L’appréciation des effets d’un accord d’achat exclusif implique la nécessité de prendre en considération le contexte économique et juridique au sein duquel celui-ci se situe et où il peut concourir, avec d’autres, à un effet cumulatif sur le jeu de la concurrence.
Affaire Brasseries de Haecht
La théorie de l’effet cumulatif a pour origine l’arrêt de l’arrêt de la Cour de justice du 12 décembre 1967, Brasseries de Haecht, Aff. 23/67, Rec. p. I-525, dans lequel la Cour a considéré qu’en frappant les accords, décisions ou pratiques en raison, non seulement de leur objet, mais aussi de leurs effets au regard de la concurrence, l’article 85, paragraphe 1, du Traité (devenu article 101, paragraphe 1 du TFUE) implique la nécessité d’observer ces effets dans le cadre où ils se produisent, c’est-à-dire dans le contexte économique et juridique au sein duquel ces accords, décisions ou pratiques se situent et où ils peuvent concourir, avec d’autres, à un effet cumulatif sur le jeu de la concurrence. La Cour a ainsi énoncé que « pour apprécier si elle est frappée par l’article 85, paragraphe 1 [devenu article 101, paragraphe 1 du TFUE], une convention ne peut donc être isolée de ce contexte, c’est-à-dire des circonstances de fait ou de droit ayant pour conséquence qu’elle a pour effet d’empêcher, restreindre ou fausser le jeu de la concurrence ; que, par rapport à cet objectif, l’existence de contrats similaires peut être prise en considération dans la mesure où l’ensemble des contrats de ce genre est de nature à restreindre la liberté du commerce ».
Dans une ordonnance du 3 septembre 2009, Lubricantes y Carburantes Galaicos SL, C-506/07, la Cour a précisé, s’agissant d’accords d’achat exclusif, que « si de tels accords n’ont pas pour objet de restreindre la concurrence, au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE [devenu 101 du TFUE], il convient toutefois de vérifier s’ils n’ont pas pour effet de l’empêcher, de la restreindre ou d’en fausser le jeu » et que « l’appréciation des effets d’un accord d’achat exclusif implique la nécessité de prendre en considération le contexte économique et juridique au sein duquel celui-ci se situe et où il peut concourir, avec d’autres, à un effet cumulatif sur le jeu de la concurrence ».
Analyse d’un ensemble de contrats
Pour procéder à l’examen de tels accords, il convient « d’analyser les effets que produit un tel contrat, en combinaison avec d’autres contrats de même type, sur les possibilités, pour les concurrents nationaux ou originaires d’autres États membres, de s’implanter sur le marché de référence ou d’y agrandir leur part de marché (voir arrêts du 28 février 1991, Delimitis, C-234/89, Rec. p. I-935, points 13 à 15, et du 7 décembre 2000, Neste, C-214/99, Rec. p. I-11121, point 25) » (point 30).
Selon la Cour, il importe, à cette fin, en premier lieu, « d’examiner la nature et l’importance de l’ensemble des contrats similaires qui lient un nombre important de points de vente à plusieurs fournisseurs et de prendre en compte, parmi les autres éléments du contexte économique et juridique dans lequel les contrats s’insèrent, ceux qui déterminent les possibilités d’accès au marché de référence.
À cet égard, il convient d’examiner s’il existe des possibilités réelles et concrètes pour un nouveau concurrent de s’infiltrer dans le faisceau de contrats. Il y a lieu de tenir compte également des conditions dans lesquelles s’accomplit le jeu de la concurrence sur le marché de référence (arrêts précités Delimitis, points 19 à 22, et Neste, point 26) ». Cette analyse a été reprise par les juridictions nationales. La cour d’appel de Paris a ainsi considéré, dans un arrêt du 7 mai 2002 relatif à des contrats de prêt de congélateurs prévoyant une exclusivité de stockage, que « l’effet restrictif de concurrence résultant d’un ensemble d’accords de distribution doit s’apprécier au regard de la nature et de l’importance des contrats sur le marché en cause, de l’existence de possibilités réelles et concrètes pour un nouveau concurrent de s’infiltrer dans le faisceau des contrats, et des conditions dans lesquelles s’accomplit le jeu de la concurrence sur le marché de référence, à savoir, notamment, le nombre et la taille des producteurs présents sur le marché, la fidélité de la clientèle aux marques existantes » (cour d’appel de Paris, 7 mai 2002, Masterfoods, n° 2001/06033 et 2001/06091). 209.
