Cour d’appel de Paris, 23 octobre 2024, RG n° 22/02627
Cour d’appel de Paris, 23 octobre 2024, RG n° 22/02627

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel de Paris

Thématique : Licenciement et Insuffisance Professionnelle : Évaluation des Droits et Obligations dans le Cadre d’une Relation de Travail

 

Résumé

Monsieur [C] [U], consultant project manager chez TATA CONSULTANCY SERVICES, a été licencié pour insuffisance professionnelle en mars 2019. Contestant cette décision, il a saisi le conseil de prud’hommes, qui a initialement débouté ses demandes. En appel, la cour a infirmé ce jugement, concluant que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse. Elle a reconnu que l’employeur n’avait pas suffisamment proposé de missions adaptées à son profil, et a condamné TATA CONSULTANCY SERVICES à verser 28.000 € de dommages et intérêts, ainsi que 2.000 € pour exécution déloyale du contrat de travail.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

23 octobre 2024
Cour d’appel de Paris
RG n°
22/02627

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 9

ARRET DU 23 OCTOBRE 2024

(n° , 6 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/02627 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CFIHA

Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 Novembre 2021 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° 19/04972

APPELANT

Monsieur [C] [U]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représenté par Me Nadia COUTANT, avocat au barreau de PARIS, toque : E0288

INTIMEE

S.A. TATA CONSULTANCY SERVICES

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Benjamine FIEDLER, avocat au barreau de PARIS, toque : R255

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 24 Juin 2024, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Nelly CHRETIENNOT, conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Monsieur Stéphane MEYER, président de chambre

Monsieur Fabrice MORILLO, conseiller

Madame Nelly CHRETIENNOT, conseiller

Greffier, lors des débats : Monsieur Jadot TAMBUE

ARRET :

– contradictoire,

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Monsieur Stéphane MEYER, président de chambre et Madame Marika WOHLSCHIES, greffier à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur [C] [U] a été engagé au poste de « consultant project manager », statut cadre, par la société ALTI ISR, spécialisée dans le secteur d’activité du conseil en systèmes et logiciels informatiques, selon contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er août 2011.

La société ALTI a été rachetée par la société TATA CONSULTANCY SERVICES FRANCE en juillet 2013.

La relations de travail étaient soumises à la convention collective des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils (Syntec).

Monsieur [U] a exécuté plusieurs missions auprès de clients, en qualité de consultant externe :

– d’aout 2011 à janvier 2014 : responsable de production auprès de la société L’OREAL, avec pour principales activités d’encadrer les équipes systèmes et réseaux, en supervisant l’activité d’exploitation et le suivi des ressources ;

– de mars à mai 2014 : mission auprès du CREDIT AGRICOLE, en qualité de manager de transition pour la mise en place d’un centre de service ;

– d’octobre 2014 à fin avril 2015 : mission de responsable d’équipe fonctionnement au sein de CARDIF BNP PARIBAS.

Au mois d’avril 2015, à l’issue de sa mission au sein de la BNP PARIBAS, il s’est retrouvé en période d’intercontrat, dans l’attente d’une nouvelle mission de consultant.

Monsieur [U] a été convoqué le 4 mars 2019 à un entretien préalable à un éventuel licenciement qui s’est tenu le 18 mars 2019.

Par courrier du 26 mars 2019, il a reçu notification de son licenciement pour insuffisance professionnelle au motif que sa situation d’inter contrat de longue durée était imputable à son manque de compétences, de motivation et de proactivité.

Monsieur [U] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris le 7 juin 2019 afin de voir juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse et de voir son employeur condamné à lui verser une indemnité à ce titre, ainsi que des dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.

Par jugement du 5 novembre 2021, le conseil de prud’hommes de Paris a débouté Monsieur [U] de l’ensemble de ses demandes et l’a condamné à verser à la société TATA CONSULTANCY SERVICES la somme de 750 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Monsieur [U] a régulièrement interjeté appel de ce jugement par déclaration du 18 février 2022, en visant expressément les dispositions critiquées.

Par écritures récapitulatives notifiées électroniquement le 18 mai 2022, Monsieur [U] demande à la cour de :

-Infirmer le jugement déféré en ce qu’il l’a débouté de l’ensemble de ses demandes,

Statuant de nouveau,

-Dire que son licenciement n’est pas fondé sur un motif réel et sérieux,

-Condamner la société TCS à lui verser les sommes suivantes :

-dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 101.780 €,

-dommages et intérêts pour exécution de mauvaise foi et déloyale du contrat : 30.000 €,

-frais de procédure : 5.000 €

-Condamner la société TCS aux entiers dépens.

Par écritures récapitulatives notifiées électroniquement le 18 août 2022, la société TATA CONSULTANCY SERVICES FRANCE demande à la cour de :

-Confirmer le jugement déféré en ce qu’il a débouté Monsieur [U] de l’ensemble de ses demandes,

Et statuant à nouveau,

-Débouter Monsieur [U] de l’ensemble de ses demandes,

-Le condamner au paiement de la somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 18 juin 2024.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions.

