Affaire Paramount / Canal + : la primauté du contrat

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Dans l’affaire Canal + c/ Commission européenne, la CJUE a retenu que le TPUE avait commis une erreur de droit au regard du principe de proportionnalité, dans son appréciation de l’incidence d’une décision de la commission sur les droits contractuels des tiers du Groupe Canal +. C’est à tort que le Tribunal a estimé que la possibilité pour les cocontractants de Paramount, dont Groupe Canal +, de saisir le juge national est de nature à remédier aux effets des engagements de Paramount, rendus obligatoires par la décision de la Commission.

Historique du litige

Le TPUE (affaire T 873/16) avait rejeté le recours tendant à l’annulation de la décision de la Commission européenne, du 26 juillet 2016, concernant une procédure d’application de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE (Accès transfrontalier à la télévision payante), qui rendait juridiquement contraignants les engagements offerts par Paramount Pictures International Ltd et Viacom Inc., dans le cadre des accords de licence sur des contenus audiovisuels qu’elles ont conclus avec Sky UK Ltd et Sky plc.  

La Commission a ouvert une enquête sur de possibles restrictions [portant atteinte à] la fourniture de services de télévision payante dans le cadre des accords de licence [conclus] entre six studios américains et les principaux [télédiffuseurs] de contenu payant de l’Union européenne. La Commission a adressé une communication de griefs à Paramount Pictures International Ltd, établie à Londres (Royaume-Uni), et à Viacom Inc., établie à New York (New York, États-Unis), société mère de la première (ci-après, dénommées ensemble, “Paramount”).

Dans cette communication, la Commission a exposé sa conclusion préliminaire concernant la compatibilité avec l’article 101 TFUE et l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen [, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3)] de certaines clauses figurant dans les accords de licence que Paramount avait conclus avec Sky UK Ltd et Sky plc (ci-après, dénommées ensemble, “Sky”).

Dans le cadre de son enquête, la Commission s’est focalisée sur deux clauses connexes de ces accords de licence. La première avait pour objet d’interdire à Sky, ou de limiter la possibilité de cette dernière, de répondre positivement à des demandes non sollicitées portant sur l’achat de services de distribution télévisuelle en provenance de consommateurs résidant dans l’[Espace économique européen (EEE)], mais en dehors du Royaume-Uni ainsi que de l’Irlande.

La seconde imposait à Paramount, dans le cadre des accords qu’elle concluait avec les [télédiffuseurs] établis dans l’EEE, mais en dehors du Royaume-Uni, d’interdire à ces derniers ou de limiter la possibilité de ces derniers de répondre positivement à des demandes non sollicitées portant sur l’achat de services de distribution télévisuelle en provenance de consommateurs résidant au Royaume-Uni ou en Irlande.

Engagements anticoncurrentiels portant atteinte aux cocontractants  

Dans le cadre de l’article 9 du règlement no 1/2003, la Commission est appelée à vérifier les engagements offerts non seulement sous l’angle de leur adéquation à répondre à ses préoccupations en matière de concurrence, mais également au regard de leur incidence sur les intérêts des tiers, de manière à ce que les droits de ces derniers ne soient pas vidés de leur substance. Or, le fait pour la Commission de rendre obligatoire l’engagement d’un opérateur consistant à ne pas appliquer certaines clauses contractuelles à l’égard de son cocontractant, tel que Groupe Canal +, qui n’avait que la qualité de tiers intéressé, alors que ce  cocontractant n’y a pas consenti, constitue une ingérence dans la liberté contractuelle dudit cocontractant allant au-delà des prévisions de l’article 9.  

Dans ce contexte, la Cour considère que le Tribunal ne pouvait renvoyer de tels cocontractants aux juridictions nationales en vue de faire respecter leurs droits contractuels sans méconnaître les dispositions de l’article 16 du règlement no 1/2003 qui interdisent à ces juridictions d’adopter des décisions qui iraient à l’encontre d’une décision antérieure de la Commission en la matière.

En  effet, une décision d’une juridiction nationale qui obligerait un opérateur à contrevenir à ses engagements rendus obligatoires par décision de la Commission irait manifestement à l’encontre de cette dernière. En outre, étant donné que l’article 16 appelle les juridictions nationales à éviter de prendre des décisions qui vont à l’encontre d’une décision envisagée par la Commission pour l’application, notamment, de l’article 101 TFUE, le Tribunal a également commis une erreur de droit en retenant qu’une juridiction nationale pourrait déclarer les clauses pertinentes conformes à l’article 101 TFUE, alors même que la Commission pourrait encore, en vertu de l’article 9, rouvrir la procédure et, comme elle l’avait envisagé initialement, adopter une décision comportant une constatation formelle de l’infraction.

La CJUE a relevé le caractère essentiel, dans l’économie des accords de licence en question, des obligations visant à assurer l’exclusivité territoriale accordée aux télédiffuseurs, qui sont affectées par les engagements rendus obligatoires par la Commission.

Application du principe de proportionnalité  

Le principe de proportionnalité exige, selon une jurisprudence constante, que les actes des institutions de l’Union soient propres à assurer la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause et ne dépassent pas les limites de ce qui est nécessaire à la réalisation de ces objectifs (arrêt du 11 décembre 2018, Weiss e.a., C 493/17, EU:C:2018:1000, point 72).

La mise en œuvre par la Commission du principe de proportionnalité dans le contexte de l’article 9 du règlement no 1/2003 se limite à la vérification que les engagements en question répondent aux préoccupations dont elle a informé les entreprises concernées et que ces dernières n’ont pas offert d’engagements moins contraignants répondant d’une façon aussi adéquate à ces préoccupations. Dans l’exercice de cette vérification, la Commission doit toutefois prendre en considération les intérêts des tiers (arrêt du 29 juin 2010, Commission/Alrosa, C 441/07 P, EU:C:2010:377, point 41).

Lorsque la Commission vérifie les engagements non pas sous l’angle de leur adéquation à répondre à ses préoccupations en matière de concurrence mais au regard de leur incidence sur les intérêts des tiers, le principe de proportionnalité requiert que les droits dont ces derniers sont titulaires ne soient pas vidés de leur substance.

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