Pratiques anticoncurrentielles : la clause attributive de juridiction

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Clause inopposable au Ministre de l’économie

Les contrats faisant l’objet d’enquêtes de l’Autorité de la concurrence pour pratiques anti-concurrentielles comportent une clause attributive de compétence à des juridictions étrangères. Cette clause n’est opposable ni à l’Autorité ni au Ministre de l’économie. En effet, l’article L. 442-6 du code de commerce réserve au ministère public, au ministre chargé de l’économie et au président de l’Autorité de la concurrence la faculté de saisir les juridictions compétentes désignées par l’article D. 442-3 du code de commerce, aux fins d’obtenir la cessation de pratiques illicites et l’application d’amendes civiles aux opérateurs économiques contrevenants.

Cette action qui a été attribuée à ces autorités publiques dans le cadre de leur mission de gardiens de l’ordre public économique et qui vise à la protection du fonctionnement du marché et de la concurrence et non à celle des intérêts immédiats des contractants lésés est une action autonome dont l’exercice n’est pas soumis à l’accord des victimes des pratiques restrictives ni à leur mise en cause devant le juge saisi, mais seulement à leur information préalable.

La circonstance que l’autorité qui poursuit la cessation des pratiques illicites puisse également faire constater la nullité des clauses ou contrats et demander la répétition de l’indu, n’est pas de nature à modifier le caractère de cette action, distincte, par son objet de défense de l’intérêt général, de celle que la victime peut elle-même engager pour la sauvegarde de ses droits propres et la réparation de son préjudice personnel.

Protection de l’ordre public économique

L’action ainsi attribuée au ministre au titre d’une mission de gardien de l’ordre public économique pour protéger le fonctionnement du marché et de la concurrence est une action autonome dont la connaissance est réservée aux juridictions étatiques au regard de sa nature et de son objet. Le ministre n’agissant ni comme partie au contrat ni sur le fondement de celui-ci, la clause des contrats attribuant la compétence aux juridictions étrangères est manifestement inopposable au ministre.

Règles de compétence applicables

Dès lors qu’une clause attributive de juridiction est inapplicable, il convient d’appliquer les règles de compétence du Règlement Bruxelles I. Le dispositif d’attribution de compétences communes prévues au chapitre II du Règlement Bruxelles I est fondé sur la règle selon laquelle les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites devant les juridictions de cet État, indépendamment de la nationalité des parties. Ce n’est que par dérogation à la règle générale de la compétence des juridictions du domicile du défendeur que le chapitre II, section 2, du règlement Bruxelles I prévoit un certain nombre de règles de compétence spéciales.

Concernant ces compétences spéciales, il convient de déterminer si le litige relève de la matière contractuelle ou de la matière délictuelle. Un comportement relève de la  » matière contractuelle « ,  » si (celui-ci) peut être considéré comme un manquement aux obligations contractuelles, telles qu’elles peuvent être déterminées compte tenu de l’objet du contrat « . Ce qui n’est pas contractuel relève du délictuel. Toute demande qui vise à mettre en jeu la responsabilité d’un défendeur et qui ne se rattache pas à la  » matière contractuelle  » relève de la matière délictuelle (CJUE, 13 mars 2014, Brogsitter, C-548/12).

Action en responsabilité quasi délictuelle applicable

En l’espèce, si les pratiques restrictives de concurrence sont généralement constatées à l’occasion de relations commerciales fondées sur un contrat, c’est, au travers de l’exécution du contrat, le comportement d’un opérateur économique ayant une pratique injustifiée au regard du jeu normal de la concurrence qui est sanctionné par l’action ouverte par l’article L.442-6 du code de commerce : l’action autonome du ministre aux fins de cessation de ces pratiques et aux fins d’annulation des contrats qui en sont le support revêt la nature d’une action en responsabilité quasi délictuelle (Cour de cassation, 18 octobre 2011, 10-28005).

L’action du ministre n’est pas une action indemnitaire fondée sur un manquement aux obligations du contrat, mais une action publique fondée sur le comportement fautif d’une des parties à la relation commerciale ayant consisté à violer une disposition légale (en imposant à l’autre partie des clauses affectées de nullité).

De plus, un comportement anti-concurrentiel ne peut être considéré comme un manquement aux obligations contractuelles, telles qu’elles peuvent être déterminées compte tenu de l’objet du contrat, mais comme la violation de règles d’ordre public. Dès lors que l’objet de la procédure ne relève pas de la  » matière contractuelle « , le litige relève alors de la  » matière délictuelle  » au sens de l’article 5-3 du règlement. Celui-ci prévoit qu’  » Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite, dans un autre État membre : 3) en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire « .

« Le lieu du fait dommageable  » peut être le lieu de l’événement causal et le lieu de la survenance du dommage (CJCE, 30 novembre 1976, Mines de potasse d’Alsace, 21/76).

En l’espèce, les hôtels signataires des contrats visés par des pratiques anti-concurrentielles étant situés sur le territoire français, le lieu de survenance du dommage est la France. Les juridictions françaises étaient donc compétentes (tribunal de commerce).

Application du règlement Rome II

Concernant le règlement applicable (Règlement Rome I ou Rome II), l’action du ministre n’étant  pas une action indemnitaire fondée sur un manquement aux obligations contractuelles, mais une action publique fondée sur le comportement fautif d’une des parties à la relation commerciale ayant consisté à violer une disposition légale (en imposant à l’autre partie des clauses affectées de nullité), le règlement Rome II du 11 juillet 2007 a été appliqué.

En application de l’article 14.1 de ce règlement,  » 1. Les parties peuvent choisir la loi applicable à l’obligation non contractuelle :a) par un accord postérieur à la survenance du fait générateur du dommage; ou b) lorsqu’elles exercent toutes une activité commerciale, par un accord librement négocié avant la survenance du fait générateur du dommage. Ce choix est exprès ou résulte de façon certaine des circonstances et ne porte pas préjudice aux droits des tiers « .

En l’espèce, les parties avaient adopté une clause désignant la loi anglaise mais le ministre de l‘économie, tiers au contrat, ne peut être considéré comme ayant librement consenti à cette clause. La clause des contrats désignant la loi anglaise lui était donc manifestement inopposable et inapplicable au litige.

Application du droit français

Toujours en application du règlement Rome II, « la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d’un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent ». Il s’agissait bien du territoire français, la loi applicable était donc le droit français.

A supposer même que la règle de conflit aboutirait à la désignation d’une loi étrangère, à partir du moment où l’action du ministre est portée devant une juridiction française, les lois de police s’appliquent. En effet, selon l’article 16 du règlement Rome II «  Les dispositions du présent règlement ne portent pas atteinte à l’application des dispositions de la loi du for qui régissent impérativement la situation, quelle que soit la loi applicable à l’obligation non contractuelle ». Les lois de police sont définies comme des « disposition(s) impérative(s) dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociales ou économique, au point d’en exiger l’application à toute situation entrant dans son champ d’application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat d’après le présent règlement ». L’article L. 442-6 et s. du code de commerce prévoit des dispositions impératives dont le respect est jugé crucial pour la préservation d’une certaine égalité des armes et loyauté entre partenaires économiques et s’avèrent donc indispensable pour l’organisation économique et sociale. Le régime spécifique commun à ces délits civils, caractérisé par l’intervention du ministre de l’économie pour la défense de l’ordre public, et les instruments juridiques dont celui-ci dispose, notamment demander le prononcé de sanctions civiles, illustrent l’importance que les pouvoirs publics accordent à ces dispositions. Il s’agit donc de lois de police qui s’imposent au juge du for, même si la loi applicable est une loi étrangère.

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