 déc. 2001, no 99-15.112. ‘ Civ. 1re, 22 oct. 2012, no 00-14.035 ; Civ. 2e, 3 juin 2004, Bull. II, no 264 ; Civ. 1re, 21 avr. 2005, no 03-10.237. ‘ Civ. 1re, 21 sept. 2005, no 04-13.977 ; Com. 12 juin 2007,n° 05-14.548, Bull n° 158 ; 2e Civ., 6 mai 2010, n° 09-14.737, Bull. n 88 ; 3e Civ., 25 avril 2007, n° 06-10.662, Bull. n° 59).

Ont été ainsi par exemple retenus comme faits nouveaux :

– le fait qu’après une précédente décision ayant prévu la réparation en nature de malfaçons lorsque, il s’avère au vu d’un rapport d’expertise que l’exécution en nature est devenue impossible et ne peut être allouée que sous forme de dommages-intérêts (Civ. 3e, 10 juin 1970, Bull. civ. III, no 392).

– le fait qu’après le rejet d’une première demande en dissolution d’une SCI, il soit constaté que le fonctionnement de la société rencontre de nouveaux obstacles (Com, 3 avril 2007, pourvoi n° 05-12.781).

– le refus par l’assemblée générale des copropriétaires d’autoriser des travaux d’agrandissement du sous-sol en vue de livrer deux emplacements de parking, alors qu’une décision judiciaire avait enjoint le transfert des emplacements de parking (3èmeCiv.,14 nov. 2012, n° 11-21.901).

– l’évolution de la situation financière des parties en matière d’aliments (1ère Civ., 21 novembre 2012, pourvoi n° 11-22.719 ).

– la promulgation d’une nouvelle loi ayant modifié les règles de calcul des préjudices corporels patrimoniaux et extra-patrimoniaux de la victime et les conditions d’imputation des créances subrogatoires des tiers payeurs, (2ème Civ., 13 janvier 2011, pourvoi n° 09-16.546).

– des résolutions d’un syndic prises postérieurement à la première décision judiciaire (2ème Civ., 6 mai 2010, pourvoi n° 09-14.737, Bull. II n 88).

– les versements effectués par des débiteurs auprès de leurs créanciers, après une première décision d’irrecevabilité de leur demande de surendettement pour mauvaise foi (1ère Civ., 9 mai 1996, pourvoi n° 94-04.166).

– l’annulation d’un brevet postérieure à une décision ayant jugé l’existence de fait de contrefaçon sur le fondement de ce brevet ( Com. 12 juin 2007, n° 05-14 548).

– l’intervention d’une décision irrévocable de la juridiction administrative ayant annulé l’arrêté préfectoral approuvant un plan d’occupation des sols classant en zone de constructibilité réduite une parcelle pour laquelle une décision judiciaire avait fixé une indemnité d’expropriation. (Cass. 3e civ., 25 avr. 2007, n° 06-10.662 : JurisData n° 2007-038514 ; Bull. civ. III, n° 59).  »

Il résulte cependant des textes précités que le caractère nouveau de l’événement permettant d’écarter la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de chose jugée ne peut résulter de ce que la partie qui l’invoque avait négligé d’accomplir une diligence en temps utile (Cass. 2e civ., 25 juin 2015, n° 14-17.504 ; 1re Civ., 19 septembre 2018, pourvoi n° 17-22.678, Bull. 2018, I, n° 152).

Résumé de l’affaire

Résumé des faits de l’affaire

Contexte et parties impliquées :
– La Coutellerie de Laguiole Honoré Durand : Fondée en 1987-1988, cette société exploite deux points de vente et des ateliers de fabrication de couteaux, avec des artisans primés.
– La Coutellerie de Laguiole Christophe Durand : SAS dédiée à la valorisation de l’image de la société Honoré Durand et à la vente en ligne de ses produits.
– Bee Design : SARL créée en 2009, commercialisant des couteaux de type Laguiole et divers produits d’art de la table via son site internet. Membre de la Fédération française de la coutellerie.

Procédures judiciaires antérieures :
– 2 mai 2017 : Le tribunal de commerce de Rodez condamne Bee Design pour pratiques commerciales trompeuses et concurrence déloyale, lui interdisant l’utilisation de certaines expressions et la condamnant à verser des dommages et intérêts symboliques.
– 15 mai 2020 : La cour d’appel de Montpellier modifie partiellement ce jugement, condamnant Bee Design à payer des dommages et intérêts plus substantiels et confirmant certaines interdictions.
– 16 février 2021 : Liquidation de l’astreinte provisoire de 92 000 euros pour non-exécution des mesures ordonnées.
– 18 décembre 2019 et 8 avril 2021 : Désignation d’un huissier pour constater des actes de concurrence déloyale imputés aux sociétés Durand par Bee Design.

Nouveaux développements :
– 17 janvier 2022 : Bee Design est placée en redressement judiciaire.
– 21 juin 2022 : Le tribunal de commerce de Rodez déboute Bee Design de toutes ses demandes et la condamne à payer 5 000 euros aux sociétés Durand.
– 5 septembre 2022 : Bee Design fait appel de ce jugement.

Demandes des parties en appel :
– Bee Design : Demande l’interdiction des pratiques dénigrantes et trompeuses des sociétés Durand, la destruction de supports dénigrants, des dommages et intérêts pour préjudice économique et d’image, et la publication de l’arrêt.
– Sociétés Durand : Demandent la confirmation du jugement de première instance et des dommages et intérêts pour les frais de justice.

