Affaire Le Point : emploi fictif et diffamation

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La diffamation peut être paralysée par la preuve de la bonne foi. Le Point, poursuivi en diffamation par un employé municipal présenté comme occupant un emploi fictif et appui électoral du Maire pour favoriser le vote de français musulmans, a finalement obtenu gain de cause.

Accusations d’emploi fictif

Suite à la parution d’un article titré « Argenteuil : ce que pourrait cacher le voile de la conseillère municipale », Le Point a été poursuivi en diffamation.

En première instance, le Tribunal avait considéré, à tort, que les propos suivants, tenus à l’égard de l‘employé municipal, étaient constitutifs de diffamation : « Officiellement engagé au sein du service cadre de vie, il n’y aurait jamais été vu par sa supérieure et n’aurait jamais été noté. Or un fonctionnaire doit être noté au moins une fois par an. Où était donc B ‘ A en croire son dossier et les paroles d’Argenteuillais qui le connaissent bien, il était officiellement l’interface entre F G et ‘la communauté musulmane d’Argenteuil’, dont il était chargé d »encourager’ le vote’ »

Les termes ‘Officiellement engagé au sein du service cadre de vie, il n’y aurait jamais été vu par sa supérieure’ sous-entendent que l’employé n’occupait pas le poste pour lequel il était rémunéré par la mairie d’Argenteuil, l’article précisant qu’il était ‘officieusement’ affecté à d’autres tâches par la mairie, notamment à des fins politiques et électoralistes. Or, cette présentation de l’activité correspond à la définition de l’emploi fictif, entendu comme le fait de bénéficier d’un emploi et d’en toucher la rétribution afférente sans pour autant effectuer les tâches matérielles que justifierait ce travail, ou en poursuivant des activités partisanes ou militantes au lieu d’effectuer le travail pour lequel la personne est censée être rémunérée.

Cette allégation précise, qui est susceptible d’un débat probatoire sur la preuve de sa vérité, et qui porte atteinte à l’honneur et à la considération de l’employé en ce qu’elle lui impute un comportement susceptible de qualification pénale telle que recel de détournement de fonds publics, est donc diffamatoire envers lui.

Bonne foi retenue

Les imputations diffamatoires sont réputées, de droit, faites avec intention de nuire, mais elles peuvent être justifiées lorsque leur auteur établit sa bonne foi, en prouvant qu’il a poursuivi un but légitime, étranger à toute animosité personnelle, et qu’il s’est conformé à un certain nombre d’exigences, en particulier de sérieux de l’enquête, ainsi que de prudence dans l’expression, étant précisé que la bonne foi ne peut être déduite de faits postérieurs à la diffusion des propos.

Lorsque les propos incriminés concernent un sujet d’intérêt général, leur auteur doit établir qu’ils reposent sur une base factuelle suffisante.

Un sujet d’intérêt général

S’agissant du but légitime poursuivi, il apparaît que l’article litigieux porte sur la politique municipale de l’ancien maire d’Argenteuil, qualifiée de communautariste, cette publication faisant suite à une polémique née de la présence d’une conseillère municipale voilée. Ce sujet est donc un sujet d’intérêt général dans le cadre du renouvellement de l’édile à la mairie d’Argenteuil et des politiques suivies par les différentes majorités élues.

Par ailleurs, aucun élément de nature à démontrer l’existence d’une animosité personnelle du directeur de publication du POINT ou de la journaliste ayant rédigé l’article à l’encontre de l’employé ne ressortait du dossier, étant rappelé que l’animosité personnelle s’entend en droit de la presse de considérations personnelles étrangères et extérieures au litige et que la bonne foi s’apprécie en la personne de l’auteur des propos.

Le directeur de publication du POINT établissait également l’existence d’une base factuelle suffisamment étayée pour justifier les propos qui lui sont reprochés. Il était versé aux débats en défense à ce titre des articles de presse et des témoignages corroborant le dossier administratif vide de l’employé et accréditant le caractère fictif de l’emploi occupé par celui-ci au sein de la mairie d’Argenteuil.

Au vu de ces différents éléments émanant de plusieurs sources, corroborées par des tiers, le directeur de publication disposait d’une base factuelle suffisante pour publier l’article litigieux, étant précisé que l’article portait principalement sur les aspects communautaristes de la politique municipale à Argenteuil, et que le paragraphe concernant l’employé ne représentait que six lignes dans un article de trois pages, ce qui en faisait un personnage secondaire ne nécessitant pas de la part de la journaliste de procéder à une contradiction préalable formelle vis-à-vis de la personne en cause.

Conditions de la diffamation

Pour rappel, l’article 29 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881 définit la diffamation comme ‘toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé’.

Il doit s’agir d’un fait précis, susceptible de faire l’objet d’un débat contradictoire sur la preuve de sa vérité, ce qui distingue ainsi la diffamation, d’une part, de l’injure -caractérisée, selon le deuxième alinéa de l’article 29, par ‘toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait’- et, d’autre part, de l’expression subjective d’une opinion ou d’un jugement de valeur, dont la pertinence peut être librement discutée dans le cadre d’un débat d’idées mais dont la vérité ne saurait être prouvée.

L’honneur et la considération de la personne ne doivent pas s’apprécier selon les conceptions personnelles et subjectives de celle-ci, mais en fonction de critères objectifs et de la réprobation générale provoquée par l’allégation litigieuse, que le fait imputé soit pénalement répréhensible ou manifestement contraire aux règles morales communément admises.

La diffamation, qui peut se présenter sous forme d’allusion ou d’insinuation, doit être appréciée en tenant compte des éléments intrinsèques et extrinsèques au support en cause, à savoir tant du contenu même des propos que du contexte dans lequel ils s’inscrivent.

Par ailleurs, ni les parties, ni les juges ne sont tenus par l’interprétation de la signification diffamatoire des propos incriminés proposée par l’acte initial de poursuite et il appartient aux juges de rechercher si ceux-ci contiennent l’imputation formulée par la partie civile ou celle d’un autre fait contenu dans les propos en question, les juges étant également libres d’examiner les divers passages poursuivis ensemble ou séparément pour apprécier leur caractère diffamatoire.

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