Distribution et restrictions de vente en ligne : risque maximal

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Interdire ou restreindre de façon disproportionnée à ses distributeurs la vente en ligne expose le fabricant à une condamnation pour pratique anticoncurrentielle.

Affaire Stihl

La société Stihl a été condamnée à une amende de 7 000 000 d’euros pour restrictions anticoncurrentielles illicites vis-à-vis de ses distributeurs. L’obligation de prise en main des produits Stihl imposée à ses distributeurs (ventes en ligne comprises), en ce qu’elle s’applique indifféremment aux profanes et aux professionnels, va au-delà de ce qui est nécessaire pour préserver la sécurité de ces derniers. Elle constitue de facto une restriction illicite à la vente en ligne. Le fait d’exiger que l’obligation de mise en main soit impérativement réalisée par le distributeur agréé ayant réalisé la vente, sans admettre aucune substitution, était au coeur de cette restriction de concurrence.

Ce mécanisme prévoyant une obligation de mise en main par le revendeur est bien, intrinsèquement, de nature à restreindre la vente par internet, étant observé qu’entre 2006 et 2013 cette obligation a été interprétée comme devant conduire à une interdiction totale des ventes par internet quelque soit la nature des produits de la société Stihl.

Obligation de prise en main sanctionnée

L’Autorité de la concurrence (suivie en appel) a jugé que l’obligation de « mise en main » prévue par le contrat de distribution sélective, qui conduit à proscrire toute livraison par des tiers, supprime de facto les avantages essentiels de la vente sur internet et revient, toujours de facto, à interdire cette modalité de vente. Ce n’était pas l’obligation de mise en main, en tant que telle, qui était contraire au droit de la concurrence, mais le fait que la société Stihl exigeait que cette obligation soit impérativement réalisée par le distributeur à l’origine de la vente et non pas, le cas échéant, par un autre distributeur membre de son réseau.

L’interdiction de vente en ligne ne pouvait être considérée comme proportionnée et nécessaire pour les produits ne présentant aucun caractère de dangerosité. Concernant les produits dits dangereux, elle a constaté que le cadre réglementant leur fabrication et leur commercialisation, au niveau de l’Union européenne comme au niveau national, n’interdit aucun type de vente et n’impose pas que les ventes soient réalisée dans un espace physique, accompagnées d’un conseil et/ou d’une démonstration par un vendeur spécialisé et a relevé que les concurrents, les sociétés Husqvarna et Honda, n’interdisaient pas les ventes sur internet sur les sites de leurs distributeurs agréés, mais adaptaient leur politique commerciale afin de garantir que le consommateur ait accès à toutes les informations nécessaires à sa sécurité.  L’interdiction de vente en ligne imposée par la société Stihl à ses distributeurs allait au-delà de ce qui est apparu nécessaire à ses concurrents pour préserver la sécurité du consommateur.

Ventes en ligne de produits dangereux  

L’Autorité a considéré que si la nature de certains produits concernés par l’interdiction peut justifier l’édiction de réglementations et d’obligations particulières, l’interdiction des ventes en ligne imposée par la société Stihl n’apparaissait ni appropriée ni proportionnée pour atteindre les objectifs de préservation de la qualité des produits et de sécurisation de leur bon usage, de sorte que cette interdiction est constitutive d’une restriction de concurrence.  

Appréciation in concreto du contrat de distribution

A noter que le seul fait que le contrat de distribution ne comporte pas de disposition interdisant expressément et de manière absolue les ventes sur internet ne suffit pas à exclure l’existence et la mise en oeuvre d’une interdiction de facto des ventes en ligne. En effet, il est nécessaire, afin de préserver l’effet utile du droit de la concurrence, d’examiner la mise en oeuvre concrète des clauses du contrat de distribution sans s’arrêter à leur libellé.