Indication géographique protégée :
– 23 septembre 2022 : L’INPI homologue l’indication géographique « couteau Laguiole », gérée par l’association Couteau Laguiole Aubrac Auvergne (CLAA).

Conclusion :
L’affaire oppose principalement les sociétés Durand et Bee Design sur des accusations de pratiques commerciales trompeuses et de concurrence déloyale, avec plusieurs jugements et appels successifs. Les sociétés Durand ont obtenu gain de cause en première instance, mais Bee Design a fait appel, demandant des mesures plus strictes contre les pratiques des sociétés Durand et des compensations financières.

Les points essentiels

Rejet de la demande en annulation

La cour a rejeté la demande en annulation de la mise en demeure du 21 décembre 2020 et de la contrainte du 4 mai 2022 présentée par M. [Z].

Réouverture des débats

La cour a ordonné la réouverture des débats à l’audience du 16 décembre 2024, où les parties pourront présenter leurs observations sur les moyens relevés d’office dans les motifs du présent arrêt.

Convocation des parties

La notification du présent arrêt vaudra convocation des parties à l’audience de réouverture des débats, où elles pourront discuter de la reconnaissance d’un fait nouveau pouvant écarter l’autorité de la chose jugée de l’arrêt précédent.

Réservation des dépens

Les dépens sont réservés dans cette affaire.

Les montants alloués dans cette affaire: – La cour infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions.
– La cour dit n’y avoir lieu d’ordonner la communication sous astreinte des chiffres d’affaires des SAS La Coutellerie Honoré Durand et La Coutellerie Christophe Durand.
– La cour rejette les demandes de la société Bee Design tendant au versement par ces dernières de sommes provisionnelles à son profit.
– La cour condamne la SAS La Coutellerie de Laguiole Honoré Durand à payer à la société Bee Design la somme de 5 000 € en réparation de son préjudice moral.
– La cour condamne la SAS La Coutellerie de Laguiole Honoré Durand à payer à la société Bee Design la somme de 594,09 € en remboursement des frais de constat exposé.
– La cour condamne la SAS La Coutellerie de Laguiole Honoré Durand à payer à la société Bee Design la somme totale de 5 594,09 € à titre de dommages et intérêts.
– La cour interdit à la SAS La Coutellerie de Laguiole Honoré Durand toute pratique dénigrante et trompeuse lors des visites ouvertes au public de ses ateliers à [Localité 2] ou en tout autre lieu, ou sur tout autre support de communication, sous astreinte de 1 000 € par infraction constatée par huissier, et par jour de retard passé le délai de 48 heures suivant la signification du présent arrêt.
– La cour rejette la demande de publication du présent arrêt dans trois journaux ou revues et/ou dans un encart spécifique.
– La cour rejette la demande d’autoriser la société Bee Design à publier des extraits du présent arrêt sur la page d’accueil de son site internet www.[Localité 2]-Attitude.com.
– La cour condamne in solidum les SAS La Coutellerie de Laguiole Honoré Durand et La Coutellerie de Laguiole Christophe Durand à verser à la SARL Bee Design la somme totale de 6 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
– La cour condamne in solidum les SAS La Coutellerie de Laguiole Honoré Durand et La Coutellerie de Laguiole Christophe Durand aux entiers dépens de première instance et d’appel, et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Réglementation applicable

Articles des Codes cités et leur texte

Code civil
– Article 1240 :
« Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »

Code de la consommation
– Article L.121-1 (version en vigueur depuis le 1er juillet 2016) :
« Les pratiques commerciales déloyales sont interdites. Une pratique commerciale est déloyale lorsqu’elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qu’elle altère ou est susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l’égard d’un bien ou d’un service. Constituent en particulier des pratiques commerciales déloyales les pratiques commerciales trompeuses définies aux articles L. 121-2 à L. 121-4 et les pratiques commerciales agressives définies aux articles L. 121-6 et L. 121-7. »

– Article L.121-2 (version en vigueur du 1er juillet 2016 au 25 août 2021) :
« Une pratique commerciale est trompeuse si elle est commise dans l’une des circonstances suivantes :
2° Lorsqu’elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur l’un ou plusieurs des éléments suivants :
a) L’existence, la disponibilité ou la nature du bien ou du service ;
b) Les caractéristiques essentielles du bien ou du service à savoir : ses qualités substantielles, sa composition, ses accessoires, son origine ;
f) L’identité, les qualités, les aptitudes et les droits du professionnel ;
3° Lorsque la personne pour le compte de laquelle elle est mise en œuvre n’est pas clairement identifiable. »

– Article L.121-4 (version en vigueur du 1er juillet 2016 au 1er janvier 2020) :
« Sont réputées trompeuses au sens de l’article L.121-1 et -3, les pratiques commerciales qui ont pour objet :
2° D’afficher un certificat, un label de qualité ou un équivalent sans avoir obtenu l’autorisation nécessaire ;
17° De communiquer des informations matériellement inexactes sur les conditions de marché ou sur la possibilité de trouver un produit ou un service, dans le but d’inciter le consommateur à acquérir celui-ci à des conditions moins favorables que les conditions normales de marché. »

Code de procédure civile
– Article 700 :
« Le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées de la même considération, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation. »

Résumé des motifs et décisions

Sur la tromperie et le dénigrement
– Constatations :
– La coutellerie Honoré Durand a été accusée de dénigrer systématiquement le site « Laguiole-Attitude » lors de visites organisées dans ses ateliers.
– Des propos dénigrants ont été constatés par huissier le 3 janvier 2020.
– Le site Internet laguiole.com de la coutellerie Christophe Durand dénigre également les concurrents Thiernois.

