Attention aux mauvais actes de gestion contribuant à creuser le passif d’une société déjà fragilisée. Les associés d’une société frappée de liquidation judiciaire peuvent être condamnés pour insuffisance d’actif en présence d’une faute caractérisée commise à l’occasion de la gestion de l’entreprise, et témoignant d’une mauvaise gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif au jour de la liquidation judiciaire, et qui ne soit pas une simple négligence.
Conditions de l’action en insuffisance d’actif
Aux termes des dispositions de l’article L.651-2 du code de commerce, lorsque la liquidation judiciaire d’une personne morale fait apparaître une insuffisance d’actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif, décider que le montant de cette insuffisance d’actif sera supporté, en tout ou partie, par les dirigeants de droit ou de fait, ou certains d’entre eux, ayant contribué à la faute de gestion, sauf cas de simple négligence. En cas de pluralité de dirigeants, ceux-ci peuvent être déclarés solidairement responsables par décision motivée. Ainsi, pour être engagée, la responsabilité du dirigeant, qu’il soit de droit ou de fait, nécessite que soient établies : i) Une insuffisance d’actif, dont l’existence et le montant sont appréciés au moment où statue la juridiction saisie de l’action en responsabilité ; ii) L’existence d’une faute caractérisée, commise à l’occasion de la gestion de l’entreprise, et témoignant d’une mauvaise gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif au jour de la liquidation judiciaire, et qui ne soit pas une simple négligence ; iii) Un lien de causalité entre la faute de gestion et l’insuffisance d’actif. Toutefois, il suffit qu’il soit démontré que la faute a concouru à l’insuffisance d’actif, sans qu’il ne soit nécessaire qu’elle en soit la cause unique. Il s’agit d’une action à caractère non répressif, mais exclusivement indemnitaire, ayant pour objet la réparation du préjudice subi par la collectivité des créanciers.
Notion d’insuffisance d’actif
L’insuffisance d’actif est égale au passif antérieur déclaré admis, moins l’actif réalisé ou la valorisation certaine de l’actif. La condamnation d’un dirigeant au paiement des dettes sociales suppose qu’au jour où le juge statue, l’insuffisance d’actif soit certaine, c’est-à-dire que le montant du passif est indiscutablement supérieur à l’actif, que celui-ci ait ou non été réalisé. Le montant de la condamnation ne peut excéder celui de l’insuffisance d’actif tel qu’il est constaté au jour où le juge statue. L’auteur du dommage ne peut pas réparer plus que le préjudice. La preuve de l’insuffisance d’actif incombe au liquidateur qui intente l’action. Tous les dirigeants de droit ou de fait ayant contribué à la faute de gestion peuvent faire l’objet de l’action.
Exemples de fautes de gestion
La faute de gestion est une faute commise par le dirigeant dans l’administration de la société et manifestement contraire à l’intérêt social. Elle se déduit des agissements du dirigeant par comparaison au comportement d’un dirigeant normalement compétent placé dans la même situation, ou encore aux règles minimales de bonne gestion, et ne réclame pas la démonstration d’une mauvaise foi ou d’une intention de nuire. Toutefois, il ne doit pas s’agir d’une simple négligence.
En l’espèce, le mandataire liquidateur a fait grief (avec succès) aux deux dirigeants de dépenses excessives au regard des possibilités de la société ou faites au profit d’autres structures ou à leur profit personnel :
i) La souscription d’un nombre important de contrats de crédit-bail pour des véhicules de luxe. La souscription sans justification d’un nombre de contrats de crédit-bail pour des véhicules de luxe, d’un coût important pour la société, alors que l’exercice s’est soldé par une perte conséquente, dont les loyers des véhicules et autres frais annexes représentent plus du quart de cette perte de l’exercice, constitue une faute de gestion. Le caractère volontaire de cette accumulation de souscriptions, au surplus pour des véhicules d’un luxe injustifié, ne permet pas de la qualifier de simple négligence.
ii) L’augmentation excessive de la surface louée et aménagements des locaux d’un coût excessif. La surface louée est passée de 98 à 379 m² avec près de 150 000 euros de travaux. Le paiement sans justification d’aménagements d’un coût important pour la société en termes de loyers et d’installations supplémentaires, tout particulièrement pour des facilités de restauration non justifiées par l’effectif de la société, qui, là encore, représentent plus du quart de la perte de l’exercice suivant, constitue une faute de gestion. Le caractère volontaire de cette décision d’aménagements ne permet pas de la réduire à une simple négligence.
iii) La mise à disposition de locaux à des tiers sans loyer ni contrepartie. Il était fait grief aux associés d’avoir mis à disposition les locaux de la société à des tiers sans aucune contrepartie. Il n’était pas démontré l’intérêt pour la société d’héberger dans ses locaux ces autres sociétés, fussent-elles du même groupe. Les dirigeants n’ont pas agi dans l’intérêt social de la société, mais dans l’intérêt de sociétés tierces, dans lesquelles ils avaient eux-mêmes des intérêts personnels.
Constitue une faute de gestion le fait de louer et d’aménager des locaux pour les mettre sans contrepartie à la disposition de sociétés tierces dans lesquelles ils avaient des intérêts personnels, au détriment de la société objet de la présente procédure, et le caractère volontaire de cette mise à disposition gratuite ne permet pas de la qualifier de simple négligence.
iv) Le fait d’avoir vidé partie de la substance de la société que les associés dirigeaient, au profit d’une nouvelle société qu’ils dirigeaient aussi, et ce, sans justification particulière. L’objectif vague et général « d’améliorer et optimiser les conditions dans lesquelles elles devaient assurer leurs besoins de trésorerie » ne justifiant pas d’avoir fait perdre à la société près de 150 000 euros de trésorerie à la date à laquelle elle enregistrait déjà une perte comptable de 400 000 euros. Téléchargez la décision