MOTIFS

Sur le licenciement

Aux termes de l’article L.1232-1 du code du travail, le licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.

L’insuffisance professionnelle se définit comme l’incapacité objective et durable d’un salarié à exécuter de façon satisfaisante un emploi correspondant à sa qualification. Elle se caractérise par une mauvaise qualité du travail due soit à une incompétence professionnelle, soit à une inadaptation à l’emploi.

Si l’appréciation des aptitudes professionnelles et de l’adaptation à l’emploi relève du pouvoir de l’employeur, pour justifier le licenciement, les griefs doivent être suffisamment pertinents, matériellement vérifiables et perturber la bonne marche de l’entreprise ou être préjudiciables aux intérêts de celle-ci.

Aux termes de l’article L. 1235-1 du code du travail, le juge, pour apprécier le caractère réel et sérieux des motifs de licenciement invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, et au besoin après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles, et, si un doute persiste, il profite au salarié.

En l’espèce, la lettre de licenciement du 26 mars 2019, qui fixe les limites du litige en application des dispositions de l’article L.1232-6 du code du travail, fait état d’une insuffisance professionnelle caractérisée par les éléments suivants :

-une situation d’inter contrat de longue durée manifestement imputable à son manque de compétences ;

-une absence de motivation pour participer aux entretiens clients et décrocher ainsi une nouvelle mission ;

-un manque de proactivité pour se former, qui s’est illustrée notamment par l’absence de validation de sa formation en anglais entamée en mai 2015.

Monsieur [U] conteste l’insuffisance professionnelle reprochée, exposant que c’est en réalité son employeur qui l’a laissé de nombreux mois sans proposition de mission, ou lui proposant des missions inadaptées à son profil, espérant qu’il se décourage de lui-même. Il ajoute que les situations d’intercontrat longues et abusives étaient fréquentes dans l’entreprise depuis le rachat de la société ALTI par la société TATA CONSULTANCY SERVICES FRANCE en juillet 2013.

La cour relève que Monsieur [U] a exercé normalement ses missions entre août 2011 et avril 2015, occupant plusieurs postes de consultants au sein des sociétés L’OREAL, CREDIT AGRICOLE et CARDIF BNP PARIBAS.

A compter du mois d’avril 2015, alors qu’il était en situation d’intercontrat, l’employeur lui a proposé les missions suivantes :

-Le 24 février 2017, soit près de deux ans après la fin de sa dernière mission, il lui a été proposé un poste à pourvoir auprès de la société GENERALI. Monsieur [U] a toutefois répondu que celui-ci n’était pas en adéquation avec ses compétences et expériences, ce dont a convenu le commercial qui lui avait fait la proposition, de sorte qu’il ne peut pas être reproché au salarié d’avoir décliné cette offre.

-Le 30 août 2017, le commercial lui a proposé la même offre, qu’il a déclinée pour les mêmes raisons.

-Un appel d’offre pour un poste de chef de projet au sein de la société MILLEIS lui a été transmis le 10 avril 2018, à laquelle le salarié a répondu au commercial qu’il pouvait envoyer sa candidature, tout en indiquant qu’il n’avait pas d’expérience significative en matière de déploiement d’outils de sécurité, ce qui était exact au vu de son curriculum vitae, car s’il avait suivi une formation en la matière, il avait avant tout travaillé sur la gestion des infrastructures systèmes et réseaux.

Il ne peut lui être reproché d’indiquer au commercial, et non au client, les limites de son profil. Par ailleurs, aucun retour ne lui a été fait sur cette candidature.

-Le 10 septembre 2018, le commercial de la société a diffusé à plusieurs consultants une offre au sein de la société MILLEIS, pour une  » nouvelle architecture réseau « , à laquelle Monsieur [U] va répondre favorablement ( » je suis partant pour la mission « ) tout en précisant que certaines de ses compétences étaient un peu obsolètes, ce qui était le cas puisqu’il n’avait plus travaillé de façon effective depuis avril 2015. Il n’a pas eu de retour sur sa candidature.

-Le 23 novembre 2018, le commercial de la société a informé Monsieur [U] qu’il avait proposé sa candidature pour une mission auprès de AXA BANQUE, pour laquelle un rendez-vous de préparation était fixé au siège, auquel Monsieur [U] confirmait sa présence.

Toutefois, le commercial a annulé cet entretien de préparation le jour même, sans fixer de nouvelle date et par mail du 3 décembre 2018, il lui a indiqué n’avoir aucun retour du client suite à sa candidature.

Il ressort de ce qui précède qu’en quatre ans, à compter d’avril 2015, la société n’a proposé à Monsieur [U] que quatre missions, et que seules trois d’entre elles correspondaient à son profil. Il répondu favorablement aux propositions correspondant à son profil, et il n’a pas été donné d’explications par l’employeur sur l’absence de suites, en lien avec ses compétences ou la présentation de sa candidature.