– Arguments de la société Bee Design :
– Les propos tenus par la coutellerie Honoré Durand excèdent le droit d’exercice normal du crédit professionnel.
– Le site Internet et les visites des ateliers entretiennent un discours commercial trompeur.
– La coutellerie Honoré Durand laisse faussement croire à l’existence de normes contraignantes de fabrication.

– Réponses des coutelleries Durand :
– La demande d’obtention d’une indication géographique a été déposée auprès de l’INPI.
– La coutellerie de Laguiole Honoré Durand ne cite pas la société Bee Design dans son discours.

– Décision de la cour :
– La coutellerie Honoré Durand a réalisé un détournement de clientèle en trompant le consommateur.
– La société Bee Design est fondée à solliciter la réparation d’un préjudice moral issu de dénigrement de ses produits.
– La société Bee Design se voit octroyer la somme de 5 000 € à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral, et 594,09 € pour le constat d’huissier.
– Il est fait interdiction à la société La Coutellerie de Laguiole Honoré Durand de poursuivre toute pratique dénigrante et trompeuse sous astreinte de 1 000 euros par infraction constatée.

Sur l’évaluation du préjudice
– Arguments de Bee Design :
– La société fautive a réalisé une économie injuste de l’ensemble de la production de cette coutellerie.
– Demande de communication des chiffres d’affaires des sociétés Durand pour les années 2018 à 2020.

– Réponses des coutelleries Durand :
– Rien ne justifie que le prétendu préjudice soit fixé à la somme d’un euro par visiteur.

– Décision de la cour :
– La demande de communication de pièces à titre probatoire est rejetée.
– La demande de provision est rejetée.
– La société Bee Design est fondée à solliciter la réparation d’un préjudice moral issu de dénigrement de ses produits.

Sur le site Layole.com
– Arguments de Bee Design :
– Demande d’interdiction de toute pratique dénigrante et trompeuse sur le site internet www.layole.com.

– Réponses des coutelleries Durand :
– Le site Internet layole.com peut critiquer le caractère industriel de la production d’autres entreprises sans viser aucune société en particulier.

– Décision de la cour :
– Le site layole.com ne présente aucune critique directe ou indirecte du site ou de la société Bee Design.
– Le grief est écarté.

Sur l’enseigne « La Coutellerie de Laguiole »
– Arguments de Bee Design :
– Demande de modification de l’enseigne « LA COUTELLERIE DE LAGUIOLE ».

– Décision de la cour :
– L’enseigne mentionne clairement « Honoré Durand-maître artisan coutelier -forgeron ».
– Le grief n’est pas fondé.

Conclusion
– Le jugement déféré est réformé.
– Les sociétés intimées doivent supporter les dépens de première instance et d’appel.
– La société Bee Design se voit octroyer 6 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Avocats

Bravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier: – Me Maxime Deseure de la Selarl Leleu Demont Hareng Deseure, avocat au barreau de Béthune
– Me Gaëlle Delalieux, avocat au barreau de Béthune
– Me Laurent Bardet, avocat au barreau de Versailles
– Me Jean-Michel Leclercq, avocat au barreau d’Amiens

Mots clefs associés & définitions

– Administrateurs judiciaires
– Article 1240 du code civil
– Article L.121-1 du code de la consommation
– Pratiques commerciales déloyales
– Pratiques commerciales trompeuses
– Pratiques commerciales agressives
– Article L.121-2
– Article L.121-4
– Tromperie
– Dénigrement
– Coutellerie Honoré Durand
– Laguiole-Attitude
– Contrefaçons
Procès-verbal huissier
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– Protection spécifique
– Indication géographique
– INPI
– Détournement de clientèle
– Préjudice économique
– Dommages-intérêts
– Astreinte
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– Préjudice moral
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– Site Internet
– Layole.com
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– Dépens
– Article 700 du code de procédure civile
– Administrateurs judiciaires: professionnels chargés de gérer les entreprises en difficulté financière
– Article 1240 du code civil: article de loi concernant la responsabilité civile
– Article L.121-1 du code de la consommation: article de loi sur les pratiques commerciales
– Pratiques commerciales déloyales: actions contraires à l’éthique dans le domaine commercial
– Pratiques commerciales trompeuses: actions visant à induire en erreur les consommateurs
– Pratiques commerciales agressives: actions commerciales agressives envers les consommateurs
– Article L.121-2: article de loi sur les pratiques commerciales trompeuses
– Article L.121-4: article de loi sur les pratiques commerciales agressives
– Tromperie: action de tromper ou d’induire en erreur
– Dénigrement: action de dénigrer ou de discréditer
– Coutellerie Honoré Durand: entreprise spécialisée dans la coutellerie
– Laguiole-Attitude: entreprise ou marque
– Contrefaçons: reproductions non autorisées de produits
– Procès-verbal huissier: document officiel dressé par un huissier de justice
– Concurrence: rivalité entre entreprises sur un marché
– Protection spécifique: mesures de protection particulières
– Indication géographique: mention de l’origine géographique d’un produit
– INPI: Institut National de la Propriété Industrielle
– Détournement de clientèle: action de détourner les clients d’une entreprise
– Préjudice économique: dommage financier subi
– Dommages-intérêts: compensation financière pour un préjudice subi
– Astreinte: sanction financière en cas de non-respect d’une décision de justice
– Preuve: élément permettant d’établir la véracité d’un fait
– Chiffre d’affaires: montant des ventes réalisées par une entreprise
– Préjudice moral: dommage moral subi
– Image: réputation ou perception d’une entreprise
– Site Internet: plateforme en ligne
– Layole.com: site internet ou marque
– Enseigne: nom commercial d’une entreprise
– Jugement: décision rendue par un tribunal
– Dépens: frais de justice
– Article 700 du code de procédure civile: article de loi sur les frais de justice à la charge de la partie perdante