En second lieu, les juridictions de l’Union comme les juridictions internes jugent avec constance que lorsque l’examen de l’ensemble des contrats similaires révèle que le marché en cause est difficilement accessible, il convient d’apprécier dans quelle mesure les contrats conclus par le fournisseur concerné contribuent à l’effet cumulatif produit par cet ensemble de contrats. La Cour de justice a ainsi jugé, dans un arrêt du 26 novembre 2015, Maxima Latvija, que « la responsabilité de cet effet de fermeture du marché doit être imputée, selon les règles de concurrence communautaires, aux fournisseurs qui y contribuent de manière significative. Les contrats conclus par des fournisseurs dont la contribution à l’effet cumulatif est insignifiante ne tombent dès lors pas sous le coup de l’interdiction de l’article 81, paragraphe 1, CE [devenu l’article 101, paragraphe 1 du TFUE].
L’effet de blocage cumulatif
Afin d’apprécier l’importance de la contribution des contrats conclus par un fournisseur à l’effet de blocage cumulatif, il faut prendre en considération la position des parties contractantes sur le marché. Cette contribution dépend, en outre, de la durée desdits contrats. Si cette durée est manifestement excessive par rapport à la durée moyenne des contrats généralement conclus sur le marché en cause, le contrat individuel relève de l’interdiction de l’article 81, paragraphe 1, CE [devenu l’article 101, paragraphe 1 du TFUE] (arrêts précités Delimitis, points 24 à 26, et Neste, point 27) » (voir l’arrêt de la CJCE du 26 novembre 2015, Maxima Latvija, Aff. C-345/14, non encore publié au recueil, point 32). 210. À cet égard, s’agissant de la contribution de chaque fournisseur (ou distributeur) individuel à l’effet cumulatif de verrouillage, la Commission européenne considère, dans sa communication concernant les accords d’importance mineure qui ne restreignent pas sensiblement le jeu de la concurrence au sens de l’article 101, paragraphe 1, du TFUE (dite « communication de minimis »), que « lorsque, sur un marché en cause, la concurrence est restreinte par l’effet cumulatif d’accords de vente de biens ou de services contractés par différents fournisseurs ou distributeurs (effet cumulatif de verrouillage de réseaux parallèles d’accords ayant des effets similaires sur le marché), […] les fournisseurs ou distributeurs individuels dont la part de marché n’excède pas 5 % ne contribuent en général pas d’une manière significative à un effet cumulatif de verrouillage.
Un effet cumulatif de verrouillage n’existera vraisemblablement pas si moins de 30 % du marché en cause est couvert par des (réseaux) d’accords parallèles ayant des effets similaires » (Communication concernant les accords d’importance mineure qui ne restreignent pas sensiblement le jeu de la concurrence au sens de l’article 101, paragraphe 1, du TFUE, 2014/C 291/01, point 10).
Une jurisprudence abondante
La théorie de l’effet cumulatif a donné lieu à une jurisprudence abondante en droit de l’Union, portant par exemple sur des hypothèses d’engagements d’achat exclusif de bière dans les débits de boisson (voir l’arrêt de la CJCE du 28 février 1991, Delimitis, Aff. C-234/89), d’obligations d’achat exclusif dans le secteur des glaces (voir l’arrêt du TPICE du 8 juin 1995, Langnese Igloo, Aff. T-7/93), de contrats prévoyant des exclusivités de stockage des produits dans des congélateurs mis à disposition à titre gracieux par les fournisseurs (voir l’arrêt du TPICE du 23 octobre 2003, Van Den Berg Food, Aff. T-65/98), de contrats d’exclusivité d’approvisionnement en carburant (voir l’arrêt de la CJCE du 7 décembre 2000, Neste, Aff. C-214/99) ou encore s’agissant d’une clause contenue dans un contrat de location d’espaces commerciaux permettant au preneur de s’opposer à l’implantation de concurrents (voir l’arrêt de la CJCE du 26 novembre 2015, Maxima Latvija, précité).