Affaire Dmitri Tcherniakov
On se souvient que la Cour d’appel de Paris avait estimé que l’opéra « Dialogues des carmélites » (scénario dont Georges Bernanos est l’auteur, inspiré d’une nouvelle écrite par Gertrud von Le Fort) avait été dénaturé par la mise en scène de l’auteur russe Dmitri Tcherniakov (2010, Opéra de Bavière, Munich). Cette décision qui a posé la question de la liberté d’interprétation des œuvres préexistantes vient d’être censurée par la Cour de cassation.
L’Opéra « Dialogues des carmélites » retrace le destin de seize carmélites de Compiègne, condamnées à mort par le Tribunal révolutionnaire, puis guillotinées, et s’organise autour du personnage imaginaire de Blanche de la Force, jeune aristocrate entrée au carmel par peur du monde, qui s’en échappera lorsque ses soeurs formeront le vœu de mourir en martyres, avant de décider de les rejoindre sur l’échafaud. L’oeuvre a été adaptée musicalement par Francis Poulenc dans un opéra éponyme créé en 1957.
Conditions de l’atteinte au droit moral
Pour juger que l’opéra adapté en 2010 à Munich portait atteinte au droit moral des coauteurs, les juges d’appel avaient considéré que la mise en scène de Dmitri Tcherniakov procédait à une modification profonde de la scène finale. Loin d’être l’expression d’une interprétation des oeuvres des auteurs, l’adaptation avait modifié la signification et dénaturé l’esprit de l’œuvre.
Contrôle de proportionnalité des juges suprêmes
Saisie de l’affaire, la Cour suprême a clairement opté pour la liberté de création. La mise en scène litigieuse ne modifiait pas les dialogues (absents dans cette partie des oeuvres préexistantes), ni la musique, allant même jusqu’à reprendre, avec les chants religieux, le son du couperet de la guillotine qui scande, dans l’opéra de Poulenc, chaque disparition. La fin de l’histoire telle que mise en scène et décrite par Dmitri Tcherniakov, respectait également les thèmes de l’espérance, du martyr, de la grâce et du transfert de la grâce et de la communion des saints, chers aux auteurs de l’oeuvre première.
Au visa de l’article 10, § 2, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme, la Cour de cassation a invité les juges d’appel à rechercher un plus juste équilibre entre la liberté de création du metteur en scène et la protection du droit moral du compositeur et de l’auteur du livre. La mesure d’interdiction prononcée en appel était disproportionnée.
Les limitations à l’exercice de la liberté d’expression, qui englobe la liberté d’expression artistique, ne sont admises qu’à la condition qu’elles soient proportionnées au but légitime poursuivi, c’est-à-dire rendues nécessaires dans une société démocratique par un besoin social impérieux ; en présence d’un conflit entre deux droits d’égale valeur normative, il appartient aux juges de réaliser une balance des intérêts en présence.
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