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

3 juin 2024
Cour d’appel d’Amiens
RG n° 22/05148
ARRET

N° 495

URSSAF CENTRE VAL DE LOIRE

C/

[Z]

COUR D’APPEL D’AMIENS

2EME PROTECTION SOCIALE

ARRET DU 03 JUIN 2024

*

N° RG 22/05148 – N° Portalis DBV4-V-B7G-ITQ4 – N° registre 1ère instance : 22/00166

JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE AMIENS EN DATE DU 31 OCTOBRE 2023

PARTIES EN CAUSE :

APPELANT

URSSAF Centre Val de Loire, agissant poursuites et diligences en son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Adresse 5]

[Localité 3]

Représenté par Me Maxime Deseure de la Selarl Leleu Demont Hareng Deseure, avocat au barreau de Béthune, vestiaire : 19, substitué par Me Gaëlle Delalieux, avocat au barreau de Béthune

ET :

INTIME

Monsieur [D] [Z]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Non comparant

Représenté par Me Laurent Bardet, avocat au barreau de Versailles, substitué par Me Jean-Michel Leclercq, avocat au barreau d’Amiens

DEBATS :

A l’audience publique du 20 février 2024 devant Monsieur Renaud Deloffre, président, siégeant seul, sans opposition des avocats, en vertu de l’article 945-1 du code de procédure civile qui a avisé les parties à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 03 juin 2024.

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme Blanche Tharaud

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Monsieur Renaud Deloffre en a rendu compte à la cour composée en outre de :

M. Philippe Mélin, président,

Mme Anne Beauvais, conseiller,

et Monsieur Renaud Deloffre, conseiller,

qui en ont délibéré conformément à la loi.

PRONONCE :

Le 03 juin 2024, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2e alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, M. Philippe Mélin, président a signé la minute avec Mme Charlotte Rodrigues, greffier.

*

* *

DECISION

Suivant appel de cotisation en date du 15 décembre 2017, l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et allocations familiales Centre-Val de Loire (ci-après l’URSSAF ou l’URSSAF Centre-Val de Loire) a réclamé à M. [D] [Z] la somme de 6.409 euros au titre de la cotisation subsidiaire maladie (la CSM) de l’année 2016.

Elle a parallèlement réclamé à Mme [X] [H] épouse [Z] une somme identique de 6.409 euros, au titre de la même cotisation de l’année 2016.

Par lettre du 17 janvier 2018, M. [D] [Z] a contesté être redevable de cette cotisation.

Suivant réponse explicative détaillée du 28 mai 2018, l’URSSAF a maintenu sa demande.

Saisie le 25 juillet 2018 du recours formé par M. [D] [Z], la commission de recours amiable n’a pas répondu dans le délai imparti, faisant naître une décision implicite de rejet du recours.

M. [Z] a alors saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale d’Amiens qui, aux termes d’un jugement en date du 3 décembre 2018 :

– s’est déclaré incompétent pour statuer sur la décision de la commission de recours amiable ;

– a rejeté l’exception de nullité formée par le demandeur ;

– a dit que M. [D] [Z] était redevable de la cotisation subsidiaire maladie au titre de l’année 2016, et l’a condamné à ce titre à payer à l’URSSAF la somme de 6.409 euros ;

– a rappelé que l’instance ne comprenait pas de dépens ;

– a rejeté la prétention de M. [D] [Z] au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Mme [Z] a effectué les mêmes démarches que son époux, devant la caisse, puis la commission de recours amiable, puis elle a saisi le tribunal.

Dans le cadre du litige opposant cette dernière à l’URSSAF, par jugement en date du 3 décembre 2018, le tribunal des affaires de sécurité sociale d’Amiens :

– s’est déclaré incompétent pour statuer sur la décision de la commission de recours amiable,

– a rejeté l’exception de nullité formée par la demanderesse,

– a dit que Mme [X] [Z] n’était pas redevable de la cotisation subsidiaire maladie au titre de l’année 2016,

– a débouté l’URSSAF du Val de Loire de sa demande en paiement dirigée contre elle,

– a rappelé que la procédure ne comprenait pas de dépens,

– a condamné l’URSSAF du centre Val de Loire à payer à Mme [X] [Z] la somme de 250 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Puis, dans le cadre du litige opposant M. [D] [Z] à la caisse, sur l’appel du jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale régularisé par M. [Z], la cour d’appel d’Amiens, statuant aux termes d’un arrêt rendu le 1er décembre 2020, a confirmé en toutes ses dispositions le jugement entrepris, a débouté l’appelant de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et l’a condamné au paiement, sur ce même fondement, de la somme de 250 euros.