De la même manière, le fait que le contrat de distribution spécialisée contienne un dispositif dédié à la vente sur internet, la circonstance que des ventes à distance soient possibles par le biais de plateformes dédiées n’excluent pas que la mise en oeuvre concrète des exigences du contrat conduise à restreindre cette voie de commercialisation, ce d’autant plus que les ventes réalisées sur ces plateformes sont soumises aux mêmes contraintes que celles des produits vendus en circuits physiques.   

Spécificités du contrat de distribution Stihl

La commercialisation des produits Stihl et Viking s’effectue au sein d’un réseau de distribution sélective, composé de revendeurs spécialisés indépendants. Le réseau compte plus de 1 200 revendeurs sur l’ensemble du territoire français. Le  contrat de distribution spécialisée, en vigueur au sein du réseau jusqu’à la fin de l’année 2013, stipulait que « le Partenaire Commercial s’engage à respecter son obligation de conseil en cas de vente par le biais de son site internet. Le Partenaire Commercial s’interdit toute vente de matériel STIHL et VIKING (à l’exception des vêtements Timbersports) sans une mise en main complète de la machine, avec montage complet du matériel, explications de fonctionnement et précautions à prendre pour un usage dans des conditions de sécurité optimales ». La livraison par un tiers se révélait donc impossible du fait du maintien de l’exigence d’une mise en main de la machine par le distributeur agréé.

Périmètre des pratiques restrictives de concurrence

Au sens de l’article 101, paragraphe 1, du TFUE, sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur, et notamment ceux qui consistent à :

a) fixer de façon directe ou indirecte les prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transaction,

b) limiter ou contrôler la production, les débouchés, le développement technique ou les investissements,

c) répartir les marchés ou les sources d’approvisionnement,

d) appliquer, à l’égard de partenaires commerciaux, des conditions inégales à des prestations équivalentes en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence,

e) subordonner la conclusion de contrats à l’acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n’ont pas de lien avec l’objet de ces contrats.

De même, l’article L. 420-1 du code de commerce prohibe les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites entre les entreprises lorsqu’elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, notamment lorsqu’elles tendent à faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse.

Le système de distribution en cause ne soulevait pas, en lui-même, de difficultés. Il était admis que la société Stihl était libre de choisir ses distributeurs en fonction de critères fixés de manière uniforme et appliqués sans discrimination, que le réseau de distribution sélective repose sur la nécessité de préserver la qualité et d’assurer le bon usage de certains produits de haute qualité et technicité. Il était par ailleurs avéré que l’utilisation de certains de ces produits ‘ au premier rang desquels les tronçonneuses, débroussailleuses, élagueuses, sécateurs à batterie et certains coupe-bordures ‘ requiert l’existence de services d’assistance et de conseil afin d’en préserver la qualité et d’en assurer le bon usage. L’interdiction de la commercialisation des produits par le biais de plateformes tierces constituait, dans les circonstances de l’espèce, une exigence légitime et non disproportionnée pour respecter les spécificités du réseau. En revanche, les juges ont retenu qu’un accord de volontés prohibé par les articles 101 du TFUE et L. 42-1 du code de commerce était intervenu entre la société Stihl et ses distributeurs, à l’origine d’une restriction de concurrence par objet résultant de l’interdiction de vente sur internet à partir des sites des distributeurs de ce réseau de distribution sélective. Le litige était circonscrit à la question de savoir si les clauses contractuelles relatives à la vente des produits sur internet à partir des sites agréés engendraient une restriction de concurrence. Et en l’occurrence, la justification tirée de la dangerosité des produits ne pouvait être admise, dès lors que l’interdiction de vente en ligne portait initialement sur l’ensemble des produits Stihl et Viking, y compris ceux non dangereux, tels les vêtements de protection, les produits de nettoyage et d’entretien ou les batteries et chargeurs. Il existait par ailleurs, d’autres moyens d’assurer la sécurité des acheteurs lors de l’achat de produits dangereux. Télécharger la décision

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