Or, dans la société, les consultants n’avaient pas d’autonomie pour développer leur clientèle, et les rendez-vous et entretiens étaient proposés par des commerciaux en charge de prospecter et soumettre la candidature des différents consultants aux clients de la société.

Au regard du très faible nombre de propositions qui lui ont été faites, Monsieur [U] n’a pas été pleinement mis en mesure par son employeur d’exercer effectivement ses fonctions. L’employeur apparaît dès lors malvenu de le lui reprocher, et ne peut invoquer une longue période d’inactivité au soutien du licenciement, alors qu’il en est lui-même à l’origine.

S’agissant de l’insuffisance relative au suivi des formations, il ressort des pièces produites que Monsieur [U] a suivi des formations tous les ans à compter de 2015, dont une longue formation en matière de cybersécurité en 2018. Dès lors, le seul fait qu’il n’ait pas validé rapidement sa formation en anglais, qu’il avait néanmoins terminée à la date du licenciement, ne suffit pas à qualifier une insuffisance professionnelle, l’anglais étant par ailleurs annexe dans le cadre de l’exercice de sa profession.

L’insuffisance professionnelle de Monsieur [U] n’est pas démontrée et le licenciement est en conséquence sans cause réelle et sérieuse, contrairement à ce qui a été jugé par le conseil de prud’hommes qui sera infirmé sur ce point.

Sur la demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Monsieur [U] justifie de sept ans et demi d’ancienneté et l’entreprise emploie habituellement plus de 10 salariés.

En dernier lieu, il percevait un salaire mensuel brut de 5.654,26 €.

En application des dispositions de l’article L.1235-3 du code du travail, il est fondé à obtenir une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse égale à une somme comprise entre 3 et 8 mois de salaire, soit entre 16.962,78 € et 45.234,08 €.

Au moment de la rupture, il était âgé de 52 ans. Il ne produit aucun élément relatif à sa situation à la suite de la rupture du contrat de travail.

Au vu de cette situation, et de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle il convient d’évaluer son préjudice à 28.000€.

Le jugement sera infirmé sur ce point et l’employeur condamné à payer cette somme au salarié.

Enfin, sur le fondement de l’article L.1235-4 du code du travail, il convient de condamner l’employeur à rembourser les indemnités de chômage dans la limite de six mois.

Sur la demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail

L’article L.1222-1 du code du travail dispose que le contrat de travail est exécuté de bonne foi.

Monsieur [U] expose qu’il a stagné dans son emploi à cause de la passivité manifeste de son employeur, qui n’a pas préservé son employabilité. Il estime que cette exécution de mauvaise foi du contrat de travail justifie une indemnisation de son préjudice.

Il ressort de ce qui précède que la société TATA CONSULTANCY SERVICES France a été peu proactive à proposer des missions à Monsieur [U], qui n’a pas été pleinement mis en mesure d’exercer effectivement ses fonctions. La situation des salariés en intercontrat avait par ailleurs été signalée par les organisations syndicales en octobre 2015 et avril 2019, il s’agissait donc d’une problématique connue par l’entreprise, qui n’a pas exécuté le contrat de bonne foi.

S’agissant du préjudice subi par le salarié, le défaut d’exercice de son activité pendant près de quatre ans a impacté négativement son parcours professionnel. Toutefois, dans la mesure où il ne donne pas d’éléments sur sa situation suite à la rupture de son contrat, son préjudice ne peut être pleinement évalué. Au regard de ces éléments, il lui sera alloué 2.000 € de dommages et intérêts au titre de l’exécution déloyale du contrat de travail par son employeur.

Le jugement déféré sera infirmé, et l’employeur condamné à verser cette somme à Monsieur [U].

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

Il y a lieu d’infirmer la décision du conseil de prud’hommes sur ces points, et statuant de nouveau, de condamner la société TATA CONSULTANCY SERVICES FRANCE aux dépens tant de la première instance que de l’appel, ainsi qu’à verser à Monsieur [U] la somme de 3.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La société TATA CONSULTANCY SERVICES FRANCE sera déboutée de sa demande au titre des frais de procédure.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe,

Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Statuant de nouveau,

Dit que le licenciement de Monsieur [U] est sans cause réelle et sérieuse,

Condamne la société TATA CONSULTANCY SERVICES FRANCE à lui verser les sommes suivantes :

-dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 28.000 €,

-dommages et intérêts pour exécution de mauvaise foi et déloyale du contrat : 2.000 €,

-frais de procédure de première instance et d’appel : 3.000 €,

Condamne la société TATA CONSULTANCY SERVICES FRANCE à rembourser les indemnités de chômage dans la limite de six mois,

Condamne la société TATA CONSULTANCY SERVICES FRANCE aux dépens tant de la première instance que de l’appel,

Déboute la société TATA CONSULTANCY SERVICES France de sa demande au titre des frais de procédure.

Le greffier, Le président,


 


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