Entente sur les prix
On se souvient que l’Autorité de la concurrence (Décision n° 16-D-20 du 29 septembre 2016) a condamné 34 agences de mannequins ainsi que le Syndicat National des Agences de Mannequins (Synam) à des sanctions pécuniaires (2 381 000 euros) pour s’être entendus en diffusant et appliquant des barèmes tarifaires, en violation de l’article L. 420-1 du code de commerce. Le Synam avait maintenu une ambiguïté sur le caractère « officiel » des grilles tarifaires, qui ne reprenaient pas seulement les minimas salariaux, mais fixaient le prix total des prestations de mannequinat à facturer au client, avec des écarts pouvant atteindre jusqu’à trois fois les minimas salariaux. Les prix incluaient la rémunération du mannequin mais surtout la marge de l’agence de mannequin. Saisie de l’affaire, la Cour d’appel de Paris a confirmé cette entente prohibée sur les prix.
Participation de chaque agence de mannequin
Plusieurs agences de mannequins ont contesté avoir participé directement à cette entente sur les prix. Les juges ont considéré que le rôle des agences ne s’était pas borné à participer aux réunions du syndicat mais avaient nécessairement aussi approuvé sans réserve les statuts et le règlement intérieur du Synam, manifestant ainsi leur adhésion expresse à l’entente.
Rémunération des agences et du mannequin
Piqure de rappel : la rémunération du mannequin comprend une part salariale, correspondant à la prestation, et, le cas échéant, une rémunération due pour la vente ou l’exploitation de l’enregistrement de cette prestation. Cette part salariale est l’objet d’accords collectifs, telle la convention collective nationale des mannequins adultes et mannequins enfants de moins de seize ans employés par les agences de mannequins du 22 juin 2004, étendue par arrêté du 13 avril 2005, qui reposent sur une catégorisation des prestations (presse rédactionnelle, publicité, films publicitaires, catalogues, défilés, essayages-répétitions) et une classification des mannequins selon une échelle de notoriété, allant de « mannequin débutant » à mannequin « hors catégorie », dont « les qualités sont reconnues internationalement ». Sur cette base, les accords collectifs instituent des salaires bruts minima, qui font l’objet d’une négociation annuelle obligatoire (NAO) déterminant le pourcentage de variation des salaires résultant de la négociation précédente. Le salaire du mannequin, conformément à l’article L. 7123-7 du code du travail, ne peut être inférieur à un pourcentage minimum des sommes versées à cette occasion par l’utilisateur à l’agence de mannequins. L’article 5 de la convention collective du 22 juin 2004 précise ainsi des ratios minima différenciés selon les grandes catégories de prestations pour les mannequins adultes : (i) pourcentage minimum de 33 % pour les prestations destinées à la presse et (ii) pourcentage minimum de 36 % pour la publicité. S’agissant des mannequins enfants de moins de 16 ans, l’article 5 prévoit un taux uniforme de 31 % (entre salaire et pourcentage, il convient d’appliquer le taux le plus favorable au mannequin).
La rémunération due au mannequin au titre de la cession de ses droits pour l’exploitation de l’enregistrement de sa présentation est distinguée de la rémunération de sa prestation initiale et fait l’objet d’un contrat de cession de droits distinct du contrat de travail. Conformément à l’article 16-4 de la convention collective du 22 juin 2004, la prestation de présentation du mannequin comprend le droit d’utiliser son image en France durant 12 mois uniquement dans la presse et dans les catalogues de vente par correspondance quelle que soit la nature du support dès lors que cette utilisation ne fait l’objet d’aucune vente additionnelle au sens de l’article L. 7123-6 du code du travail. Pour les autres utilisations et cessions du droit à l’image, les mannequins confient habituellement à l’agence de mannequins – par mandat de représentation – la défense, la négociation et la gestion de leurs droits, étant entendu que l’exécution du mandat de représentation donne lieu à un commissionnement de l’agence. Le mannequin perçoit alors au titre des droits à l’image, une somme correspondant aux droits facturés au client, nets des commissions rémunérant l’activité de mandataire de l’agence.
Quant à la rémunération des agences de mannequins (pierre angulaire de la décision de l’Autorité), celle-ci relevait, jusqu’en 1987, d’un régime de prix administrés, puisque les tarifs qu’elles pratiquaient étaient l’objet d’une convention qui était entérinée par arrêté préfectoral. Ce régime a pris fin avec l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence. Or, les tarifs élaborés et diffusés par le Synam ne constituaient pas la simple reprise des règles salariales applicables aux prestations de mannequinat, mais établissaient en commun le prix total demandé au client, incluant non seulement la rémunération du mannequin mais également (et surtout) la marge de l’agence.
Solution applicable à tous les syndicats professionnels
A noter que cette décision de l’Autorité est applicable à tous les syndicats professionnels diffusant des grilles tarifaires à ses membres. L’article L. 420-1 du code de commerce prohibe expressément les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites entre les entreprises lorsqu’elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, notamment lorsqu’elles tendent à faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse ou en limitant ou contrôlant la production.
La pratique décisionnelle du Conseil de la concurrence a ainsi considéré à plusieurs reprises que l’élaboration et la diffusion par un syndicat professionnel d’éléments portant sur la détermination des tarifs, même s’ils ne revêtent pas un caractère impératif, constituent des pratiques concertées ayant un objet anticoncurrentiel (décision du Conseil de la concurrence n° 97-D-45 du 10 juin 1997 relative à des pratiques mises en œuvre par le Conseil national de l’ordre des architectes).
Dans sa décision n° 07-D-21 du 26 juin 2007, le Conseil a ainsi considéré que la diffusion par l’UFOP d’une formule de révision de prix « a pu inciter les entreprises à l’appliquer de manière mécanique, sans tenir compte de leurs propres réalités économiques (…). Elle est donc de nature à porter atteinte à l’autonomie des entreprises dans la fixation de leurs prix. Cette pratique a un objet anticoncurrentiel. » (décision du Conseil de la concurrence n° 07-D-21 du 26 juin 2007 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la location-entretien du linge).
Par sa décision n° 07-D-05 du 21 février 2007, le Conseil a également précisé que « la circonstance que le système de détermination des prix ne soit pas appliqué par la totalité des professionnels, ou qu’il ait été conçu dans un souci de simplification, ne suffit pas à retirer à une telle pratique son caractère anticoncurrentiel ». La diffusion de tels documents, même lorsqu’ils ne revêtent pas un caractère impératif, dans la mesure où ils fournissent à chaque entreprise une indication sur les prix ou les taux de hausse considérés comme ‘’normaux’’ dans la profession, peuvent avoir pour effet d’inciter les concurrents à aligner les comportements sur celui des autres, entravant ainsi la liberté de chaque entreprise de fixer ses prix en fonction de ses propres données.
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