En outre, dans le cadre du litige opposant Mme [Z] à l’URSSAF, la caisse ayant interjeté appel, suivant arrêt en date du 1er décembre 2020, la cour d’appel d’Amiens a débouté Mme [X] [Z] de sa demande tendant à voir déclarer la caisse irrecevable, confirmé le jugement, dit l’URSSAF irrecevable en ses demandes à l’encontre de M. [D] [Z], condamné cette dernière à payer à Mme [X] [Z] la somme de 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, et condamné l’URSSAF aux entiers dépens de l’instance d’appel nés postérieurement au 31 décembre 2018.

Par lettre du 17 décembre 2020, l’URSSAF a informé M. [D] [Z] de la révision de sa situation, et du nouveau calcul de la CSM de l’année 2016, ainsi portée à la somme de 13.590 euros qu’elle lui a ensuite réclamée par mise en demeure du 21 décembre 2020.

Parallèlement, l’URSSAF a mandaté des huissiers de justice aux fins de recouvrement des causes de l’arrêt susvisé du 1er décembre 2020 et M. [D] [Z] a procédé dans ce cadre à plusieurs règlements.

Puis l’URSSAF a émis le 4 mai 2022 une contrainte portant sur la somme résiduelle de 7.181 euros, représentant la différence entre la somme de 13.590 euros et les versements opérés par le cotisant en exécution de l’arrêt du 1er décembre 2020.

Cette contrainte a été signifiée à M. [D] [Z] suivant exploit d’huissier de justice en date du 6 mai 2022.

M. [Z] a formé opposition à cette contrainte par lettre recommandée avec avis de réception datée du 18 mai 2022, reçue au greffe le 20 mai 2022.

Par jugement du 31 octobre 2022, le tribunal a décidé ce qui suit :

« Le tribunal, statuant après débats publics, par jugement contradictoire et en premier ressort, mis à disposition des parties au greffe de la juridiction :

Dit M. [D] [Z] recevable en son opposition à la contrainte délivrée le 4 mai 2022 par l’URSSAF Centre-Val de Loire,

Dit l’URSSAF Centre-Val de Loire irrecevable en ses prétentions tendant à la condamnation de M. [D] [Z] aux sommes respectives de 9.128,35 euros au titre de la cotisation subsidiaire maladie résiduelle afférente à l’année 2016, et de 13.590 euros au titre de l’intégralité de cette même cotisation pour la même année 2016,

Rejette la demande de dommages et intérêts présentée par M. [D] [Z] sur le fondement d’un abus de procédure,

Condamne l’URSSAF Centre-Val de Loire payer à M. [D] [Z] la somme de 2.000 (deux mille) euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne l’URSSAF Centre-Val de Loire aux dépens incluant le coût de la signification de la contrainte du 4 mai 2022 ».

Appel de ce jugement a été interjeté par l’URSSAF Centre-Val de Loire par courrier de son directeur du 15 novembre 2022 expédié au greffe de la cour le 16 novembre 2022.

Cet appel porte sur la totalité des dispositions du jugement à l’exception de celles rejetant la demande de dommages et intérêts présentée par M. [Z] sur le fondement d’un abus de procédure.

Par conclusions n° 2 reçues par la cour le 8 février 2024 et soutenues oralement par avocat, l’URSSAF Centre-Val de Loire demande à la cour de :

Infirmer le jugement du tribunal judiciaire d’Amiens 22/00166 en ce qu’il juge l’URSSAF irrecevable en ses prétentions tendant à la condamnation de M. [D] [Z] au paiement des sommes portant sur la cotisation subsidiaire maladie afférente à l’année 2016 et en ce qu’il condamne l’URSSAF au paiement de la somme de 2 000,00 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau,

Valider le nouveau calcul de la cotisation subsidiaire maladie de Monsieur [Z] au titre des revenus établis à la suite des arrêts de la cour d’appel d’Amiens du 1er décembre 2020,

Valider la contrainte du 4 mai 2022 signifiée le 6 mai 2022,

Condamner M. [D] [Z] à payer à l’URSSAF Centre-Val de Loire la somme de 7 181 € au titre du solde de la cotisation subsidiaire maladie 2016,

Subsidiairement, condamner M. [D] [Z] à payer à l’URSSAF Centre-Val de Loire la somme de 6 409,00 € au titre du solde de la cotisation subsidiaire maladie 2016,

Condamner M. [D] [Z] à payer à l’URSSAF Centre-Val de Loire la somme de 70,48 euros au titre des frais de signification de la contrainte,

Débouter M. [D] [Z] de ses demandes plus amples et contraires.

Elle fait en substance valoir que :

La mise en demeure et la contrainte sont suffisamment précises pour assurer l’information du cotisant.

S’il n’est pas contesté par elle que les conditions générales de l’autorité de la chose jugée sont réunies, il n’en demeure pas moins que des faits nouveaux sont intervenus.

En effet l’arrêt du 1er décembre 2020 concernant Mme [Z] constitue un fait nouveau puisqu’il fait apparaître que les revenus pris en considération lors du calcul de la cotisation subsidiaire réclamée à Mme n’étaient en réalité que des revenus appartenant à son époux.

Le nouveau calcul de la CSM réclamée à ce dernier tient donc compte de l’intégralité des revenus du couple.

