Droit de suite transféré à l’acheteur
L’affaire revient en appel après une première cassation : le Comité professionnel des galeries d’art fondé en 1947 et regroupant 240 galeries a de nouveau obtenu gain de cause contre la société Christie’s France. L’antiquaire ou le galeriste, lorsqu’il achète un bien soumis au droit de suite, prélève sur le prix à verser au vendeur, la somme correspondant à ce droit, qu’en sa qualité de vendeur, il reverse à l’artiste ou à ses ayants droits. Or, la société Christie’s France avait modifié ses conditions générales de vente en faisant supporter à l’acheteur le paiement du droit de suite, au moyen d’une clause dédiée. Cette pratique avait notamment été appliquée lors de la vente de la collection d’Yves Saint Laurent et Pierre Bergé (2009). La clause litigieuse a été censurée par les juges.
Rappel sur le droit de suite
L’article L 122-8 du code de la propriété intellectuelle prévoit au profit des auteurs d’oeuvres originales graphiques et plastiques ressortissant d’un Etat membre de la Communauté européenne ou d’un Etat partie à l’accord sur l’espace économique européen, un droit de suite, qui est un droit inaliénable de participation au produit de toute vente d’une oeuvre après la première cession opérée par l’auteur ou ses ayants droit, lorsqu’intervient en tant que vendeur, acheteur ou intermédiaire un professionnel du marché de l’art ; par dérogation, ce droit ne s’applique pas lorsque le vendeur a acquis l’oeuvre directement de l’auteur, moins de trois ans avant cette vente et que le prix de vente ne dépasse pas 10.000 euros ; le droit de suite est à la charge du vendeur et la responsabilité de son paiement incombe au professionnel intervenant dans la vente et, si la cession s’opère entre deux professionnels, au vendeur.
Redevable du droit de suite : appréciation laissée aux Etats membres
La CJUE (arrêt du 26 février 2015, Christie’s France, C-41/14) a eu l’opportunité de préciser que les Etats membres de l’Union européenne sont uniquement responsables de ce que la redevance au titre du droit de suite doit être perçue mais cette responsabilité implique que ces Etats soient les seuls à pouvoir déterminer dans le cadre défini par la Directive 2001/84/CE du 27 septembre 2001, la personne redevable chargée du paiement de ladite redevance à l’auteur.
La Cour européenne a considéré que la Directive ne s’oppose pas à ce que la personne redevable du droit de suite, désignée comme telle par la législation nationale, que ce soit le vendeur ou un professionnel du marché de l’art intervenant dans la transaction, puisse conclure avec toute autre personne, y compris l’acheteur, que cette dernière supporte définitivement, en tout ou en partie, le coût du droit de suite, pour autant qu’un tel arrangement contractuel n’affecte nullement les obligations et la responsabilité qui incombent à la personne redevable envers l’auteur.
Une directive ne lie les Etats que quant aux objectifs à atteindre et leur laisse le choix quant aux moyens d’y parvenir ; elle n’emporte donc aucun effet direct dès lors qu’elle a été dûment transposée en droit interne.
La directive énonce que la personne redevable est en principe le vendeur, mais elle n’exclut pas que les Etats membres puissent prévoir des dérogations à ce principe, à condition de choisir la personne redevable parmi les professionnels qui interviennent en tant que vendeurs, acheteurs ou intermédiaires dans les actes de revente relevant du champ d’application de la directive ; en tout état de cause, la directive ne se prononce pas sur l’identité de la personne qui doit supporter définitivement le coût du droit de suite, l’objectif poursuivi portant sur l’indication de la personne responsable du paiement de la redevance et sur les règles visant à établir le montant de cette dernière. Les législations nationales sont donc souveraines pour déterminer à qui incombe la charge finale du coût de la redevance.
Droit de suite : l’intention du législateur français
A l’occasion de la transposition de la directive de 2001 par la loi n°2006-961 du 1er août 2006, le législateur français a choisi de faire de l’article L 122-8 du code de la propriété intellectuelle, un outil de régulation du marché français. Si l’instauration d’un droit de suite existait en droit interne, depuis 1920 déjà à la charge du vendeur, les galeries d’art en étaient exemptées jusqu’à la promulgation de la loi. Le législateur a clairement mis le droit de suite à la charge du vendeur et la responsabilité de son paiement, au professionnel de la vente, alors qu’il n’y était nullement contraint par la directive (il a fait ce choix pour assainir les règles de la concurrence sur le marché national).
Ce choix délibéré résulte clairement de l’examen des travaux parlementaires : selon le rapport Thiollière, au nom de la commission des affaires culturelles du Sénat, « seul le vendeur subira une restriction dans l’exercice de l’abusus de son droit de propriété », la personne responsable du paiement (le professionnel) « étant simplement chargée de prélever les fonds sur le prix de vente de l’oeuvre afin de les tenir à la disposition de l’auteur ».
Le droit de suite est mis à la seule charge du vendeur et la simplicité de ce principe contribue à établir des conditions de concurrence saines entre les principales places de marché au sein de l’Union. La faculté de prévoir des dérogations conventionnelles, bien qu’envisagée, a été écartée par la commission mixte paritaire (rejet de l’amendement Gaillard, visant à permettre des arrangements entre le vendeur et les professionnels participant à la vente, afin d’asseoir une meilleure position concurrentielle de la France, notamment à l’égard de Londres).
Enfin, une proposition de loi enregistrée à la Présidence du Sénat le 13 octobre 2016, tendant à encourager l’activité culturelle et artistique et à renforcer l’attractivité du marché de l’art, vise à compléter l’article L122-8 du code de la propriété intellectuelle par la phrase suivante « par convention, le paiement du droit de suite peut être mis à la charge de l’acheteur », ce dont il se déduit qu’en l’état actuel de la législation cet aménagement conventionnel n’est pas autorisé, la loi adoptée le 1er août 2006, revêtant un caractère impératif fondé sur un ordre public économique de direction.
Par conséquent, la clause des conditions générales de la société Christie’s visant à imputer la charge définitive du droit de suite à l’acheteur, était contraire aux dispositions impératives de l’article L 122-8 du code de la propriété intellectuelle imposant que la charge en revienne exclusivement au vendeur. La clause a été déclarée nulle et de nul effet.
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