Épuisement des droits de distribution des jeux vidéo

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A propos de la vente, la facturation du droit d’utilisation ou le transfert du compte d’un abonné à une plateforme de distribution de jeux vidéo (Steam), les juges ont appliqué la règle de l’épuisement des droits (de distribution). L’interdiction contractuelle de cession des droits de l’abonné sur ses jeux vidéo est abusive.

L’épuisement des droits appliqué à l’immatériel

 

Les articles 4 paragraphe 2 des directives 2001/29/CE et 2009/24/CE proscrivent l’éventuelle entrave que pourrait constituer la protection du droit d’auteur en reconnaissant le principe d’épuisement du droit de distribution, lequel « interdit d’interdire », serait-ce par le jeu de dispositions contractuelles, la libre circulation des marchandises au sein de l’Union.  Aucune des deux directives précitées ne distinguant, quant à leur régime, les œuvres matérielles des œuvres immatérielles, la première vente de la copie d’une œuvre ou d’un exemplaire d’un programme d’ordinateur, doit pouvoir donner lieu à épuisement du droit de distribution de cette copie (ou de cet exemplaire), étant observé que le téléchargement d’un fichier de jeu sur l’ordinateur de l’utilisateur constitue au sens de ces deux directives une copie ou un exemplaire de cette œuvre.

Ainsi, au regard des directives concernées, la mise à disposition (ou la mise sur le marché) par le titulaire du droit ou avec son consentement d’une œuvre matérielle ou immatérielle protégée par un droit de propriété intellectuelle doit avoir pour conséquence la perte du contrôle qu’il exerce sur la distribution de l’œuvre.

Épuisement du droit de distribution

 

L’article L. 122-3-1 du code de la propriété intellectuelle (CPI), portant transposition de la directive 2001/29/CE consacre le principe de l’épuisement du droit de distribution, en énonçant que la première vente d’un ou des exemplaires matériels d’une œuvre autorisée par l’auteur ou ses ayants droit sur le territoire d’un Etat membre de la Communauté européenne ou d’un autre Etat partie à l’accord sur l’Espace économique européen épuise son droit à distribution.  Au sens de cet article, la vente des « exemplaires » de l’œuvre ne peut donc plus dans ce cas être interdite dans les Etats membres de la Communauté européenne et les Etats parties à l’accord sur l’Espace économique européen.

De la même manière, l’article L. 122-6 3°) du CPI dispose que le droit d’exploitation appartenant à l’auteur d’un logiciel comprend le droit d’effectuer et d’autoriser la mise sur le marché à titre onéreux ou gratuit, y compris la location, du ou des exemplaires d’un logiciel par tout procédé. Toutefois, la première vente d’un exemplaire d’un logiciel dans le territoire d’un Etat membre de la Communauté européenne ou d’un Etat partie à l’accord sur l’Espace économique européen par l’auteur ou avec son consentement épuise le droit de mise sur le marché de cet exemplaire dans tous les Etats membres à l’exception du droit d’autoriser la location ultérieure d’un exemplaire.

Propriété incorporelle indépendante de la propriété de l’objet matériel

L’existence d’un droit de distribution ne laisse aucunement aux États membres la faculté de prévoir une règle d’épuisement autre que celle de l’épuisement communautaire. De sorte que l’« exemplaire matériel » de l’article L. 122-6 3°) du code de la propriété intellectuelle et l’« exemplaire » de l’article L. 122-3-1 ne doivent pas être assimilés au seul support physique du logiciel, mais doivent s’entendre du téléchargement du logiciel à partir du site internet et de son installation sur l’ordinateur de l’utilisateur, conformément au principe posé par l’article L. 111-3 du même code, qui, en énonçant que « la propriété incorporelle est indépendante de la propriété de l’objet matériel », distingue l’œuvre de l’objet matériel dans laquelle l’œuvre est incorporée.

Nature du jeu vidéo

Le jeu vidéo ne relève pas d’une « prestation de service en ligne », qui échapperait, si elle était établie, à l’application des directives précitées. D’abord parce que la « distribution » d’un jeu vidéo constitue une « mise sur le marché » (ou une « mise à disposition ») au sens des directives 2001/29/CE et 2009/24/CE. Ensuite parce que les services offerts par la plate-forme, distincts des jeux vidéo, auxquels ils sont « liés », ne sauraient être offerts à l’utilisateur en l’absence d’achat préalable par ses soins d’un jeu vidéo. Enfin, l’« abonnement » à la « souscription » (d’un jeu) effectué par l’utilisateur, consiste en réalité en un achat, le jeu étant mis à la disposition dudit utilisateur pour une durée illimitée. Il ne peut donc s’agir d’un « abonnement » – au sens usuel du terme – mais de la vente d’un exemplaire d’un jeu vidéo, réalisé moyennant un prix déterminé à l’avance et versé en une seule fois par l’utilisateur.

 

De sorte qu’il ressort des textes précités et de la décision CJUE UsedSoft GmbH / Oracle International Corp. (Affaire C-128/11 du 3 juillet 2012), qu’il importe peu que l’œuvre soit ou non incorporée dans un support matériel ; qu’elle ait été transférée par une vente une autre modalité que la vente, l’épuisement du droit de distribution s’applique quel que soit le mode de distribution du jeu vidéo, comme celle consistant en la mise sur le marché par téléchargement.

En conséquence, le titulaire du droit concerné ne peut plus s’opposer à la revente de cette copie (ou exemplaire) même si l’achat initial est réalisé par voie de téléchargement. L’éditeur du logiciel (ou ses ayants-droit) ne peut plus s’opposer à la revente de cette copie ou exemplaire, nonobstant l’existence de dispositions contractuelles interdisant une cession ultérieure.

D’où il suit que le principe de l’épuisement des droits s’applique à la fourniture de contenus numériques dématérialisés telle que la fourniture de jeux vidéo en ligne, lesquels sont accessibles à distance via internet et téléchargés sur l’ordinateur de celui qui l’utilise. Par conséquent une clause interdisant une revente est  illicite au regard de l’article 4 paragraphe 2 de la directive 2001/29/CE, de la directive 2009/24/CE, des articles L. 122-3-1 et L. 122-6 3°) du code de la protection intellectuelle.

 

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