Par conclusions enregistrées par le greffe à la date du 20 février 2024 et soutenues oralement par avocat, M. [Z] demande à la cour de :

IN LIMINE LITIS

SUR LES EXCEPTIONS DE NULLITE DE PROCEDURE

Prononcer la nullité de la mise en demeure en date 21 décembre 2020 et de la contrainte en date du 4 mai 2022.

Débouter l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et allocations familiales Centre-Val de Loire de sa demande en paiement.

A TITRE PRINCIPAL

SUR L’IRRECEVABILITE DE LA DEMANDE EN PAIEMENT EN RAISON DE L’AUTORITE DE LA CHOSE JUGEE

Vu l’article 1355 du code civil

Vu l’article 122 du CPC et 125 du CPC

Vu les écritures de l’URSSAF Centre Val de Loire en date du 26/12/2019, signées, pour l’audience du 6 janvier 2020, RG CA AMIENS, n° 18/05080

Vu l’arrêt en date du 1er décembre 2020, RG 18/05080 rendu par la cour d’appel d’Amiens.

Dire que l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocation familiales Centre-Val de Loire avait déjà demandé la condamnation de M. [Z] à la totalité de la CSM 2016 dans une précédente procédure ayant donné lieu à l’arrêt en date du 1er décembre 2020

Confirmer le jugement en ce qu’il a déclaré l’URSSAF Centre-Val de Loire irrecevable en ses prétentions tendant à la condamnation de M. [D] [Z] aux sommes respectives de 9 128,35 € au titre de la cotisation subsidiaire maladie résiduelle afférente à l’année 2016 et de 13 590 € au titre de l’intégralité de cette même cotisation pour la même année 2016.

Prononcer l’irrecevabilité d’office de la demande en paiement de l’URSSAF Centre-Val de Loire en raison en raison de l’autorité de la chose jugée au titre d’une précédente décision en date du 1 décembre 2020, CA AMIENS, RG 18/05080, définitive.

Débouter l’URSSAF Centre-Val de Loire de sa demande en paiement.

SUR LA DEMANDE DE DOMMAGES ET INTERETS POUR PROCEDURE ABUSIVE ET VEXATOIRE

Infirmer le Jugement ayant débouté M. [Z] de sa demande de dommages et intérêts à l’encontre de l’URSSAF Centre-Val de Loire

Condamner l’URSSAF Centre-Val de Loire à payer à M. [D] [Z] la somme de 5 100 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et vexatoire

A TITRE SUBSIDIAIRE SUR LE FOND

Débouter l’URSSAF Centre Val de Loire de sa demande en paiement

A TITRE ENCORE PLUS SUBSIDIAIRE

Limiter le montant des condamnations à l’encontre de M. [D] [Z] à la somme de 6 409 €

SUR LA DEMANDE AU TITRE DE L’ARTICLE 700 DU CPC

Confirmer le jugement en ce qu’il a condamné l’Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales Centre Val de Loire au paiement de la somme de 2 000 € au titre de l’article 700 du CPC.

Condamner l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales Centre Val de Loire au paiement de la somme de 2 000 € au titre de l’article 700 du CPC de première instance.

Condamner l’URSSAF Centre-Val de Loire à payer à M. [D] [Z] la somme de 3 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.

Il fait en substance valoir ce qui suit :

En ce qui concerne sa demande en prononcé de la nullité de la mise en demeure et de la contrainte.

La mise en demeure et la contrainte mentionnent des sommes différentes.

La somme réclamée dans la mise en demeure de 13590 € passe à 7181 € dans la contrainte alors que cette dernière indique « absence de versement ».

En ce qui concerne l’autorité de la chose jugée de l’arrêt du 1er décembre 2020.

L’URSSAF ne peut invoquer un fait nouveau puisqu’elle demandait déjà à la cour dans ses écritures pour l’audience du 6 janvier 2020 la condamnation de M. [Z].

MOTIFS DE L’ARRET.

SUR LA DEMANDE DE M. [Z] EN ANNULATION DE LA MISE EN DEMEURE DU 21 DECEMBRE 2020 ET DE LA CONTRAINTE DU 4 MAI 2022.

Il résulte des articles L. 244-2 et L. 244-9 du code de la sécurité sociale, rendus applicables au recouvrement des cotisations par le régime social des indépendants par les articles L. 133-6-4, I et L.612-12 du même code que la mise en demeure qui constitue une invitation impérative adressée au débiteur d’avoir à régulariser sa situation dans le délai imparti, et la contrainte délivrée à la suite de cette mise en demeure restée sans effet, doivent permettre à l’intéressé d’avoir connaissance de la nature, de la cause et de l’étendue de son obligation ; qu’à cette fin, il importe qu’elles précisent, à peine de nullité, outre la nature et le montant des cotisations réclamées, la période à laquelle elles se rapportent (en ce sens 2e Civ., 8 octobre 2009, pourvoi n° 08-17.786 ; 2e Civ , 25 mai 2004, n° 02 31146) mais sans être tenues de préciser le mode de calcul des sommes réclamées (Soc., 8 février 2001, pourvoi n° 99-13.617 ; Soc., 21 février 2002, pourvoi n° 00-13.285, Bulletin civil 2002, V, n° 76 ; 2e Civ., 29 novembre 2012, pourvoi n° 11-25.371, Bull. 2012, II, n° 194).

En l’espèce, M. [Z] s’est vu délivrer une mise en demeure du 21 décembre 2020 lui réclamant une somme totale de 13590 € au titre de la cotisation subsidiaire maladie pour l’année 2016 puis une contrainte du 4 mai 2022 portant sur des cotisations subsidiaires maladie avec la mention « regul 16 » pour un montant de 7181 € et faisant référence à la mise en demeure du 21 décembre 2020 suivie de l’indication « absence de versement ».

La mise en demeure précitée était suffisamment motivée et permettait à l’intéressé de comprendre qu’il lui était réclamé la somme totale de 13590 € au titre de la cotisation subsidiaire maladie pour l’année 2016.

Si la mention « régul 2016 » figurant sur la contrainte ne permettait certes pas en elle-même à l’intéressé de comprendre les raisons de la diminution du montant des sommes réclamées tandis que la mention « absence de versement » lui permettait de comprendre qu’elle ne s’expliquait aucunement par l’existence de versements de sa part entre la mise en demeure et la contrainte, il n’en demeure pas moins que M. [Z] était parfaitement informé par la contrainte qu’il ne lui était plus réclamé que la somme de 7181 € au titre de sa cotisation subsidiaire maladie 2016 et qu’il avait donc connaissance de la cause, de l’étendue et du montant de son obligation.

La mise en demeure et la contrainte étant dans ces conditions suffisamment motivées, il convient de débouter M. [Z] de sa demande d’annulation de ces actes.

SUR LA FIN DE NON-RECEVOIR TIREE DE L’AUTORITE DE LA CHOSE JUGEE OPPOSEE PAR M. [Z] A LA DEMANDE EN PAIEMENT PRESENTEE PAR L’URSSAF CENTRE VAL DE LOIRE A SON ENCONTRE.

Aux termes de l’article 1351 devenu 1355 du code civil :

‘L’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause, que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.’

Aux termes de l’article 122 du code de procédure civile :

‘Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.’

Il résulte de ces textes que l’autorité de chose jugée attachée à une décision interdit en principe de saisir à nouveau un juge d’un litige qui a déjà été tranché et fait obstacle au renouvellement de la demande, en vue d’obtenir une nouvelle décision d’un juge sur la même question litigieuse.

Il en résulte également qu’il est fait exception au principe de l’autorité de la chose jugée lorsque des événements postérieurs, ou des actes ou faits nouveaux, sont venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice (Cass. civ., 8 févr. 1926 : DP 1927, 1, p. 191. – Cass. req., 11 févr. 1935 : DH 1935, p. 177 ; Civ. 8 févr. 1926, DP 1927. 1. 191 ; Req. 11 févr. 1935, DH 1935. 177 ; Civ. 2e, 17 mars 1986, Bull. civ. II, no 41 ; Com. 4 déc. 2001, no 99-15.112.  ‘ Civ. 1re, 22 oct. 2012, no 00-14.035 ; Civ. 2e, 3 juin 2004, Bull. II, no 264 ; Civ. 1re, 21 avr. 2005, no 03-10.237.  ‘ Civ. 1re, 21 sept. 2005, no 04-13.977 ; Com. 12 juin 2007,n° 05-14.548, Bull n° 158 ; 2e Civ., 6 mai 2010, n° 09-14.737, Bull. n 88 ; 3e Civ., 25 avril 2007, n° 06-10.662, Bull. n° 59).

Ont été ainsi par exemple retenus comme faits nouveaux :

– le fait qu’après une précédente décision ayant prévu la réparation en nature de malfaçons lorsque, il s’avère au vu d’un rapport d’expertise que l’exécution en nature est devenue impossible et ne peut être allouée que sous forme de dommages-intérêts (Civ. 3e, 10 juin 1970, Bull. civ. III, no 392).

– le fait qu’après le rejet d’une première demande en dissolution d’une SCI, il soit constaté que le fonctionnement de la société rencontre de nouveaux obstacles (Com, 3 avril 2007, pourvoi n° 05-12.781).

– le refus par l’assemblée générale des copropriétaires d’autoriser des travaux d’agrandissement du sous-sol en vue de livrer deux emplacements de parking, alors qu’une décision judiciaire avait enjoint le transfert des emplacements de parking (3èmeCiv.,14 nov. 2012, n° 11-21.901).

– l’évolution de la situation financière des parties en matière d’aliments (1ère Civ., 21 novembre 2012, pourvoi n° 11-22.719 ).

– la promulgation d’une nouvelle loi ayant modifié les règles de calcul des préjudices corporels patrimoniaux et extra-patrimoniaux de la victime et les conditions d’imputation des créances subrogatoires des tiers payeurs, (2ème Civ., 13 janvier 2011, pourvoi n° 09-16.546).

– des résolutions d’un syndic prises postérieurement à la première décision judiciaire (2ème Civ., 6 mai 2010, pourvoi n° 09-14.737, Bull. II n 88).

– les versements effectués par des débiteurs auprès de leurs créanciers, après une première décision d’irrecevabilité de leur demande de surendettement pour mauvaise foi (1ère Civ., 9 mai 1996, pourvoi n° 94-04.166).

– l’annulation d’un brevet postérieure à une décision ayant jugé l’existence de fait de contrefaçon sur le fondement de ce brevet ( Com. 12 juin 2007, n° 05-14 548).

– l’intervention d’une décision irrévocable de la juridiction administrative ayant annulé l’arrêté préfectoral approuvant un plan d’occupation des sols classant en zone de constructibilité réduite une parcelle pour laquelle une décision judiciaire avait fixé une indemnité d’expropriation. (Cass. 3e civ., 25 avr. 2007, n° 06-10.662 : JurisData n° 2007-038514 ; Bull. civ. III, n° 59).  »

Il résulte cependant des textes précités que le caractère nouveau de l’événement permettant d’écarter la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de chose jugée ne peut résulter de ce que la partie qui l’invoque avait négligé d’accomplir une diligence en temps utile (Cass. 2e civ., 25 juin 2015, n° 14-17.504 ; 1re Civ., 19 septembre 2018, pourvoi n° 17-22.678, Bull. 2018, I, n° 152).

En l’espèce, les époux [Z] sont mariés sous le régime de la séparation des biens mais établissent une déclaration d’imposition commune sans y distinguer leurs revenus respectifs.

Ils y déclarent des revenus de titres qui ont donné lieu à l’émission par l’URSSAF pour l’année 2016 pour chacun des époux d’un appel de cotisations subsidiaires maladie calculées pour chacun sur la moitié de ces revenus.

Les époux [Z] contestent les mises en demeure et contraintes correspondantes et sont rendus sur leurs contestations respectives deux arrêts par la présente cour le 1er décembre 2018, l’un déboutant l’URSSAF de ses prétentions contre Mme [Z], cette dernière ayant démontré qu’elle n’avait pas perçu le moindre revenu, l’autre condamnant M. [Z] au paiement de la cotisation calculée sur la moitié des revenus des titres.

Estimant que la cotisation subsidiaire maladie réclamée à M. [Z] n’avait pas été correctement calculée, l’URSSAF lui réclame la différence entre le montant de la cotisation recalculée pour tenir compte de l’intégralité des revenus produits par les titres lui appartenant et le montant de la première cotisation ayant donné lieu à l’arrêt d’appel condamnant l’intéressé.

Le cotisant oppose à la demande de l’URSSAF l’autorité de la chose jugée de l’arrêt le concernant.

L’URSSAF ne conteste pas que les conditions générales de la chose jugée soient remplies mais soutient l’existence d’un fait nouveau, constitué par l’arrêt concernant l’épouse, lui permettant de recalculer la cotisation et faisant obstacle à la chose jugée

Les termes du litige ne portent donc que sur l’existence ou non d’un fait nouveau survenu après l’arrêt du 1er décembre 2020 n° 18/05080 intervenu entre l’URSSAF et M. [Z] et argué d’autorité de la chose jugée, l’URSSAF reconnaissant que les conditions générales de la chose jugée sont réunies mais soutenant que l’existence d’un évènement postérieur ou concomitant à l’arrêt interdirait de la lui opposer.

Il résulte des énonciations des deux arrêts du 1er décembre 2020 statuant sur la contestation des impositions litigieuses par chacun des époux [Z] que l’URSSAF Centre-Val de Loire a établi deux impositions distinctes au nom de chacun d’entre eux en application de l’article D.380-5-II du code de la sécurité sociale qui prévoit que les revenus des époux ou partenaires du pacte civil de solidarité qui ne sont pas individualisés dans l’avis d’imposition en cas de déclaration communes sont pris en compte à hauteur de la moitié du montant des revenus communs, sauf lorsque la personne recevable des cotisations apporte auprès de l’organisme de recouvrement tout élément probant permettant de déterminer la part exacte de ces revenus qui lui revient.

Or, il résulte des énonciations de l’arrêt n°18/04998 intervenu dans le litige opposant Mme [Z] à l’URSSAF que par courrier du 10 janvier 2018 cette dernière a informé l’organisme que les titres dont les revenus faisaient l’objet de la cotisation litigieuses appartenaient à son mari et qu’ils étaient mariés sous le régime de la séparation des biens.

La cour relève d’office qu’il semble que l’URSSAF disposait avant l’arrêt n° 18/05080 des informations lui permettant d’effectuer toutes diligences pour effectuer un recalcul des cotisations dues par M. [Z] en intégrant l’intégralité des revenus produits par les titres litigieux dans la base de calcul de la cotisation due par ce dernier et pour lui réclamer le montant exact de cette cotisation.

Sous toutes réserves des observations en sens contraire des parties, elle envisage d’en déduire que l’URSSAF a négligé d’effectuer en temps utile les diligences qui lui incombaient et qu’elle ne pourrait donc invoquer l’existence d’un fait nouveau faisant obstacle à l’autorité de la chose jugée par l’arrêt n° 18/05080.

Pour respecter le principe du contradictoire sur ces moyens relevés d’office, il est ordonné la réouverture des débats selon les modalités prévues au dispositif du présent arrêt, les dépens étant réservés.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire rendu en audience publique par sa mise à disposition au greffe,

Déboute M. [Z] de sa demande en annulation de la mise en demeure du 21 décembre 2020 et de la contrainte du 4 mai 2022.

Et sur les questions restant à juger,

Ordonne la réouverture des débats à l’audience du 16 décembre 2024 à 13h30 à laquelle les parties sont invitées à présenter leurs observations sur les moyens relevés d’office dans les motifs du présent arrêt et qui seraient éventuellement susceptibles de faire obstacle à la reconnaissance d’un fait nouveau permettant d’écarter l’autorité de la chose jugée de l’arrêt n° 18/05080 du 1er décembre 2020.

Dit que la notification du présent arrêt vaudra convocation des parties à l’audience de réouverture des débats.

Réserve les dépens.

Le Greffier, Le Président,

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